Corps de l’article

Il est indéniable que l’analyse des finances publiques a sa raison d’être en science politique. Quand il s’agit de comprendre et d’expliquer comment les ressources de la société sont allouées (qui a quoi) et redistribuées (qui reçoit quoi), on ne peut ignorer la forte présence de l’État : lorsqu’ils prélèvent des impôts et des taxes, lorsqu’ils financent des services publics, lorsqu’ils prêtent ou empruntent des fonds, les gouvernements exercent une influence déterminante sur les choix de société. Toutefois, ces choix ne sont pas nécessairement le reflet de préférences collectives. Il est tout à fait raisonnable de penser que les gouvernements agissent selon leurs propres préférences, leur perception de la réalité, les contraintes auxquelles eux-mêmes font face, les ressources qu’ils possèdent (qui ne se limitent pas qu’aux ressources financières – pensons à leur expertise, leurs réseaux, leurs propres ressources matérielles), etc. Bref, le rôle des gouvernements est complexe, et cette complexité se reflète dans leurs choix budgétaires.

En raison du rôle central que joue l’État dans l’allocation et la redistribution des ressources de la société et de la notion de pouvoir qui lui est sous-jacent, l’étude des finances publiques devrait occuper une place importante en science politique. Et pourtant la réalité est tout autre. Seul un petit nombre de politologues canadiens et québécois s’intéressent aux questions budgétaires. Il en résulte donc que ces questions sont peu enseignées dans les programmes de science politique et font l’objet de peu de publications savantes (que ce soit des articles scientifiques ou des monographies) dans les parutions généralistes de la science politique (comme Politique et sociétés ou la Revue canadienne de science politique). Un exemple ? Au cours des vingt dernières années, la revue Politique et sociétés n’a publié que deux articles sur ce sujet[1]. Pourtant les débuts de la revue semblaient prometteurs : dès son troisième numéro, la revue consacrait un numéro spécial à la crise des finances publiques[2]. Par la suite, la publication d’analyses traitant des finances de l’État ne se fera que sporadiquement : il n’y aura plus d’autre numéro spécial dédié à ce thème. Cependant, des articles abordant des questions financières et budgétaires seront publiés de temps à autre. Il faut donc se tourner vers des programmes et des revues ou collections spécialisés pour trouver la majorité des études traitant de questions budgétaires.

On retrouve une partie de ces programmes et publications dans les filières de l’administration publique et de l’analyse des politiques publiques. Au Canada, par exemple, l’École de politiques publiques et d’administration (School of Public Policy and Administration) de l’Université Carleton publie chaque année l’ouvrage intitulé How Ottawa Spends, qui examine les récents changements budgétaires du gouvernement fédéral. L’Institut des relations intergouvernementales de l’Université Queens, quant à lui, offre régulièrement des analyses sur le thème du fédéralisme fiscal par le biais de sa publication annuelle Canada : The State of the Federation. Par ailleurs, soulignons aussi l’intérêt des fiscalistes pour l’étude des finances publiques. À ce titre, il convient de mentionner la Fondation canadienne de fiscalités (Canadian Tax Foundation) qui publie des monographies et des articles scientifiques qui débordent le simple cadre de la fiscalité et de la comptabilité[3] et la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke qui offre de nombreux rapports sur des thèmes variés (les garderies subventionnées, les budgets de genre, etc.).

L’administration publique et l’analyse des politiques publiques sont très certainement des disciplines très proches de la science politique. En fait, plusieurs les considèrent comme étant des champs à part entière de la science politique, au même titre que les relations internationales, la politique canadienne (ou québécoise, ontarienne, etc.), la pensée politique. Cependant, ces deux champs se distinguent des autres domaines de la science politique par leur multidisciplinarité. Il est fréquent que des chercheurs d’autres disciplines s’intéressent au fonctionnement de l’appareil administratif ou encore aux effets des décisions publiques : pensons aux économistes, juristes, fiscalistes, criminologues, etc. Il n’est donc pas surprenant de constater que l’étude des finances publiques est elle aussi intrinsèquement multidisciplinaire. En revanche, la contribution des politologues à l’analyse des finances publiques demeure en deçà de ses capacités, de son potentiel de recherche. Ce sont les économistes, les juristes, les fiscalistes qui s’intéressent aux questions de finances publiques plutôt que les politologues. Cependant, bonne nouvelle, ces chercheurs d’autres disciplines réalisent de plus en plus que la dimension politique importe. Il y a donc très certainement une occasion à saisir.

