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Introduction

Les jeunes entreprises, notamment lorsqu’elles sont innovantes, rencontrent de nombreuses difficultés au cours de leurs premières années d’existence. En raison du manque de garantie qu’elles peuvent apporter et de leurs problèmes de trésorerie, les jeunes entreprises n’accèdent pas facilement aux ressources, en particulier aux ressources financières. Bien que le financement participatif soit encore une source de financement marginale pour les entreprises, sa croissance au cours de ces dernières années atteste de l’intérêt qu’il représente pour les jeunes entreprises (Cieply et Le Nadant, 2016 ; Lesur, 2015). Le crowdfunding, ou financement participatif de projets repose sur l’appel à la foule – crowd. Il est défini comme « une manière de permettre à des investisseurs individuels de se rassembler pour investir des petits montants » (Bruton, Khavul, Siegel, et Wright, 2015). À l’origine, le financement participatif se présente comme une alternative au financement des projets risqués, en tentant de se baser sur une forme de définanciarisation de l’évaluation des projets (Bessière et Stéphany, 2014). Cette dimension alternative intéresse les créateurs d’entreprise qui rencontrent des difficultés à lever des fonds parce que leur projet est considéré comme trop innovant ou trop complexe et donc trop risqué pour les institutions financières traditionnelles (Calmé, Onnée et Zoukoua, 2016).

Or, mis à part l’étude récente de Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018), la littérature entrepreneuriale n’a jamais comparé les performances des entreprises financées par la foule à celles financées par les autres investisseurs externes. Les données auxquelles ont accès les chercheurs sont généralement classées par guichets de financement. Cela s’explique en partie par la faible occurrence de bases de données qui comparent les différentes formes de financement des firmes. Des chercheurs en appellent donc à des travaux qui se concentreraient sur l’étude comparée de plusieurs véhicules de financement (Block, Colombo, Cumming et Vismara, 2017).

Pour répondre aux recherches compartimentées par sources de financement, nous proposons de travailler sur une base commune de jeunes entreprises innovantes (JEI) qui ont accès à différentes sources d’investissement. Cela permet donc de comparer les caractéristiques des entreprises qui ont réalisé une levée de fonds par financement participatif à celles qui n’en ont pas levé et à celles qui en ont levé par le biais d’autres investisseurs, en particulier les capitaux-risqueurs et anges d’affaires.

L’échantillon comporte 4 450 entreprises innovantes de moins de cinq ans issues du site MyFrenchStartup. L’article propose donc de mettre en évidence les caractéristiques en matière de performances des jeunes entreprises innovantes qui ont eu recours au financement participatif. Cette base de données recense, entre autres, les différentes levées de fonds et les types d’investisseurs sollicités. Trois groupes d’entreprises sont comparés : celles qui n’ont pas levé de fond, celles qui ont levé des fonds via les investisseurs autres que la foule (anges d’affaires, capitaux-risqueurs), et celles qui ont levé des fonds en financement participatif. Les résultats de l’étude mettent en évidence que les entreprises qui ont recours au financement participatif sont a priori moins attrayantes sur les critères financiers traditionnels. Elles sont plus endettées, ont moins d’actifs incorporels et ont des performances moindres en termes d’effectif (salariés) et de chiffre d’affaires que les entreprises qui lèvent des fonds auprès d’investisseurs plus traditionnels. Nous notons aussi que les montants levés sont plus faibles et que les secteurs industriels sont plus représentés.

Ce résultat intéresse tout d’abord les plateformes de financement participatif. Depuis l’Ordonnance no 2014-559[1] réglementant le financement participatif en France, ce mode de financement fait l’objet de nouveaux contrôles, ce qui contribue à les faire entrer dans le « giron des activités financières standards » (Cieply et Le Nadant, 2016). Il est donc important de connaître les caractéristiques distinctives des entreprises ayant recours à ces acteurs. Ensuite, il intéresse les jeunes entreprises qui souhaitent s’engager dans une démarche de levée de fonds et qui ne répondent pas aux critères de performance classiques requis par les investisseurs institutionnels. Enfin, l’entrepreneur est à même de situer le recours à la foule dans sa stratégie de financement.

La première partie propose une revue de littérature sur le financement de la JEI et sur les spécificités des entreprises ayant recours au financement participatif. L’analyse statistique fondée sur une régression logistique multinomiale et de la méthode d’appariement sur scores de propension, dite matching, évalue ces différences. La troisième partie présente les résultats. Enfin, la quatrième partie propose une discussion autour des caractéristiques des entreprises ayant recours au financement participatif.

1. Revue de littérature

1.1. Le recours au financement participatif par les jeunes entreprises innovantes

Les nouvelles entreprises subissent des phénomènes « de handicap à la nouveauté » (Stinchcombe, 1965). Une partie de ce handicap tient à l’absence de crédibilité des projets surtout si l’innovation est à l’origine d’un nouveau marché. En matière de financement, ce handicap implique par l’absence de données historiques comparables sur lesquels les financeurs peuvent établir leurs prévisions de revenus et de risques futurs (Bancel et Atias, 2009). Ces projets sont perçus comme fortement risqués et ne rentrent pas dans les grilles d’analyse des institutions bancaires, d’où une désincitation des apporteurs de capitaux (Hou et Robinson, 2006). Il en résulte un écart de financement en fonds propres ou « equity gap » concernant aussi bien le financement de la croissance que de l’exploitation à court terme. En effet, le financement de l’exploitation par le haut de bilan au cours des premières années permet de pallier les problèmes de trésorerie liés aux décalages entre décaissements à court terme et recettes aléatoires étalées dans le temps. Ces difficultés, bien que communes à toutes les entreprises, sont particulièrement saillantes pour les jeunes entreprises innovantes (Bernasconi et Moreau, 2003 ; François, Lafaye, Cremers et Zaoual, 2016). Certains entrepreneurs choisissent de surmonter ces difficultés en se faisant connaître par une foule de contributeurs qui, en les finançant, leur apportent une première légitimité (Frydrych, Bock, Kinder et Koeck, 2014). Néanmoins, les études portant sur le financement des JEI étant focalisées sur un mode de financement unique, les facteurs distinctifs qui influencent le recours à la foule par les JEI demeurent relativement inexplorés.

