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Deux recherches récentes, articulées au sein du grand projet Femmes et féminismes en dialogue[1], ont permis de développer une mobilisation et d’établir de nouvelles solidarités internationales liées aux préoccupations et aux luttes féministes de femmes des Nords et des Suds. Le présent article propose une analyse réflexive du processus de recherche-action-médiation, des enjeux mis en évidence et des défis soulevés, tant en ce qui concerne la démarche méthodologique originale mise en oeuvre qu’en ce qui a trait à la construction et à la reconfiguration des réseaux de femmes en dialogue.

Les approches conceptuelles et méthodologiques des deux projets présentés s’inspirent de plusieurs courants tels que la perspective intersectionnelle, l’approche interculturelle sociocritique, les processus de médiation interculturelle, l’expression artistique comme vecteur de dialogue, y compris une approche narrative avec les récits, les contes et les témoignages. Ces perspectives théoriques et ces construits méthodologiques convergent vers la même finalité : la construction de réseaux mobilisateurs entre femmes d’une douzaine de pays dans une perspective de transformation des rapports sociaux inégaux qu’elles vivent toutes selon divers contextes et dispositifs socioculturels et politiques.

Après une présentation chronologique et méthodologique des deux projets, nous exposerons le contexte québécois et international dans lesquels ils ont été réalisés. Puis nous examinerons les effets et les enjeux de notre démarche de recherche qui a permis une mobilisation remarquable et un élargissement considérable des réseaux féministes – et parfois ne se considérant pas comme féministes – existants ou en formation. Le défi était de taille tant par la nature des thématiques étudiées ainsi que des approches et des moyens utilisés que par les réseaux féministes transnationaux mobilisateurs et solidaires que les actrices, les chercheuses, les participantes et les partenaires visées ont construits. Nous aborderons les postures sociales et éthiques des chercheuses et des diverses actrices de ces processus qui touchent à la fois le développement des connaissances conceptuelles et méthodologiques, de même que le changement social et la mobilisation citoyenne des femmes pour améliorer, voire transformer leur condition. La réflexion portera finalement sur la question suivante : comment articuler dans un tel processus les postures de recherche et de militantisme, alors qu’on les présente souvent comme antinomiques?

La chronologie d’un processus innovant de recherche-action-médiation

Pour développer ces réseaux féministes, mobiliser des femmes et entrer avec elles dans un processus de dialogue, nous avons conçu, expérimenté et développé le processus de recherche-action-médiation en deux phases. La première s’est déroulée au Québec de 2015 à 2017; la seconde phase a eu lieu à l’échelle internationale, de 2017 à 2018 : elle a permis de multiplier les dialogues, les forums, les rencontres et les alliances dans onze autres pays autour des inégalités et des tensions vécues par les femmes de divers milieux, tant avec les hommes de leur société qu’entre elles.

Le processus de recherche-action-médiation mis au point au Québec repose sur une analyse interdisciplinaire, intergénérationnelle et interculturelle des processus et des rapports sociaux qui se jouent entre les femmes de diverses origines, cultures, classes sociales et religions. Le cadre théorique a associé la perspective critique ouvrant sur l’analyse de proximité de groupes alternatifs stigmatisés, et sur leur mise en dialogue avec des réseaux plus reconnus, à l’analyse intersectionnelle, qui considère l’entrecroisement de plusieurs types d’oppression (Bilge 2009; Vatz Laaroussi, Doré et Kremer 2019), et la méthode d’analyse de la médiation interculturelle (Vatz Laaroussi et Tadlaoui 2014).

La médiation interculturelle se définit par sa finalité : « la construction d’un pont entre des personnes, des groupes, des institutions qui s’ignorent, ont des préjugés, sont en situation de mécompréhension voire de conflits » (Vatz Laaroussi et Tadlaoui 2014 : 46). Dans notre projet, nous avons conçu un espace de médiation-dialogue entre des femmes diverses et les différents groupes de femmes et de féministes au Québec. Les objectifs atteints par la recherche-action-médiation nous ont permis de découvrir, d’analyser, de partager et d’exprimer les perspectives de ces femmes de même que les idéologies véhiculées en ce qui concerne la cause des femmes au Québec et ailleurs et leurs représentations mutuelles, les stéréotypes et les préjugés qui y sont associés ainsi que les expériences qu’elles ont les unes des autres. Des connaissances nouvelles ont été acquises sur ces féminismes pluriels au Québec et quant à leurs répercussions sur la transformation de la société.

Notre démarche d’expérimentation a été la suivante :

  1. des entrevues individuelles avec douze observatrices clés de diverses origines ethnoculturelles sur l’évolution des mouvements féministes au Québec;

  2. des groupes de rencontre de femmes s’identifiant à un même groupe et une production d’affiches, de poésies et d’objets significatifs par groupe (deux rencontres par groupe, dix groupes au Québec, deux au Maroc);

  3. un événement rassemblant tous les groupes dans le « Grand Dialogue » et une production d’expression artistique collective (conte, correspondance, création plastique, théâtre-forum).

