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La Marche mondiale des femmes (MMF) est reconnue et étudiée comme objet, mouvement ou réseau transnational dans la littérature scientifique depuis plusieurs années (Conway 2018; Masson et Conway 2017; Dufour 2016; Giraud 2015, 2012 et 2001; Giraud et Dufour 2010). Initiative de féministes québécoises et grand succès mondial, la MMF en 2000 a mobilisé environ 50 000 femmes dans plus de 140 villes et villages du Québec (Verdière 2002)[2]. Cette grande mobilisation a été un événement marquant, porteur d’espoir et de déception, mais aussi d’apprentissages et de transformation pour plusieurs femmes et groupes du Québec.

Le présent article propose une revisite des résultats d’une recherche réalisée de 2007 à 2012 sur la contribution de groupes locaux féministes – les centres de femmes du Québec (CF) et leur regroupement, l’R des centres de femmes du Québec (R des CF) – à cette grande organisation transnationale en 2000 et en 2005[3]. Durant les années 1990 et 2000, le constat d’une transformation politique et socioéconomique s’impose. Les luttes locales sont devenues mondiales (Lamoureux 2004), et les rapports de pouvoir se modifient (Reysoo et Verschuur 2003). Les mouvements sociaux se transnationalisent alors pour s’inscrire dans ces nouveaux rapports de force. Les femmes du Québec ne font pas exception. Plusieurs auteures insistent sur l’importance de s’intéresser à la contribution des groupes locaux et aux mouvements féministes souvent négligés (Naples et Desai 2002; Alvarez 2000; Basu 2000). C’est dans ce contexte que s’est déroulée la recherche relatée ici.

Les thèmes fondateurs de la MMF, au coeur des entretiens de la recherche, sont toujours d’actualité. La lutte contre la violence s’exprime haut et fort maintenant à travers les mots-clics : #MeToo, #OnVousCroit, Idle No More, Black Lives Matter, etc. À l’heure actuelle, les féministes contribuent plus que jamais aux luttes environnementales, aux revendications pour la souveraineté alimentaire, l’accès aux ressources, une reconnaissance du travail des femmes, la paix et la démilitarisation, toutes des problématiques étroitement imbriquées dans les questions de pauvreté des femmes. En 2015, plusieurs mobilisations ont été organisées au Québec dans le contexte de la MMF : par exemple, une caravane des résistances et des solidarités féministes a parcouru le Québec pour (re)solidariser les femmes, dans leur diversité, contre l’appropriation du corps des femmes, de la Terre et des territoires. À ce jour, les groupes préparent les mobilisations de la MMF en 2020.

Actuellement, les mouvements transnationaux se transforment; bien que les enjeux se renouvellent, s’affinent ou s’ajoutent, on se rend compte que l’articulation entre le « local » et le « mondial » reste prédominante : inégalités et oppressions au sein des mouvements, renouvellement des bases militantes et des façons de militer, coalition de groupes aux intérêts divergents, élaboration de nouvelles analyses féministes, réappropriation de l’action transnationale pour les groupes locaux, etc. (Allain 2019; Masson, Paulos et Beaulieu Bastien 2017; Dufour 2016; Baksh et Hartcourt 2015; Giraud 2012; Beaulieu 2007).

La MMF a permis aux féministes et aux groupes du Québec de vivre des expériences et de faire des apprentissages hors de l’ordinaire. À travers une perspective locale de l’histoire des débuts de la MMF vue par les femmes du Québec, le présent article a pour objectif de documenter les contributions de groupes locaux à cette mobilisation transnationale, mais aussi de rendre compte du bagage acquis via la mise en oeuvre de la MMF. Dans la conjoncture où les luttes altermondialistes se transforment, où les coalitions se révèlent incontournables, où les féministes sont actives et visibles, on peut supposer que les acquis liés à la MMF servent encore aujourd’hui.

La démarche méthodologique

Les entretiens exploratoires

La recherche prend forme en 2007. Dans l’idée d’être en phase avec les préoccupations de l’époque, 17 entretiens exploratoires ont été effectués auprès de 11 militantes féministes québécoises de différents milieux en vue de définir les objectifs de la recherche. Cette démarche s’inspirait de la position de Michèle Ollivier et de Manon Tremblay (2000) sur la recherche féministe, qui soutiennent que cette dernière doit viser à la fois la transformation sociale et l’élaboration des connaissances scientifiques. L’idée a fait boule de neige, les militantes rencontrées proposant des contacts avec d’autres femmes qui auraient à dire. La recherche a donc été élaborée, entre autres, à partir des pistes émergeant de ces rencontres.

Les questions de base

La recherche s’intéresse particulièrement à l’expérience des CF du Québec à la MMF. Réunis autour d’une base d’unité politique, les 87 CF du Québec sont des vecteurs de changements sociaux enracinés dans les communautés rurales et urbaines (R des CF 2019). Leurs actions sont connectées à la diversité des réalités vécues par les femmes de chaque région. C’est un important réseau d’entraide, d’éducation populaire, d’action et solidarité pour des milliers de femmes.

