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Les auteurs proposent un ouvrage d’un volume conséquent, fruit d’un travail collaboratif de plusieurs années, soutenu par l’implication de nombreux intervenants attachés aux thématiques de la recherche exposée, dans une dizaine de pays sur quatre continents. Conçu sous l’impulsion d’Irène Bellier dans le cadre du programme de recherche européen Sogip, par suite de la Déclaration des droits des peuples autochtones (DDPA), cet ouvrage s’attache à la vie pratique d’une norme en exposant ce que sont les droits consacrés par la DDPA. Sont mises en perspective les interfaces où s’agrègent les contextes politiques et juridiques, les dynamiques des peuples autochtones, les mises en oeuvre et les spécificités territoriales dues aux localisations. La prise en considération des complexités contribue au dévoilement d’options viables pour que tous les acteurs puissent avancer tout en respectant les cultures et les aspirations de chaque peuple.

L’articulation de ces regards approfondis au sujet des droits des peuples autochtones est structurée autour de trois parties. La première prend en compte l’émergence d’un cadre juridique international en l’abordant par la déclaration des droits, le droit international et les systèmes régionaux. La seconde partie expose les dynamiques politiques et les situations des peuples autochtones par l’intermédiaire d’un cadre global, des États répondants et de la situation des peuples dans ces États. La troisième porte sur les droits dans les dispositifs étatiques par le prisme de l’espace politique, du rapport au territoire et des questions de société. Il est à noter que la bibliographie collective est d’une rare densité, tout en demeurant fixée sur la préoccupation principale de l’ouvrage.

La contextualisation de nature juridique met en exergue les spécificités de la thématique abordée par les auteurs. Ceux-ci exposent tour à tour des spécificités au Mexique, en Guyane, en Bolivie, en Argentine, au Chili, au Botswana, en Namibie, en Australie, en Nouvelle-Calédonie et en Inde. Ces territoires montrent une grande diversité de dimensions, de densité, de nature de population, d’histoire. La démographie de chaque entité est prise en compte pour expliquer en partie les dynamiques ethniques, les localisations, les déséquilibres et les tensions. La gouvernance selon les différents cadres juridiques, les droits pratiqués, sans omettre les langues dans leur pluralité, apportent un cadre comparatif fonctionnel dépendant de la thématique exposée. La protection des individus, les économies de subsistance, les équilibres écologiques, les transitions culturelles et les échelles d’étude sont présents et servent de jalons à la démarche. Des tableaux synthétiques permettent une lecture contextuelle des évolutions et des points de similitude entre les différents territoires étudiés. Les auteurs mettent en perspective les liens entre les droits internationaux et locaux tout en relevant les tensions avec les droits nationaux. Par ailleurs, le poids des histoires, des héritages coloniaux, des liens d’influence sont intégrés afin d’offrir une lecture ouverte des faits et des dynamiques propres aux droits des peuples autochtones dans leurs territoires nationaux. De ces analyses émerge une diversité de réponses données par les États aux populations qui aspirent à des droits auxquels elles doivent avoir accès et pour lesquels, parfois, elles s’expriment avec détermination.

À titre personnel, en miroir aux centres d’intérêts source d’un regard critique, deux facettes liées aux territoires, aux territorialisations et aux territorialités étaient attendues. Il est vrai que les auteurs font des choix pour répondre à leur problématique et qu’un ouvrage en est l’image. Cet ouvrage de nature interdisciplinaire aurait probablement gagné en profondeur par une orientation transdisciplinaire afin que les destinataires perçoivent la nature trajective des implications économiques, sociétales, juridiques et territoriales. Bien entendu, la réalisation collaborative effectuée sur plusieurs années et associant différents domaines tempère cet aspect. Par ailleurs, dès lors qu’on s’attache à un territoire, à sa mise en valeur, à sa population, à sa spécificité ainsi qu’à son statut, il s’ensuit la production de la nature d’un rapport au monde d’existence. Cela signifie que les populations autochtones ont, vivent, expriment une géographicité propre. Celle-ci est héritée de leur implantation initiale, de leur histoire récente, de leur évolution contemporaine et des aspirations, lesquelles orientent leurs actions actuelles. Cette conceptualisation épistémologique devait être délicate à intégrer dans un ouvrage où s’imbriquent des axes d’études parfois en tension, tout en permettant de comprendre les situations décrites.

Ces traits sont largement surmontables. Ils n’enlèvent rien à l’ouvrage. Ils exposent des pistes à concevoir pour d’éventuelles expansions des travaux entrepris. Ainsi, la diversité des angles d’approche offre au lecteur, qu’il soit curieux, étudiant ou enseignant, des perspectives ouvertes de compréhension et d’immersion au coeur de réalités pouvant se révéler des plus complexes. L’attachement à la nature juridique des faits exposés, des orientations prises, des considérations des populations et des relations entre entités étatiques et peuples autochtones dessine les particularités de cet ouvrage. Les axes rendus explicites par le prisme juridique des dimensions internationales liées aux organismes onusiens, ceux des 10 États présentés ainsi que ceux induits par l’action des peuples autochtones pour que leurs droits soient reconnus et valorisés, rendent visibles les problèmes de l’application et du respect des droits selon les territoires considérés. En outre, l’emprise des contraintes financières, leurs nécessaires implications, les tensions quant aux pratiques réelles des administrations laissent entrevoir tout le travail encore à accomplir dans le domaine du droit des peuples autochtones. L’ouvrage est une image orientée d’une perception des réalités du droit international transposable au coeur des nations. Celles-ci doivent, par obligation et par devoir, prendre en considération toutes les dimensions des mosaïques des peuples, jusqu’aux inquiétudes identitaires qui leur donnent corps. Les cinq années au cours desquelles cet ouvrage a été construit démontrent la complexité de l’objet abordé tout en s’expliquant par la pluralité des orientations qu’ont prises les parties en présence. Ce livre peut être considéré comme un ancrage d’une étape vers de nouveaux développements qu’il reste à entreprendre.