Tout au long de la prémédiation et de la médiation, le processus consiste à mettre en évidence des éléments et à dialoguer autour des valeurs, des intérêts, des besoins et des émotions (VIBE) des unes et des autres pour en arriver ainsi à nommer et à remettre en question les préjugés et les privilèges. Le tout doit s’effectuer dans un contexte convivial et sécurisant où les diverses expressions artistiques permettent des échanges interpersonnels empathiques. Pour les valeurs, on se demande si elles sont universelles ou spécifiques, culturelles ou sociales. On s’intéresse aux droits, à la justice, on vise à mettre en avant la solidarité, les liens, la compassion. On cherche aussi à comprendre l’influence des contextes et des enjeux. On réfléchit sur les intérêts individuels et collectifs différents, sur leur priorisation et sur de potentiels alliés et alliées. Les besoins sont compris comme liés aux étapes de la vie, et les femmes se retrouvent autour de besoins communs d’information, de communication, de sécurité, de reconnaissance, par exemple. Les émotions représentent le matériau essentiel des échanges permettant de sortir des cadres rationnels et intellectuels des discours, des idéologies et des discussions d’opinion pour entrer dans un dialogue qui est réellement une écoute et une rencontre avec l’autre. C’est au travers des grandes émotions humaines et en utilisant des médias artistiques que se mettent en oeuvre des coopérations renouvelées appelant à un regard différent sur les autres et sur soi-même.

Un comité de suivi travaillant sur les perspectives interculturelles et intersectionnelles a été mis en oeuvre dans la suite du Grand Dialogue du Québec où étaient réunies diverses actrices du processus, chercheuses, praticiennes, professionnelles et militantes, de générations et d’origines culturelles différentes. Ainsi, plusieurs outils de diffusion, d’analyse, de réflexion et d’échange ont été produits : une synthèse du processus et du Grand Dialogue; un guide méthodologique de recherche-action-médiation (diffusé au Québec et à l’international à partir de mai 2017); le recueil des affiches produites par les groupes du Québec; une vidéo pédagogique intitulée Féminismes en dialogue; un site web Féminismes en dialogue; un ouvrage intitulé Femmes et féminismes en dialogue. Enjeux d’une recherche-action-médiation; un calendrier Dialogues de femmes, illustré par les affiches produites pour le Grand Dialogue et mentionnant des femmes qui ont joué un rôle important pour la condition des femmes dans le monde; un jeu de cartes solidaires Femmes et féminismes en dialogue, lequel a été largement diffusé dans divers groupes et associations de femmes ou interculturelles d’abord au Québec puis à l’international.

Grâce au projet Femmes et féminismes en dialogue, les résultats et la démarche méthodologique du projet québécois ont fait l’objet de transferts, et de nouveaux dialogues se sont installés dans onze autres pays, soit l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay, le Maroc, la Tunisie, Madagascar, la Côte d’Ivoire, le Bénin, l’Allemagne, la France et la Suisse. L’analyse du processus doit s’effectuer collectivement pendant toute la recherche-action-médiation, et c’est son partage qui fait avancer autant les connaissances sur les mouvements des femmes, leurs besoins et leurs priorités que les échanges et les reconnaissances réciproques.

Au Québec et dans les autres sociétés, l’élaboration de forums et de dialogues s’appuyant sur les outils et les processus de la recherche-action-médiation permet de sensibiliser et de former les intervenantes des milieux de femmes à la perspective intersectionnelle et au dialogue interculturel pour mieux accueillir les femmes racisées et marginalisées et intervenir auprès d’elles. On y crée de nouvelles alliances et des solidarités originales pour lutter contre les injustices, les oppressions et les discriminations vécues par les femmes au Québec et dans le monde. Finalement, ce projet et ses ramifications permettent de prendre en considération les expériences et les aspirations des immigrantes, des autochtones, des paysannes et, plus largement, des minorités stigmatisées et racisées pour construire des sociétés pluralistes plus justes.

Le contexte de réalisation du projet

Le contexte sociopolitique

Nous avons amorcé la recherche au Québec en 2015, avec le constat général que dans toutes les sociétés, au Nord comme au Sud, des inégalités considérables persistent entre les femmes et les hommes, que ce soit du point de vue économique, culturel ou politique. Les chances de vivre, de s’épanouir et de choisir une vie que chaque personne est en droit d’espérer sont nettement plus faibles pour les femmes (Nussbaum 2000; Sen 2005 et 2010). Certes, les rapports de pouvoir qui produisent les inégalités varient d’une société à l’autre, mais les conditions d’injustice, d’exclusion et d’oppression existent autant dans les sociétés dites modernes que dans les sociétés traditionnelles. Et si l’on peut prudemment affirmer que les droits des femmes progressent dans plusieurs régions du monde, ils s’y développent de manière très inégale et parcellaire, que l’on pense notamment à l’accès à un revenu décent, à la propriété et à l’éducation, à la sécurité sexuelle et conjugale, à la santé et aux soins ou encore à la liberté de choisir son mode de vie (OIT 2019; OMS 2015; UNESCO 2014; AQOCI 2019). Par ailleurs, l’accès aux droits en général varie considérablement selon les classes sociales, les générations, les appartenances ethnoculturelles et religieuses, les orientations sexuelles, les contextes politiques et communautaires, les conditions environnementales locales, etc. Nous croyons donc qu’il reste beaucoup à faire pour améliorer les conditions de vie des femmes de partout ainsi qu’en vue de poursuivre et de consolider les solidarités déjà construites et d’en créer d’autres.