Cette multidisciplinarité est au coeur des analyses présentées dans ce numéro spécial. Comme nous le verrons, les sujets abordés sont très variés, tant par leur objet de recherche (allant des questions internationales à la gestion locale, en passant par l’étude des parlementaires, des agences internationales, des individus, des gouvernements élus) que par leur méthodologie (recherche documentaire, entretiens). Ces analyses proviennent aussi de chercheurs de diverses disciplines qui ont tous en commun le désir d’amorcer un dialogue avec les politologues. Mais avant de présenter plus en détail ces analyses, il nous semble important de souligner les contributions même des politologues québécois et canadiens à l’analyse des finances publiques. Ces contributions sont diverses, pertinentes et importantes, mais aussi peu nombreuses[4].

S’il existe une constante dans la recherche portant sur les finances publiques, c’est que les thèmes abordés au fil des ans sont le reflet des grands enjeux de société de l’heure. Ce n’est pas surprenant si l’on considère la place centrale des finances publiques dans la société : sans ressources financières, il est difficile de mettre en oeuvre des politiques publiques. Cela explique pourquoi les thèmes abordés fluctuent à travers le temps et l’espace[5]. Par exemple, on constate que les premières analyses ou réflexions sur la place et l’utilisation des finances publiques en Occident apparaissent aux XVIe et XVIIe siècles, alors que les systèmes féodaux sont remplacés peu à peu par des monarchies absolues. Il faut donc réfléchir aux principes et aux mécanismes qui permettent de percevoir et de gérer les fonds publics, ce que feront notamment Jean Bodin en France ainsi que Thomas Hobbes et Adam Smith en Grande-Bretagne. Au XIXe siècle, la mise en place de régimes démocratiques amènera de nouveaux questionnements sur le rôle des institutions, notamment par Alexis de Tocqueville, puis par Rudolph Goldscheid et Vilfredo Pareto. Alors que l’industrialisation s’intensifie, on commencera aussi à étudier de nouveaux problèmes engendrés par l’urbanisation, la densification, etc. (Adolph Wagner, par exemple, s’interrogera dès la fin du XIXe siècle sur les causes de la croissance des dépenses publiques). C’est le début des questionnements sur le rôle de l’État-providence. Ce questionnement s’intensifiera après la Deuxième Guerre mondiale, alors que les pays industrialisés connaissent une croissance économique sans précédent (c’est l’époque des « Trente glorieuses »). Cette période se caractérise aussi par une profusion d’écrits théoriques et d’analyses empiriques afin d’expliquer aussi bien les causes que les conséquences des interventions financières des gouvernements. Ces problématiques se poursuivront à partir des années 1980, tout en remettant en question cette croissance. L’heure est à la réduction des budgets publics et à la remise en question également du rôle même de l’État.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’analyse des finances publiques suscitera un grand intérêt chez les économistes. Cet intérêt ne surprend pas, cependant, considérant le rôle économique grandissant de l’État dans nos sociétés. Par ailleurs, les économistes ont développé des outils, notamment des données (par exemple, les comptes nationaux, qui mesurent la contribution de divers secteurs, dont le secteur public, à la croissance économique) et des méthodes statistiques (comme l’économétrie) qui permettent d’examiner et d’expliquer les causes et les conséquences des choix budgétaires des gouvernements. Or, ce qui étonne davantage, c’est que pendant ce temps, les politologues affichent un intérêt beaucoup moins marqué pour les finances publiques. Il y a une prédominance des thèses économiques dans le domaine des finances publiques. La situation n’est pas différente au Canada. Par exemple, une recherche dans la Revue canadienne d’économie et de science politique permet de bien voir cet écart entre les deux disciplines au Canada. Entre 1935 et 1967, seulement 10 % des articles qui abordent la question des finances publiques ont été écrits par des politologues[6].

L’intérêt des économistes pour l’étude des finances publiques va avoir une influence importante sur le développement de la recherche en science politique. Premièrement, réalisant qu’il n’est pas possible d’aborder la question des finances publiques sans prendre en compte la présence du gouvernement, les économistes vont développer leurs propres cadres théoriques pour expliquer les comportements des acteurs politiques. Un important courant théorique va ainsi voir le jour à partir des années 1960 et tentera d’examiner plus profondément le comportement des décideurs politiques, autant des gouvernements élus et des électeurs que des bureaucrates. Se fondant sur des postulats et des cadres d’analyse largement utilisés par la science économique (comme la rationalité, la maximisation de l’utilité, la compétition et l’échange), les théories issues des choix rationnels (ou public choice) vont influencer la recherche empirique. Au Canada, les théories des choix rationnels vont être popularisées par Richard M. Bird, un économiste de l’Université de Toronto, dans un important ouvrage publié en 1970, The Growth of Government Spending in Canada. Cette monographie ne passera pas inaperçue chez les politologues. Comme le souligne à l’époque C.E.S. Franks (1972 : 579), Bird propose des pistes de recherche sérieuses et pertinentes sur un phénomène (les politiques budgétaires des gouvernements) sur lequel « il existe encore beaucoup de mythes, mais peu de données ».

