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Introduction

Depuis 1982, les lois françaises successives de décentralisation ont renforcé le rôle des collectivités territoriales dans le développement économique et le déploiement de dispositifs en faveur de l’entrepreneuriat. Elles ont ainsi massivement investi dans la création de structures d’accompagnement (incubateurs, pépinières ou maisons des entreprises) à destination de porteurs d’un projet entrepreneurial. Le développement de ces structures s’est accompagné d’une implication croissante des acteurs locaux, dont les acteurs publics, privés, associatifs, financeurs et organismes consulaires, en vue d’organiser les activités économiques en faveur de l’entrepreneuriat.

Pour remplir leur mission d’accompagnement des porteurs de projet, les structures d’accompagnement doivent composer avec différentes parties prenantes du financement et du conseil aux entrepreneurs. Se pose alors la question de l’intégration de ces parties prenantes dans la gouvernance de ces structures compte tenu de l’absence de lien de subordination ? En d’autres termes, quelle gouvernance des structures d’accompagnement mettre en oeuvre pour intégrer les attentes des parties prenantes et contribuer à une dynamique territoriale entrepreneuriale ? L’intégration des attentes des parties prenantes conduit à définir des modalités de pilotage de la structure en lien avec la dimension collective du processus d’accompagnement entrepreneurial.

En interrogeant les modes de gouvernance et en mobilisant la théorie des parties prenantes, la présente étude s’inscrit dans la réflexion sur la performance globale des structures d’accompagnement (Allen et McCluskey, 1991 ; Bakkali, Messeghem et Sammut, 2014). Cette théorie permet de prendre en considération la diversité des attentes des acteurs d’un processus d’accompagnement ouvert et de discuter des modalités d’organisation et de coordination d’une gouvernance partenariale. Au plan théorique, cette recherche vise à éclairer la question de la gouvernance des structures d’accompagnement en mobilisant la dimension partenariale en complément d’une approche souvent liée aux problématiques de management public. Si la création des structures d’accompagnement relève fréquemment d’une volonté politique, leur fonctionnement implique des compétences spécifiques en accompagnement entrepreneurial qui contribuent à l’évolution de leur gouvernance. L’intention scientifique de l’article est de montrer que la gouvernance évolue d’une gouvernance a priori politique vers une gouvernance plus partenariale fondée sur une capacité à intégrer les attentes des parties prenantes.

Cette recherche repose sur l’étude des structures d’accompagnement à la création d’entreprises innovantes dans la région Languedoc-Roussillon. Elles jouent un rôle d’intermédiation entre les acteurs et le territoire, contribuant ainsi à le structurer à travers la création et l’activation d’un écosystème entrepreneurial. Nous avons retenu dix-sept structures d’accompagnement réparties sur les cinq départements de la région étudiée. La finalité opérationnelle de la recherche est de contribuer à une évolution des pratiques de gouvernance des structures d’accompagnement. Elle vise à encourager une plus grande intégration des parties prenantes du processus entrepreneurial afin de dynamiser l’écosystème entrepreneurial territorial.

Après avoir précisé le cadre théorique, l’article exposera la méthodologie de recherche ; puis il présentera et discutera les résultats.

1. Positionnement théorique de la recherche

En considérant le processus entrepreneurial comme un processus collectif intégrant différentes parties prenantes, nous nous positionnons au-delà de la relation dyadique accompagnant/accompagné. Suivant la typologie de Hackett et Dilts (2004), nous nous situons au niveau intermédiaire de la structure (l’incubateur), à mi-chemin de l’approche centrée sur le porteur de projet (l’incubé) et de l’analyse du système (la communauté) que constitue le territoire. Après avoir étudié l’apport de la théorie des parties prenantes à l’analyse du processus d’accompagnement entrepreneurial (1.1.), nous montrerons la contribution du concept de gouvernance partenariale à la dynamique entrepreneuriale territoriale (1.2.).

1.1. Apport de la théorie des parties prenantes à l’analyse du processus d’accompagnement entrepreneurial

L’étude du processus d’accompagnement est souvent focalisée sur la relation accompagnant/porteur de projet (Dubard Barbosa et Duquenne, 2016 ; Gallais et Boutary, 2014). Elle porte alors sur l’analyse des besoins des porteurs de projet et la démarche d’accompagnement est présentée comme coconstruite avec le porteur de projet (Chabaud, Messeghem et Sammut, 2010). Dans cette recherche, le processus d’accompagnement entrepreneurial est examiné sous l’angle d’un processus collectif impliquant, outre le porteur de projet, une multitude d’acteurs tels que les directeurs de structure, les techniciens responsables de l’accompagnement et les financeurs.

Cette approche plurielle relève d’une conception contextualisée du processus entrepreneurial qui souligne l’influence de l’infrastructure entrepreneuriale (Van de Ven, 1993) ou du milieu (Julien et Cadieux, 2010). L’environnement et ses acteurs interviennent essentiellement dans ce processus à travers l’apport de ressources et de compétences. C’est dans cette perspective que nous étudions, au niveau des structures d’accompagnement, le processus entrepreneurial considérant qu’il mobilise différents acteurs et se développe en interaction étroite avec le milieu entrepreneurial.

La théorie des parties prenantes, mobilisée à l’origine sur des problématiques de pilotage et de management des organisations, offre un éclairage sur l’analyse des pratiques de gouvernance des structures d’accompagnement. Freeman (1984, p. 54) définit les parties prenantes comme tout « individu ou groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels ». Cette conception large des parties prenantes peut être réduite à tout groupe identifiable, dont l’organisation dépend pour sa survie à long terme (Acquier et Aggeri, 2008). Le rôle des parties prenantes est d’apporter des ressources à l’organisation et de procurer des incitations (Cazal, 2011). Un réseau de relations, notamment de relations de pouvoir, et donc d’interdépendances, se développe entre l’organisation et les différents groupes de son environnement et avec lesquels elle interagit (Andriof et Waddock, 2002).

