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La recrudescence de crises politiques[1] et potentiellement conflictuelles[2] dans les États membres de l’Union africaine a entrainé une intervention accrue de l’organisation continentale[3]. L’Acte constitutif de l’Union africaine donne en effet pouvoir à l’Union d’intervenir dans un État membre sur décision de la Conférence. En ce sens, la Conférence peut « donner des directives au Conseil exécutif sur la gestion des conflits, des situations de guerre et autres situations d’urgence ainsi que sur la restauration de la paix »[4]. Plusieurs situations, qualifiées tantôt de tensions politiques[5], tantôt de crises constitutionnelles[6], qui peuvent dégénérer en conflits internes[7] ou en guerre civile[8] et que l’on peut regrouper sous l’appellation générique de crises internes, peuvent ainsi pousser l’Union africaine à décider d’user de son pouvoir d’intervention dans l’un des États membres selon un des modes pacifiques de règlement des différends énumérés par la Charte des Nations unies[9]. L’un des moyens privilégiés de l’intervention de l’Union africaine est la médiation. La médiation est donc au coeur du dispositif traditionnel permettant à l’Union africaine de trouver une solution rapide à une crise sévissant dans l’un de ses États membres. Elle apparait d’ailleurs comme « l’un des moyens les plus utiles et les plus fréquemment utilisés pour prévenir et régler les différends »[10]. Prévue par divers textes internationaux à caractère général ou régional[11], la médiation ne fait cependant pas l’objet d’une définition précise. Comme le relève Jacques Faget, l’« obstacle est de fournir une définition de la médiation qui ne soit ni trop vague […] ni trop normative »[12]. De façon générale, la médiation est une procédure consistant pour une tierce partie à aider, avec leur consentement, deux ou plusieurs parties à prévenir, gérer ou régler un conflit en les aidant à élaborer un accord mutuellement acceptable[13]. Elle « consiste à inviter un État, un autre sujet du droit des gens […] ou une personne qui en relève à tenter de rapprocher les parties au litige. La médiation peut également être offerte par le tiers, mais, dans ce cas, doit être acceptée par les parties »[14]. L’article premier de l’acte uniforme de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) relatif à la médiation dispose que :

le terme “médiation” désigne tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un rapport conflictuel ou d’un désaccord (ci-après le “différend”) découlant d’un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des États[15].

Le Dictionnaire de droit international considère la médiation comme un

mode de règlement diplomatique des différends par lequel, de leur propre initiative et avec l’accord des parties ou à la demande de celles-ci, un ou plusieurs tiers (à savoir un ou plusieurs États, ou un organisme international, ou même une personne privée) s’entremet entre les parties à un différend ou un conflit afin de les amener à entamer ou reprendre, et poursuivre des négociations sur la base de propositions de règlement fondées sur la conciliation des intérêts en cause et dépourvues de caractère obligatoire[16].

Il y a dans cette définition un accent accordé sur le processus et non sur le résultat dudit processus. S’appuyant sur l’objectif recherché et non spécifiquement sur sa substance, certains auteurs considèrent que la médiation fait référence à « toute action entreprise par un acteur qui, n’étant pas directement impliqué dans la crise, est désigné afin de réduire ou de mettre un terme aux obstacles entravant la négociation et faciliter ainsi la conclusion de la crise elle-même »[17]. D’autres auteurs laissent prédominer le processus de médiation dans leur définition, plutôt que son objectif. En ce sens, Jacques Faget, considère que la médiation est un

processus consensuel de gestion des conflits dans lequel un tiers impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel, tente, à travers l’organisation d’échanges entre les personnes ou les institutions, de les aider, soit à améliorer ou établir une relation, soit à régler un conflit[18].

D’autres définitions s’appesantissent plus sur le médiateur et son rôle que sur la médiation elle-même. Ainsi, la Convention de La Haye sur le règlement pacifique des conflits internationaux de 1907[19] dispose à l’article 4 de son titre II consacré aux bons offices et à la médiation que, « le rôle du médiateur consiste à concilier les prétentions opposées et à apaiser les ressentiments qui peuvent s’être produits entre les États en conflit ». Ce faisant, la Convention accorde une place importante au médiateur et non au mécanisme lui-même. Le médiateur est un tiers qui s’entremet entre deux ou plusieurs parties à un différend pour les amener à une solution par la médiation. Le rôle du médiateur consiste à concilier les prétentions opposées et à apaiser les ressentiments qui peuvent s’être produits entre les États en conflit. Peu de textes et conventions internationales donnent des précisions sur le rôle du médiateur et ce qui est attendu de lui dans le cadre du règlement d’un différend. À cet égard, l’article 12 du Pacte de Bogota du 30 avril 1948 dispose que : « Les fonctions du médiateur ou des médiateurs consisteront à assister les parties dans l’arrangement de la façon la plus simple et directe évitant des formalités et en essayant de trouver une solution acceptable »[20]. On attend donc tout de lui, sans pour autant lui fournir les rudiments nécessaires pour l’atteinte des résultats attendus, et parfois même exigés de lui.

La médiation apparaît donc comme un mode de règlement pacifique adapté aux tensions internes et troubles intérieurs des États, qui atteignent un seuil intolérable et nécessite l’intervention de l’Organisation continentale. En même temps que la médiation sert à la résolution des diverses crises dans les États membres, elle permet d’éviter la voie judiciaire longue et truffée d’incertitudes[21] et fait émerger sur la scène internationale, des acteurs autres que les États. Elle sort de la rébellion certains groupes d’individus jusque-là ignorés parfois du gouvernement en place dans l’État en proie à une crise interne. Mais pour parvenir à sortir ces groupes de leur ombre, le médiateur doit user des talents bien reconnus et d’un savoir-faire exceptionnel pour ne pas perdre la face. En effet, la médiation tourne parfois en ridicule celui qui est chargé de la mener, et réussit à égratigner dans certains cas, l’image de certaines personnalités internationales honorées et respectées.