Deuxièmement, les économistes vont rapidement s’interroger à propos de l’influence réelle des explications politiques sur l’évolution des finances publiques. La question est posée directement par Thomas Dye en 1966 : Does Politics Matter ?, question que l’on pourrait traduire par « est-ce que la politique compte véritablement ? » S’amorce alors un programme de recherche en science politique qui tente de démontrer que les facteurs politiques importent tout autant que les facteurs économiques. Malheureusement, les résultats empiriques s’avèrent décevants pour la science politique. La réponse à la question de Dye devient régulièrement la suivante : oui, la politique compte, mais seulement un peu : les facteurs politiques pourraient influencer les choix budgétaires dans certaines circonstances, mais pas dans d’autres. De plus, cette influence serait faible comparativement à celle des facteurs d’ordres économique et démographique[7]. Plus largement, la recherche empirique peine à déceler des régularités.

Mais avant de rejeter les explications politiques, il semble pertinent de se demander si les méthodes d’analyse employées ne désavantagent pas la recherche qui traite des facteurs politiques. La très grande majorité des études empiriques sont des analyses statistiques comparées qui utilisent les données provenant de plusieurs unités, généralement plusieurs pays (principalement les pays industrialisés), sur une période plus ou moins longue (période souvent dictée par la disponibilité des données). L’objectif est donc de maximiser le nombre d’observations afin d’obtenir des résultats statistiquement fiables. Si une telle stratégie poursuit un but louable (augmenter la validité et la fiabilité statistique des analyses), elle se fait néanmoins au détriment de l’étude d’autres facteurs, notamment ceux de nature politique. D’une part, elle favorise la mise à jour d’éléments communs aux différentes unités analysées plutôt que l’identification des différences entre ces unités. La plupart des unités analysées se ressemblant sur le plan économique, mais pas sur le plan politique, il n’est donc pas surprenant de voir une prépondérance de facteurs économiques mis à jour. D’autre part, les analyses statistiques utilisent des indicateurs quantitatifs pour tester des hypothèses. Encore une fois, les facteurs d’ordre politique sont désavantagés, car un grand nombre de ces facteurs se prêtent mal à cet exercice (comment, par exemple, quantifier le pouvoir de certains acteurs politiques, comme un ministre des finances ou une commission parlementaire, dans le processus budgétaire ?). Dans ces circonstances, il n’est pas surprenant de constater que les explications économiques prennent le pas sur les explications politiques.

Bien que la recherche sur les finances publiques ait tout particulièrement suscité l’intérêt des économistes, on constate que certains politologues se sont néanmoins penchés sur la question. Au Canada, l’intérêt pour l’analyse des finances publiques se manifeste plus tardivement qu’en Europe et aux États-Unis, cependant[8]. Il faut dire que le pays est relativement « jeune » comparativement à la plupart des autres pays occidentaux. Durant la majeure partie de son histoire, le pays est une colonie dont l’économie est au service d’autres pays. La mise en place de ses propres institutions ne se fera qu’après la création de la Confédération en 1867. Il faudra même attendre le milieu du XXe siècle pour voir l’instauration d’institutions et de programmes publics de grande envergure. Avant les années 1980, des études sont publiées plus ou moins régulièrement et sont souvent produites en réaction à des événements particuliers. Les commissions d’enquête exercent une influence non négligeable sur le choix des thèmes abordés. Ainsi, plusieurs études abordent la question du fédéralisme fiscal à la suite des travaux de la Commission royale d’enquête sur les relations fédérales-provinciales (commission Rowell-Sirois)[9], ou encore de la gestion budgétaire dans la foulée des travaux de la Commission royale d’enquête sur l’organisation du gouvernement établie en 1960 (commission Glassco)[10]. Outre ces thèmes, plusieurs analyses traitent du rôle et du fonctionnement des institutions parlementaires, notamment concernant le vérificateur général[11].