Bien que ne portant pas spécifiquement sur les JEI, seule l’étude de Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018) décrit les caractéristiques distinctives des entreprises ayant recours au financement participatif. Elle porte sur 277 entreprises du Royaume-Uni qui cherchent à se financer par equity crowdfunding entre 2012 et 2015. Les résultats montrent que les firmes qui recourent aux plateformes de financement participatif ont moins d’autofinancement, plus d’endettement et plus d’actifs incorporels. Se référant à la théorie de la hiérarchie des financements. Les auterus soulignent que les entreprises utiliseraient le financement participatif en dernier ressort, faute de pouvoir s’autofinancer ou d’accéder à des apports en capitaux et dettes (Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker, 2018 ; Bessière et Stéphany, 2014). Elles profiteraient alors des plus faibles compétences en évaluation des projets et des moindres exigences de la foule en matière de risque et de rentabilité pour limiter le coût associé à l’asymétrie d’information. Néanmoins, l’étude de Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018) ne compare pas le financement participatif à d’autres formes de financement, en particulier des financeurs experts, tels que les capitaux-risqueurs et anges d’affaires, à même de réduire l’asymétrie d’information par diligence et contrat (Levratto, Tessier et Fonrouge, 2017).

1.2. Les contours flous des entreprises ayant recours au financement participatif

La littérature suggère que les plateformes de financement participatif offrent un financement alternatif pour des entreprises, dont les caractéristiques sont différentes de celles financées par des moyens plus traditionnels. C’est en particulier le cas des porteurs de projet et des jeunes entreprises en phase d’amorçage. Via des plateformes web, les entrepreneurs présentent leurs projets ou leur entreprise auprès d’une communauté large de contributeurs en échange de contreparties préalablement définies (Onnée et Renault, 2013). Les contreparties ne sont donc pas exclusivement financières comme l’atteste la classification en quatre types communément admise : le don, la contrepartie (matérielle, en produit, en partage des bénéfices ou royalties), l’investissement (prise de participation en actions), et le prêt (Vulkan, Astebro et Sierra, 2016 ; Onnée et Renault, 2013). Quelle que soit la forme prise par la contribution, le financement participatif serait donc différent des modes de financement traditionnels que sont les banques et les fonds d’investissement. Ces différences s’expliqueraient par les spécificités des organismes de financement participatif en matière de sensibilité au risque, de motivations, de compétences et du type d’innovation des projets.

Premièrement, la sensibilité au risque des organismes de financement participatif est particulière et explique une partie des spécificités des firmes utilisant ce type de financement. Tuomi et Harrison (2017) montrent que les organismes de financement participatif sont plus jeunes et ont une sensibilité au risque plus faible que celle des anges d’affaires et cela en raison des plus petits montants investis. Ils présentent des niveaux d’engagement financier et d’implications limités. Cela pourrait expliquer pour partie le risque d’insolvabilité supérieur des entreprises ayant recours au financement participatif (Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker, 2018).

Deuxièmement, la motivation de la foule est, par nature, difficile à cerner. On ignore, apriori, si le potentiel que représente la foule en matière de financement sera activé (Renault, 2017). Pourtant, il est souvent admis que les investisseurs en financement participatif ont des exigences différentes des investisseurs traditionnels et sont prêts à substituer en partie des performances financières par des retombées non pécuniaires notamment d’ordre marketing et social. Concernant le volet marketing, l’idée est de tester des produits ou services avant d’autres et de se sentir précurseur. Cela a pour conséquence un sentiment d’appartenance à une communauté particulière de contributeurs (Onnée et Renault, 2013). Parmi les déterminants de la participation aux campagnes de financement participatif, on trouve aussi le désir de faire partie des premiers adopteurs d’une innovation (Trespeuch, Robinot et Valette-Florence, 2018). En agissant sur des plateformes en ligne relayées par leurs propres réseaux sociaux, les contributeurs font vivre ces communautés. Du reste, une importante partie des activités des plateformes consiste à animer ces regroupements de microinvestisseurs. Concernant le volet social, la foule a ainsi son mot à dire sur des causes générales bien éloignées des discours à court terme sur la performance. Les projets d’entreprises ayant recours au financement participatif utilisent le nombre pour appuyer les bénéfices sociaux ou environnementaux que peuvent présenter leur entreprise (Moss, Neubaum et Meyskens, 2015). Les investisseurs classiques ne sont que rarement intéressés par les retours sur investissements sociaux. Pour preuve, l’impact sociétal n’est pas encore mesuré dans les performances futures en finance entrepreneuriale. C’est particulièrement le cas des projets des secteurs durables qui internalisent des coûts auparavant supportés par l’ensemble de la société civile (Hockerts et Wüstenhagen, 2010). En bref, comparativement aux autres investisseurs et en raison de leur dispersion, les plateformes de financement participatif présentent une implication personnelle limitée dans l’amélioration de la performance. De même, ils ne regardent que rarement le potentiel financier des projets sur lesquels ils investissent, car leurs motivations sont autres. On remarque également un moindre temps pris à évaluer le projet et une plus faible implication dans le management ou la gouvernance que veulent avoir ces investisseurs appartenant à la foule (Tuomi et Harrison, 2017).