La mobilisation de la théorie des parties prenantes nous amène à considérer les différents acteurs du processus d’accompagnement entrepreneurial comme stratégiques au sens où ils peuvent influencer l’organisation et les décisions de la structure d’accompagnement. La diversité de ces parties prenantes induit une pluralité d’objectifs (Campi, Defourny et Grégoire, 2006) et d’attentes. Se pose alors pour la structure d’accompagnement, comme l’a souligné Spear (2004) à propos des organisations non lucratives, la question de l’arbitrage entre les intérêts des parties prenantes et de sa traduction dans la stratégie et le management de l’organisation. Cette préoccupation stratégique pour le pilotage de la structure (Greenwood, 2007) va donc impacter la gouvernance des structures d’accompagnement. Une approche analytique (par référence à la typologie des travaux sur la théorie des stakeholders de Donaldson et Preston, 1995) permet aussi de comprendre dans quelle mesure la structure d’accompagnement à travers sa gouvernance répond aux différentes attentes des parties prenantes et les concilie. Ces réponses impactent le processus d’accompagnement.

Les quatre propositions relatives à la gestion des parties prenantes formulées par Acquier et Aggeri (2008) peuvent être en grande partie transposées au contexte du processus d’accompagnement entrepreneurial. Nous considérons alors qu’il est possible :

  • de repérer des parties prenantes qui ont des préférences identifiables et dont la participation est nécessaire au bon fonctionnement de la structure ;

  • de les hiérarchiser selon leur influence sur la structure d’accompagnement ;

  • de considérer que la performance de la structure dépend de sa capacité à répondre aux demandes des parties prenantes influentes ;

  • d’arbitrer entre des attentes potentiellement contradictoires.

À partir des travaux sur l’accompagnement entrepreneurial (Richez-Battesti et Gianfaldoni, 2005 ; Messeghem, Sammut, Thoreux, Swahli et Bakkali, 2014), il est possible d’identifier des groupes d’acteurs impliqués dans ce processus d’accompagnement :

  • les collectivités territoriales représentées par les acteurs institutionnels politiques, élus, responsables du développement économique, et les acteurs institutionnels experts, fonctionnaires territoriaux pour la plupart, qui apportent leurs compétences techniques aux structures ;

  • les directeurs de structure, dirigeants qui pilotent le processus d’accompagnement, appuyés sur le terrain par des chargés de mission, salariés de la structure ;

  • les porteurs de projet, qui focalisent l’attention des autres parties prenantes ;

  • les financeurs sans lesquels les projets ne peuvent être concrétisés ;

  • d’autres experts sollicités pour leurs compétences spécifiques (en recherche/développement ou en propriété industrielle).

Figure 1

Les parties prenantes de l’accompagnement entrepreneurial

Les parties prenantes de l’accompagnement entrepreneurial

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Ces catégories d’acteurs sont des parties prenantes internes (liées par des relations hiérarchiques) et externes (liées par des relations de marché ou institutionnelles) du processus d’accompagnement. Chacune de ces parties prenantes peut avoir des attentes différentes et potentiellement contradictoires. Les collectivités territoriales, représentées par les élus, ont généralement initié le projet de structure d’accompagnement. Elles participent ainsi activement à la création de ressources territoriales visant à dynamiser l’entrepreneuriat dans une logique économique : créer des entreprises et des emplois sur le territoire, stimuler son développement économique. Elles sont attentives à la performance économique des structures d’accompagnement. Dans le pilotage des structures, elles sollicitent les compétences des experts (directeurs de service ou directeurs administratifs), fonctionnaires, techniciens ou animateurs territoriaux, dont dépendent souvent hiérarchiquement ces structures. Ces experts ont leurs propres objectifs : répondre aux attentes des élus en mettant en oeuvre les décisions politiques et assurer le développement de leur service.

Les porteurs de projet qui intègrent une structure d’accompagnement cherchent à se constituer un capital ressources (Oliver, 1997) : ressources en savoir-faire, ressources financières et relationnelles ou sociales. Ils arbitrent ainsi entre, d’une part, le signal qui peut être perçu négativement – c’est un porteur de projet inexpérimenté qui a besoin de connaissances, peu introduit dans les milieux d’affaires (Messeghem et Sammut, 2010) – et d’autre part, les ressources qu’ils espèrent trouver dans cette structure. Leurs attentes en termes de ressources financières et de compétences managériales sont donc d’autant plus fortes qu’ils n’ont pas accès aux ressources et qu’ils ne sont pas dotés des compétences déterminantes pour démarrer leur entreprise. Au-delà, ils souhaitent que la structure d’accompagnement leur permette de développer leurs relations d’affaires, de s’insérer dans des réseaux d’affaires et de gagner en légitimité (Gartner, 1985 ; Tornikovski et Newbert, 2007 ; Messeghem et Sammut, 2010). La performance de la structure s’appréciera alors à partir de variables diverses allant de la qualité de l’accompagnement à l’obtention de ressources, de la rapidité du processus de création à l’importance du chiffre d’affaires généré et des compétences mobilisées au réseau constitué (Noguera, Bories-Azeau, Fort et Peyroux, 2015).

Les organismes qui interviennent dans le financement des projets de création ont leurs propres attentes essentiellement en termes de rentabilité et de sécurité de leurs investissements ; ils décident ainsi principalement sur la base de la rentabilité financière du projet.

Les dirigeants de structure ont aussi leurs objectifs, liés en grande partie aux intentions politiques : attirer des porteurs de projet, accompagner un nombre de projets défini, créer des entreprises, localiser ces nouvelles entreprises sur le territoire. Ils doivent aussi assurer le développement et l’efficacité de la structure en multipliant le nombre de créations réussies et ainsi la pérenniser. Ces objectifs sont utilisés pour mobiliser et impliquer les chargés de mission (Messeghem etal., 2014).

Ces différentes attentes ne sont pas toujours compatibles. En effet, les parties prenantes représentent une constellation d’intérêts coopératifs et concurrents (Donaldson et Preston, 1995 ; Pesqueux, 2017). Le nombre de projets accompagnés ne garantit pas la création d’entreprises localement. Les nouvelles entreprises créées n’ont pas forcément une rentabilité financière rapidement. Sans financement, les projets ne peuvent voir le jour. La création d’emplois et le développement rapide de ces jeunes entreprises impliquent une prise de risque que le porteur de projet peut hésiter à assumer.