La recherche s’appuie sur des questions concrètes : pourquoi des femmes de groupes de base du Québec décident-elles de s’engager – soit y consacrer du temps et des ressources – dans une organisation transnationale alors qu’elles peinent à réaliser leurs mandats locaux? Comment s’analysent leurs expériences? À partir de cette analyse de cas, l’objet de la recherche était de circonscrire ce qui rend le « local » mobilisable et mobilisé dans une action d’envergure transnationale. Et quelles sont les contributions à l’échelle locale?

Les stratégies de recherche

La recherche repose sur une méthode qualitative, efficace pour comprendre le point de vue des actrices par rapport à leurs actions et rendre visibles les points de vue non dominants (Poupart et autres 1997). Plusieurs stratégies de recherche ont été retenues pour maximiser la recension d’informations : analyse documentaire de la littérature scientifique et grise, entretiens, observations participantes et tenue d’un journal de bord.

Après les entretiens exploratoires, un appel à participer a été diffusé largement par l’entremise de la Fédération des femmes du Québec et de l’R des CF du Québec : membres, militantes féministes et travailleuses d’un CF ou d’une organisation féministe en rapport avec l’organisation de la MMF étaient invitées à venir s’exprimer sur leurs expériences. Cette stratégie avait pour objectif de joindre le plus grand nombre de femmes possible. Au total, 25 entrevues[4] de recherche, individuelles ou de groupe, ont été réalisées, ce qui a permis de joindre 45 participantes venant de 12 régions du Québec : Montréal (18), Capitale-Nationale (7), Abitibi-Témiscamingue (6), Mauricie (5), Montérégie (2), Chaudière-Appalaches (1), Côte-Nord (1), Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (1), Lanaudière (1), Laurentides (1), Laval (1) et Saguenay–Lac-Saint-Jean (1). Les femmes rencontrées travaillaient dans un CF (20), étaient membres d’un CF (8); certaines occupaient un emploi à l’R des CF (6); d’autres étaient des travailleuses leaders de la MMF (6) ou des militantes féministes (5). Au total, des travailleuses et membres de 14 CF et de l’R des CF du Québec ont répondu à l’appel.

Une fois les entrevues réalisées et retranscrites, les participantes ont reçu une copie de leur verbatim afin de le relire, de le modifier à souhait et de l’approuver. Cette démarche avait pour objectif d’obtenir une validation par les participantes, mais aussi d’affirmer un positionnement critique à l’égard de la recherche traditionnelle, de la hiérarchie des rôles et des savoirs (Anadòn 2006). Une grande majorité des participantes ont saisi l’occasion pour se réapproprier leurs paroles, les adapter, les anonymiser ou non. Certaines ont aussi ajouté de nouvelles réflexions. Plus de 30 heures d’observation participante, notamment dans plusieurs réunions de la Coordination québécoise de la MMF, ont été réalisées, dans une posture à la fois de retrait pour favoriser l’observation, et de présence ouverte au dialogue pour permettre les échanges.

Le traitement des données a été fait au moyen d’une analyse de contenu qualitative, c’est-à-dire par codification, catégorisation, matrices d’analyse et validation (Poupart et autres 1997) à l’aide du logiciel N’Vivo 7. Les catégories de codification ont été déterminées en utilisant le « codage parallèle en aveugle » et la « vérification de la clarté des catégories » (Blais et Martineau 2007). L’analyse a été itérative, les données étant revues périodiquement en fonction des nouveaux éléments qui émergeaient à chacune des étapes de la codification. Les résultats préliminaires ont été présentés lors du Congrès annuel de l’R des CF, le 15 juin 2011, ce qui a permis de les mettre à l’épreuve.

De l’analyse sont ressortis quatre thèmes principaux :

  1. l’émergence de la MMF au Québec du point de vue des participantes, qui permet de situer leurs expériences;

  2. les expériences et les formes de contribution spécifique des CF;

  3. les répercussions et les acquis;

  4. un univers symbolique de métaphores et d’émotions exprimées par les participantes, qui permet de mieux saisir l’ampleur de leurs expériences.

Un portrait en quatre thèmes

Le contexte d’émergence de la Marche mondiale des femmes au Québec

Les participantes confirment les écrits scientifiques (Giraud et Dufour 2010) : la MMF est un projet qui prend ses racines dans la Marche du pain et des roses, important événement contre la pauvreté ayant eu lieu au Québec en 1995. La majorité des femmes rencontrées présente la Marche du pain et des roses comme les premiers pas de la MMF :

[I]l y avait deux participantes [de la région de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine] en 1995, à la Marche du pain et des roses, et c’est vraiment là où, en tout cas, on a allumé […] En 1995, on a commencé à marcher puis on n’a pas arrêté depuis.