Troisièmement, les compétences en matière d’évaluation de projet du financement participatif sont réduites par nature. En effet, la foule représente une variété de compétences qui inclut marginalement celles de vérification raisonnable (vérification diligente ou due diligence). Les plateformes permettent à des investisseurs néophytes d’accéder à des opportunités d’affaires inédites (Belleflamme, Lambert et Schwienbacher, 2014 ; Ahlers, Cumming, Günther et Schweizer, 2015 ; Fonrouge, 2017). On peut donc dire que, même si ce type de financeur est plus jeune et plus conscientisé, il n’est pas plus compétent en matière de finance entrepreneuriale que des anges d’affaires ou des investisseurs, dont c’est le métier. Le financement participatif ne cherche pas à évaluer, mais plutôt à appuyer des projets. Pour preuve, il consacre de son temps personnel à examiner les projets et à en faire la publicité sur les réseaux sociaux. Pour Schwienbacher et Larralde (2010), « les coûts pour évaluer un projet sont faibles pour un ange investisseur ou une société de capital-risque alors qu’ils sont très forts pour un petit investisseur de plateforme… on est loin du bon sens économique lorsqu’on va passer des semaines pour un investissement qui va juste rapporter quelques jours de travail ». Les investisseurs se transforment en ambassadeurs et en premiers clients des entreprises ayant recours au financement participatif. Ces compétences relationnelles du financement participatif contribuent à la réduction des difficultés du démarrage en faisant connaître le projet, apportant à l’entrepreneur une première légitimité (Frydrych et al., 2014). En devenant le premier ambassadeur et client des projets, la foule serait impliquée dans une coconstruction de l’offre. C’est ce que l’on observe dans l’industrie du jeu vidéo (Nucciarelli et al., 2017). Plus spécifiquement, ce sont des nouvelles firmes innovantes qui s’appuient sur des premiers contributeurs qui vont jouer le rôle de relais à l’intérieur, mais aussi hors de la plateforme (Colombo, Franzoni et Rossi‐Lamastra, 2015). Donc, en s’appuyant sur des investisseurs non professionnels, les jeunes entreprises ne vont pas améliorer leur performance de court terme, mais s’offrent des voies de test de leur offre ainsi qu’une campagne de publicité à moindres frais si elle est relayée à l’extérieur de la communauté. Néanmoins cette vision de coconstruction semble battue en brèche par Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018). Selon eux, les porteurs de projet tireraient parti des compétences moindres du financement participatif pour obtenir des fonds en dépit de performances et de risques financiers inacceptables pour les financeurs traditionnels. Pour autant, la plus faible compétence de la foule en matière de financement est loin d’être aussi évidente. La foule peut être circonscrite à certains profils, comme c’est le cas sur certaines plateformes d’equity crowdfunding qui requièrent un montant minimal d’investissement, voire une syndication avec des investisseurs professionnels (Girard et Deffains-Crapsky, 2016). De même, l’émergence des conseillers en investissements participatifs (CIP) instaurés par l’Ordonnance de 2014-559 montre un retour de la financiarisation et un intérêt croissant pour les indicateurs de performances financières (Cieply et Le Nadant, 2016).

En matière d’innovation, la littérature met là aussi en évidence des résultats contradictoires. Si pour certains le financement participatif représente une alternative en raison du caractère trop innovant ou trop complexe de leur projet (Calmé, Onnée et Zoukoua, 2016), d’autres considèrent que le financement participatif permet d’appuyer des innovations plus incrémentales que radicales (Chan et Parhankangas, 2017). Pour ces derniers, dont la recherche porte sur 334 campagnes de financement participatif sur Kickstarter, « les sociofinanceurs vont moins financer des firmes très innovantes, car les bénéfices qu’ils peuvent en retirer comme consommateurs ne sont pas compréhensibles ». Les projets choisis doivent donc parler à la foule avec des descriptions claires et simples des liens entre produit et marché et une forme de tangibilité de l’offre (Bessière et Stéphany, 2014). Les projets ayant recours au financement participatif sont donc des projets moins technologiques et plus en aval de la chaîne de valeur. Globalement, il s’agit de projets plus familiers, moins incertains, à plus long terme et plus concrets (Ahlers et al., 2015). Une lecture financière apporte un éclairage différent. Les entreprises recourant au financement participatif présenteraient un degré d’innovation supérieur, mesuré par la part d’actifs incorporels au bilan (Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker, 2018). Des entreprises innovantes, mais moins matures, sont susceptibles de recourir au sociofinancement, car elles présentent moins de garanties financières et une plus forte asymétrie d’information en raison d’une part trop importante d’actifs incorporels spécifiques difficilement cessibles en cas de faillite (Guilhon et Montchaud, 2003 ; Cassar, 2004 ; Schienbacher et Larralde, 2010). Le financement participatif serait donc une première phase dans le développement de ces entreprises durant laquelle elles gagneraient en maturité en développant leur offre et en augmentant la part des actifs pouvant offrir des contreparties. Les financeurs, tels que les capitaux-risqueurs, vont adopter une stratégie patiente considérant le financement participatif comme un test avant d’appuyer ces entreprises si l’entrepreneur traverse l’épreuve de la campagne avec succès (Colombo et Shafi, 2016).