Si les parties prenantes influent sur la gouvernance des structures, celle-ci n’est pas neutre dans les performances des différents acteurs. Les parties prenantes sont, dans une certaine mesure, dépendantes de l’action et des résultats des structures (Peyroux, Bories-Azeau, Fort et Noguera, 2013). Un accompagnement de qualité impacte les résultats des entreprises créées et donc les organismes financeurs. Le succès d’une pépinière a aussi des retombées positives sur le territoire et sur les décideurs politiques. Ces retombées peuvent s’apparenter à des externalités positives, au sens de Marshall (1890) et de Pigou (1920) : le produit social d’une activité est supérieur au produit privé de cette activité, sachant que l’externalité se réfère à des interactions hors-marché. Au niveau local, ces externalités favorisent la création de formes organisationnelles plus efficaces pour leur valorisation, au sein de processus localisés d’apprentissage (Fadairo et Massard, 2002).

La théorie des parties prenantes propose un cadre d’analyse du dilemme auquel se trouve confrontés les dirigeants de structure : comment satisfaire ces parties prenantes aux attentes potentiellement divergentes ? Quelle gouvernance ? Comment réguler le management des structures d’accompagnement ? Le paragraphe suivant propose de répondre à ce questionnement en mobilisant le concept de gouvernance partenariale.

1.2. La contribution du concept de gouvernance partenariale à la dynamique entrepreneuriale territoriale

Les contributions théoriques opposent à la gouvernance actionnariale une gouvernance partenariale intégrant les relations avec les parties prenantes. Ce modèle de gouvernance crée de la valeur partenariale, « mesure globale de la rente créée par la firme en relation avec les différents stakeholders et non les seuls actionnaires » (Charreaux et Desbrières, 1998, p. 60). La gouvernance partenariale se définit comme les modes de régulation mis en oeuvre pour gérer les relations entre les dirigeants et les différentes parties prenantes en lien avec l’exercice du pouvoir dans le cadre d’une démarche de coconstruction (Charreaux, 2011). Ce modèle de gouvernance est, selon nous, transposable au cas des structures d’accompagnement.

Dans le prolongement des travaux de Charreaux (1996), nous définissons la gouvernance des structures d’accompagnement comme l’ensemble des mécanismes qui gouvernent les décisions de leurs dirigeants et délimitent leur espace discrétionnaire. Dans cette logique, nous proposons d’étudier les formes d’une gouvernance partenariale entendue comme une gouvernance spécifique intégrant les attentes des diverses parties prenantes du processus entrepreneurial.

La gouvernance de la structure n’est plus seulement déterminée dans l’intérêt des pouvoirs publics ; elle intègre les attentes des parties prenantes, dont les porteurs de projet. Cette gouvernance participe « à la création d’une dynamique collective entre des acteurs hétérogènes et déficitaires en ressources et capacités d’interaction » (Bocquet et Mothe, 2008, p. 23). La dimension cognitive (Martinet, 2008) est importante dans la mesure où elle repose en partie sur les connaissances et les compétences des parties prenantes.

Cette gouvernance partenariale combine des dimensions verticales (relations hiérarchiques entre parties prenantes internes) et horizontales (relations entre parties prenantes externes) dans le cadre d’un fonctionnement de type réticulaire. Pour Pesqueux (2017), la théorie des parties prenantes construit ses développements sur la tension proximité – distance. Il s’agit alors pour les dirigeants de gérer des relations de proximité d’intérêts avec des parties prenantes, malgré des distances (appréhendées via des divergences d’attentes) entre elles.

Cette approche offre un cadre méthodologique général, basé sur une conception ouverte et élargie de la gouvernance (Martinet, 2008). Elle permet d’aborder les relations entre les acteurs du processus d’accompagnement entrepreneurial tout en autorisant une mise en oeuvre spécifique adaptée à chaque cas d’accompagnement. De plus, elle permet de se focaliser sur les différentes relations dans le cadre d’un maillage pouvant générer des effets de synergie. En effet, la prise en considération de l’intérêt d’une partie prenante, les financeurs par exemple, conforte la satisfaction des porteurs de projet ou des collectivités territoriales. Suivant Albouy (2015), l’approche par les parties prenantes renforce la latitude discrétionnaire des dirigeants qui jouent un rôle central dans le déploiement des procédures d’accompagnement et la satisfaction des parties prenantes. Nous retenons ainsi une conception instrumentale des parties prenantes (Jones, 1995) selon laquelle le management des parties prenantes affecte la performance de l’organisation.

L’existence même des structures d’accompagnement dépend d’une volonté politique locale. Ces structures agissent sur un territoire qui est animé et structuré (au moins partiellement) sous l’effet d’une gouvernance fortement orientée par le pouvoir politique. En effet, à travers l’entrepreneuriat, et dans la logique de la décentralisation, les décideurs politiques territoriaux s’investissent de plus en plus dans le développement économique, social et sociétal du territoire. Suivant Pecqueur (2010, p. 59), nous considérons que le territoire « n’est plus un espace neutre de projection de l’activité économique », mais devient un construit d’acteurs qui implique les entreprises, mais aussi des acteurs du domaine public, privé, économique, social, culturel et associatif. Dans une logique très marshallienne, ce territoire, construit social, essentiellement fondé sur des logiques d’acteurs, peut favoriser l’émergence d’une atmosphère « entrepreneuriale ». Celle-ci résulte d’une action collective menée au niveau local qui relève d’une gouvernance collaborative au sens d’Ansell et Gash (2007).

La structure d’accompagnement évolue dans un territoire délimité par les prérogatives des collectivités territoriales qui l’ont créée et participe de ce fait à la dynamique entrepreneuriale territoriale. Elle contribue, à travers la diversité des acteurs sollicités dans le processus d’accompagnement, au développement d’interdépendances, à la création et à l’accumulation de savoir et savoir-faire, à l’émergence de mécanismes d’apprentissage. Elle participe alors à la structuration et à l’animation d’un écosystème entrepreneurial qui combine un ensemble d’acteurs et des ressources coordonnés de façon à développer l’entrepreneuriat au sein d’un territoire (Noguera, Bories-Azeau, Fort et Peyroux, 2015). Cette notion utilisée initialement pour identifier une communauté d’acteurs, hiérarchisée autour d’une firme dominante (Moore, 1993) a été reprise récemment dans le contexte entrepreneurial dans plusieurs travaux (Surlemont, Toutain, Barès et Ribeiro, 2014 ; Boutillier, Carré et Levratto, 2015).