Selon l’historienne Micheline Dumont, les femmes ont participé à des rassemblements internationaux dès le milieu du xixe siècle, dont la British and Foreign Anti-Slavery Society; comme femmes cependant, elles n’y étaient pas admises : elles devaient plutôt y participer derrière les rideaux ou dans les coulisses. Situation paradoxale qui leur renvoyait comme une gifle l’inégalité de genre et stimulait leurs analyses des situations discriminatoires dont elles étaient victimes d’une manière tout à fait « naturelle ». Par ailleurs, les féministes occidentales ont porté le féminisme de type universaliste du début du xxe siècle jusqu’aux années 80, époque où des perspectives critiques postcoloniales et intersectionnelles sont apparues et se sont déployées plus largement. D’autres féminismes se sont fait entendre comme le féminisme musulman, le féminisme noir (black feminism) ou encore le féminisme autochtone, chacun ayant sa lecture de la réalité en rapport avec ses propres conditions et préoccupations.

D’un noyau de chercheuses à la mobilisation de femmes de divers milieux et appartenances

La majorité des membres de notre équipe travaille ensemble depuis 2014 et a participé également à au moins trois projets de recherche majeurs. La première collaboration portait sur une recherche axée sur la reconnaissance, l’accroissement et la mobilisation des capacités d’action des femmes par rapport au développement démocratique de leur communauté en Argentine, en Colombie et au Québec. Cette recherche-action de type partenarial a permis, d’une part, de consolider une collaboration internationale de transfert mutuel de pratiques novatrices entre les réseaux de participantes et, d’autre part, d’ancrer un réseau de chercheurs et de chercheuses actif pour la défense des droits des femmes et des luttes féministes. Les deux projets récents de recherche-action-médiation s’inscrivent dans cette foulée. Nos travaux sont ainsi basés sur des réseaux féministes existants depuis plusieurs années, notamment le Collectif trinational de femmes du Gran Chaco américain (comprenant l’Argentine, la Bolivie et le Paraguay) ou le Conseil national des femmes de Madagascar (CNFM) ou encore l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (AFTURD). Nous avons donc travaillé avec nos contacts et nos réseaux constitués de femmes de diverses origines et appartenances et de parcours de vie variés. L’ensemble de ces démarches a permis la mobilisation de femmes, de leurs réseaux et de regroupements structurés déjà actifs en vue de travailler avec et pour les femmes.

Le croisement de la recherche avec la mobilisation et la construction de réseaux

D’une équipe de recherche-action à un réseau de femmes en dialogue

Le processus de recherche-action-médiation repose en grande partie sur le travail de mise en réseau effectué par l’équipe du projet, processus qui, à l’image des ronds dans l’eau, s’élargit, se multiplie, se diversifie, tout en entrant en résonance, au fur et à mesure des étapes du projet. Même si l’on vise toujours en matière de recherche collaborative et de recherche féministe à ce que les participantes et les participants plongent dans l’action dès la phase de conception du projet et avant même son subventionnement, il faut bien noter que c’est plus souvent un voeu pieux ou encore une volonté énoncée par les chercheuses mais parfois difficilement mise en oeuvre ou délaissée en raison du contexte.

L’équipe de base qui a présenté le projet pour le financement était composée de chercheuses universitaires et d’une professionnelle organisatrice communautaire en centre local de services communautaires (CLSC). Elles s’étaient adjointes nominativement des étudiantes au doctorat et à la maîtrise qui étaient souvent à la fois des militantes féministes et des chercheuses-intervenantes débutantes dans des milieux de femmes ou avec des personnes immigrantes. Une étudiante autochtone devait ainsi faire partie de l’équipe de recherche, mais les dates d’octroi de la subvention correspondaient à celles de son congé de maternité et elle a décidé de se retirer du projet. Malgré nos recherches, étant donné les délais, elle n’a pu être remplacée, et cette absence a sans doute eu un effet sur nos difficultés à recruter ensuite des participantes autochtones au Québec. Ainsi, l’équipe de base était multiculturelle et multigénérationnelle avec des femmes de diverses origines et langues, avec des étudiantes et des chercheuses chevronnées, y compris des femmes ayant des perspectives professionnelles diverses et aussi des femmes actives dans leurs milieux contre le racisme, le sexisme, le patriarcat, les injustices. Cependant, cet activisme et ce militantisme étaient toujours présentés comme secondaires dans l’équipe qui devait de prime abord démontrer ses compétences et expériences en matière de recherche, et ce, pour recevoir du financement.

Dès la tenue des groupes de prémédiation au Québec, le statut des animatrices de ces groupes s’est diversifié : des intervenantes et des professionnelles des milieux communautaires et féministes ont intégré l’équipe et sont devenues indispensables tant pour recruter les participantes au projet que pour mener ces groupes et créer le climat empathique nécessaire. L’équipe de recherche s’est ainsi élargie. C’est aussi à cette étape qu’une chercheuse féministe conteuse s’est jointe à notre équipe, par intérêt pour le projet. Elle s’y est intégrée et en est devenue le pilier « artistique » permettant de développer le climat d’expression artistique que nous jugions souhaitable. Autour de ce « pilier », d’autres membres de l’équipe, débutantes et expérimentées, se sont ouvertes à l’idée de mettre en oeuvre leurs propres talents artistiques dans le théâtre-forum, l’illustration, les arts plastiques, la poésie, le conte, la correspondance, etc.