Enfin, certains auteurs soulignent que le financement participatif est un financement de dernier ressort faute de pouvoir séduire les investisseurs plus conventionnels. D’ailleurs, contrairement à une idée reçue, le recours au financement participatif n’est pas sans risque ni sans coût. Le coût relatif du capital n’est pas forcément inférieur pour les entreprises ayant recours au financement participatif, car la gestion de la foule est coûteuse (charges marketing et de communication, et charges juridiques en lien avec la gouvernance). Les plateformes prennent entre 5 et 9 % de commission (Fonrouge et Bolzani, 2019). Les investisseurs classiques estimant que les coûts de campagne auraient pu être mieux utilisés ailleurs, ils se désintéressent des firmes ayant recours au financement participatif (Agrawal, Catalini et Goldfarb, 2015). À cela s’ajoutent des phénomènes de divulgation de la nouveauté opérée dans la campagne de financement participatif qui gâchent l’effet de surprise et démotivent les investisseurs. Citant les données d’Equity Net – site qui met en lien les entrepreneurs aux États-Unis et les sources de financement – Hollas (2013) avance l’idée que le « sociofinancement permet de répondre à des entrepreneurs qui n’ont pas intéressé des fonds institutionnels et autres capitaux-risqueurs ». Cet aspect coûteux du financement participatif est un signal de moindres performances potentielles des firmes.

En dépit de ces contributions, la littérature reste vague et imprécise quant au véritable profil des entreprises ayant recours au financement participatif versus celles qui ont recours à d’autres formes de financement. À cet égard, Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018) soulignent la nécessité d’investir la question des implications du financement participatif sur la performance et la croissance des entreprises. Notre démarche s’inscrit dans cette problématique. Nous mettrons en évidence les différences, notamment en termes de performance, des JEI ayant eu recours au financement participatif de celles utilisant des financements plus traditionnels (apports initiaux et dettes) et de celles ayant été financées par levées de fonds auprès d’investisseurs tels que les anges d’affaires et capitaux-risqueurs.

2. Méthodologie

2.1. Échantillon

Notre étude porte sur un échantillon de 4 450 entreprises innovantes de moins de cinq ans révolus à la date du dernier dépôt des comptes. L’échantillon a été collecté en 2017 par le biais de plusieurs sources. Dans un premier temps, les entreprises ont été identifiées sur le site MyFrenchStartup[2]. Cette plateforme est un annuaire répertoriant des entreprises innovantes à la recherche de fonds et fournissant des services tels que la mise en visibilité, la mise en relation avec des investisseurs, le recrutement, l’analyse de marché, l’identification de concurrents, etc. Cette première collecte a permis de recenser 10 223 entreprises à la recherche de fonds et ou ayant levé des fonds ainsi que de collecter les données relatives à l’identité des entreprises (SIRET, formes juridiques, etc.), l’appartenance sectorielle, la présence de levées de fonds et les montants correspondants, la date des levées et l’identité des investisseurs. Sur la base de ce recensement, nous avons collecté en deuxième étape les données financières par le biais de l’interface Diane Bureau Van Dijk. Parmi les 10 223 entreprises listées, seules 4 508 entreprises, sans distinction d’âge, ont déposé leurs comptes sans clause de confidentialité.

Afin de comparer les caractéristiques des entreprises ayant recours à la foule l’année de la levée de fonds et grâce aux informations sur la présence et l’identité d’investisseurs, nous subdivisons notre échantillon en trois groupes mutuellement exclusifs : les entreprises de moins de cinq ans n’ayant pas levé de fonds (Groupe 0 de référence), celles ayant levé des fonds hors financement participatif (Groupe 1) et celles ayant eu recours au financement participatif[3] (Groupe 2). Le groupe 1 constitué de 747 entreprises recouvre pour l’essentiel des entreprises financées par des anges d’affaires et par des fonds d’investissement. Parmi 144 entreprises du groupe 2 (ayant recours au financement participatif) diffusées sur le site MyFrenchStartup, seules 62 ont leurs comptes sociaux disponibles sur Diane.

Tableau 1

Attrition de l’échantillon selon la source (données collectées en 2017 et 2018)

Attrition de l’échantillon selon la source (données collectées en 2017 et 2018)

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Dans le but d’accroître l’échantillon d’entreprises ayant recours au financement participatif, nous avons réalisé une collecte supplémentaire des levées avec succès sur les plateformes Anaxago et Wiseed en 2018. Sur 60 projets diffusés sur Anaxago et 141 sur Wiseed, respectivement 11 et 37 entreprises diffusent leurs comptes sur Diane et sont absentes du site MyFrenchStartup. Dix entreprises ont été exclues de l’échantillon, car appartenant simultanément aux groupes 1 et 2. Après cette deuxième phase de collecte, le groupe 2 d’entreprises ayant recours au financement participatif de moins de cinq ans, dont les informations sont suffisantes pour une analyse comparative, est de 85 individus. Le tableau 1 détaille l’attrition de l’échantillon suivant la source.

2.2. Définitions des variables et régression logistique multinomiale

Afin d’identifier les facteurs influençant le recours à la foule par les JEI l’année de la levée de fonds, nous employons un modèle de régression paramétrique multinomiale logistique présenté en équation 1. Ce modèle mesure la probabilité d’être financé soit par levée de fonds hors financement participatif, soit par financement participatif.

La variable dépendante equation: 5044560.jpg est qualitative et comporte trois modalités correspondant à trois états K caractérisant des levées de fonds : ne pas être financé ni par levées de fonds ni par la foule (Levée = non ; K = 0) correspondant au groupe de référence, avoir levé des fonds hors financement participatif (K = 1), avoir obtenu des fonds par financement participatif exclusivement (K = 2). La régression logistique multinomiale consiste ici à évaluer l’effet de chaque variable indépendante sur la probabilité de passer du groupe K=0 de référence, correspondant aux entreprises qui n’ont pas levé de fonds, au groupe K=1 d’entreprises ayant levé des fonds auprès d’investisseurs hors financement participatif ou au groupe K=2 des entreprises qui ont eu accès au financement participatif. Nous obtenons donc deux résultats de régression : les effets des variables sur la probabilité d’être financé par les investisseurs hors financement participatif d’une part (1) et sur la probabilité d’être financé par financement participatif d’autre part (2). En comparant le financement participatif à d’autres formes de financement, notamment des financeurs experts (Groupe K=1), à même de réduire l’asymétrie d’information, nous complétons le test de la hiérarchie des financements tel qu’il a été réalisé par Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018).