Travailleuse CF, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

On comprend, à travers les discours des participantes que la Marche du pain et des roses a posé des fondations solides qui ont permis le développement de la MMF, notamment une « solidarisation » au-delà des différentes luttes après plusieurs années de travail en vase clos sur des problématiques spécifiques.

Les ponts créés entre les groupes féministes et ceux qui se consacrent à la solidarité internationale par la Marche du pain et des roses ont aussi permis de combiner les deux analyses pour mener une réflexion approfondie sur les enjeux de la mondialisation néolibérale, qui décompose et recompose autrement les rapports de pouvoir et les possibilités de dialogue entre les États et les citoyennes (Reysoo et Verschuur 2003). On sent bien, dans certains discours, cette conscience du déplacement des luttes vers l’espace mondial et des nouvelles possibilités de s’y inscrire autrement (Tarrow 2000) :

[C]’était clair dans les réponses du gouvernement que c’était le néolibéralisme qui parlait […] Donc les réponses nous indiquaient ou nous confirmaient en fait, qu’au niveau de la lutte contre la pauvreté à tout le moins, on ne pouvait pas tabler strictement à interpeller notre gouvernement. Qu’il fallait aussi mieux comprendre l’interdépendance aussi des pays, de plus en plus, et mieux comprendre cette vision économique qui nous étouffe toutes.

Travailleuse leader, MMF 1

Cette conjoncture a donné à plusieurs Québécoises l’occasion de développer une analyse de l’économie et une critique du néolibéralisme qui les inscrivaient, dès 1995, dans les premières réflexions et actions altermondialistes (Giraud et Dufour 2010). Le mouvement des femmes québécois était déjà solidarisé autour des questions de pauvreté et il célébrait le succès d’une grande mobilisation au-delà des problématiques. Il était – selon les participantes – mûr, rendu là, compétent, expérimenté, capable d’innover et il avait les bases assez solides pour prendre le leadership de la MMF.

Des actrices à l’échelle locale

Des élans et des réticences

La réalisation des entretiens a permis d’observer que les souvenirs de la MMF 2000 restent vifs même plusieurs années après. Cinq élans ou motivations à participer au projet de la MMF ressortent des récits :

  1. un élan ancré dans l’expérience de la Marche du pain et des roses et l’envie de revivre cette réussite d’organisation et de mobilisation;

  2. un élan vers le monde où plusieurs ressentaient un besoin de savoir ce qui se passait ailleurs, de s’ouvrir et de s’allier : « Je pense que ça faisait déjà un bout de temps qu’on avait le désir de se rapprocher des femmes du monde, tu sais, je veux dire du monde entier » (Travailleuse CF, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine);

  3. un élan ancré dans le désir de changement social, de transformer le monde;

  4. un élan encouragé par des figures marquantes des CF devenues leaders de la MMF;

  5. un élan « qui allait de soi », qui s’avérait incontournable.

Les nombreuses affinités entre les CF et la MMF sont saisissantes. D’abord, les CF s’intéressent aux questions à la fois de violence et de pauvreté, et ce sont les deux thèmes principaux de la MMF en 2000. Ensuite, le projet de la MMF s’insérait dans les trois volets de leur base d’unité politique, c’est-à-dire l’éducation populaire, l’action collective et le soutien aux femmes. Pour certaines femmes des CF, la participation à la MMF n’était pas une occasion, mais une responsabilité : « Ça nous appartient de s’impliquer à cette cause-là » (Travailleuse CF, Abitibi-Témiscamingue 2).

Toutefois, il y avait aussi des réticences. Certaines participantes ont raconté avoir remis en question le réalisme de la réalisation du projet dont elles mesuraient déjà l’envergure. D’autres mettaient en doute les objectifs et l’efficacité du projet à porter des revendications concrètes et à obtenir des résultats :

Mais avec le résultat de la Marche de 1995, puis toute l’énergie que moi j’avais mis, je trouvais qu’on avait bien peu gagné, et celle en 2000, je me disais : « Bof! Est-ce que ça va changer quelque chose? »

Travailleuse CF, Abitibi-Témiscamingue 1

Les contributions des centres de femmes du Québec

Selon l’ensemble des participantes rencontrées, les CF ont joué un rôle primordial dans l’organisation de la MMF. Les images sont parlantes. Pour certaines, les CF « étaient les bras de la Marche » (Travailleuse R des CF 4), « les abeilles ouvrières » (Travailleuse CF, Mauricie 2), « le pilier de l’organisation de toutes les activités » (Travailleuse CF, Montérégie), ou encore « la cheville ouvrière de la MMF » (Travailleuse R des CF 1). Outre qu’ils sont allés à la rencontre des femmes et les ont amenées à s’engager dans les activités, les CF sont associés à l’« enracinement » ou à l’« incarnation » de la MMF au Québec :

Parce que [ce sont les travailleuses des CF] qui rencontrent des femmes dans le quotidien, ce sont les CF qui sont un lieu d’appartenance […], vraiment qui sont le pôle dans les quartiers, les petites villes, les villages.