Lors du Grand Dialogue du Québec, parmi les 70 participantes, plusieurs ont démontré de l’intérêt à continuer le processus de recherche-action-médiation. L’équipe, qui dès lors n’était plus seulement équipe de recherche mais équipe du projet, est ainsi passée d’une dizaine à une quinzaine de femmes ajoutant leurs talents, leurs analyses, leurs réflexions et leurs visions à celles que nous avions au départ. L’équipe prenait de l’envergure, et nous étions de plus en plus, toutes, en position d’échanges et d’apprentissages réciproques.

Le projet international qui a démarré rapidement a permis d’élargir et de diversifier encore plus l’équipe Femmes et féminismes en dialogue, pour la transformer davantage en réseau vivant, dynamique, international, interculturel, et continuant à se développer dans une perspective critique et intersectionnelle. Nos premiers points d’appui pour ce réseau ont été universitaires avec des collègues qui se sont jointes à nous comme chercheuses. Et très rapidement, nous leur avons proposé d’intégrer, au sein de leurs projets nationaux, des associations, des groupes et des femmes de la société civile, ce qu’elles ont fait autour des questions et des enjeux qui les concernaient. Ainsi, des immigrantes en situation de handicap ont été au coeur du projet en France, des immigrantes en ont fait partie en Suisse, en Argentine et au Maroc, des paysannes y ont pris part en Argentine et en Bolivie, des femmes autochtones en Bolivie et au Paraguay, des femmes faisant partie de groupes LGBT en Tunisie, des professionnelles en Côte d’Ivoire et au Bénin et des femmes défendant le droit à l’avortement à Madagascar. Les forums effectués dans ces pays ont permis aux femmes universitaires et des milieux associatifs et militants de se côtoyer et d’entamer des discussions. Le « forum-colloque » international de Montréal, réunissant des femmes de ces différents milieux et pays pour deux jours de dialogue et deux jours de colloque, a représenté un moment clé qui a contribué au renforcement des liens et à la mise en forme de ce réseau international de femmes.

En ce sens, la finalité du réseau, si elle repose toujours sur la recherche-action-médiation et si elle nous met en lien autour de nos divergences et convergences, porte désormais essentiellement sur la création de solidarités renouvelées et d’alliances entre femmes de divers milieux et pays sur les causes qui nous animent toutes et qui permettront d’améliorer la situation des femmes selon leurs contextes. Par exemple, les universitaires occidentales ont découvert les enjeux des femmes rurales de l’Amérique du Sud et de l’Afrique de l’Ouest. Les femmes des régions du Sud ont pris conscience des pratiques coloniales envers les Autochtones, des violences conjugales et sexuelles ainsi que des discriminations envers des minorités vécues au Nord. Les femmes des pays continentaux ont constaté les réalités de l’insularité toujours présentes pour les femmes de Madagascar et qui limitent leurs alliances potentielles relativement à la défense de leurs droits. Les féministes athées ont fait connaissance avec des femmes pratiquantes de diverses religions qui se battent au quotidien contre le sexisme et le patriarcat. Les femmes de milieux minoritaires se sont rendu compte à quel point elles partageaient avec leurs soeurs de divers groupes sociaux des enjeux visant la lutte contre la pauvreté et les violences. Les femmes autochtones de l’Amérique du Sud ont remarqué les réalités des femmes autochtones du Canada et les proximités qu’elles avaient. Surtout, toutes ont créé des liens entre elles et toutes, dont nous sommes, souhaitent les préserver et les opérationnaliser dans des actions communes. C’est ainsi sans doute que l’équipe de recherche de départ s’est à la fois renforcée et elle-même intégrée à un réseau beaucoup plus large qui la dépasse et la transcende. Lors de la rencontre de Montréal, la déclaration de solidarité des membres du réseau Femmes et féminismes en dialogue a été rédigée par les femmes présentes, portant leurs caractéristiques et leurs différences et les entraînant vers des solidarités transnationales et des revendications convergentes.

C’est aussi avec le réseau Femmes et féminismes en dialogue que l’ouvrage collectif (Vatz Laaroussi, Doré et Kremer 2019) du même titre a été rédigé par 50 coauteures qui ont toutes participé de diverses manières au projet international. Ce livre est un résultat significatif de ce processus présenté sous forme de textes analytiques ou réflexifs, de témoignages, de dialogues, de partage d’expériences et de revendications. Finalement, de nouvelles initiatives peuvent maintenant émerger de ce réseau, nous amenant à de nouveaux objectifs et à des découvertes que nous n’aurions pas pu imaginer seules au départ de ce processus.