C’est véritablement au tournant des années 1980 qu’on commence à s’intéresser à la dimension politique des finances publiques. À partir de cette époque, plusieurs ouvrages sont publiés au Canada pour expliquer le fonctionnement du processus budgétaire. L’accent est mis sur la description du processus budgétaire tant au sein du gouvernement fédéral que dans les provinces (Good, 1980 ; Doern et al., 1988 ; Maslove et al., 1986 ; Maslove, 1989 ; 1994). C’est aussi au début de cette même décennie que commence la publication annuelle de l’ouvrage How Ottawa Spends, qui permettra à un bon nombre de politologues d’étudier différentes facettes du processus budgétaire et d’examiner plus en détail des programmes financés par les fonds publics. En 1990, Donald J. Savoie publie un ouvrage important qui tente d’expliquer le processus budgétaire canadien en utilisant le cadre conceptuel proposé par Aaron B. Wildavsky (Savoie, 1990), selon lequel il existerait deux grands groupes de décideurs : les gestionnaires de programme et les gardiens du trésor public. Les choix budgétaires s’expliqueraient donc en fonction des rapports de force observés entre ces deux groupes. David A. Good poursuivra cette analyse (2005 ; 2007 ; 2014). Des thèmes de recherche plus précis émergent aussi, comme l’analyse de Geoffrey Hale (2002) sur la politique fiscale du gouvernement, celle de Patrice Dutil (2011) sur le ministère des Finances de l’Ontario, de Bruce G. Doern, Allan M. Maslove et Michael J. Prince (2013) sur les effets de la mondialisation, et de Daniel Béland, André Lecours, Gregory P. Marchildon, Haizhen Mou et M. Rose Olfert (2017) sur la péréquation.

Des ouvrages paraissent aussi au Québec, dont le plus complet restera pendant longtemps celui d’André Bernard (1992). Des études plus récentes reprendront les principaux thèmes abordés par Bernard (Cliche, 2009 ; Tremblay, 2012 ; 2016 ; Tellier, 2015 ; 2019). D’autres études s’ajouteront progressivement sur des thèmes plus ciblés : la gestion budgétaire (Bernier et Gow, 1994 ; Lachapelle et al., 1999 ; Cliche, 2015), le financement de l’État (Tremblay et Lachapelle, 1996 ; Tremblay, 2006) et, plus récemment, le contrôle parlementaire (Crête, 2014 ; Imbeau et Stapenhurst, 2019).

Les politologues canadiens et québécois aussi commencent à s’intéresser aux budgets des gouvernements provinciaux. La majorité de leurs études tentent d’expliquer la taille des budgets provinciaux à l’aide d’analyses statistiques, reprenant ainsi à leur compte les méthodes d’analyses privilégiées par les économistes. Les thèses examinées sont habituellement celles qui ont été popularisées ailleurs. On s’intéresse, par exemple, à l’idéologie du gouvernement, à la tenue d’élections, à la présence de gouvernements minoritaires, ou encore à des explications socioéconomiques comme la présence de populations vulnérables, les mouvements sociaux, la mondialisation, le taux de chômage (voir, entre autres : Abizadeh et Gray, 1992 ; Lachapelle, 1994 ; Pétry et Harmatz, 1994 ; 1995 ; Tellier, 2005 ; Pickup, 2006). Quelques études tentent néanmoins d’étudier des phénomènes qui sont spécifiquement canadiens. Par exemple, certains abordent le phénomène de « contagion de gauche » des partis néo-démocrates (et de leurs prédécesseurs le CCF / Co-operative Commonwealth Federation) sur les politiques adoptées par les gouvernements centristes et de droite canadiens (Chandler, 1977 ; Pétry, 1988). D’autres s’intéressent à l’influence des transferts fédéraux sur les budgets provinciaux (Pétry et al., 2000 ; Tellier, 2009). Enfin, certains s’attardent aux lois d’équilibre budgétaire (Imbeau et Tellier, 2004 ; Atkinson et al., 2016).

Quel bilan pouvons-nous tirer de ces études ? Il nous semble que le potentiel de ce champ de recherche n’a plus à être démontré. Toutefois, la recherche est encore fragmentaire et se fait par un nombre relativement limité de chercheurs (dont plusieurs ont des liens avec deux universités, Carleton et Laval). Bref, le domaine des finances publiques offre un grand potentiel de recherche, mais il demeure sous-exploité en science politique. Par ailleurs, l’apparition de nouveaux enjeux discutés sur la place publique semble indiquer que le moment est propice pour susciter des contributions s’inspirant des sciences sociales et plus précisément des travaux menés par des politologues. Pensons par exemple à la question de l’évitement fiscal et plus largement à la place qu’occupe le consentement à l’impôt dans les régimes démocratiques ; à l’engouement pour de nouveaux modes de financement, comme les partenariats public-privé, et au problème de reddition de comptes qu’ils peuvent susciter ; à l’émergence de nouveaux centres de décision, à la fois sur la scène internationale et dans les collectivités régionales ; et aux nouveaux rapports qui s’instaurent entre les différents paliers de gouvernement. Bref, ces thèmes (pour ne se limiter qu’à ceux-ci) démontrent bien que l’analyse des finances publiques n’est pas juste une question de « chiffres et d’états financiers » (nous paraphrasons ici Wildavsky, 1974 : 4-5).