Travailleuse R des CF 1

Les CF ont eu le souci de rendre les informations accessibles tant par des moments de partage que par des façons compréhensibles de les transmettre. Les femmes parlent de traduire les outils, de vulgariser afin de « mettre une action à des pensées intellectuelles » (Travailleuse CF, Laurentides). Les CF ont multiplié ainsi les activités d’éducation populaire (café-rencontre, dîner-causerie, fabrication de matériel pour les manifestations). Ces activités avaient pour objectif, entre autres, de se donner l’occasion de comprendre ensemble les ancrages locaux des revendications de cette grande mobilisation transnationale.

Les CF ont aussi effectué un énorme travail de logistique dans leur région respective (organisation, financement, transport, hébergement et repas gratuits, horaires, sécurité, etc.) :

[E]n 2000, on a trouvé du financement, pour envoyer trois autobus au rassemblement à Montréal, puis un autobus à New York, toutes dépenses payées pour tout le monde! […] Chaque MRC [municipalité régionale de comté] a organisé une activité qui pouvait être une soirée ou quoi que ce soit, puis on a organisé un gros événement régional, la veille du départ des marcheuses : 250 personnes dans une polyvalente, spectacle féministe, artistes de la région, femmes, grosse affaire!

Membre CF, Abitibi-Témiscamingue 1

En 2000, il y avait un comité, puis on s’est vu aux mois et demi à peu près pendant quasiment deux ans. […] On a marché sur les trois axes routiers avec les autobus. On faisait tous les villages […] On a contaminé environ 350 femmes.

Travailleuse CF, Chaudière-Appalaches

Le financement nécessaire pour participer aux rassemblements de la MMF reste un dossier d’actualité pour les femmes du Québec qui préparent déjà les activités de 2020 : collaboration avec un brasseur de l’Abitibi-Témiscamingue pour lancer la bière « La Marcheuse » en vue d’amasser des fonds (Blondin 2019); activités de sensibilisation et de financement en Montérégie (CF Entre Ailes 2019); etc.

L’ampleur du projet de la MMF était inégalée. Les récits des participantes mettent en lumière à quel point le succès des événements portés par une organisation transnationale, comme la MMF, repose grandement sur les épaules et les bras des militantes sur le plan local.

Ancrer le « mondial » à l’échelle locale tout en restant « mondialement unies »

En ce qui concerne les liens entre le « local » et le « mondial », pour la plupart des participantes des CF, ceux-ci semblent plutôt abstraits puisqu’elles ont vécu la majorité de leurs expériences dans leur CF, dans leur région, ou encore à Montréal ou à Québec. Si la motivation de s’engager dans un mouvement mondial est manifeste, on observe de façon tout aussi importante une insistance à ce que le « mondial » soit ancré à l’échelle locale :

[Q]uand on travaille sur l’amélioration des conditions de vie des femmes du monde, c’est quoi l’impact que ça a chez nous parce que […] c’est aussi se dire : « Ouin, mais là, à Gaspé par exemple là, qu’est-ce que ça fait pour nous autres? »

Travailleuse CF, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

Cette posture semble fondamentale pour les CF et est d’ailleurs valorisée dans les textes internationaux de la MMF. Toutefois, elle entraîne des défis relativement au sentiment d’appartenance à la MMF qui n’est pas chose aisée à ressentir lorsque la principale préoccupation est locale et même logistique. Une participante dira qu’il n’est pas toujours facile de se sentir « mondialement unies » (Travailleuse CF, Mauricie 2). Pour d’autres participantes, le fait de se sentir partie prenante, d’être « un maillon de la chaîne », était suffisant (Travailleuse CF, Abitibi-Témiscamingue 2). Les femmes parlent aussi des difficultés liées aux nombreuses consultations de la MMF qui soulèvent des enjeux de pouvoir, d’organisation et de rapport au temps. Ces inégalités entre les femmes qui travaillent dans leur région et celles qui développent une « expertise » de l’analyse transnationale entraînent, entre autres, des problèmes de partage et d’appropriation des savoirs, de vision quant aux priorités et aux échéanciers.

En définitive, il n’est pas exagéré d’écrire que, sans les CF, la MMF n’aurait pas eu autant d’assises dans les localités au Québec : le succès de cette mobilisation transnationale est en grande partie redevable au travail acharné des groupes de base.

Les répercussions et les acquis

La question des répercussions de la MMF se révèle délicate parce qu’il est difficile d’en faire le tour, tant dans le monde qu’au Québec. Les répercussions négatives et positives les plus mentionnées sont abordées ci-dessous.