Pour certains auteurs (Mack et Mayer, 2016 ; Motoyam et Knowlton, 2017), les travaux sur les écosystèmes entrepreneuriaux se focalisent principalement sur l’identification de leurs composants, au détriment de l’analyse des interconnexions dans une approche plus dynamique. En mettant en évidence l’impact de la gouvernance partenariale de la structure sur la dynamique territoriale, cette recherche éclaire les relations entre les parties prenantes et, au-delà, la structuration de l’écosystème entrepreneurial, notamment à partir des relations partenariales nouées dans le cadre d’un processus d’accompagnement ouvert et intégratif. Ainsi, la diversité de l’écosystème et la variété des acteurs et des compétences contribuent à la dynamique du territoire (Asselineau, Albert-Cromarias et Ditter, 2014).

Les compétences en accompagnement entrepreneurial se construisent et se développent sous l’action des parties prenantes mobilisées et de leurs interrelations. Suivant la théorie des ressources (Wernerfelt, 1984 ; Barney, 1991) et des compétences stratégiques (Hamel et Prahalad, 1990), ces compétences entrepreneuriales sont un élément de différenciation des territoires.

Schillaci, Romano et Nicotra (2013) soulignent l’importance de la capacité d’absorption du territoire, définie comme la capacité d’une région à identifier, assimiler et exploiter des connaissances externes. En transposant au territoire la notion développée par Cohen et Levinthal (1990), ces auteurs montrent que la capacité d’absorption suppose des investissements en capital humain, de la promotion, des investissements de recherche/développement et surtout des flux de connaissances générés par des passeurs (gatekeepers) de connaissances territorialisées. La capacité à absorber de nouvelles compétences entrepreneuriales pour un territoire dépendrait alors des connaissances et compétences existantes. En capitalisant sur les compétences de la structure d’accompagnement et le déploiement d’une gouvernance partenariale qui mobilise les ressources spécifiques de chaque partie prenante, le territoire apprend à être plus entreprenant. La structure d’accompagnement joue ainsi ce rôle de passeur de connaissances. Elle intervient activement dans la construction et le développement de compétences entrepreneuriales cruciales pour l’écosystème entrepreneurial (Stam et Spigel, 2016), contribuant ainsi à la dynamique entrepreneuriale du territoire.

Pour expliciter le rôle de la structure d’accompagnement dans la structuration de l’écosystème à travers la mise en oeuvre d’une gouvernance partenariale, une recherche qualitative interorganisationnelle a été menée.

2. Méthodologie de recherche

La problématique principale de la recherche questionne la gouvernance des structures d’accompagnement : quelle gouvernance des structures d’accompagnement mettre en oeuvre pour améliorer la satisfaction des parties prenantes et au-delà contribuer à une dynamique entrepreneuriale territoriale ? La gouvernance partenariale est un facteur de performance globale dans la mesure où elle intègre les attentes des différents acteurs du processus entrepreneurial. Après avoir précisé le positionnement épistémologique (2.1.), le protocole de la recherche sera présenté (2.2.).

2.1. Positionnement épistémologique de la recherche

Le choix a été fait d’une méthodologie qualitative qui présente l’intérêt de pouvoir éclairer différentes facettes d’un processus. Elle permet d’analyser les perceptions des acteurs (Aldebert et Rouziès, 2011), de les contextualiser, d’apprécier les interactions et d’analyser les processus. Elle autorise une étude approfondie d’un phénomène complexe, avec une visée interprétative tout en contextualisant l’analyse. Elle se révèle adaptée à l’analyse du processus d’accompagnement entrepreneurial dans le cadre d’une démarche exploratoire et processuelle (Hlady Rispal et Jouison Lafitte, 2015). Cela correspond au positionnement de cette recherche qui vise à appréhender l’évolution des formes de gouvernance, l’émergence d’une gouvernance partenariale et la prise en considération des attentes des parties prenantes dans le processus d’accompagnement entrepreneurial. Cette méthodologie permet d’identifier les interactions et les tensions qui se développent. Elle est ainsi en adéquation avec la finalité de la recherche, à savoir l’analyse de l’émergence d’une gouvernance partenariale des structures d’accompagnement afin de contribuer à l’amélioration de leur performance globale et d’appréhender l’impact sur la dynamique territoriale et l’écosystème entrepreneurial.

La recherche s’inscrit dans le champ de l’action science (Argyris, Putnam et McLain Smith, 1985 ; David, 1998 ; Plane, 2000 ; Paturel et Savall, 2001 ; Savall et Zardet, 2004, 2011 ; Cappelletti et Noguera, 2007). Cette méthode peut autoriser une certaine interaction entre une équipe de chercheurs et son terrain et de ce fait s’inscrit dans le courant des recherches collaboratives (Checkland, 1989 ; Hatchuel et Molet, 1986). Ce choix méthodologique est conforme au positionnement de la recherche qui relève d’une approche partenariale.

Cette recherche qualitative a simultanément deux types d’objets de connaissance : comprendre et expliquer. Il s’agit tout d’abord de comprendre les pratiques dans la prise en compte des attentes des parties prenantes à travers la gouvernance des structures d’accompagnement (Buono et Savall, 2007). Cette recherche permet aussi de dépasser l’étape descriptive pour expliquer et conceptualiser le processus d’accompagnement avec une finalité opérationnelle d’agir sur le terrain. Le terrain est alors un véritable lieu d’investigation pour concevoir, tester et suivre l’évolution et l’adaptation de concepts et d’outils. Le statut épistémologique conféré au « terrain », ici les structures d’accompagnement localisées sur un territoire qui leur est propre, en fait un champ d’investigations approfondies. Il s’agit donc pour l’équipe de chercheurs, en complément de l’exploitation de la littérature et de l’analyse de documents, d’investir le terrain par une observation empirique et longitudinale. Notre recherche vise ainsi à expliquer les tensions potentielles entre les parties prenantes du processus d’accompagnement entrepreneurial et leur prise en compte au niveau de la gouvernance des structures dans le cadre d’une investigation interorganisationnelle. Elle donne aussi aux acteurs les moyens de comprendre et d’agir sur les réalités.