L’Union africaine a eu à désigner plusieurs médiateurs lorsque les crises ont éclaté dans ses États membres avec plus ou moins de succès[22]. Le médiateur désigné intervient dans le cadre d’une diplomatie multilatérale de crise, conçue et mise en oeuvre pour résorber les crises. Il affiche par conséquent les capacités des organisations internationales à amener les parties à régler leurs différends par des moyens pacifiques. Le médiateur se positionne ainsi comme la pièce maitresse du dispositif de la négociation envisagée au sein de l’organisation continentale. C’est lui qui dirige lesdites négociations et les oriente dans le sens conduisant à une solution acceptée par les parties et à laquelle adhère l’Union africaine. Parfois, il peut être amené à fixer les procédures avec l’accord des parties, mais, aucune règle ou condition ne lui est fixée ou imposée de façon formelle par avance[23]. Il y a en la matière une flexibilité qui laisse au médiateur la marge de manoeuvre nécessaire pour amener les parties à trouver rapidement une solution au différend[24] qui les oppose. Mécanisme ancien de résolution des crises, la médiation semble être le mode de règlement des différends à caractère politique préféré et privilégié des organisations internationales, en particulier de l’Union africaine. C’est ainsi que se fait ressentir de plus en plus l’urgence de son encadrement formel, tant son rôle est apprécié. « La médiation apparaît ainsi comme le moyen de règlement des conflits de droit commun en Afrique, d’autant plus qu’elle est considérée comme proche des cultures africaines et de la réalité socioculturelle africaine »[25]. En privilégiant la médiation dans un certain nombre de conflits qui sévissent sur le continent, l’Union africaine veut se réapproprier le pouvoir de régler par elle-même les crises africaines, ce que d’aucuns qualifient « d’africanisation du règlement des conflits »[26]. Les médiations africaines d’aujourd’hui ont certes pour objectif de contribuer à la résolution des crises internes dans les États africains, mais elles visent surtout à laisser les Africains régler, eux-mêmes, pacifiquement, leurs différends, en utilisant leurs propres mécanismes[27]. L’importance de la médiation a amené l’Assemblée générale des Nations unies à adopter la Résolution 65/283 sur le renforcement du rôle de la médiation dans le règlement pacifique des différends, la prévention et le règlement des conflits[28].

La question qui se pose dans la présente étude a un double volet : quel est le régime juridique de la médiation de l’Union africaine dans le règlement des crises internes de ses États membres et quelle est l’efficacité de ce mode de règlement pacifique des différends en matière de résolution de ces différentes crises ? Cette question revêt un intérêt certain au regard de l’actualité internationale, et au regard de l’évolution actuelle du droit international public. En effet, s’interroger sur le régime juridique de la médiation en droit international public revient à chercher s’il existe un ensemble de règles et principes juridiques qui encadrent la procédure de la médiation internationale pour la rendre plus efficace en matière de règlement pacifique des différends. Si la médiation repose sur des bases juridiques incontestables, son processus suscite des interrogations, et il peut paraître opportun de faire une analyse juridique de cette procédure centrale en matière de règlement des crises internes des États membres de l’Union africaine. L’étude permettra de mettre en exergue les efforts fournis actuellement par les Nations unies et l’Union africaine pour encadrer juridiquement la médiation. On assiste en effet ces derniers temps à une formalisation de ce processus à travers divers instruments, même si ces textes n’ont pas une véritable valeur juridique. Dépouillée d’un cadre juridique contraignant et évoluant dans un cadre informel, la médiation ne fait pas l’objet d’un régime juridique spécifique. Mais il existe des tentatives d’encadrement juridique de la médiation, non seulement au sein de l’ONU, mais aussi au sein de l’Union africaine, ce qui permet une analyse de ce mode de règlement pacifique des différends sous l’angle juridique. C’est ainsi que de communs accords avec les Nations unies, l’Union africaine tente de nos jours de formaliser le processus de médiation[29]. En effet, prenant conscience de l’importance de la médiation dans le dispositif de prévention et de résolution des conflits, les Nations unies, en collaboration avec l’Union africainea entrepris de mettre sur pied un ensemble de directives et de lignes directrices pouvant servir de cadre juridique de la médiation en droit international contemporain. Dans la Résolution 65/283 sur le renforcement du rôle de la médiation dans le règlement pacifique des différends, la prévention et le règlement des conflits, l’Assemblée générale des Nations unies,

Prie le Secrétaire général, agissant en consultation avec les États membres et les autres acteurs concernés, d’élaborer des directives visant à rendre la médiation plus efficace, compte tenu notamment des enseignements du passé et des processus de médiation en cours[30].

Ces directives qui ont été adoptées à travers une résolution de la même Assemblée générale des Nations unies[31] dégagent un certain nombre de principes fondamentaux pour une médiation efficace. Ainsi, dans le cadre de la médiation, l’Union africaine collabore étroitement avec les Nations unies, en vue d’atteindre des résultats efficaces en matière de résolution des crises internes des États membres[32]. Ces textes ouvrent des perspectives pour un encadrement juridique de la médiation comme mode de règlement pacifique des différends dans l’ordre international[33]. Bien que dépourvu de force obligatoire, ces textes s’imposent aux parties dans le processus de médiation, en particulier lorsqu’elle en envisagée au sein d’un organisme international. Par conséquent, l’approche adoptée dans la présente analyse est volontairement transversale, alliant la méthode juridique à l’analyse sociologique et politique, puisqu’elle nécessite la prise en compte des éléments de fait et s’appuie sur des textes de soft law. Cette approche permet d’affirmer qu’en matière de résolution des crises internes à ses États membres, la médiation de l’Union africaine apparaît comme une préférence historique en cours de règlementation (I), mais dont l’efficacité demeure relative en matière de résolution desdites crises (II).

I. Une préférence historique en cours de règlementation

La médiation est le mode privilégié de résolution des crises internes diverses dans les États membres de l’Union africaine. La longue tradition de l’Organisation continentale en matière de médiation n’a cependant pas entrainé son encadrement juridique sur le plan régional[34]. C’est à travers une collaboration étroite entre l’UA et les Nations unies que des précisions sur la désignation du médiateur ont été apportées (A). De même, la procédure de la médiation fait actuellement l’objet d’une formalisation progressive (B).

A. Une désignation politiquement encadrée du médiateur

La désignation du médiateur devrait répondre à la question suivante : qui, dans une situation donnée, est le mieux à même d’aider les parties à résoudre leur différend ou leur conflit [35]? Le Manuel des Nations unies sur les directives pour une médiation efficace apporte un certain nombre d’indications qui peuvent orienter l’Union africaine dans le choix du médiateur dans le cadre de la résolution d’une crise secouant un État membre. On assiste ainsi à une sorte d’encadrement de la désignation du médiateur, même si celle-ci demeure très politique. En effet, l’Union africaine maintient une désignation politique de son médiateur dans un pays, en dépit de l’adoption d’un certain nombre de documents précisant la qualité du médiateur et exigeant de lui certaines qualités.

1. Des indications sur la qualité de « médiateur »

Le choix du médiateur de l’Union africaine dans une crise d’un État membre se fait à plusieurs niveaux, soit par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement[36], soit par le Conseil de paix et de sécurité[37]. Par ailleurs, le président en exercice de l’Organisation panafricaine, conduit pour les raisons analogues, diverses médiations dans les conflits internes en raison de son statut de premier responsable de l’Organisation[38]. Le Manuel des Nations unies sur les Directives pour une médiation efficace donne des indications pouvant orienter le choix d’un médiateur dans un conflit en écrivant que :

Choisir un médiateur de qualité ayant l’expérience, les compétences, les connaissances et le sens des différences culturelles nécessaires pour gérer le conflit. Le médiateur doit être perçu comme étant objectif, impartial et investi d’une certaine autorité, et doit être une personne intègre. Il doit avoir un rang et un poids qui soient à la mesure de la complexité du conflit et doit convenir aux parties. Certains différends demandent une certaine discrétion, d’autres une démarche ayant plus de retentissement[39].