Des rencontres mobilisatrices lors des forums à Montréal, à Madagascar et en Argentine

Les premiers forums de cette recherche-action-médiation se sont tenus à Montréal, à Madagascar et en Argentine : ils ont fait ressortir des tensions et des divergences, mais aussi des appartenances communes entre les femmes peu importe leur origine. Ils ont servi de leviers à la mise en place d’un réseau d’interventions et de réflexions féministes qui, au départ, n’apparaissait pas comme chose facile, dans la mesure où les femmes visées évoluent dans des réseaux différents, parfois antinomiques. Une des forces de la première mise en commun lors des forums sera d’avoir recours à des outils artistiques faisant référence au ressenti, au vécu, à l’interprétation réflexive et expérientielle des femmes. Il sera alors question d’une dialectique sur le thème de « Se rencontrer/Se raconter », la rencontre permettant de se raconter et le récit de soi favorisant la rencontre. À cela s’ajoutent les tentatives réussies dans ce processus de recherche-action-médiation d’utiliser l’art comme outil ludique, créant des moments propices à la rencontre avec l’autre. Si le réseau établi lors de ces recherches s’est élargi, a favorisé une « rencontre » entre féminismes pluriels et femmes de divers horizons, c’est qu’il a mis au jour, de manière très concrète et pas seulement symbolique, la prise de conscience de l’altérité, de la réciprocité, de la solidarité entre femmes, voire de ce que nous entendions et comprenions par « féminisme ».

Selon la méthode élaborée au Québec, le projet dans le Sud de l’Amérique latine a été organisé en quatre étapes, animé par une équipe de chercheuses et de femmes des territoires qui ont joué le rôle de facilitatrices des conversations avec les groupes :

  1. la prémédiation en groupes relativement homogènes de trois à huit participantes, où l’on cherche à déconstruire des préjugés, à prendre conscience de ses privilèges, à respecter des idées, des intérêts et des priorités différents et à approfondir les collaborations, les alliances et les solidarités;

  2. la mise en place d’un séminaire de transfert des connaissances, pour partager avec des groupes hétérogènes les démarches méthodologiques de recherche-action-médiation employées;

  3. le grand dialogue local, où l’on a partagé et complété les données recueillies à la première étape;

  4. le partage de l’expérience dans le Grand Dialogue à Montréal, auquel a participé une délégation de douze femmes d’Amérique du Sud de divers statuts, origines et générations.

En Amérique du Sud, nous nous sommes donc retrouvées à plusieurs pour reconnaître nos différences et nos points communs : 135 femmes des trois pays, dans huit groupes de prémédiation. Quelques-unes se définissaient comme féministes et la plupart, comme non féministes. Notre projet accueillait des femmes rurales, des paysannes des peuples autochtones de la Bolivie et du Paraguay, des chercheuses des universités, des femmes déplacées de la campagne à la ville et, inversement, des femmes urbaines venant de quartiers contaminés par des polluants chimiques. Toutes se sont mises à parler, d’abord entre elles, puis toutes ensemble.

Des groupes féministes plus revendicateurs, on a ressorti des mots tels que « luttes », « aimer », « douleur », « pouvoir », « respect », « oppression », « rencontres », « voies », « constructions ». Ces femmes se voient fortes, lutteuses, politiques. Elles se perçoivent conscientes, engagées, privilégiées, militantes, urbaines.

Des groupes dits non féministes ont nommé des préoccupations en rapport avec leurs droits en employant les mots suivants : « femmes », « travail », « vie », « batailles », « combats », « négociations », « éducation », « espoirs », « valoriser », « organisation », « liens », « terres », « être entendues », « être valorisées ». Ces femmes se considèrent comme solidaires, actives, unies, joyeuses, désirantes, fortes, lutteuses, courageuses, en quête d’égalité, de sûreté, de reconnaissance.

Dans les rencontres partagées, les femmes se sont « dites » et parfois se sont « tues » sur ce qu’elles ne souhaitaient pas révéler : « On sait ce qu’on a, on sait qui nous sommes et ce qu’on n’est pas et ce qu’on n’a pas, on a besoin de respect, de reconnaissance, de visibilité, d’une vie sans violence, d’être incluses comme nous sommes. »

Les expressions artistiques pour aborder les enjeux sociopolitiques et les féminismes divers

L’art et le féminisme : quels engagements, quels savoirs partagés?

Les conceptions et les visions féministes des savoirs ont longtemps été considérées comme militantes, subjectives, voire « partielles et partiales » (Juteau-Lee 1981 : 33) notamment dans le discours universitaire. C’était une manière de reléguer ces savoirs de minoritaires à des formes hors normes, parfois d’exclusion et de discrimination. On trouve les mêmes affirmations dans le monde artistique (Martineau 2016). Dans ce cas-ci, peut-on appréhender l’art comme vecteur d’action-médiation pour rendre compte des rapports sociaux de sexe et du féminisme qui vise l’amélioration de la condition des femmes dans les sociétés où nous avons mené notre recherche? Le point de départ des ateliers d’abord mis en place avec cette démarche méthodologique et ensuite lors des forums dans divers pays avait des objectifs non seulement d’apprentissages, mais aussi de cocréation de savoirs, dans le sens où l’expression créative de chacune était valorisée et permettait d’instaurer une amorce de dialogue entre les femmes présentes. Ici l’art devient témoin de la rencontre (Neumark 2014), au lieu d’être seulement un outil pour favoriser la rencontre. En ce qui concerne le conte par exemple, la stratégie utilisée consistait à demander aux participantes de présenter un objet significatif pour elle et représentatif de leur culture en trois minutes exactement. Certaines n’utilisaient pas les trois minutes au complet, alors que d’autres n’arrêtaient pas de parler; tandis que d’autres encore avaient de la difficulté à montrer les émotions liées à cet objet, des femmes étaient plutôt submergées par leurs émotions. À partir de ce vécu, l’artiste a utilisé tous les objets présents et en fait un conte qu’elle a raconté. Rappelons que le but était de susciter des souvenirs, de comprendre des choses au-delà des mots dits et entendus, et cette activité de création a mis en place un processus de confiance, de convivialité entre les participantes et leur a permis de saisir l’importance de commencer un récit en se faisant confiance. Le conte est alors devenu témoin de la rencontre, car il a permis de débloquer des tensions qui pouvaient exister entre les participantes et de les exprimer.