2.2. Protocole de recherche

Concernant la collecte des données, le choix a été fait de centrer la recherche sur les structures d’accompagnement à la création d’entreprises innovantes (structures technologiques) de la région Languedoc-Roussillon. Du fait du caractère innovant et complexe des projets accompagnés, l’inscription dans un écosystème entrepreneurial, connectant diverses parties prenantes, est nécessaire. Par ailleurs, l’enjeu du processus d’accompagnement est plus marqué eu égard au caractère risqué de ce type de création dont les potentialités économiques sont cependant fortes. Les projets susceptibles d’être accompagnés sont peu nombreux, mais nécessitent un accompagnement spécifique compte tenu :

  • du profil des porteurs de projet, souvent plus technique et scientifique que managérial et commercial ;

  • de l’importance des ressources et des compétences à mobiliser (techniques, scientifiques, financières, mais aussi dans les domaines particuliers de la propriété industrielle et des brevets, du marketing des produits innovants ou de la levée de fonds) ;

  • des potentialités économiques en termes d’emplois et de profit pour le territoire.

Les structures d’accompagnement ont un périmètre d’activité sur leur territoire situé dans des zones urbaines, périurbaines ou rurales. Les parties prenantes internes et externes du processus d’accompagnement ont été étudiées. Au total, 52 acteurs ont été rencontrés dans le cadre d’entretiens individuels semi-directifs, d’une à deux heures environ.

Tableau 1

Les différentes parties prenantes (PP) interrogées

Les différentes parties prenantes (PP) interrogées
* : SORIDEC : société régionale d’investissement.

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La recherche a mobilisé plusieurs modes de triangulation. En premier lieu, pour chaque structure d’accompagnement, plusieurs parties prenantes ont été interviewées. Ainsi, au minimum trois acteurs ont été interrogés : directeur de structure et/ou porteur de projet et/ou chargé de mission et/ou responsable politique et/ou expert institutionnel. Les financeurs rencontrés sont liés à toutes les structures. En second lieu, une triangulation spatiale a été opérée par la répartition des structures d’accompagnement sur l’ensemble du territoire du Languedoc-Roussillon. De plus, les entretiens ont été menés par quatre chercheurs par équipe de deux, renforçant ainsi la triangulation des données collectées conformément au principe de l’intersubjectivité contradictoire (Savall et Zardet, 2011 ; Noguera, 2018). En complément de ces entretiens, les sources documentaires disponibles (plaquettes d’information, plan stratégique, rapports d’activité) ont été analysées. Ainsi, des informations ont pu être recoupées et les divergences de point de vue identifiées.

L’analyse des données a été structurée en fonction des six thèmes et des sous-thèmes de la nomenclature du guide d’entretien. Les principaux thèmes de travail portaient sur les conditions et le contexte territorial (origine de la création et logiques de fonctionnement, typologie des parties prenantes, implication et mobilisation des acteurs…), l’organisation de la structure (rôle des acteurs, coopération et entraide entre les acteurs, efficacité du fonctionnement de l’organisation, procédure d’évaluation des structures et des projets, articulation entre la structure et le réseau local, supralocal, régional, national), la gestion du temps et projets (durée de l’accompagnement, gestion du temps des projets…), la communication et la coordination (pratiques d’échanges d’informations et de communication entre les acteurs, transmission et mutualisation des informations ; connaissance par les parties prenantes des projets…), l’adéquation formation-emploi (compétences disponibles), la mise en oeuvre stratégique et les perspectives (orientations, objectifs stratégiques et politiques des projets), le pilotage et l’évaluation des projets (outils de reporting, indicateurs, rapports d’activité). Ces thèmes sont adaptés de la nomenclature du guide d’entretien de Zardet et Noguera (2006, 2004) et établi à partir des travaux de Savall et Zardet (1987).

Chacun des 52 entretiens a fait l’objet d’une retranscription complète. Dans chaque entretien et pour chaque thème abordé, nous avons extrait 10 à 15 verbatim représentatifs du discours de la partie prenante interrogée. Il importait de sélectionner des éléments de discours pertinents pour la recherche afin que le processus d’analyse ne soit pas le résultat d’une sélection aléatoire. Nous avons ensuite catégorisé les discours par thèmes, sous thèmes et idées clés. Ainsi, plus de 650 verbatim ont été identifiés et traités. La section 3 présente et discute les résultats de la recherche.

3. Résultats et discussion

L’exploitation des entretiens a permis d’identifier les attentes des parties prenantes, les tensions et d’analyser leur intégration par la gouvernance partenariale des structures d’accompagnement (3.1.). Ces résultats sont discutés au regard de l’impact de cette gouvernance sur la dynamique territoriale (3.2.).

3.1. Intégration des attentes des parties prenantes dans la gouvernance partenariale des structures d’accompagnement

La recherche se focalise sur les structures d’accompagnement affichant leur spécialisation pour l’accompagnement de projets innovants technologiquement ou socialement. Elles sont toutes membres du réseau Synersud[1] qui les fédère. Ce réseau mutualise certaines actions et favorise un échange de bonnes pratiques. Il compte dix-sept structures d’accompagnement à la création et au développement d’entreprises innovantes en Languedoc-Roussillon. Ces dix-sept structures couvrent les cinq départements de la région avec un rayon d’action correspondant au territoire de leur organisation de tutelle. Les structures étudiées s’inscrivent donc dans des écosystèmes entrepreneuriaux territorialisés.

Les résultats montrent que de nombreux acteurs interviennent dans l’écosystème entrepreneurial : la région, le département, les communautés d’agglomération et les communautés de communes avec les élus et les techniciens, les experts institutionnels ou privés, le réseau Synersud, les organismes financeurs et les organismes consulaires (chambres de commerce et d’industrie locales et régionales), les universités au côté des structures (représentées par leurs directeurs et chargés de mission) et des porteurs de projet. Selon un chargé de mission, « de nombreux experts externes dans le domaine technologique LRI, TLR, INPI[2], des conseillers en dépôt de brevet (cabinets de conseils), de consultants, juristes, experts- comptables, sont sollicités ».

Ces acteurs constituent l’environnement institutionnel des structures avec lequel elles interagissent et dont elles dépendent hiérarchiquement et/ou en termes de ressources et de compétences. Ils participent à leur gouvernance comme le constate un élu : « La pépinière est aidée par le conseil général, la région, les chambres consulaires : ils sont membres du conseil d’administration ainsi que tous les autres partenaires. » Ces acteurs ont des attentes spécifiques présentées dans le tableau 2.