Le plus souvent, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine se tournent vers leurs homologues et anciens homologues, alors même que leur neutralité peut être facilement remise en cause par les parties impliquées dans la crise. Le médiateur est comme un démembrement de l’Organisation continentale et agit en ses lieux et places[40]. Le médiateur jouit dans ce cas d’une légitimité qui le place au-dessus des parties et bénéficie dès lors d’une « supra-autorité morale », nécessaire pour la bonne conduite des négociations. En fait, la qualité de médiateur dans une crise interne fait l’objet de convoitise de la part de certaines personnalités politiques en quête de popularité et de reconnaissance sur la scène internationale ; d’où les pressions exercées par certains dirigeants en poste pour être désignées comme médiateur dans une crise au sein des organisations internationales. La multiplication des conflits intraétatiques, leur complexité et parfois la diversité des parties impliquées dans les crises sont des facteurs qui contribuent à rendre difficile le choix objectif du bon médiateur pour la résolution d’une crise par une organisation internationale[41]. À toutes fins utiles, pour mettre en place et mener à bonne fin des processus de médiation, le Département des affaires politiques du Secrétariat général des Nations unies tient à jour un fichier de 240 experts en médiation de haut niveau réparti par domaine, présélectionnés et opérationnels[42]. L’ensemble des entités du système des Nations unies, les organisations régionales et sous-régionales, les organisations non gouvernementales et les États membres peuvent solliciter le concours d’experts figurant dans le fichier[43]. L’Union africaine peut donc se référer à cette liste pour choisir un médiateur, même si elle n’est qu’indicative. Pour l’instant, l’Union africaine rechigne à désigner, comme le fait déjà les Nations unies, des personnalités dont les compétences de négociateurs sont avérées, comme médiateurs dans un pays[44]. Les auteurs s’accordent généralement pour dire que les médiateurs doivent avoir une bonne capacité de communication[45] pour pouvoir persuader les parties de trouver un accord et les dissuader de recourir à la force. Dans le Manuel des Nations unies sur les Directives pour une médiation efficace, on peut lire ce qui suit :

Le bon médiateur favorise l’échange grâce à ses capacités d’écoute et de dialogue, fait naître un esprit de collaboration en cherchant des solutions aux problèmes qui se posent, veille à ce que les parties en négociation aient suffisamment de connaissances, d’informations et de compétences pour négocier en confiance, et élargit le processus pour y associer les acteurs concernés des différents secteurs de la société. Le médiateur bien informé, patient, impartial et discret est celui qui aide le plus efficacement les parties en négociation à parvenir à un accord[46].

Pour une meilleure orientation de la décision, Lakhdar Brahimi et Salman Ahmed énumèrent « les sept péchés capitaux de la médiation », parmi lesquels figurent notamment, l’ignorance, l’arrogance, l’impuissance, la haine, l’inflexibilité et les fausses promesses[47]. Les spécialistes distinguent trois styles de médiateurs : le facilitateur, le formulateur et le manipulateur[48]. Il ne s’agit là que des catégorisations purement doctrinales, l’Union africaine ayant un mode de désignation de médiateur conservé par les seuls dirigeants. Aucun document ne fixe les conditions qui doivent être réunies par une personnalité pour être désignée comme médiateur dans une crise politique secouant un État membre. Plusieurs facteurs politiques et un contexte complexe influencent la désignation du médiateur dans une crise interne à un État membre de l’Union africaine. Ces paramètres et hypothèses se retrouvent dans de très nombreux conflits, et constituent des défis fréquents pour les médiateurs désignés parfois à leur surprise[49]. Peuvent donc être médiateur, aussi bien des représentants des États, des organisations régionales ou internationales, des organisations nongouvernementales ou encore des personnes privées[50]. L’Union africaine désigne habituellement comme médiateur un chef d’État, ce qui l’oblige à devoir traiter directement avec son homologue de l’État en proie à une crise[51]. Cette politisation de la désignation du médiateur entraine souvent la remise en cause de son impartialité.

2. L’exigence de l’impartialité

L’impartialité du médiateur est une exigence primaire en matière de médiation dans une crise interne, qu’elle soit politique, militaire ou sociale. Il est à noter que :

L’impartialité est l’absence de parti pris. La notion d’impartialité est généralement associée à la neutralité, l’équité, l’objectivité, la notion de justice. En médiation, l’impartialité implique une attitude de distanciation par rapport aux valeurs, aux croyances, aux idées reçues, aux préjugés, aux références économiques, sociologiques, politiques et cultuels… Le médiateur doit être attentif aux sentiments qu’il peut éprouver à l’égard d’une partie, par les phénomènes naturels de sympathie ou d’antipathie. Ainsi, dans le domaine de la médiation, l’impartialité concerne la relation du médiateur avec les parties[52].

Vattel relevait déjà que,

Le médiateur doit garder une exacte impartialité, il doit adoucir les reproches, calmer les ressentiments, rapprocher les esprits. Son devoir est bien de favoriser le bon droit, de faire rendre à chacun ce qui lui appartient, mais il ne doit pas insister scrupuleusement sur une justice rigoureuse. Il est conciliateur et non pas juge, sa vocation est de procurer la paix et il doit porter celui qui a le droit de son côté à relâcher quelque chose, s’il est nécessaire en vue d’un si grand bien[53].

Les nombreuses crises internes étant marquées par la contestation du pouvoir central par certains groupes rebelles, il est évident que le médiateur risque à tout moment d’être accusé d’avoir un parti pris et d’être récusé par l’une des parties. Lorsque le médiateur désigné est un chef d’État, il lui est difficile de faire des reproches à son homologue, accusé de mal gouvernance ou même d’user de la dictature dans son pays par les rebelles[54]. Il lui est aussi difficile d’afficher son soutien aux rebelles ou des rester indifférents à leurs revendications lorsque celles-ci sont justifiées et fondées. De ce fait, plusieurs médiateurs de l’Union africaine ont été récusés dans diverses crises[55]. Or en choisissant leur pair comme médiateur dans une crise politique, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine ne soumettent pas le médiateur en question au test d’impartialité. La proximité qu’entretiennent certains chefs d’État vis-à-vis des mouvements rebelles dans leur État voisin peut faire douter le gouvernement en place de leur impartialité. De même, certains chefs d’État ou certaines personnalités ont des prises de position sur la situation politique qui prévaut dans le pays, à tel enseigne que, lorsqu’ils sont désignés comme médiateur, les parties doutent immédiatement de leur impartialité. En plus de cette qualité indispensable à tout médiateur, « la liste des qualités désirées pour les médiateurs est très longue », comme le disent Jacob Bercovitch et Gerald Schneider. Selon les Directives des Nations unies pour une médiation efficace, le médiateur doit être capable de mener un processus équilibré, traitant tous les acteurs de manière équitable, et ne doit avoir aucun intérêt à ce que l’issue soit telle ou telle. Il faut donc aussi qu’il soit capable de dialoguer avec tous ceux dont dépend le règlement du conflit[56]. En effet,

La médiation peut intervenir à tous les niveaux afin de faciliter l’avènement du compromis et de sa mise en oeuvre. Le tiers n’est alors plus un simple arbitre neutre. Il est partie intégrante du processus. Il doit apporter une valeur ajoutée en termes de confiance et de cohésion sociale[57].