À l’instar de Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018), nous expliquons le recours aux différents modes de financement par l’âge, la taille de l’entreprise, le niveau d’endettement, l’appartenance sectorielle et le taux d’actifs incorporels l’année de levée des fonds. Nous mesurons l’effet de l’âge en mois sur les probabilités par les variables Âge et Âge². Ce dernier terme exprimé au carré permet d’introduire une potentielle inversion de la relation entre l’âge et la probabilité d’être financé. En d’autres termes, si traverser les premières années de vie peut accroître la probabilité d’être financé par l’une ou l’autre source, cette probabilité peut réduire passé un certain âge. La variable Effectif mesure la taille de l’entreprise par le nombre de salariés. Mesurer la taille de l’entreprise par le nombre de salariés est ancien et fréquent dans les études sur les jeunes entreprises (Delmar, Davidson et Gartner, 2003 ; Duchesneau et Gartner, 1990). La variable endet correspond au taux d’endettement évalué par ratio du total des dettes financières sur la valeur nette comptable des actifs. Plus ce ratio est élevé, plus les charges financières pèsent dans le résultat et plus le risque de défaut est important. Les informations concernant le secteur sont réduites dans la variable catégorielle binaire Sectj, dont les modalités sont j=0 pour le secteur industriel et j=1 pour l’activité de service[4]. La variable Intang correspond au taux d’actifs incorporels obtenu par ratio des brevets et dépenses de recherche et développement immobilisées sur la valeur nette comptable des immobilisations. Plus ce ratio est élevé, plus la part d’actifs incorporels dans la valeur de l’entreprise est importante proportionnellement aux immobilisations corporelles. Ce ratio peut donner lieu à deux niveaux d’interprétation. D’une part, le taux d’actifs incorporels informe sur les spécificités techniques et sectorielles de l’entreprise ; l’intensité des dépenses en immobilisations incorporelles dépendant du type d’activité, mais aussi du degré d’innovation. D’autre part, il est important de noter que les actifs incorporels étant spécifiques, ils peuvent être difficilement mis en garanties financières. Enfin, nous ajoutons la variable de performance financière return on equity (ROE). Cette variable résulte du ratio du résultat net sur le total des capitaux propres. Elle mesure le résultat net généré par euro de fonds propres investis.

2.3. Méthode d’appariement sur scores de propension, dite matching

Nous complétons notre analyse par la méthode des résultats potentiels de Rubin (1974), dite matching. Il s’agit d’évaluer la différence moyenne de chiffre d’affaires entre les entreprises des groupes 1 et 2. L’approche en matching suit deux étapes. Elle consiste d’abord à estimer pour chaque entreprise financée par la foule (Groupe 2) un pair appartenant au groupe 1 et présentant des caractéristiques semblables puis à tester si les différences moyennes de chiffre d’affaires sont généralisables. Nous établissons les pairs par l’algorithme du plus proche voisin en recourant aux critères de première levée et du montant total correspondant, d’âge, de secteur, de valeur nette comptable du total actif, de total des dettes financières, d’effectif et du taux d’actifs incorporels. Nous estimons la généralisation des différences de chiffre d’affaires observées par un test apparié en différences de moyennes (Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker, 2018 ; Bertoni, Colombo et Quas, 2015). L’apport de cette approche est de fournir une comparaison fine de la performance entre les groupes qui ont levé des fonds de sources différentes et d’accroître la robustesse de nos résultats statistiques.

3. Résultats

3.1. Statistiques descriptives

Le tableau 1 détaille les statistiques descriptives par groupe et pour l’ensemble de l’échantillon. Les comparaisons intergroupes mettent en évidence des disparités importantes en matière d’effectifs salariés, de performance financière (ROE), de proportion des actifs incorporels et de taux d’endettement. Les entreprises du groupe 1 ont des effectifs plus importants que la moyenne globale (20,27 versus 18,19), tandis que celles du groupe 2 sont de taille plus petite avec en moyenne 9,6 salariés. L’âge est pourtant homogène soit un peu moins de trois ans, quel que soit le groupe.

En matière de performance, on notera une forte hétérogénéité entre groupes. Le rendement sur fonds propres (ROE) est fortement négatif pour les entreprises ayant levé des fonds alors qu’il est positif pour les entreprises du groupe de référence. Son niveau est d’autant plus faible pour les entreprises ayant recours au financement participatif. La comparaison intergroupe du chiffre d’affaires met là encore en évidence que les entreprises ayant recours au financement participatif ont un niveau d’activité inférieur avec un chiffre d’affaires moyen de 226,3 k€ contre 2 112 k€ pour le groupe 0 de référence, alors que les entreprises qui ont levé des fonds auprès d’anges d’affaires et de banques d’investissement affichent les niveaux les plus élevés avec un montant moyen de 2 179 k€. Un comportement similaire est observé pour le taux d’endettement. Les entreprises ayant recours au financement participatif sont caractérisées par un taux moyen d’endettement – dette sur la valeur nette comptable du total des actifs – proche de la moyenne globale (56,35 % versus 55,17 %), alors que les entreprises du groupe 1 affichent le niveau d’endettement le plus faible (41,42 %).

Les résultats sont en revanche plus homogènes en ce qui concerne la part d’actifs incorporels dans le total net immobilisé et l’appartenance sectorielle. Les entreprises ayant levé des fonds, quelle que soit la source, ont des taux d’actifs incorporels supérieurs à la moyenne de +5,63 points pour les entreprises du groupe 1 et +2,84 points pour celles du groupe 2. Parmi les entreprises ayant levé des fonds, les secteurs industriels sont surreprésentés en particulier 65,63 % pour le groupe 1 contre 44,83 % pour le groupe 2. Ils ne représentent que 24,43 % des entreprises du groupe 0. Enfin, la comparaison confirme que les entreprises ayant recours au financement participatif lèvent des montants plus faibles avec un montant levé moyen de 598,73 k€ contre 2 526 k€ pour celles levant auprès d’investisseurs plus traditionnels.