Des réponses modestes aux revendications

Les participantes expriment unanimement leur déception quant aux réponses aux revendications. Avant même les premières activités de la MMF, les réactions des différents paliers de gouvernement indiquaient une fermeture : « On a fait face à un environnement politique tout à fait hostile » (Travailleuse R des CF 3). Et ce contexte politique faisait en sorte que plusieurs femmes savaient qu’elles étaient davantage en train de résister que de gagner (Militante féministe, Montréal 2). Une participante raconte la visite de la ministre de la Condition féminine de l’époque qui semblait trouver leurs revendications trop exigeantes avant même le début de la MMF : « C’était déjà une jambette avant de commencer à marcher! » (Travailleuse CF, Mauricie 3). Plusieurs expriment leur impression d’avoir été prises au dépourvu, de ne pas avoir su prévenir le coup, de ne pas avoir su se revirer de bord ou encore cette impression – une lassitude – de répétition, de porter les mêmes revendications depuis trop d’années.

Dans leurs récits sur la MMF, on sent que les femmes ont réévalué par la suite les résultats pour y trouver des effets positifs, réels, mais sans aucune commune mesure avec les espérances qui avaient motivé leur engagement, leur investissement, « leurs sueurs et leurs grincements de dents, les dizaines de milliers d’heures de jus de bras militant » (Militante féministe, Montréal 2). D’ailleurs, certaines femmes ont exprimé leur déception devant le peu d’incidence politique et le caractère surtout symbolique des actions.

L’épuisement et la désillusion

Une des répercussions les plus mentionnées concerne l’épuisement et la désillusion. Les ressources humaines, financières et logistiques ont été, pour certaines, surexploitées. L’ampleur des tâches réalisées par les femmes à l’oeuvre dans les CF et le peu de réponses favorables aux revendications ont entraîné un épuisement chez beaucoup, tant travailleuses que militantes. Certaines ont vécu des moments de démobilisation, de désillusion ou une perte de conviction. D’autres racontent en disant : « On était traumatisées »; d’autres encore, en soulignant qu’elles étaient « un peu comme en convalescence » :

On a travaillé, on a travaillé. Puis tu sais, oui on a de l’initiative, oui on est proactives, mais c’est parce que la balle nous rebondit toujours dans le front! Finalement, l’ouvrage, on l’a beaucoup porté. Comme je disais plus tôt, la job de bras, toute cette logistique-là… […] Tu es fatiguée, tu as ton voyage, puis tu as le goût de te reposer, même si finalement la lutte est loin d’être terminée. Mais toi tu as quand même besoin comme femme, comme travailleuse, comme militante et même au nom de ton groupe que tu représentes, tu as besoin de t’effacer un petit peu.

Travailleuse CF, Mauricie 1

Dans le processus de la Marche […] on s’est menée au bout de nos capacités. C’est ça. J’ai vu de magnifiques personnes, tomber, flancher, claquer la porte […] J’en suis venue qu’à ne plus en pouvoir d’entendre même le discours féministe.

Membre CF, Abitibi-Témiscamingue 1

Cette grande fatigue a incité plusieurs CF à faire un retour sur eux-mêmes. Il y a eu ce besoin de revenir à l’échelle locale afin de ralentir les activités et de se « re-centrer » sur leurs mandats initiaux : prendre du recul pour profiter des apprentissages tirés de la MMF et permettre à des femmes de leur communauté d’en bénéficier.

Les acquis

Les récits des participantes permettent de mettre en évidence particulièrement cinq acquis. L’examen de ces résultats laisse entendre les échos entre les acquis provenant des expériences passées des femmes du Québec à l’occasion des premières activités de la MMF et ceux qui découlent des mobilisations féministes actuelles : coalition des alliances, reconnaissance des diversités, intégration de nouvelles analyses et pratiques, désir de pérennité et d’interpeller la relève, etc.

En premier lieu, les acquis concernent la consolidation des réseaux d’alliance et la création de nouveaux liens au Québec, par exemple : avec les femmes autochtones, les femmes de l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (Afeas), les syndicats ou les groupes altermondialistes. La multiplication des liens avec ces groupes a renforcé la capacité de s’unir autour de revendications communes.

L’ouverture sur le monde constitue l’acquis qui vient en deuxième lieu : il est abondamment mentionné. La MMF, « c’était l’Expo 67 du mouvement féministe! » (Travailleuse R des CF 3). Cette ouverture permet aux Québécoises de raffiner leur compréhension de certaines réalités vécues par des femmes d’autres pays, mais surtout de s’ouvrir à un monde d’action où les femmes d’ailleurs deviennent des alliées. En troisième lieu, l’ouverture sur le monde va s’exprimer à travers une nouvelle solidarité avec les femmes du monde de plus en plus affranchie des notions de pitié et de charité :

Et un sentiment « antimondialisation » et un sentiment de « Nous faisons partie du monde! » Et un changement même de la mentalité de beaucoup, beaucoup, beaucoup de femmes partout à travers le Québec, que les rapports nord-sud ce ne sont pas des rapports de charité.

Travailleuse leader, MMF 2

On y sent une prise de conscience et l’affirmation de faire partie, avec tant d’autres, de ce vaste groupe appelé « femmes du monde ». Le « nous » s’élargit :

On part du « je » au « nous ». Elles se sentent personnellement, mais aussi tout le monde ensemble.