Mais cette impartialité requise du médiateur ne signifie nullement neutralité puisque le médiateur, en particulier celui d’une organisation internationale, est généralement tenu de défendre certaines valeurs et certains principes universels qu’il peut être amené à porter explicitement à la connaissance des parties[58].

En fait, la réussite de la tâche du médiateur est rendue difficile par la distance qu’il doit tout le temps entretenir entre la tentative de se transformer en juge et celle de ne demeurer qu’un médiateur. Son autorité morale doit donc être incontestable et il ne peut l’utiliser qu’avec beaucoup de prudence dans la recherche d’une solution au conflit pour lequel il a été désigné. Dans ce cas, la personnalité même du médiateur est déterminante sur l’issue de la crise en question. Il peut réussir dans un cas et échouer dans l’autre, en fonction des parties impliquées dans la crise politique en question, et en fonction de l’État concerné par ladite crise et en fonction des circonstances particulières de la crise en question. Si le médiateur est un État puissant, un personnage important, il peut faire pression sur les parties au différend[59]. Par exemple, dans la crise malienne, le gouvernement malien de transition jugeait, sans l’avouer, le premier médiateur (en l'occurrence l’ancien président burkinabé, Blaise Compaoré) trop partisan et trop suspect. Au départ, seul le BurkinaFaso devait superviser les négociations avec les groupes armés du nord. Puis Bamako a appelé Alger à la rescousse[60] et le roi Mohammed VI du Maroc s’en est également mêlé[61].

Au-delà de ces difficultés, les propositions faites aux parties par le médiateur doivent être exemptes de partialité ou d’idées propres et personnelles. Pourtant, l’acte de médiation n’est jamais entièrement neutre. Le médiateur a des valeurs qui lui sont propres, qu’il défend au plus profond de lui et qu’il soutient. Dans ce cas, comment ne pas avoir un penchant particulier pour la partie qui défend les mêmes valeurs que lui ? Il est amené à interpréter les faits et gestes des parties, à confronter les thèses en présence comme s’il était juge, pour parvenir à des conclusions propres lui permettant de formuler, avec des chances de succès, ses conseils et ses suggestions. On peut comprendre ces propos de Dag Hammarskjöld lorsqu’il déclarait que :

Il peut être vrai qu’au sens très profond et très humain du terme il n’y a pas d’individu neutre, car (…) tout être de valeur doit avoir ses idées, son idéal, des choses qui lui sont chères, etc. Mais j’affirme que même un homme qui dans ce sens n’est pas neutre peut très bien entreprendre et mener une action neutre puisqu’il s’agit d’un acte d’intégrité[62].

L’exigence d’impartialité ne peut cependant conduire le médiateur à renoncer à utiliser son influence pour faire triompher ses idées et les solutions proposées pour régler le conflit. D’ailleurs, la plupart des médiateurs ne sont pas choisis au hasard. Il s’agit le plus souvent d’hommes charismatiques, doués d’un savoir-faire exceptionnel en matière de négociation et d’un talent diplomatique au-dessus du commun. Sa largesse d’esprit et de compréhensions, sa finesse dans l’analyse des thèses opposées des parties font de lui un homme ingénieux. Cette qualité est nécessaire pour amener les parties à abandonner les aspects les plus rigides de leurs propositions initiales. Pour parvenir à ce résultat, le médiateur doit connaître parfaitement la profondeur de la controverse et avoir une perception adéquate des aspects les qui prêtent le mieux à une composition équilibrée des intérêts. Pour mieux jouer son rôle, il lui revient de créer et d’animer un climat de détente et de confiance entre les parties et lui-même tout au long de son intervention. En plus des indications sur la qualité du médiateur, il y a un début de formalisation de la procédure de médiation.

B. La formalisation progressive de la procédure

Même si aucun texte ne donne des précisions sur la procédure à suivre par le médiateur et les parties à la crise interne, un ensemble de règles indiquent les grandes étapes de la médiation. Dans la Résolution adoptée le 31 juillet 2014 portant sur le renforcement du rôle de la médiation dans le règlement pacifique des différends et la prévention et le règlement des conflits, l’Assemblée générale des Nations unies, considère que,

pour être responsable et crédible, la médiation exige, entre autres, une appropriation nationale, le consentement des parties au différend ou au conflit considéré, l’impartialité des médiateurs, l’application de leur part des mandats adoptés, le respect de la souveraineté nationale, l’exécution des obligations imposées aux États et aux autres acteurs par le droit international, y compris les traités applicables, la préparation opérationnelle des médiateurs, et notamment une connaissance approfondie de la procédure et du fond, ainsi que la cohérence, la coordination et la complémentarité des activités de médiation[63].

Il y a donc des conditions essentielles dans le processus de la médiation, en l’occurrence le consentement des parties, la programmation des phases des négociations et la gestion de la confidentialité.

1. Le consentement des parties impliquées dans la crise

La première condition dans le déroulement du processus de médiation est le consentement des parties. Si la médiation est une entreprise volontaire, le consentement des parties conditionne la viabilité de même que la durabilité de l’issue[64]. En l’absence de ce consentement, il est difficile de s’attendre au succès de l’initiative. Aucune règle ne protège le consentement des parties à une crise à la médiation, ce d’autant plus que ce consentement n’est pas formalisé dans un quelconque document. C’est la raison pour laquelle à tout moment, dans certaines crises, le consentement de l’une des parties peut être retiré et le médiateur contraint à la démission à cause des accusations des parties[65]. En plus du consentement des parties au principe de la médiation, il y a l’acceptation du médiateur par les parties au conflit et qui dépend de plusieurs facteurs, entre autres : leur perception de sa capacité à faciliter un règlement qui, in fine, ne leur soit pas défavorable ; la limitation des risques qu’elles croient encourir — notamment en termes d’image et de réputation — en faisant des concessions à la partie adverse et en tentant de trouver un compromis ; la réduction du risque de violation des engagements par l’adversaire grâce à la présence d’une tierce partie.