Tableau 2

Attentes des parties prenantes (PP)

Attentes des parties prenantes (PP)

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Les attentes des collectivités territoriales sont bien identifiées par les autres parties prenantes, mais celles-ci ont aussi leurs propres motivations. Sur le territoire étudié, le conseil régional, très sensibilisé aux enjeux de l’entrepreneuriat, a renforcé son action dans ce domaine depuis quelques années. Il souhaite favoriser la création d’activités à forte valeur ajoutée et développer l’emploi. À terme, les attentes des parties prenantes convergent : un accompagnement réussi crée du développement économique pour le territoire et assure un retour sur investissement positif pour les financeurs tout en valorisant l’activité de la structure, mais à court et moyen terme, ces attentes ne sont pas forcément conciliables.

Le tableau 3 synthétise les tensions au sein de l’écosystème entrepreneurial. Elles relèvent de trois domaines :

  • La question du degré d’indépendance par rapport aux attentes des acteurs publics est soulevée. Les structures d’accompagnement dépendent hiérarchiquement et financièrement (en partie) des collectivités territoriales, mais elles restent largement autonomes vis-à-vis des acteurs territoriaux dans le choix des projets et privilégient la qualité des dossiers accompagnés à la quantité. Les financeurs sont aussi largement indépendants dans leur processus de décision.

  • L’accès au financement est également source de tension. C’est un des déterminants de la réussite de l’accompagnement. Les financeurs jouent donc un rôle important comme le fait observer l’un d’entre eux : « Notre organisme de financement est actionnaire dans 60 % des entreprises créées sur le territoire (dont 55 % dans les jeunes entreprises innovantes). » Ils sont indépendants des structures d’accompagnement et leurs attentes diffèrent de celles des collectivités territoriales ou des porteurs de projet.

  • Enfin, les temporalités différentes des acteurs sont soulignées par les parties prenantes. Certaines tensions naissent des exigences des porteurs confrontés aux réalités du fonctionnement des structures : les dossiers doivent être élaborés selon un calendrier défini par les institutions pour bénéficier d’aides et de subventions. Or, les porteurs de projet ont leur propre temporalité. Celle-ci, eu égard au caractère innovant des projets, est stratégique dans des environnements hypercompétitifs.

Dans la gestion des tensions entre les parties prenantes, le directeur de la structure est confronté à trois types d’exigences : se conformer aux règles de fonctionnement de l’administration et aux attentes de sa hiérarchie, satisfaire ses « clients » porteurs de projet et les aider à obtenir les financements sollicités en proposant des dossiers répondant aux attentes des financeurs. Il est au coeur des tensions entre les différentes parties prenantes. La structure d’accompagnement via les chargés de mission et le directeur doit ajuster, voire hiérarchiser, les attentes, car la réussite de l’accompagnement en dépend. Il s’agit, par exemple, de ramener les prétentions du porteur de projet à un niveau acceptable pour le financeur. C’est là une illustration d’une gouvernance partenariale qui repose sur l’expertise en accompagnement entrepreneurial de la structure.

Si la dimension politique impacte la gouvernance de la structure comme le constate un directeur (« Le politique est important pour nous, les acteurs des structures sont là pour servir le politique »), l’expertise de la structure en matière d’accompagnement tend à s’affirmer. Elle se traduit par la mise en oeuvre d’une gouvernance plus partenariale des structures d’accompagnement dont les caractéristiques sont présentées dans le tableau 4.

Tableau 3

Tensions entre parties prenantes

Tensions entre parties prenantes

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Tableau 4

Une gouvernance partenariale des structures

Une gouvernance partenariale des structures
* : Les structures sont identifiées par leur initiale pour préserver l’anonymat des répondants.

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Comme le présente le tableau 4, cette gouvernance partenariale se traduit par la mobilisation de ressources et compétences diverses. Variables selon la nature du projet de création, les apports en expertise des parties prenantes se révèlent déterminants dans la réussite du projet d’accompagnement. C’est le cas, par exemple, des chambres consulaires qui apportent des compétences professionnelles et un réseau déjà bien structuré par secteur d’activité ou d’un laboratoire de recherche qui va tester le caractère innovant et opérationnel du projet. Il appartient alors à la structure de solliciter les parties prenantes en fonction de la spécificité du projet. Cela contribue à la structuration et à l’activation d’un réseau relationnel.

Du fait de cette exigence de mobilisation de l’expertise de parties prenantes, certaines structures ont fait évoluer leur processus d’accompagnement pour les intégrer aux différentes étapes de suivi et d’évaluation du projet. Des structures cherchent par exemple à solliciter le plus en amont possible les avis et conseils des investisseurs invités à participer dès les premières étapes de l’accompagnement du projet. D’autres structures, face au risque de donner un signal négatif au financeur dans le cas d’un projet encore peu abouti, préfèrent temporiser en ne présentant aux investisseurs que des projets susceptibles d’obtenir leur aval. L’intégration des financeurs affecte le processus d’accompagnement à travers une dynamique d’apprentissage développant l’expertise de la structure : celle-ci internalise par expérience les critères d’évaluation des financeurs dans son accompagnement. Leurs attentes spécifiques tendent à être intégrées dans l’élaboration des dossiers. Dans une option plus intégrative encore, ils peuvent être sollicités dans le processus d’accompagnement.

La gouvernance partenariale se traduit aussi au niveau de la composition des comités de sélection ou des comités d’experts. Ils sont constitués en invitant les parties prenantes les plus représentatives, souvent sources de financement ou détentrices d’une expertise particulière, mais au final, une certaine habitude de fonctionnement s’instaure, les acteurs sollicités pour participer à ces dispositifs de gouvernance étant souvent les mêmes (Tableau 5). L’existence de ces comités permet cependant d’intégrer les attentes des parties prenantes. Cela favorise un accompagnement plus « collectif » orientant le projet dès la définition de ses contours dans un sens favorable à leurs attentes.

Les structures étudiées pratiquent largement le co-accompagnement pour mobiliser des compétences complémentaires. Le choix du lieu d’hébergement, selon les besoins spécifiques de chaque porteur de projet, contribue à l’intégration des parties prenantes. Ainsi, la démarche partenariale transparaît dans les relations entre les structures d’accompagnement.