Tableau 2

Caractéristiques des firmes suivant la source des financements (2017-2018)

Caractéristiques des firmes suivant la source des financements (2017-2018)

* Les écarts-types sont reportés entre parenthèses.

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3.2. Régression logistique multinomiale

Les facteurs influençant le recours à différents modes de financement sont isolés par comparaison des entreprises ayant levé des fonds auprès d’investisseurs hors financement participatif (Groupe 1) et des entreprises ayant eu recours à la foule (Groupe 2) à celles n’ayant pas levé de fonds (Groupe 0 de référence). Nous obtenons donc deux types de résultats présentés dans le tableau 3 : l’effet de chaque variable indépendante sur la 1) probabilité de passer du groupe 0 de référence au groupe 1 des entreprises ayant levé des fonds hors financement participatif, et 2) sur la probabilité de passer du groupe 0 de référence au groupe 2 des entreprises ayant recours au financement participatif. Le premier groupe de colonnes fournit les résultats pour les entreprises ayant levé des fonds auprès d’investisseurs hors financement participatif (Groupe 1) tandis que le second groupe de colonnes correspond aux résultats des entreprises ayant recours au financement participatif (Groupe 2). Dans chaque colonne, les logarithmes des coefficients (Logit.m), les erreurs-types associées entre parenthèses, les coefficients de chance, dits odds ratios sur lesquels sont basés les interprétations, et les niveaux de significativité, sont présentés. Les odds ratios permettent de comparer l’effet de chaque variable indépendante sur la chance de passer du groupe de référence K=0 aux groupes traités K=1 ou K=2. Un coefficient supérieur à 1 indique que la probabilité de passer du groupe de référence au groupe traité augmente, tandis qu’elle diminue si le coefficient est inférieur à 1. Plus le coefficient est proche de 1, plus l’effet de la variable sur la probabilité de changement est faible.

Les résultats mettent en évidence deux types de facteurs : ceux qui ne montrent que de faibles différences et ceux qui font apparaître des distinctions importantes entre les groupes. Ainsi, les différences d’âge et de performance sont ténues. Si la probabilité de levée de fonds augmente très légèrement avec l’âge pour les entreprises qui ont obtenu des levées auprès d’investisseurs hors foule, l’effet est quasi nul pour les entreprises ayant recours au financement participatif (odds ratio de 1,066 pour le groupe 1 versus 0,993 pour le groupe 2). Ces probabilités de levée diminuent légèrement quel que soit le mode de financement passé un certain âge comme l’indique le coefficient de 0,99 associé au terme quadratique Âge x Âge. L’effet de la performance financière mesurée par ROE sur la probabilité de recours à l’un ou l’autre mode de financement est là encore similaire et ne permet pas de distinguer véritablement les groupes d’entreprise (0,985 pour le groupe 1 versus 0,927 pour le groupe 2).

Des variations plus marquées sont en revanche observées entre les groupes en termes d’effectif (salariés), d’endettement, d’appartenance sectorielle et de taux d’actifs incorporels. Il apparaît que les entreprises ayant levé des fonds auprès d’investisseurs hors financement participatif ont des effectifs supérieurs au groupe de référence. Les entreprises ayant eu recours à la foule ont des effectifs sensiblement plus faibles. En matière de taux d’endettement, les différences sont extrêmement fortes. Ainsi, l’odd ratio de 0,334 associé à la variable taux d’endettement du groupe 1 nous indique que le taux d’endettement réduit considérablement la probabilité d’être financés hors financement participatif. Cela n’a cependant pas d’effet notable sur le recours au financement participatif (Groupe 2) où le coefficient est de 0,99, soit peu de différence par rapport au groupe de référence. En matière de caractéristiques sectorielles, la probabilité de levée de fonds est nettement plus faible pour les entreprises de service que de production. Cette sous-représentation des entreprises de service est observée en particulier pour les entreprises ayant eu recours au financement participatif. De même, les différences d’intensité d’innovation mesurées par le taux d’actifs incorporels sont elles aussi importantes. L’importance d’éléments incorporels dans l’actif du bilan, traduisant en particulier la présence de brevets et dépenses de recherche et développement immobilisées, accroissent fortement la probabilité de levée de fonds auprès d’investisseurs type anges d’affaires et banques d’affaires, alors que l’effet est plus faible pour les entités ayant eu recours à la foule bien que positif avec un odd ratio de 1,265.

Tableau 3

Résultats de régression logistique multinomiale

Résultats de régression logistique multinomiale

N.B. : *, **, *** désignent respectivement la significativité statiquement aux seuils de 10 %, 5 %, et 1 %.

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3.3. Matching

L’analyse du matching permet de mesurer les différences de chiffre d’affaires entre les entreprises ayant levé des fonds par la foule (groupe traité K=2) et celles qui ont eu recours à d’autres modes de levée (groupe de contrôle K=1). La méthode suit deux étapes. En première étape, un pair a été trouvé pour chacune des 85 entreprises ayant recours au financement participatif par l’algorithme du plus proche voisin. En deuxième étape, nous estimons la significativité de la différence moyenne du chiffre d’affaires entre ces pairs. La différence de moyenne s’interprète ici comme le déficit/excès moyen de chiffre d’affaires des entreprises ayant recours au financement participatif pour des niveaux de ressources et de caractéristiques donnés.