La seconde de ces conditions est la participation réelle aux discussions. Ce n’est que dans le cas où les parties acceptent de participer au processus que le médiateur peut programmer des rencontres. De ce fait, la procédure de médiation est progressivement encadrée, mais il reste difficile de gérer la confidentialité en ce qui concerne les positions exprimées par les parties.

2. Le déroulement des négociations

Si pendant longtemps, la conduite de la médiation était une res inter alios des parties impliquées dans le processus, désormais, les phases des négociations sont bien séquencées et le lieu est choisi par l’organisation en charge de ce processus. Il en est ainsi en particulier lorsqu’elle est conduite sous les auspices d’une organisation internationale comme l’est l’Union africaine. Il arrive souvent que l’Union africaine délègue la conduite du processus à une organisation sous-régionale, en général une communauté économique régionale. Cette délégation intervient parfois en soutien à une initiative d’une organisation sous-régionale[66]. Dès l’entame de la médiation, il est nécessaire de signer un accord-cadre.

Un accord-cadre permet généralement de définir les équipes de négociation, de choisir le médiateur, de déterminer son droit de parler avec tout groupe s’il l’estime utile et de définir la structure de la médiation (pourparlers directs ou indirects ou les deux). L’accord-cadre engage souvent les parties à ne pas abandonner les pourparlers unilatéralement ; il arrête le lieu, le programme et le calendrier, et définit les conditions d’interaction avec les médias[67].

L’élément central de la médiation reste la négociation. La médiation consiste en un ensemble de phases de négociations fortement médiatisées parfois pour vaincre les dernières réticences des parties. En fait, la médiation est une entreprise volontaire, le consentement des parties conditionnant la viabilité de même que la durabilité de l’issue[68]. La méthode la plus couramment mise en pratique consiste à faire asseoir à la table des négociations les chefs de guerre/dirigeants ethnonationalistes, ce qui est souvent un exploit diplomatique en soi, et de les amener à partager le pouvoir sinon à se réconcilier avec force, embrassades et discours sur les « pages qu’il faut tourner », les « erreurs du passé », le pardon et la repentance[69]. La réussite de cette procédure dépend de l’influence du médiateur et des relations qu’il entretient avec les parties : il a d’ordinaire toute latitude pour faire des propositions de forme et gérer le processus, pouvant agir plus ou moins sur les questions de fond selon les circonstances[70]. L’action du médiateur de l’Union africaine est gouvernée par la logique de ceux qui le mandatent, en l’espèce la Conférence des chefs d’État et de ggouvernement de l’Union africaine. En fait, peu importe le lieu et le niveau des négociations, dès lors que l’Organisation obtient un accord, elle a pour tâche de le faire approuver par l’ensemble des États membres. Des imprévus peuvent survenir et empêcher le bon déroulement de la procédure. Il en est ainsi lorsque les parties refusent de recevoir le médiateur, en particulier lorsque la médiation se déroule dans le pays en proie à une crise. C’est la raison pour laquelle de plus en plus, le lieu de la tenue des négociations est un pays autre que celui en crise. La durée des négociations dépend des parties elles-mêmes. Tant qu’elles ne sont pas d’accord pour poursuivre les négociations, le médiateur ne peut continuer son travail. Cela peut s’étaler sur des années. Parfois, le mandat du médiateur qui est un chef d’État arrive à son terme dans son pays, alors même qu’il n’a pas pu conduire la médiation à son terme. L’une des exigences qui encadrent le processus de médiation est la gestion de la confidentialité.

3. La nécessaire gestion de la confidentialité

L’un des principaux atouts de la médiation, c’est la confidentialité. Elle permet aux parties de parler librement et de faire état de documents et d’informations qu’elles ne souhaitent pas divulguer à des tiers. En effet, la confidentialité est souvent présentée comme le socle de la médiation, son principe fondamental, celui qui permet un espace de parole libre, qui ouvre la possibilité d’être loyal et transparent, et de restaurer une certaine confiance entre adversaires qui l’ont perdue. Elle doit donc être strictement garantie. Pourtant, la principale difficulté à laquelle est confrontée la médiation de nos jours réside dans le fait de garder secrètes les positions des parties impliquées dans la crise. En effet, dans un monde dominé de plus en plus par les moyens de communication[71], il devient difficile qu’une médiation se déroule dans les règles de confidentialité prescrites aux parties par diverses chartes de médiation. En effet, les termes de négociation sont divulgués parfois à l’insu du médiateur, compte tenu de sa faible emprise sur les parties. Il n’y existe d’ailleurs pas, contrairement à certaines autres négociations, une clause de confidentialité à laquelle sont tenues les parties impliquées. Or, la divulgation des termes des négociations fragilise indubitablement le déroulement de la médiation, en particulier au regard de la pression des tierces parties qui s’activent dans l’ombre pour influencer les positions des parties prenantes. Dans ce contexte,

[c] onfrontés à une telle abondance de “faiseurs d’information”, les médiateurs doivent planifier et développer des campagnes d’information afin d’influencer la façon dont les gens voient une mission internationale et de veiller à la mise en oeuvre réussie de leur mandat[72].

Il faut dans ce cas que le médiateur se surpasse, qu’il aille au-delà des simples exigences requises de lui pour ses talents de négociateurs pour encore jouer sur le contrôle et la gestion de l’information[73]. Il revient au médiateur de veiller au respect de la confidentialité par les membres de son équipe et les parties en les amenant à signer un engagement de confidentialité. Le contrôle, voire la surveillance des médias et de l’information qui circule sur la crise ou le conflit et sur le déroulement des négociations nécessite beaucoup de travail. C’est la raison pour laquelle, le médiateur est amené à s’attacher les services de collaborateurs qui se trouvent à la fois sur le terrain et ceux qui sont extérieurs. L’accompagnement est d’une extrême importance dans ce cas. Si la médiation de l’Union africaine dans la résolution des crises internes de ses États membres connait donc un début de règlementation, son efficacité reste relative.

II. Une efficacité toujours relative

En dépit des efforts fournis pour encadrer juridiquement la médiation et la rendre efficace dans la résolution des crises internes des États membres de l’Union africaine, les résultats obtenus sont loin d’être entièrement satisfaisants. La persistance des tensions dans la plupart des pays sortis de crise et le risque élevé du retour à la violence sont les signes de la relativité des solutions trouvées à travers la médiation entreprise par l’Union africaine. Il est difficile d’affirmer de nos jours que dans le cadre des crises constitutionnelles et politiques en Afrique, la médiation africaine a réussi à faire cesser les tensions. En effet, la principale mission du médiateur est de concilier les prétentions opposées des parties, d’harmoniser leurs droits et de faire prévaloir chez les parties la raison et le bon sens sur les ressentiments et la méfiance, ce qu’il ne réussit que de façon très approximative lorsqu’il parvient à une solution à la crise. Pour ce faire, il doit parvenir à concilier les spécificités du conflit en question aux règles de droit international qu’il faut absolument respecter pour parvenir à une solution durable à travers l’appropriation nationale. En effet, « [p] our qu’il y ait appropriation nationale, il faut que le processus de médiation soit adapté aux cultures et normes locales, les règles du droit international et les cadres normatifs devant aussi être pris en compte »[74]. Les résultats de ces médiations internationales, qui doivent tout à la fois permettre de suivre la situation politique et sécuritaire des pays en crise et proposer une solution pour restaurer la légalité constitutionnelle et la légitimité des gouvernants, apparaissent toutefois mitigés. Un cycle continu de négociations interminables (B) est la conséquence du difficile accord global auquel peut parvenir un médiateur dans une crise politique en Afrique (A).