L’art permet à chaque personne de travailler sur ses représentations de l’autre, ses préjugés, parfois certains traumatismes, dans un espace convivial, sécuritaire et respectueux, tout en prenant conscience que l’acte créatif, lorsqu’il devient public, accompagne l’ensemble des récits, des paroles, des discussions émergentes au fil du processus de recherche. Par exemple, les affiches réalisées dans les ateliers qui proposaient des regards et des perspectives multiples de ces féminismes pluriels se sont négociées et ont été discutées par les participantes pour finalement aboutir à une posture féministe, parfois à un engagement collectif du groupe de l’atelier et à une prise de conscience des participantes à l’égard des mécanismes d’oppression et de domination entre les sexes. Les affiches sont devenues des espaces de visibilité de ce réseau féministe transnational qui dépasse aujourd’hui la recherche, car elles ont instauré, dans leur confection même, un processus fructueux de cocréation entre les femmes, riche de savoirs, de connaissances et d’expériences partagés. Les affiches ont également engendré une grande liberté de parole au cours des premières rencontres, qui ont abouti au colloque international de 2018. C’est à ce niveau-là que l’art a permis de repenser la question de l’inégalité des sexes dans les sociétés et de tenter de répondre collectivement à l’équilibre à trouver entre les acquis du féminisme, qui ne sont pas les mêmes dans toutes les sociétés, et les efforts à déployer pour que la question des inégalités sociales sexuées ne demeure pas marginale, mais reste fondamentale. Bref, qu’elle ne soit pas « une affaire de femmes », comme le discours dominant, tant universitaire qu’artistique (Babin 2017), aimerait bien qu’elle le soit.

D’autres activités créatives ont été mises en place pour faciliter ce processus d’un dialogue entre femmes et féministes du monde. Du théâtre-forum au conte, en passant par des ateliers d’arts visuels et d’écriture sous forme de correspondance, nous avons vu un socle se former pour devenir un réseau, où des messages « politiques » pouvaient être portés dans l’espace public (déclaration commune du réseau Femmes et féminismes en dialogue). Nous avons pu ainsi découvrir et encourager, à travers le processus de la recherche-action-médiation, le regroupement des situations personnelles, singulières et individuelles et en faire un enjeu collectif partagé. En définitive, ce n’est pas un dialogue, mais des dialogues pluriels, authentiques, porteurs d’aspirations et d’actions collectives que ces activités créatives, et plus généralement l’art, ont mis en place dans ce processus.

Les arts et les approches narratives pour un engagement citoyen

Lorsque nous avons pressenti les femmes d’une douzaine de pays pour participer à notre recherche, nous espérions que l’engagement citoyen des unes et des autres soit discuté, reformulé, enrichi par des actions communes et égalitaires. Il semble que la ligne de démarcation entre intervenantes, militantes et chercheuses universitaires a bougé. Le fait de partir d’un vécu ou d’une expérience personnelle, de la dire et de la communiquer à haute voix s’apparente à cette vision du dialogue que nous avions au départ et que nous avons agrémenté au fur et à mesure des rencontres, tel un kaléidoscope qui se déploie sous de multiples facettes. Dans notre recherche, nous désirions aussi faire entendre et mobiliser des récits porteurs de changement social dans la sphère publique, et c’est un des résultats que nous avons obtenus.

L’oralité et d’autres formes artistiques utilisées ont joué un rôle important et significatif dans ce processus, car elles ont permis de susciter non seulement des interrogations personnelles pour chaque participante, mais aussi d’apporter une réflexion critique sur les problèmes sociaux tels que la violence envers les femmes, la pauvreté ou encore la discrimination des personnes racisées ou en situation de handicap. C’est donc un bout de notre histoire qui a été racontée, entendue, confirmée et valorisée. Le récit collectif qui en a découlé et qui s’est traduit par plusieurs outils de dialogue et de médiation, que nous avons mentionnés plus haut, est devenu plus concret, plus engagé, plus solidaire, à la juste mesure des revendications formulées par les participantes. Est-ce alors un engagement citoyen de la part de ces femmes? Ou une action politique, militante, féministe, découlant du désir de continuer le dialogue entamé durant ces deux années? La réponse se trouve dans les témoignages des participantes à la recherche, mais aussi dans ce que les prises de parole en public, notamment à travers les ateliers créatifs et les rencontres, ont apporté aux femmes : confiance en soi, choix assumés, désir de partage, plaisir d’être là, ensemble, pour créer de nouveaux ponts et des solidarités futures.