Les directeurs de structure mettent donc en oeuvre une gouvernance plus partenariale en sollicitant les parties prenantes dans le processus d’accompagnement, en participant à des échanges de bonnes pratiques entre structures et en développant le co-accompagnement. Les résultats soulignent cependant l’existence d’une certaine rivalité entre les structures d’accompagnement. En effet, bien qu’engagées dans un processus collaboratif, elles cherchent à développer leur attractivité, surtout pour capter les projets les plus intéressants (Tableau 5). Or, elles ne sont pas toutes dotées des mêmes atouts entrepreneuriaux. Les compétences, les moyens et les réseaux diffèrent.

Au-delà de l’organisation même du processus d’accompagnement, la gouvernance de la structure peut être infléchie dans un sens plus favorable aux attentes des parties prenantes via les outils d’évaluation. Cette gouvernance partenariale impacte le processus d’accompagnement et son évaluation à travers le choix des indicateurs. Elle implique de reconnaître l’importance de compétences spécifiques dans l’accompagnement et d’évaluer les actions déployées. Le renforcement des outils de management (outils de pilotage, tableaux de bord) en est une conséquence directe. Cela rejoint un besoin identifié d’outils de gestion (Tableau 5). Les chargés de mission des structures d’accompagnement ne disposent pas d’indicateurs de pilotage et d’évaluation des projets, voire de tableaux de bord, permettant d’éclairer la prise de décision, exceptés des outils classiques et relativement passifs de « suivi » des budgets. Hormis des informations sur les montants des subventions utilisés, il y a peu d’indicateurs de pilotage, dans les structures comme au conseil régional, sur l’avancement des actions, l’implication des acteurs et les délais.

Le tableau 5 synthétise les limites de la gouvernance partenariale des structures d’accompagnement.

Tableau 5

Limites de la gouvernance partenariale des structures d’accompagnement

Limites de la gouvernance partenariale des structures d’accompagnement
* Oseo est une entreprise privée avec délégation de service public, qui finance les PME françaises notamment pour l’innovation, intégrée dans la Banque publique d’investissement, ou Bpifrance.

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3.2. Discussion : les impacts de la gouvernance partenariale des structures sur la dynamique entrepreneuriale du territoire

Cette gouvernance partenariale de la structure impacte l’écosystème entrepreneurial, contribuant ainsi à l’émergence d’une dynamique entrepreneuriale territoriale. Deux strates d’écosystème apparaissent.

En premier lieu, au niveau local, sur le territoire délimité par la zone de compétences de la collectivité territoriale, dont relève la structure d’accompagnement, se dessinent les contours d’un écosystème entrepreneurial. Celui-ci se construit à partir notamment des relations initiées par la structure entre les parties prenantes internes (avec les porteurs de projet et les élus) et externes (financeurs et experts sollicités) dans le cadre d’un processus d’accompagnement collectif. Ces parties prenantes procurent des compétences et des incitations au sens de Cazal (2011). Elles peuvent même, comme le montrent les résultats de la recherche, orienter le processus d’accompagnement en faveur de leurs attentes, voire le réorganiser.

La structure d’accompagnement à travers la gouvernance mise en oeuvre par son dirigeant joue un rôle central, relevant ainsi de sa latitude discrétionnaire (Albouy, 2015). Les quatre propositions relatives à la gestion des parties prenantes formulées par Acquier et Aggeri (2008) sont effectivement mises en oeuvre à son initiative. Les chargés de mission et le directeur ont à identifier, par projet, les parties prenantes à mobiliser. Ils ajustent et concilient leurs attentes plus qu’ils ne les hiérarchisent afin de mener à bien le processus d’accompagnement. C’est dans le déploiement du processus d’accompagnement que sont gérées les tensions. L’activité des comités d’engagement et d’experts permet des arbitrages collectifs. Au final, la capacité à répondre aux attentes des parties prenantes contribue à une performance globale et non plus seulement centrée sur la satisfaction d’une seule catégorie d’acteurs (le porteur de projet ou le financeur par exemple).

Des différences existent selon les structures. Certaines parties du territoire de la région étudiée sont animées d’un point de vue entrepreneurial par des structures aux compétences reconnues, fortes d’une certaine légitimité et notoriété. Elles peuvent s’appuyer sur des acteurs publics très investis. De ce fait, elles attirent les futurs créateurs, sélectionnent les meilleurs projets. En conséquence, les financeurs sont plus enclins à intervenir dans le financement des projets portés par ces structures. Cela ne fait que renforcer leur légitimité. Leurs compétences entrepreneuriales s’enrichissent à l’occasion des multiples opportunités d’accompagnement de projets à potentiel et bénéficient au territoire qui correspond à leur rayon d’action.

La structure d’accompagnement en matière entrepreneuriale joue un rôle de passeur de connaissances. Elle intervient activement dans la construction et le développement de compétences entrepreneuriales cruciales pour l’écosystème entrepreneurial (Stam et Spigel, 2016) et contribue ainsi à la dynamique entrepreneuriale du territoire. À la concentration des activités entrepreneuriales sur certains territoires correspond une dynamique entrepreneuriale qui leur est propre, comme l’illustre la figure 2. La performance de certaines structures creuse l’écart avec celles moins expérimentées et/ou implantées dans des zones peu dotées en infrastructures entrepreneuriales (loin des centres de recherche, des universités, des financeurs et peu attractives pour les porteurs de projet), mais qui résultent d’une volonté politique (Bories-Azeau, Fort, Noguera et Peyroux, 2016).

Figure 2

Gouvernance partenariale de la structure et dynamique de l’écosystème entrepreneurial

Gouvernance partenariale de la structure et dynamique de l’écosystème entrepreneurial

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Ainsi comme l’indique la figure 2, ce processus d’accompagnement collectif a pour effet d’intégrer les porteurs de projet dans un réseau de relations (axe horizontal représentant les acteurs du réseau). C’est là un des points essentiels de satisfaction des porteurs de projet conformément à Gartner (1985). Le processus d’accompagnement se décline en quatre phases (définition, évaluation, création et mise en oeuvre du projet d’entreprise) que retrace l’axe vertical. L’accompagnement des porteurs de projet par les structures contribue à la viabilité et la pérennité de leur projet. Dans le modèle proposé, l’axe diagonal souligne l’impact territorial sur le plan économique et social et le développement de compétences territoriales entrepreneuriales, voire d’une marque territoriale.