A. Le difficile accord global

L’objectif ultime de la médiation est de trouver une solution générale, définitive et durable à une crise qui risque de dégénérer en une guerre civile dans un État. Habituellement, lorsque les médiateurs désignés par l’Union africaine réussissent à trouver des solutions, celles-ci sont précaires et ne préludent nullement la paix retrouvée dans ledit État[75]. Il est toujours difficile de trouver un accord global qui couvre tous les aspects de la crise. En effet,

[l]es accords qui permettent de régler tous les grands problèmes et de surmonter les ressentiments à l’origine des tensions – soit en remédiant directement aux causes profondes de ces problèmes soit en établissant de nouvelles institutions chargées d’y remédier –sont en général les plus viables. En général, plus un accord est complet, plus il est facile à appliquer, car un grand nombre de sujets de désaccord ont déjàété réglés et il reste donc moins de négociations à mener au cours de la mise en oeuvre[76].

Habituellement, lorsque les médiateurs désignés par l’Union africaine réussissent à trouver des solutions, celles-ci sont soient partiels ou précaires et ne préludent nullement la paix retrouvée dans ledit État[77].

Ainsi,

[l]orsque la négociation met en relation des positions totalement opposées et irréconciliables, trouver des repères communs et organiser des complémentarités deviennent des défis. En dépassant le niveau individualisé pour le niveau sociétal, c’est toute la culture et le mode de compréhension de l’origine et donc de la solution du problème qui est posé. Il faut alors organiser l’émergence graduelle de concessions sur des valeurs afin d’atteindre des compromis sans tomber dans la compromission[78].

Il en est ainsi du fait d’une information insuffisante sur la crise, mais aussi des propositions inexécutables et surtout de l’existence des médiations parallèles.

1. Le manque d’informations exactes sur la crise

La structure des crises internes en Afrique est généralement complexe, fondée sur des considérations ethniques ou tribales, difficile à démêler par le médiateur[79]. Le plus souvent, les parties impliquées dans les crises internes sont des empêcheuses de la paix, prêtes à tout faire pour que le retour à la paix dans le pays n’ait pas lieu. L’expérience a montré que l’un des principaux risques d’échec d’une médiation vient des parties à un conflit qui estiment que la paix pourrait nuire à leur intérêt, en restreignant par exemple leur pouvoir ou les avantages financiers qu’ils tirent de l’économie de la guerre, et ont donc recours à la violence pour faire échouer le processus de paix[80]. Le risque de violence est particulièrement élevé lorsque les pourparlers progressent ou qu’un accord est proche, car les divisions internes au sein de mouvements rebelles ou de gouvernements s’accentuent et peuvent donner naissance à des factions extrémistes opposées au processus de paix[81]. À cet égard, le médiateur a du mal à trouver des solutions durables aux conflits armés internes ou aux crises politiques :

Il s’agit généralement de processus très complexes impliquant plusieurs niveaux et plusieurs parties, dans lesquels les médiateurs, même ceux officiellement mandatés par un organisme international, ont souvent peu d’autorité formelle et doivent constamment repousser ou canaliser les efforts de médiations parallèles (par ex., par les États intéressés) dans un seul et unique effort de paix. Bien souvent, les problèmes sous-jacents sont difficiles à résoudre et sont exacerbés par la violence employée pendant le conflit[82].

L’information exacte sur la situation, mais aussi sur les intentions et actions des parties impliquées dans le processus est indispensable à la poursuite des négociations, l’analyse des conflits par le médiateur devant être parfaitement maitrisée. Or cette situation évolue très rapidement sur le terrain et change chaque jour. Au fur et à mesure qu’évoluent les négociations instituées par le médiateur, la situation devient plus complexe à gérer et certains groupes, qui n’existaient pas au début de la négociation se forgent, se développent et deviennent même plus forts que ceux avec lesquels le médiateur tente de trouver une solution à la crise[83]. Dans ce cas, un engagement fort de la part du médiateur est requis et le personnel d’appui auquel il recourt pour bien poursuivre son travail est conduit à effectuer une solide analyse itérative. C’est à ce niveau qu’intervient l’organisation de la structure de communication (conseillers et consultants) dont il dispose. Le problème qui surgit à ce niveau est celui de la continuité du personnel et la préservation de la mémoire institutionnelle de la crise en vue de l’utilisation efficace et continue d’analyses au cours d’un processus de paix[84].

Le suivi dans le temps des informations de base obtenues lors des réunions avec les parties ou d’autres acteurs intéressés est donc extrêmement difficile, compte tenu des difficultés à se souvenir des détails des réunions ou des rencontres informelles passées depuis longtemps, à gérer le renouvellement ou les réaffectations internes du personnel de l’équipe de médiation et à saisir les résultats des missions à court terme des experts des consultants extérieurs[85].

Au-delà de ces aspects formels, les médiateurs de l’Union africaine ont parfois du mal à trouver la documentation relative à la crise pour laquelle ils sont désignés et même de se familiariser avec les principaux aspects d’une crise. Une crise politique a toujours des ramifications parfois économiques et ethniques[86]. Ne disposant pas de toutes ces informations, il leur arrive de faire des propositions inexécutables et de devoir faire conclure des accords de manière séquencée, parfois difficile à regrouper dans un document d’ensemble.

2. Des propositions parfois inexécutables 

Les médiateurs désignés par l’Union africaine font souvent des propositions qui sont immédiatement rejetées par les parties à une crise politique interne. Le plus souvent, les propositions politiques qui tentent de ménager le statut de celui qui est à l’origine de la crise politique dans le pays posent problème. Tel a été le cas dans la crise guinéenne[87]. D’ailleurs, ces propositions ont de fortes chances de faire sombrer le pays dans un nouveau cycle de crise constitutionnelle dès la fin de la médiation[88]. Or l’un des points forts de la médiation réside dans la capacité du médiateur à proposer des solutions viables et durables à la crise : il doit surtout s’agir de solutions exécutables. La faisabilité des solutions proposées est ainsi une gageure. Par exemple, en dépit du fait que l’Accord de Brazzaville du 23 juillet 2014 ne produisait pas d’effets escomptés, le médiateur dans la crise centrafricaine, le président Denis Sassou N’guesso réaffirmait, lors de l’ouverture du Forum, le 4 mai 2015, que les élections présidentielles et législatives devaient avoir lieu dans les délais impartis, c’est-à-dire avant le 17 août 2015, terme de la transition. En sa qualité de médiateur international de la crise, le président congolais était pourtant le mieux placé pour savoir qu’il était impossible de respecter une telle échéance. Or ce faisant, il allait à l’encontre d’une indication contenue dans les Directives des Nations unies pour une médiation efficace qui recommande que : « Le médiateur doit […] éviter de fixer des délais irréalistes, tout en ralliant des partenaires à la cause de la médiation »[89]. La plupart des crises internes aux États membres de l’Union africaine ne trouvent pas de solution à cause des médiations parallèles.