Le tableau 4 synthétise la proximité entre le groupe traité et le groupe de contrôle. Il apparaît dans la première ligne du tableau 4 que le pourcentage de rapprochement du groupe d’entreprises ayant eu recours à la foule au groupe de contrôle, c’est-à-dire de ressemblance moyenne entre pairs, est de 99,99 %. Les lignes suivantes du tableau 4 nous indiquent le degré de ressemblance pour chaque variable, compris entre 62,9 % pour l’âge et 99,93 % pour le montant levé. Le gain de rapprochement le long de la distribution normalisée (différences Quantile-Quantile, eQQ) reporté sur les colonnes 3 à 5 est là encore important, bien que des différences d’âge persistent sur les maxima.

Tableau 4

Pourcentage de rapprochement entre groupe traité et groupe de contrôle

Pourcentage de rapprochement entre groupe traité et groupe de contrôle

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Après matching, nous réalisons un test de différences de moyenne de Welch. Nous évaluons la différence moyenne entre le chiffre d’affaires des entreprises ayant levé des fonds hors foule de celles ayant eu recours à la foule. Le résultat de ce test, dont les statistiques sont reportées dans le tableau 5, met en évidence que les entreprises ayant eu recours à la foule ont un chiffre d’affaires en moyenne inférieur de 130,29 k€ toutes choses étant égales par ailleurs.

Tableau 5

Test apparié des différences de moyenne de chiffre d’affaires (N=77)[5]

Test apparié des différences de moyenne de chiffre d’affaires (N=77)5

N.B. : *, **, *** désignent respectivement la significativité statiquement aux seuils de 10 %, 5 %, et 1 %.

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4. Discussion

Les résultats de la recherche permettent d’enrichir la discussion autour des questionnements soulevés par Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018) sur la performance et les caractéristiques des entreprises ayant recours au financement participatif. Une première lecture synthétique des résultats brosse un profil a priori peu engageant des jeunes entreprises innovantes ayant recours au financement participatif en comparaison de celles qui lèvent des fonds par d’autres moyens. En effet, les résultats de la recherche montrent que les entreprises ayant recours au financement participatif sont plus petites, plus risquées en raison d’un endettement supérieur, moins performantes et dotées de moins d’actifs incorporels traduisant moins d’innovation que les entreprises ayant levé des fonds par d’autres moyens. Néanmoins, la sévérité de ce constat mérite d’être nuancée. D’abord, les entreprises ayant recours au financement participatif sont peu différentes de celles qui ne lèvent pas de fonds. Ensuite, les valeurs et les objectifs défendus par les acteurs du financement participatif expliquent en partie ces différences par rapport au groupe d’entreprises ayant levé des fonds. Qu’il s’agisse du couple performance financière-risque, mesuré par le ROE et le taux d’endettement ; ou celui portant sur l’intensité d’innovation mesurée par les actifs incorporels, les indicateurs retenus pour comparer le profil des JEI ayant levé des fonds doivent être analysés avec précaution.

Si le ROE ne permet pas de distinguer véritablement les entreprises suivant leur source de financement, les différences de performance mesurées par le chiffre d’affaires au travers du matching sont nettement plus marquées. Les entreprises ayant recours au financement participatif génèrent moins d’activité que les autres. La comparaison en termes d’employés confirme cette moindre envergure des jeunes entreprises innovantes ayant recours au financement participatif quel que soit le groupe de comparaison. Rappelons que pour les jeunes entreprises, le nombre de salariés est un indicateur important de taille et de croissance de l’entreprise (Delmar et Shane, 2003 ; Chabaud, Messeghem et Degeorge, 2015 ; Gueguen, Janssen et Giacomin, 2015).

De plus, les entreprises s’étant tournées vers le financement participatif ont en moyenne une structure financière dégradée en comparaison de celles ayant obtenu des fonds de la part d’autres financeurs tels que les banques d’investissement, les anges d’affaires, etc. Le financement participatif apparaît donc comme un recours de dernier ressort dans la mesure où les entreprises ne seraient plus en capacité de s’endetter davantage ni d’attirer d’autres investisseurs en raison du risque de défaut qu’elles encourent. Ce résultat peut s’interpréter de deux manières. La première interprétation reprend la position de Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018). Les entreprises recourant au financement participatif manipuleraient la foule en tirant avantage de son manque d’incitation à diligenter des évaluations antérieures et postérieures à l’investissement. La seconde interprétation s’appuie davantage sur les valeurs d’origine du financement participatif. Ce dernier serait une alternative pour les entreprises plus risquées ou dont les objectifs seraient plus sociétaux que purement économiques. La foule financerait donc des projets qui ne seraient pas nécessairement financés autrement, certains allant jusqu’à parler de définanciarisation (Bessière et Stéphany, 2014). La performance moindre serait donc intrinsèque à ce mode de levée de fonds. Ces valeurs alternatives et plus encore le côté définanciarisé du financement participatif sont assez largement remis en cause par l’Ordonnance no 2014-559 entrée en vigueur au 1er octobre 2014 qui tend vers une financiarisation et une professionnalisation accrue des plateformes et des intermédiaires associés. Cette tendance serait également à mettre en regard des différentes formes de financement participatif et notamment de l’equity crowdfunding. Cette forme de financement participatif, qui se rapproche très fortement des anges d’affaires, tend à se développer et à se professionnaliser, et donc à s’éloigner de ses idéaux initiaux. Considérer le financement participatif comme un bloc uniforme a donc des limites. Enfin, les données historiques disponibles demeurent encore insuffisantes pour juger de l’évolution des critères d’obtention des fonds par financement participatif et par extension de la réduction de la prédation des entreprises sur la foule. Une étude longitudinale comparant les entreprises qui ont eu recours au financement participatif avant 2014 et celles qui y ont eu recours après 2014 permettrait de tracer et de comparer le profil des entreprises. Une telle étude serait à même de montrer si la régulation et le retour à des critères plus traditionnels utilisés par les apporteurs de fonds rapprochent la situation des entreprises ayant recours au financement participatif des autres. En outre, une analyse plus qualitative avant et après la levée de fonds par financement participatif permettrait d’identifier l’usage effectif des fonds (pour restructurer le capital ou se développer).