Travailleuse CF, Saguenay–Lac-Saint-Jean

On sent l’appartenance aux femmes. Je fais partie aussi des femmes autour de la planète.

Membre CF, Capitale-Nationale 2

L’ouverture du « nous » vers l’extérieur n’est pas la seule transformation. L’analyse des entretiens révèle que, pour certaines participantes, les limites du « nous » s’élargissent aussi de l’intérieur par une prise de conscience de la diversité propre au Québec et au Canada[5] :

On a vu des femmes du monde entier […] Les femmes les plus éloignées dans des petits coins du Québec, aussi, qu’on ne se voit jamais. Ça a été… les femmes autochtones et tout ça, de voir tout ça, de parler avec ces femmes-là.

Membre CF, Mauricie 2

C’est que ça amène une espèce de vision de c’est quoi l’ampleur de la diversité qu’il y a dans notre mouvement.

Militante féministe, Montréal 2

L’ouverture s’est transformée en solidarité et en action, avec les années, l’écoute et le dialogue étant toujours à poursuivre. Par exemple, en octobre 2015, une forme de manifestation où l’on simule la mort (die-in) en solidarité avec les femmes autochtones, et en mémoire de celles qui ont disparu et ont été assassinées, a eu lieu à Trois-Rivières dans la foulée des mobilisations de la MMF.

En quatrième lieu, certaines participantes affirment aussi que la MMF a favorisé des réseaux de partage des visions et des savoir-faire, ce qui a permis le renouvellement des pratiques. S’installe alors une confiance en leur capacité d’action et leur désir de poursuivre la lutte qui s’exprime à plusieurs reprises dans une volonté légitimée de continuer à déranger :

Mais je crois qu’il faut déranger, c’est le mot. Il faut déranger, pas pour dénoncer, je crois que la dénonciation est déjà faite, mais pour proposer. Il faut que nos jeunes, nos générations qui viennent, sentent la possibilité que les choses peuvent changer.

Militante féministe, Montréal 1

Quelque chose qui dérange, parce qu’on accepte de se faire déranger nous autres. On se fait déranger tout le temps! Puis ça ne dérange pas personne qu’on se fasse déranger! Dans nos vies, tout le temps! […] Fait que j’aimerais ça qu’on dérange!

Membre CF, Abitibi-Témiscamingue 2

Finalement, en cinquième lieu, les femmes ont saisi l’occasion, à travers la MMF, de pousser leurs connaissances sur les enjeux de la mondialisation (notamment économiques) et de les intégrer dans leurs discours et leurs actions au quotidien. En outre, on observe une nouvelle compréhension des rapports de pouvoir avec les interlocuteurs institutionnels.

Le symbolique, l’imaginaire et les métaphores

Un dernier thème s’est affirmé de lui-même avec force. Les dimensions émotives, symboliques, sensuelles des expériences liées à la MMF étaient tellement présentes qu’il ne pouvait être question de les ignorer. Ici, c’est le passage de l’échelle locale au plan personnel pour parler de ce qui est à la base même du souffle, de l’impulsion nécessaire à l’action collective.

Le grandiose et l’historique

Le symbolique fait partie de l’expérience des femmes qui ont vécu un moment fort à travers la MMF. En écoutant les participantes, on ne peut douter de l’ampleur des événements. Les adjectifs grand, gros, énorme, grandiose, impressionnant, merveilleux, fabuleux, extraordinaire, incroyable, historique sont employés à profusion. Plusieurs images sont mises à contribution : une famille à qui on appartient; une grosse boule qui avance pour faire du changement, une vague, un tsunami, une avalanche; on parle aussi de lumière, de feu, de braises, d’explosion, de feux d’artifice (une femme a exprimé sa déception en parlant de « pétard mouillé »); on parle de magie, de rempart, de moteur, de chaîne aux multiples maillons, de combat pour la paix, de procession, de marqueur du temps, etc. L’analyse des entretiens suggère que ces images évoquent la force de l’espoir, de l’effet et des transformations qu’a pu entraîner la MMF.

Les liens entre les sens et le sens donné à l’action

L’analyse des récits met en lumière aussi une importante quantité de paroles décrivant des émotions et des sensations provoquées par la MMF. On se trouve à plusieurs reprises dans le domaine du corps, ce qui permet de tisser des liens entre les sens et le sens donné à l’action. Certaines femmes parlent de leurs expériences de la MMF à travers des sensations physiques, dont la plus marquante est la comparaison avec le sentiment amoureux ou le coup de foudre :

Mais ça a vraiment été comme un coup de foudre. Je voulais absolument y participer. Et je pense que, même si j’avais eu les deux jambes cassées, je serais allée marcher!

Membre CF, Capitale-Nationale 1

J’étais dans une déclaration d’amour, si tu veux, vers cette mobilisation.