Des enjeux politiques, sociaux et culturels convergents mais aussi différents

Si par la recherche-action-médiation nous visions à développer des connaissances méthodologiques et conceptuelles, celle-ci avait aussi pour objectif de produire du changement social qui soutienne des solidarités et favorise des apprentissages partagés en termes de dialogue et de réseaux de solidarités entre femmes. L’expression artistique et le processus de développement d’un réseau ont représenté simultanément des dispositifs et des vecteurs privilégiés pour favoriser les résultats sur le plan tant social que théorique. Au fur et à mesure que ces réseaux émergeaient et que des liens se créaient entre les femmes en dialogue, les enjeux politiques, sociaux et culturels vécus par les unes et les autres étaient soulevés, faisaient l’objet d’échanges et, pour plusieurs d’entre eux, de convergences. Pour d’autres, les contradictions, les divergences et les tensions étaient posées ainsi que les préjugés associés, et le plus souvent, les échanges permettaient de ramener ces tensions à des contextes différents qui engendrent des stratégies et des positions particulières. L’analyse du processus et de ses résultats a été menée tout au long du projet à l’échelle québécoise et internationale : elle a permis de mettre en avant des résultats basés sur des convergences et des divergences. Cette analyse a le plus souvent été le travail des chercheuses, des professionnelles et des étudiantes de l’équipe, mais elle a également fait l’objet d’allers-retours avec l’ensemble des participantes, en particulier lors des forums, des colloques et dans la rédaction de l’ouvrage collectif. Ainsi, chacune – militante, intervenante, participante associative, citoyenne, universitaire ou professionnelle – a nourri l’analyse et en a permis l’approfondissement.

En ce qui concerne leur évaluation du processus, les femmes, quel que soit leur statut au départ du projet, ont été heureuses de se connaître et de se rencontrer dans ce contexte sécurisant, permettant la réflexivité, et suscitant la mobilisation, l’engagement et l’authenticité. Plusieurs considèrent avoir évolué dans leur vision du féminisme et sont sorties d’une vision uniforme pour tenir compte de diverses postures. Ainsi, certaines immigrantes qui ne se disaient pas féministes au début du projet se sont senties et déclarées féministes après les dialogues. D’autres, par exemple musulmanes, s’identifiaient en fin de processus aux féministes radicales pour lutter contre le patriarcat et le racisme dans des alliances et des actions collectives. Les intervenantes, les professionnelles et les femmes du monde associatif ont affirmé avoir appris sur la perspective intersectionnelle et sur son expérimentation. Les immigrantes dans diverses sociétés ont déclaré le caractère essentiel d’être entendues avec leurs spécificités et leurs alliances possibles avec les femmes locales, en particulier autour des enjeux de violence et de pauvreté. Les jeunes femmes ont souligné l’importance des apports de leurs aînées pour la cause des femmes et les féministes de la première heure ont toutes été interpellées par la force, les talents, l’ouverture sur la différence, l’écoute, l’engagement, la réflexion et l’analyse des femmes des nouvelles générations qui auraient pu être leurs filles et leurs petites-filles. Ces alliances intergénérationnelles ont représenté à la fois une surprise et un apport majeur durant tout le processus, redonnant espoir dans le changement aux unes et aux autres. Finalement, toutes ont mentionné la grande nécessité de dépasser les frontières nationales, sociales, culturelles et générationnelles dans la rencontre et pour des solidarités renouvelées.

En ce qui concerne les divergences, les questions liées à l’avortement, à la religion, à la prostitution/travail du sexe et à la place des hommes dans les débats féministes sont restées posées, parfois comme des tensions entre les femmes, parfois comme des différences. Par contre, il est notable qu’au cours du processus on a de plus en plus abordé ces aspects sous forme de médiations, de dialogues et moins en tant que conflits idéologiques. Par exemple, les femmes de Madagascar ont construit un processus de dialogue sur l’avortement laissant la place aux diverses positions. De même, le forum de Côte d’Ivoire a accueilli des femmes et des hommes dans des dialogues pour l’avancée de la cause des femmes. Au Maroc et en Tunisie, la question de l’incidence de la religion sur les droits des femmes a fait l’objet aussi de rencontres et d’alliances sur des questions spécifiques comme l’égalité hommes/femmes pour l’héritage, objet de débats pour des changements politiques dans ces deux pays. Ainsi, dans plusieurs sociétés, les dialogues de femmes se sont centrés sur des enjeux politiques et ont donc amené celles qui ont participé aux diverses rencontres et aux forums à un engagement citoyen, mais aussi à la création d’alliances de même qu’à l’adoption de postures sociales et politiques. L’un des enjeux actuels concerne la vitalité et la visibilité du réseau et de ses multiples embranchements en vue de poursuivre les dialogues et les solidarités entre femmes des Nords et des Suds.