Le but de ce numéro spécial est donc double : montrer la richesse du thème des finances publiques pour examiner les choix qui ont présentement cours dans nos sociétés et présenter les résultats de recherches qui soient les plus récentes et actuelles possible afin de proposer des pistes de réflexions et de recherches futures. Les textes rassemblés sont un mélange de contributions d’auteurs d’ici et d’ailleurs. Ces auteurs ont tous participé aux colloques de la Société québécoise de science politique (SQSP) au cours des dernières années dans le cadre d’ateliers sur les finances publiques. Certaines de ces présentations faites à la SQSP ont déjà été publiées dans un ouvrage collectif paru en Europe (Djouldem et al., 2014). Le présent numéro spécial permettra d’assurer la diffusion des résultats de recherche ici au Québec.

Six articles originaux sont réunis dans ce numéro spécial. Le texte de Philippe Liger-Belair offre une excellente introduction pour un numéro dédié à la question des finances publiques et de la démocratie, en examinant plus en détail la signification de la citoyenneté et sa relation à l’impôt. L’une de ses conclusions est que la mondialisation des marchés financiers a créé une nouvelle classe qui ne se perçoit plus comme « citoyen-contribuable ». L’obligation morale de payer ses impôts, au coeur des régimes démocratiques modernes, n’existe donc plus. Le thème de la mondialisation est aussi au centre de l’analyse présentée par Lyne Latulippe et Julie St-Cerny-Gosselin. Cette fois-ci, l’étude se porte sur les décisions d’une organisation internationale, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont les normes en matière fiscale introduisent des conséquences inattendues et indésirables. En voulant réglementer les politiques publiques en matière de propriété intellectuelle de ses États membres, l’OCDE a favorisé le recours à d’autres pratiques non désirables de concurrence fiscale. Par ailleurs, l’efficacité des politiques voulant encadrer la propriété intellectuelle reste à être démontrée. Damien Piron dresse un constat similaire. Examinant les partenariats public-privé, ce chercheur observe que le traitement comptable utilisé pour en mesurer l’impact financier n’est pas neutre : il permet aux gouvernements de présenter une image de rigueur budgétaire en ne faisant que de simples écritures comptables. Autrement dit, un système de normalisation comptable, avalisé par l’Union européenne et son agence statistique, l’Eurostat, incite les États à favoriser le recours au secteur privé, bien que les bénéfices qui s’y rattachent ne soient pas toujours en faveur de l’État.

Marc Leroy examine l’effet des changements paradigmatiques sur les politiques fiscales. Pour celui-ci, la crise économique internationale de 2008 a mené à une modification en profondeur des rôles et des responsabilités des autorités budgétaires. Il constate cependant que les réformes élaborées par les instances supérieures (ici l’État français et l’Union européenne) ont rencontré de fortes résistances de la part des décideurs régionaux qui doivent les mettre en oeuvre. En revanche, ces mesures ont aussi été, dans certains cas, des « fenêtres d’opportunité » (à la « Kingdon »). Il existe très certainement un parallèle intéressant à faire entre le cas français examiné dans cette étude et le fédéralisme canadien. Melina de Souza Rocha Lukic, pour sa part, revient sur l’importante réforme fiscale actuellement en cours au Brésil et apporte certains éléments de réponses aux interrogations soulevées par Leroy. Les changements institutionnels ont été précédés de changements cognitifs. Ainsi, la réforme fiscale de 1988 a été précédée d’une volonté de décentralisation telle que manifestée par l’adoption de la nouvelle Constitution à cette époque. La décentralisation est aussi au coeur de l’analyse présentée par Anne Mévellec et Veika Donatien. Examinant en détail la nouvelle fonction de vérificateur général municipal au Québec, ces auteures constatent que le rôle de ces nouveaux chiens de garde des finances n’est pas encore bien compris dans les municipalités. Par ailleurs, la présence d’une profession de vérificateur général municipal risque de se faire au détriment de la préséance des législateurs. À l’heure où les gouvernements transfèrent de plus en plus de pouvoirs et de responsabilités aux paliers sous leurs responsabilités, notamment aux municipalités, il y a lieu de s’interroger sur le réel pouvoir exercé par les élus locaux, notamment en matière de gestion financière.