Militante féministe, Montréal 1

Certaines précisent aussi que la MMF est comme un projet qui vient les chercher aux tripes; d’autres parlent de frissonner, de transpirer, d’effervescence, de se sentir allumée, stimulée, marquée physiquement (comme un tatouage), d’avoir le sentiment de prendre toute la place. On peut faire un rapprochement entre les discours des participantes et les métaphores corporelles liées à l’exclusion documentées par Lamoureux (2008 et 2004) : une violence, une brûlure, une blessure, le souffle coupé, un coup, le recroquevillement, la rétraction en soi ou dans « un coin », et d’autres. Honneth (2006 et 2000), quant à lui, parlait de l’atteinte au corps et à l’esprit de la non-reconnaissance, pouvant par exemple faire vivre un sentiment d’être invisible, comme si les autres pouvaient voir à travers une personne, ne pas remarquer sa présence.

L’analyse des récits des participantes permet de constater à quel point l’expérience inverse – le sentiment d’être incluses et solidaires – fait aussi émerger dans le discours toute une série de métaphores rattachées aux sens et au corps. À l’occasion de la MMF, les femmes ont littéralement sorti leurs corps dans la rue pour les rendre visibles dans leurs actions. Et c’est à travers leur propre corps, entre autres, qu’elles ont vécu la solidarité, la force et le plaisir de se (re)positionner dans l’espace public. L’analyse dévoile que la MMF des femmes s’est avérée, pour certaines, une expérience incarnée d’une lutte pour la reconnaissance et contre l’exclusion.

Le processus de subjectivation : devenir actrices

En plus des métaphores, des sensations et des émotions inspirées par la MMF, l’analyse des entretiens expose des traces de ce qui pourrait être le processus de subjectivation vécu par certaines. Premièrement, l’impression de faire partie de plus grand que soi est particulièrement fréquente dans les discours des participantes. Cette impression est une source de soulagement et d’encouragement. Des femmes parlent de nourriture; plusieurs, d’espoir. Ce soulagement exprime un sentiment d’être moins isolée dans la lutte et dans la résistance. Deuxièmement, la visibilité et la reconnaissance des CF – et des femmes qui y sont associées – ont été des éléments très importants de la MMF, selon les participantes. Et, troisièmement, cette reconnaissance a semblé entraîner une autoreconnaissance, une fierté, une plus grande confiance en soi ou « confiance en centre » :

Il y a une espèce de « confiance en centre ». Si ce n’est pas une confiance en soi, une confiance dans le centre […] Fait qu’il y a, je dirais, comme une espèce de maturité qui est là, puis qui permet aussi une affirmation plus sereine.

Travailleuse R des CF 2

Les analyses ont révélé à quel point ces expériences symboliques et émotives pouvaient être liées au fait de devenir sujet, soit une actrice sociale :

On a un pouvoir […] puis ça, c’est une façon de montrer « Ben hey! On est là, écoutez-nous! […] On est pas juste là par parure puis pour faire des enfants! »

Membre CF, Mauricie 1

Les expériences racontées par les femmes ramènent aux écrits de Lamoureux (2008 : 225) relativement au parcours de subjectivation qu’elle décrit comme une mise à distance, une transformation du vécu en expérience chargée de sens, « un processus souvent complexe et itératif enclenché pour devenir sujet, devenir acteur ou actrice de sa propre histoire et éventuellement de celle de sa collectivité ».

L’entremaillage des expériences personnelles et collectives

Dans les discours des participantes, il est parfois difficile, voire impossible, de départager les expériences personnelles et les expériences collectives :

Ma vie de femme, c’est ma vie de militante; ma vie de militante, c’est ma vie de féministe! C’est comme un projet de vie vraiment intégré.

Militante féministe, Montréal 2

Les expériences, les émotions et les impressions vécues sont, dans certains cas, à la fois intimes, personnelles, collectives et militantes, une sorte d’entremaillage. Participer à la MMF est une occasion de revendiquer – et d’expérimenter en même temps – la possibilité d’être actrice de sa propre vie et actrice sociale :

La pauvreté, moi je venais chargée de cette horreur qu’était la pauvreté! Et je l’avais vécue, parce que j’ai vécu dans un milieu très défavorisé en [nom du pays]. Alors cette lutte pour la justice sociale, ça m’a hantée toute ma vie. Alors, pouvoir travailler dans un contexte mondial! Ah! C’était très intéressant.

Militante féministe, Montréal 1

Et c’était pour moi une première d’être avec mes semblables de sexe féminin à crier à haute voix ce qu’on voulait.

Membre CF, Abitibi-Témiscamingue 1

Les paroles sur les transformations personnelles et collectives sont nombreuses. La MMF a, pour des participantes, donné encore plus de signification aux actions (et même à la vie) ou au féminisme, certaines se découvrant ou se confirmant féministes, d’autres voyant leur perception du féminisme s’ouvrir et s’approfondir.

Les expériences intimes, émotives et sensuelles vécues par les femmes en disent beaucoup sur la participation du « local » aux mobilisations transnationales. L’action collective mobilise l’affect, l’espoir, le désir que la vie soit meilleure. Il n’y a pas d’action collective sans sentiment d’appartenance, sans passion, sans élan, sans imaginaire. La force symbolique d’un mouvement transnational vient, en partie et probablement beaucoup, de la force de l’imaginaire et de la passion des actrices à l’oeuvre dans leur localité.