3. L’existence des médiations parallèles

Le travail des médiateurs officiels est rendu complexe par celui des médiations parallèles, exercées par d’autres États africains, des leaders charismatiques, des ONG et parfois par les États occidentaux. En effet,

Un médiateur nonofficiel ou une autre tierce partie comme une ONG, un organisme universitaire ou une personne privée peut tenter de faciliter les contacts, d’encourager la confiance, de chercher des options ou des éléments de réponse possible ou de promouvoir d’une quelconque autre façon un règlement en réalisant des efforts en dehors d’un processus formel[90].

La symbiose attendue entre l’Union africaine et les communautés économiques régionales en matière de résolution des crises politiques dans les États membres respectifs n’est pas toujours de mise. Il arrive même que des voix dissonantes se fassent entendre. Or il est évident que pour être fructueuse, la médiation doit être dirigée par une seule personne. Lorsque plusieurs personnes se disputent le rôle de médiateur, les parties risquent de rechercher la solution la plus avantageuse en les mettant en concurrence. La fragmentation de la réaction internationale renforce alors celle du conflit dont elle complique le règlement[91]. La capacité du médiateur de rassembler un grand nombre de parties impliquées dans la crise et même des tierces parties est un atout indéniable, et lorsque celui-ci n’y parvient pas, il peut arriver qu’une tierce puissance intervienne pour faire évoluer la situation. Par exemple, dans le cadre de la crise malienne, la médiation algérienne a permis non seulement de rassembler les divers groupes séparatistes du nord Mali, mais aussi de nombreuses organisations internationales[92]. Avant le dénouement heureux de cette médiation, laCommunauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait tenté en vain de rétablir l’ordre constitutionnel dans cet État, à travers plusieurs décisions concernant la situation au Mali[93]. Sans lui dénier son autorité à la CEDEAO, Alger n’avait eu de cesse de réaffirmer que les discussions entreprises sous sa médiation seront menées dans la continuité de l’Accord préliminaire de Ouagadougou du 18 juin 2013[94].

Pour mener efficacement leur mission, les médiateurs officiels sont souvent obligés de composer avec des efforts de médiation parallèles — parfois menés par des États ou d’autres organismes régionaux — et les canaliser dans un processus unique[95]. Le cas du Soudan est particulièrement illustratif de cette situation d’existence de médiation officielle et médiations parallèles. À certains moments de cette crise, un médiateur conjoint Union africaine-Nations unies au Darfour (l’ancien ministre burkinabé Djibril Bassolé), un représentant conjoint spécial chargé de la mission de maintien de la paix MINUAD (l’ancien ministre nigérian des Affaires étrangères, M. Ibrahim Gambari) et un panel de haut niveau de l’UA (dirigé par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki) intervenaient tous en même temps au Soudan.

Dans le cadre de la crise au Burundi, l’Union africaine est intervenue alors même que la médiation sous régionale conduite par le chef de l’État ougandais, Yoweri Kaguta Museveni, montrait des signes d’essoufflement. Mais l’intervention de l’Union africaine n’a pas permis de trouver une solution à la crise bien que dans la composition de la délégation de médiateurs pour le Burundi, l’UA a fait en sorte de représenter les cinq régions du continent africain[96].

Dans certains cas, la co-médiation devient indispensable, les parties en cause ayant des préférences distinctes sur la personne du médiateur. On retrouve de nombreux cas de figure dans lesquels la médiation dans une crise a été assurée conjointement par plusieurs médiateurs, comme ce fut le cas dans la crise malienne, entre le Burkina Faso, l’Algérie et le Maroc[97]. De même, la crise libyenne a fait intervenir à la fois le Maroc et l’Algérie, quand bienmême, un médiateur international avait été désigné par les Nations unies, en la personne de Bernardino Leon. Il est à signaler que ces États ne se sont pas impliqués dans la résolution de cette crise sur demande de l’Union africaine, mais sur initiative propre[98].Tous ces facteurs entrainent un cycle interminable des négociations.

B. Le cycle interminable des négociations

La persistance des crises dans les pays africains illustre le niveau des résultats atteint par une médiation entreprise. De ce fait, il est difficile qu’un seul médiateur désigné par l’Union africaine parvienne à faire signer un accord global et général par les parties à une crise constitutionnelle ou politique dans l’un des États membres. La succession des médiateurs correspond à autant de cycle de négociations qui peuvent s’étendre sur des années et il est ainsi difficile de parvenir à une paix durable dans la plupart des pays en crise.

1. Des accords conclus de manière séquencée

Il est difficile que la médiation amène les parties à conclure directement un accord global de règlement de la situation. Dans ce processus, les accords interviennent toujours en compte-gouttes, et sont ponctués de phase d’incertitudes au cours desquelles la communauté internationale et les organismes internationaux exercent diverses pressions sur les parties pour les pousser à reprendre les négociations. « Le séquencement des questions devient un élément clé dans l’approche générale et la conception particulière d’un processus de médiation. »[99] C’est une phase particulièrement éprouvante pour les nerfs du négociateur, englué dans un processus qui tarde à aboutir et qui met ses talents à l’épreuve[100]. Lorsque le conflit a éclaté et que la situation dans laquelle intervient la médiation se caractérise par le recours à la violence, son devoir premier est d’amener les parties à conclure un accord de cessez-le-feu. Pour parvenir à cet accord, la tâche du médiateur n’est pas allégée. Il s’agit très souvent des accords qui préparent le terrain à la conclusion de l’accord global sur la crise. Les accords qui permettent de régler tous les grands problèmes et de surmonter les ressentiments à l’origine des tensions — soit en remédiant directement aux causes profondes de ces problèmes soit en établissant de nouvelles institutions chargées d’y remédier — sont en général les plus viables. En fait, plus un accord est complet, plus il est facile à appliquer, car un grand nombre de sujets de désaccord ont déjà été réglés et il reste donc moins de négociations à mener au cours de la mise en oeuvre. Il est de la plus haute importance de trouver un mode de répartition du pouvoir qui soit adapté aux particularités de la situation[101]. Pour qu’un accord soit viable, il faut également qu’il puisse être accepté par la majorité de la population. Il est bien sûr légitime que les médiateurs et les parties concernées fassent en sorte que la dynamique interne du processus de médiation reste confidentielle, mais il n’en est pas moins important de se doter d’une stratégie de communication à mesure que les pourparlers avancent, afin de ne pas susciter d’attentes irréalistes et de préparer la population à l’issue des négociations.