Concernant le niveau d’innovation, il est nécessaire de rappeler que toutes les entreprises de l’échantillon répondent aux critères d’entreprises innovantes dans la mesure où elles engagent des dépenses de R&D et brevet supérieures à 15 % de l’actif immobilisé. La plus faible part des actifs incorporels des entreprises ayant recours au financement participatif plaide pour des projets d’innovation incrémentale et de moindre envergure (Chan et Parhankangas, 2017 ; Bessière et Stéphany, 2014 ; Ahlers et al., 2015). Ce constat, à l’encontre de l’étude empirique de Calmé, Onnée et Zoukoua (2016) et Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018), mérite cependant d’être nuancé en raison des interprétations multiples à laquelle le taux d’actifs incorporels peut donner lieu. Ainsi Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018) indiquent qu’au-delà de l’intensité d’innovation, la part importante d’actifs incorporels dans le bilan de l’entreprise traduit une asymétrie d’information supérieure liée aux difficultés d’évaluation du projet et de moindres garanties financières. En d’autres termes, les actifs incorporels étant difficilement évaluables et cessibles, car spécifiques, ils accroissent le risque du projet. Néanmoins, le rappel des règles comptables qui régissent l’enregistrement des dépenses de recherche et développement au bilan et qui constituent notre mesure d’actifs incorporels remet partiellement en cause l’interprétation faite par Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018). En vertu de l’article 311-3 du Plan Comptable Général (PCG) et de la norme comptable internationale International Accounting Standards (IAS) 38, les conditions autorisant l’enregistrement des dépenses de R&D au bilan sont restrictives[6]. Si l’une de ces conditions n’est pas respectée, les dépenses de R&D ne peuvent figurer au bilan. Ces règles, très restrictives, impliquent donc que l’innovation soit déjà à un stade de développement avancé et surtout que les ressources, notamment financières, soient disponibles. En conséquence, nous défendons au contraire de Walthoof-Borm, Schwienbacher et Vanacker (2018) que même si détenir une part importante d’actifs incorporels est source de risque, cela traduit la présence d’actifs spécifiques sources d’avantages compétitifs. Il est probable que les projets plus audacieux, complexes et dont les innovations sont moins abouties, ne remplissent pas les conditions d’inscription au bilan des dépenses de R&D. Il en résulte que dans ces cas, le financement participatif assure son rôle de financement alternatif (Calmé, Onnée et Zoukoua, 2016). De plus, la part supérieure d’actifs incorporels chez les entreprises financées par des capitaux-risqueurs et anges d’affaires traduit une meilleure efficacité dans l’allocation des dépenses de R&D comme le mettent en évidence Guilhon et Montchaud (2003).

Conclusion

Notre article étudie les caractéristiques distinctives des jeunes entreprises innovantes ayant recours au financement participatif. Si le financement participatif connaît aujourd’hui un essor considérable, la littérature relative aux caractéristiques spécifiques des entreprises qui y recourent demeure vague et imprécise. Pourtant, cette connaissance représente un enjeu réel aussi bien pour les plateformes que pour les entreprises désireuses d’y accéder en particulier dans le contexte de « refinanciarisation » du financement participatif amorcé par l’Ordonnance no 2014-559. Notre contribution réside dans l’étude comparée des déterminants du recours au financement participatif ou à d’autres modes de levée spécifiques aux jeunes entreprises innovantes.

Sur la base d’un échantillon de 4 450 entreprises innovantes de moins de cinq ans à la recherche de fonds ou ayant levé des fonds, nous proposons de comparer trois groupes d’entreprises : 1) des entreprises à la recherche de fonds, 2) des entreprises qui ont levé des fonds auprès d’investisseurs tels que les capitaux-risqueurs et anges d’affaires et 3) les entreprises ayant recours au financement participatif. Nous menons deux niveaux de comparaison sur la base de critères financiers. Le premier niveau compare les entreprises ayant recours au financement participatif et celles qui ont levé des fonds par d’autres sources à celles qui n’ont pas levé de fonds par le biais d’une régression logistique multinomiale. La seconde compare les différences de chiffre d’affaires après matching entre les entreprises ayant recours au financement participatif et celles ayant levé des fonds auprès d’investisseurs tels que les anges d’affaires et capitaux-risqueurs.

Les résultats de l’étude mettent en évidence que les entreprises qui ont recours au financement participatif sont a priori moins attrayantes sur les critères financiers traditionnels. Elles sont plus endettées, ont moins d’actifs incorporels et ont des performances moindres en termes d’effectif (salariés) et de chiffre d’affaires que les entreprises qui lèvent des fonds auprès d’investisseurs plus traditionnels. Nous notons aussi que les montants levés sont plus faibles et que les secteurs industriels sont plus représentés. En dépit de ce constat, il est important de rappeler que le financement participatif se présente comme une alternative aux financements traditionnels et octroie des fonds à des projets qui ne verraient peut-être pas le jour autrement. Néanmoins, notre étude ne permet pas de confirmer cet attribut associé au financement participatif. Des analyses plus qualitatives portant sur la qualité des innovations et des projets apporteraient des critères d’appréciation complémentaires qui permettraient de confirmer ou d’infirmer le caractère véritablement alternatif du financement participatif. De même, des analyses longitudinales sur la situation financière avant et après obtention des financements permettraient de lever le voile sur l’usage des fonds et le comportement potentiellement prédateur de certaines entreprises sur la foule. Cela favoriserait en outre l’établissement une taxinomie des entreprises recourant au financement participatif.