Conclusion : quelques mots pour aller plus loin

Pour les femmes du Québec, la MMF a permis des espaces-temps de prise de pouvoir, de manifestation politique à travers des actions porteuses d’analyse, de revendications et de symboles qui dénoncent et ébranlent la conception du monde contesté. La MMF a donné à plusieurs l’impression d’avoir vécu une expérience mondiale, une nouvelle façon de se sentir « femmes du monde »…, et ce, même si la grande majorité des participantes n’a pas quitté le Québec. Les femmes ont marché dans des rues de leur vie quotidienne, mais celles-ci étaient devenues le parcours de la MMF et s’inscrivaient dans une nouvelle mappemonde révélée.

La recherche expose à quel point l’histoire et les ressources étaient favorables à la mise en oeuvre de la MMF au Québec. Les univers culturels des CF et de la MMF se rejoignant en de nombreux points, les CF pouvaient se reconnaître dans le projet transnational qui devenait une occasion d’amplifier le travail de lutte déjà en cours… non sans répercussions sur les femmes et sur les groupes.

On peut se demander à quel point le travail acharné des femmes des groupes locaux n’est pas proportionnel à l’urgence observée sur le terrain. La MMF aura pu leur offrir un moment de connexion et de ressourcement avant de replonger dans leurs luttes locales et quotidiennes. On peut aussi s’interroger à savoir si des inégalités à l’intérieur de l’organisation même de la MMF – nécessairement aussi teintées par les inégalités présentes entre les femmes – n’ont pas contribué à surcharger les épaules des femmes des groupes locaux qui ne se voyaient pas capables de laisser passer cette occasion de rendre visibles leurs réalités touchées par le contexte mondial. La MMF a mis en lumière et en action la résistance, l’audace et la grande capacité de mobilisation des femmes. Cette résistance se révèle toutefois coûteuse en ressources et en énergie si bien que la voix qui s’exprime enfin est parfois à bout de souffle comparativement aux autres voix qui n’ont pas eu à s’engager dans un parcours de combattante pour se rendre dans l’espace politique. La même réflexion peut s’appliquer aux rapports de pouvoir déséquilibrés par le sexisme, mais aussi par tout système favorisant un groupe au détriment d’un autre.

Malgré les difficultés et les répercussions négatives, les participantes parlent des acquis qui ont permis aux groupes et au mouvement des femmes de se positionner autrement sur la scène de la contestation et de se transformer : consolidation des réseaux d’alliance, création de nouveaux liens, élargissement vers l’extérieur et vers l’intérieur du « nous, femmes du monde », renouvellement des analyses et des pratiques féministes, etc.

Les contributions à l’échelle locale s’expriment par le travail acharné, le savoir-être et le savoir-faire des groupes de base capables d’enraciner la mobilisation transnationale dans les réalités des femmes des divers territoires. À cet égard, les pratiques et les analyses sont en constante évolution. Si la MMF s’est avérée un déclencheur et un catalyseur de transformation des solidarités transnationales, il est probable qu’elles se sont développées à travers un processus où les femmes ont expérimenté le monde « chez soi » et « en soi ». Ces acquis enrichissent un bagage collectif d’ordre local et transnational.

Les récits des femmes rencontrées ont aussi révélé un monde de symbolique et de sensations qui amène à plonger dans le coeur de ce qui motive l’action collective : ce qui nourrit, le feu intérieur, cette force qui fait que l’on continue à imaginer d’autres possibles et les façons d’y arriver. Les mobilisations transnationales grandissent de la passion, de l’investissement intellectuel, personnel et émotif des femmes qui s’engagent corps et âme. L’enchevêtrement des expériences apparaît clairement dans les récits recueillis : le local et le mondial, le moi et le nous, l’individuel et le collectif, le personnel et le militant… On assiste à un décloisonnement de ces catégories qui rend visible un entremaillage complexe, riche de sens et indispensable à l’action collective.

La MMF, telle qu’elle s’est vécue au Québec, laissait présager que les choses allaient continuer à bouger et que les féministes québécoises continueraient à contribuer. Tout porte à croire que les acquis liés à la MMF ont perduré dans le temps. En revisitant l’histoire de cette grande mobilisation, on peut se demander si cette expérience porteuse pourrait être l’une des assises des mobilisations féministes renouvelées (locales ou transnationales)… autant que la Marche du pain et des roses a pu l’être pour la MMF à ses débuts. Chaque pas amène un autre pas. Même imparfaites, les mobilisations féministes ne cessent de gagner en diversité, en jeunesse, en créativité, en profondeur et en visibilité. Même si les contextes sociaux semblent parfois adverses, les militantes féministes ouvrent des portes tous les jours pour de nouveaux possibles au niveau tant local que mondial. Et d’autres pas sont à venir.