En règle générale, dans les conflits opposant des parties internes suscités par des tensions politiques, la médiation aboutit à la conclusion d’accords de partage de pouvoir. L’accord de partage du pouvoir est le type d’accord qui est généralement proposé par le médiateur dans le cadre d’un conflit aux fondements identitaires, religieux, linguistiques ou ethniques, voire idéologiques[102]. Si le principe du partage du pouvoir avec une certaine répartition des sièges entre le pouvoir en place et les groupes rebelles est acquis, la mise en oeuvre de ce principe peut s’avérer difficile dans la réalité, voire impossible. C’est dire que le partage du pouvoir n’est pas une panacée dans un conflit politique et que d’autres voies et accords peuvent être trouvés. L’accord de partage du pouvoir est un outil utile, associé à d’autres mécanismes, pour proposer aux parties au conflit une solution autre que la poursuite des combats, car il leur assure des garanties institutionnelles qui protégeront leurs intérêts. Il peut être une solution transitoire dans la perspective d’une nouvelle constitution permanente (comme ce fut le cas en Afrique du Sud lors de la transition du régime de l’apartheid à la démocratie) ou écrit dans les constitutions post-conflit afin de permettre à d’anciens adversaires de s’engager de manière crédible envers une politique non violente tout en défendant leurs intérêts. Le partage du pouvoir apparaît souvent comme un compromis « naturel » qui permet aux parties au conflit de sortir d’une situation insoluble après un conflit violent prolongé (comme l’Accord de paix global de 2005 au Soudan) ou après des élections contestées (comme au Zimbabwe et au Kenya en 2008). Pour parvenir à un tel accord, les médiateurs s’efforcent d’aider les parties à comprendre le bien-fondé d’un règlement politique négocié et préférable par rapport à une impasse politique et militaire, en particulier à la lumière des crises économique, humanitaire et autres qui suivent si souvent une telle impasse.

2. La difficile résolution durable des crises

Il est difficile et rare qu’une médiation parvienne à trouver une solution durable à une crise interne et à trancher toutes les questions qui divisent les parties. De nombreuses médiations renvoient la résolution de certains « points de désaccord à des mécanismes ultérieurs, comme des commissions ou des panels spéciaux, que ce soit de façon délibérée ou implicite »[103]. Même lorsque les parties signent des accords de sortie de crise sous l’impulsion du médiateur, ces accords ne garantissent nullement le retour à la paix dans le pays, encore moins l’engagement des parties à les mettre en oeuvre. Dans le cadre de la crise centrafricaine par exemple, les Accords de réconciliation nationale et les Programmes de démobilisation, de désarmement et de réinsertion (DDR) se sont succédé sans connaître une réelle concrétisation. Après chaque fiasco, de nouvelles autorités prenaient le relais pour chercher la quadrature du cercle, ce qui nécessite de nouveaux financements. La stratégie adoptée par le médiateur est parfois inadaptée aux circonstances. Dans ce cas, la médiation, si elle apaise les tensions et parvient même à faire signer un accord par les parties, ne résout pas le problème profond. En effet, les problèmes structurels demeurent, notamment de profondes inégalités socio-économiques superposées à la marginalisation des populations indigènes et certains acteurs de la guerre civile sont toujours actifs. Il en résulte un niveau élevé de violence (qui n’est plus politique, apparemment du moins) et de fortes tensions socioéconomiques qui font qu’il est difficile de parler de « paix durable ». Depuis, et sur d’autres terrains, des progrès sensibles ont été réalisés avec les programmes DDR, le concept de « paix durable » et la création de la Commission de consolidation de la paix déjà citée. Cependant, ces programmes coûtent cher (et pas seulement financièrement) et dépendent de contributions volontaires, donc de considérations diverses, allant de « l’intérêt national » (selon le discours des acteurs) au battage médiatique fait autour de tel ou tel conflit auprès de telle ou telle opinion publique nationale, régionale ou internationale[104]. Certaines crises politiques s’aggravent considérablement lorsque le médiateur désigné ne parvient pas à rapprocher les parties. Les médiateurs désignés par l’Union africaine arrivent ainsi difficilement à trouver des solutions durables aux crises politiques dans les États africains. Dans le cas de la crise politique qui persiste en Guinée-Bissau[105], la communauté internationale a exprimé sa lassitude[106].

L’idée est qu’une « paix durable » ne peut se faire qu’avec le concours et l’assentiment d’une société civile solide et dynamique[107], et que si les dirigeants politiques sont réticents ou frileux, voire divulgâcheurs, celle-ci peut faire pression sur ceux-là dans le sens de la paix. L’émergence et la consolidation d’une telle société civile sont donc des objectifs prioritaires des médiateurs internationaux. Les médiateurs internationaux sous-estiment bien souvent la force du consensus nationaliste et l’imprégnation de la société par cette idéologie. Par ailleurs, la médiation ne s’achève pas une fois qu’un accord est signé. Des efforts de médiation ou des missions de bons offices officiels ou officieux sont nécessaires tout au long de la mise en oeuvre[108].

***

Longtemps restée sans régime juridique, la médiation est en passe de devenir un mécanisme juridique de règlement des différends. Divers textes adoptés par les organisations internationales, en particulier les Nations unies et l’Union africaine permettent de nos jours de parler d’un régime juridique de la médiation internationale. En dépit de ce début de règlementation, l’efficacité de la médiation comme moyen de résolution des crises internes demeure relative dans les États membres de l’Union africaine. Il en est ainsi du fait de la complexité parfois inhérente à chaque type de crise dans un État membre, mais aussi de multiples pesanteurs auxquels sont confrontés les médiateurs sur le terrain des hostilités. Ainsi, l’efficacité relative de la médiation de l’Union africaine dans les diverses crises de ses États membres a pour cause le fait que la médiation ne permet pas de résoudre tous les problèmes sous-jacents à ladite crise. Ces problèmes peuvent et doivent être réglés à travers d’autres modes pacifiques de règlement des différends que refusent d’envisager la plupart des médiateurs. Or il est avéré que la combinaison des modes pacifiques de règlement des différends permettrait de proposer des solutions durables et globales à une crise, quelle que soit sa nature. Il serait peut-être temps que les médiateurs désignés par l’Union africaine intègrent la possibilité de recourir à d’autres modes de règlement des différends, en particulier lorsqu’il est possible de les insérer dans les accords qui sont conclus entre les parties pour permettre la sortie de crise. Il est surtout temps de finaliser les textes encadrant la médiation comme mode pacifique de règlement pacifique des différends.