Conclusion

La relation entre le monde universitaire et le militantisme pose de nombreuses questions compte tenu de leurs divergences. Cependant, cette articulation s’avère beaucoup plus nourrissante quand il est possible d’établir un jeu de voix différentes. On peut – et c’est ce que la recherche-action a relevé comme défi – construire des noyaux de sens entre les chercheuses qui posent des questions à l’égard de nos pratiques et les activistes, militantes engagées dans les territoires qu’interpellent des théories. Mieux encore, on cherche des voies pour créer des espaces entrelacés de réflexion et d’action partagées, là où l’on peut mettre en évidence des thématiques et des problèmes dans les espaces du quotidien, et travailler autour de ces éléments, ainsi que dans les espaces universitaires dans différents Nords et Suds, soient-ils dans les pays du Nord ou du Sud.

Traverser les frontières du monde universitaire autrement, amener les débats dans divers territoires permet de se voir diversement, d’agir différemment, de produire des pratiques réflexives autres. La praxis est une perspective qui lie pratiques et théories; la phrónesis, quant à elle, représente l’occasion de réfléchir autour de ces praxis pour coconstruire d’autres rapports de pouvoir et des savoirs. Aussi espère-t-on collaborer, au niveau universitaire, pour créer ces espaces et ces temps de dialogue où l’on pourrait susciter des sérendipités multiples (Gallegos 2016). C’est une manière de surmonter les isolements, les catégorisations fictives, les silences, les luttes de pouvoir, les résistances, les regards méfiants et les soupçons de privilèges de même que d’établir des dialogues politiques, situés, nécessaires et socialement significatifs.

Le questionnement entre science et engagement est à la base de toute position de chercheuse féministe, d’une théorie ancrée, qui remet en question les présupposés d’objectivité et de neutralité des sciences humaines et sociales dans le discours dominant.

Ainsi, la recherche-action-médiation, telle que nous l’avons expérimentée avec des femmes de douze pays, représente une recherche engagée, ancrée, qui peut amener les participantes, tant chercheuses que professionnelles ou militantes, à l’engagement dans les mouvements sociaux au travers des réseaux et des processus de solidarisation. Si la recherche critique analyse les rapports de domination, l’action vise la transformation de ces rapports sociaux, et le processus de médiation allié à l’intersectionnalité amène à des dynamiques de solidarités transcendant les divergences et les différences pour être plus fortes ensemble, comme l’ont dit nombre de femmes participant au réseau Femmes et féminismes en dialogue.

La recherche-action-médiation, telle que nous l’avons expérimentée, est un vecteur de solidarité et de revendication transnationale des droits, un catalyseur d’actions sur le plan personnel et collectif et un vecteur de changement. C’est aussi un réseau lié à d’autres réseaux, par exemple la Marche mondiale des femmes. Il invite à considérer le dialogue et la solidarité par exemple à titre d’actions pour changer le monde, reprendre du pouvoir et se soutenir en s’appuyant sur le sentiment d’appartenance, l’empathie, le soutien et la dynamisation collective. D’un point de vue épistémologique par ailleurs, nous ne pouvons faire l’impasse sur la question du désir : celui de la création de liens et de sens issus des dialogues qui ont été constamment au centre de la démarche; celui d’un appel ardent de changement dans la vie des femmes de tous les horizons. Ce désir de changement social s’inscrit alors dans une visée du dialogue entendu comme moyen d’humaniser le monde par le souci partagé du monde commun qu’il promeut au sens où le proposait Hannah Arendt (1974). Selon cette philosophe, le monde ne devient humain que lorsqu’il est objet de dialogue, que lorsque s’y actualise ce partage de préoccupations et de connaissances. Les conclusions des participantes au « forum-colloque » international de Montréal illustrent ce processus de recherche engagée, militante portant le souci du monde commun et le désir de changement. Pour conclure notre article, nous estimons qu’il leur revient de prendre la parole :

On développe des solidarités égal à égal entre le Sud et le Nord, contre le paternalisme. C’est une reconnaissance de toutes les énergies féminines, sans s’arrêter à une étiquette, à une appartenance, à une faiblesse.

Fatima, professionnelle et militante

Dans la diversité, nous avons une même souffrance, un même rêve d’équité et d’égalité. Tout le monde mène la lutte.

Ruth, professionnelle

Nous formons un BLED : un village avec des liens affectifs, des racines, des souvenirs de l’enfance, où on veut revenir. Ce réseau, c’est une construction collective permanente de liens, de souvenirs, d’espoirs, de projets.

Dorra, chercheuse et militante

Si on reste dans notre zone, le monde ne va pas nous entendre. Tout ce qui arrive dans le monde nous concerne, comme mères, épouses, femmes. Il faut participer à tous les événements du monde, dire notre opinion, on peut agir dans le monde.

Mei, universitaire et militante

Il faut sortir du silence, de l’invisibilité, de l’oubli, prendre la parole. Nous avons de la peine pour nos soeurs autochtones du Canada, pour tous les peuples autochtones. Très souvent, on a peur de faire face, mais ensemble on peut. Nous les femmes, nous sommes fortes, on sait comment lutter. À partir de la base. C’est important de constituer un réseau féministe en dehors du pôle occidental.

Antonia, Myriam, Faustina et Liliana, leaders autochtones et paysannes, chercheuses, militantes et activistes

C’est la magie d’une méthode qui crée le dialogue et nous engage dans l’authenticité sans qu’on en ait conscience.

Hawa, professionnelle et militante associative