Ce modèle permet de comprendre comment, selon les besoins en ressources et compétences pour accompagner le projet, se construisent les connexions de l’écosystème entrepreneurial. Celui-ci est focalisé sur les besoins du porteur de projet et découle en grande partie de l’activation des connexions par la structure d’accompagnement. C’est là une approche de l’écosystème centré sur la structure qui rejoint la conception initiale de Moore (1993).

La dimension intégrative de la structure d’accompagnement qui conditionne sa performance n’est jusqu’ici que très peu prise en compte dans l’évaluation de son activité. En développant les tableaux de bord et en diversifiant les indicateurs (Zardet et Noguera, 2014) en fonction des attentes des parties prenantes et des connexions activées, les structures pourraient ainsi disposer d’un outil de pilotage favorisant une gouvernance plus partenariale.

Le niveau régional constitue une seconde strate de l’écosystème entrepreneurial. Les structures sont réparties sur l’ensemble du territoire régional. Elles maillent ce territoire et participent à une dynamique territoriale qui oscille entre logique partenariale et logique concurrentielle, confirmant le phénomène de coopétition dans les écosystèmes entrepreneuriaux (Theodoraki et Messeghem, 2014) et entre les territoires infrarégionaux. Si certaines structures ont pu être en concurrence pour tenter d’attirer les projets les plus prometteurs, actuellement la situation semble plus relever de la collaboration.

Le réseau Synersud, tout en insufflant une logique collaborative, participe à une réelle professionnalisation des membres via la mutualisation des moyens et l’échange de bonnes pratiques et d’informations entre les structures de la région. Cela contribue à développer l’expertise des structures. Ce réseau peut être envisagé comme un tiers institutionnel, au sens de Neuville (1998). Il favorise la construction progressive d’une confiance entre ses membres et l’émergence d’une dynamique entrepreneuriale territoriale en forçant l’intégration et la collaboration des structures d’accompagnement, incitant et contraignant à la fois la gouvernance des structures dans une orientation collaborative. Au-delà, le réseau Synersud semble jouer le rôle de facilitateur (McEvily et Zaheer, 2004).

L’engagement de la région, multipliant les dispositifs favorables à l’entrepreneuriat (Synersud, fonds d’investissement, structure de transfert de l’innovation…), joue un rôle actif dans l’écosystème entrepreneurial régional, mais la superposition des niveaux de compétences des collectivités territoriales génère un empilement de structures avec lequel la gouvernance partenariale de la structure d’accompagnement doit composer. Pour les porteurs de projet, la diversité des acteurs qui anime l’écosystème entrepreneurial peut rendre difficile leur orientation. La répartition des rôles et missions entre les structures d’accompagnement, les collectivités et les organismes consulaires manquent de lisibilité. De plus, cela induit des difficultés d’articulation entre les deux échelons régional et local, accentuées par le nombre et la diversité des parties prenantes sollicitées. Des efforts restent à réaliser pour renforcer la cohérence du territoire du point de vue de l’accompagnement entrepreneurial et de l’organisation d’un écosystème entrepreneurial à l’échelle régionale.

Tout l’enjeu est alors de développer une gouvernance partenariale de la structure d’accompagnement articulée avec une orientation politique, dans une logique de recherche de performance globale. Les structures d’accompagnement étudiées sont implantées sur des territoires infrarégionaux et rattachées à des communautés d’agglomération. De ce fait, elles sont dépendantes d’un découpage administratif et sont localisées sur un territoire pour lequel elles constituent un outil de dynamique économique. Leur gouvernance partenariale contribue à renforcer la cohérence du territoire régional et à dynamiser l’écosystème : les différents acteurs se coordonnent afin de renforcer les interactions des activités qui le caractérisent et le développement de compétences entrepreneuriales collectives. L’analyse des formes de gouvernance plus partenariale contribue ainsi à éclairer sous un angle dynamique l’étude des écosystèmes entrepreneuriaux peu étudiés jusqu’ici (Mack et Mayer, 2016 ; Motoyama et Knowlton, 2017).

Conclusion

Cette recherche, centrée sur les structures d’accompagnement, développée en interrogeant les différentes parties prenantes du processus entrepreneurial et en mobilisant le concept de gouvernance partenariale met en évidence trois types d’apports :

  • un apport descriptif à travers l’identification des relations et des tensions entre la structure et les parties prenantes ;

  • un apport méthodologique en proposant une grille d’analyse des relations au sein du processus d’accompagnement entrepreneurial via l’identification et l’intégration des différentes parties prenantes dans le processus d’accompagnement permettant ainsi d’expliciter le développement des interconnexions au sein de l’écosystème entrepreneurial ;

  • un apport prescriptif pour les directeurs de structure à travers l’émergence d’un modèle de gouvernance partenariale et de management des structures d’accompagnement contribuant à l’activation des liens entre acteurs de l’écosystème et de la dynamique entrepreneuriale territoriale.

La recherche repose sur l’étude des structures d’accompagnement qui ciblent des projets innovants aux risques et besoins financiers souvent élevés, mais qui mobilisent des acteurs variés. L’article montre la pertinence de l’approche par la gouvernance partenariale pour la compréhension du rôle de la structure d’accompagnement dans la dynamique de l’écosystème entrepreneurial. La gouvernance partenariale de la structure d’accompagnement l’inscrit dans un écosystème entrepreneurial qui émerge et dans lequel elle joue un rôle central via la sélection, la mobilisation et l’intégration des différentes parties prenantes. Elle contribue ainsi à développer des compétences non seulement pour le porteur de projet, mais aussi territorialement à travers la création de réseaux assurant la coordination et la valorisation des ressources territoriales. Cela favorise l’émergence d’un écosystème entrepreneurial d’autant plus dynamique que ces acteurs, forts de leurs compétences, sont des éléments déterminants dans la capacité d’absorption territoriale à des fins entrepreneuriales et dans l’accumulation de compétences entrepreneuriales au niveau local.

La dynamique de développement de ces écosystèmes entrepreneuriaux suppose la coexistence de deux formes de gouvernance interdépendantes : une gouvernance politique fondée sur une légitimité élective et une gouvernance partenariale reposant sur une légitimité d’expertise. Elles viennent structurer des écosystèmes entrepreneuriaux au sein desquels les structures d’accompagnement jouent un rôle important dans le développement des interactions et la coordination des activités entrepreneuriales. De tels écosystèmes favorables au développement de compétences entrepreneuriales sont des facteurs de compétitivité des territoires.