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Présentation

L’ouvrage fait suite aux États généraux de la recherche-création organisés du 22 au 24 mai 2016 à la Faculté de musique de l’Université Laval. Une quinzaine de chercheurs-créateurs et de gestionnaires de la recherche-création eurent l’occasion de partager leurs réflexions sur les grands enjeux de la recherche-création en milieu universitaire. L’ouvrage compte neuf chapitres regroupés en quatre parties. Ces textes prolongent les réflexions de 2016 puisqu’un temps de maturation et l’exercice d’écriture ont permis de porter un regard réflexif sur les échanges.

La première partie traite de recherche-création comme approche de recherche. Sophie Stévance, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en recherche-création en musique de l’Université Laval, propose dans le chapitre 1 d’identifier les enjeux d’une conduite responsable en recherche-création. Son modèle, qu’elle présente avec l’acronyme RADAR, propose: 1) de responsabiliser les acteurs concernés; 2) d’adapter l’évaluation à une vision renouvelée de la recherche-création; 3) de développer les outils éthiques pour la formation; 4) de les appliquer à des projets proposant une approche de recherche-création où toutes les contributions seraient reconnues. Dans le chapitre 2, Alain Findeli, professeur honoraire en design de l’Université de Montréal et professeur émérite de l’Université de Nîmes, retrace le parcours du concept de recherche-projet en design avant de proposer les paramètres de son transfert dans le domaine des arts. Il s’interroge à savoir si le design (ou les arts) est une discipline universitaire, sur la nature de son objet théorique et sur la recherche dans ce domaine. Dans le chapitre 3 (en anglais), Andrew McNamara, professeur à la Faculté des industries créatives de l’Université Queensland de technologie d’Australie, invite à partir de son expérience à s’intéresser à l’asymétrie de la recherche et de la création dans la recherche-création.

La deuxième partie du livre porte sur le thème de l’intersection de la recherche, de l’innovation et de la création et elle propose, dans le seul chapitre 4 (en anglais), un texte de Nathalie S. Loveless, artiste conceptuelle et professeure d’histoire de l’art contemporain au Département d’art et de design de l’Université de l’Alberta. Elle est d’avis que l’institutionnalisation de la recherche-création est une des plus intéressantes provocations interdisciplinaires observées dans les universités canadiennes. Elle rend compte du rôle de l’affect dans la reconfiguration des finalités et des méthodes de sa propre pratique de recherche-création.

La troisième partie du livre considère la recherche-création sous l’angle de la collaboration et elle donne la parole à des étudiants de cycles supérieurs de l’Université Laval, dirigés par Sophie Stévance. Dans le chapitre 5, Martin Desjardins, étudiant au doctorat en musicologie/recherche-création, témoigne de son expérience à travers le prisme de la circulation d’états dans une recherche-création centrée sur le projet. Au chapitre 6, Michaël Garancher, étudiant de maîtrise en musicologie, met en relief les conditions normatives sur lesquelles reposent les processus décisionnels et performatifs, en s’intéressant plus spécifiquement au concept de légitimité.

La quatrième partie du livre témoigne de la pratique de la recherche-création dans quelques établissements universitaires. Pierre-Luc Landry signe le chapitre 7 présentant ses réflexions situées et engagées sur la recherche-création et sur son financement à l’université. Il est auteur de romans et professeur au Département d’études françaises du Collège militaire royal du Canada. Dans le chapitre 8, Christine Esclapez, professeure au Département de musicologie de l’Université Aix-Marseille, dresse un état des lieux de la situation en France en ce qui a trait aux zones de conversation entre la recherche et la création. Au chapitre 9, Ariane Couture, conseillère en développement de la recherche à l’Université Laval, expose les enjeux et les pratiques de son université en lien avec le soutien institutionnel à la recherche-création.

Un bref épilogue (en anglais), proposé par Serge Lacasse, professeur de musicologie à la Faculté de musique de l’Université Laval, conclut le livre. Il rend compte grâce à des points de forme et à un diagramme de Venn des points de convergence des contributions des auteurs de l’ouvrage.

Point de vue

Cet ouvrage ne s’adresse pas à toutes les personnes intéressées à la recherche-création, mais plutôt à celles concernées par la pratique et par la gestion de la recherche-création en milieu universitaire. Les enjeux sont épistémologiques, scientifiques et méthodologiques, mais aussi éthiques, politiques et de gestion. Les professeurs et les étudiants concernés par la recherche-création en milieu universitaire ainsi que les gestionnaires de la recherche à l’université et dans les organismes subventionnaires pourraient trouver grand profit de la lecture de cet ouvrage. Il n’apporte pas toutes les réponses, mais il met en jeu les questions qu’il est utile de se poser lors de la planification, de la réalisation et de l’évaluation des oeuvres associées à la recherche-création en milieu universitaire.

Il existe une grande variété de manières légitimes de définir la recherche-création. Il est souhaitable qu’il en soit ainsi puisqu’il est question de création: une définition trop restrictive pourrait miner la créativité des individus et des groupes concernés. En outre, afin d’inscrire la recherche-création dans un cadre institutionnel comme celui de l’université (qui conduit à une certification consacrée par l’octroi d’un diplôme ou d’un grade), afin de l’institutionnaliser, certaines normes doivent être mises en jeu. Cela s’impose aussi sur le plan du financement de la recherche-création en milieu universitaire, pour des raisons éthiques: ces normes permettent de discriminer ce qui est commun de ce qui exceptionnel, permettant de rendre justice à ceux et celles qui se démarquent, qui sont particulièrement talentueux et créatifs. La mise en jeu de ces normes se heurte à l’hétérogénéité des domaines et des objets de la recherche-création: musique, théâtre, écrits littéraires, mais aussi sculpture, danse, voire design et architecture, entre autres.

En filigrane de l’ouvrage se dessine une définition pragmatique de la recherche-création, proposée antérieurement par les deux professeurs qui ont dirigé l’ouvrage et qui est reprise dans le texte de Pierre-Luc Landry: «La recherche-création se caractérise par: un processus double de recherche scientifique et de création artistique; une entreprise double de diffusion des résultats de la recherche et de la réalisation artistique; une attention portée sur le projet de recherche-création, et non sur les individus; la nécessité, dans la plupart des projets, d’une collaboration entre chercheurs, créateurs ou chercheurs-créateurs» (Sophie Stévance et Serge Lacasse [2013]. Les enjeux de la recherche-création en musique [p. 123]. Québec, Presses de l’Université Laval).

Les neuf textes proposés dans l’ouvrage sont pertinents, mais trois se démarquent. Celui de Sophie Stévance (chapitre 1) campe bien l’enjeu de la conduite responsable en recherche-création grâce au modèle RADAR qu’elle utilise. Alain Findeli (chapitre 2) retrace de manière admirable le concept de recherche-projet grâce à des questions génériques et au transfert depuis le design jusqu’aux arts qu’il propose. Pierre-Luc Landry (chapitre 7) pose les premiers jalons d’un travail de recherche portant sur les définitions et les modalités de la recherche-création.

À notre avis, il manque à cet ouvrage deux contributions qui auraient permis de pousser plus loin la réflexion, dans une perspective savante, mais aussi sur le plan de la définition de meilleures politiques de soutien financier à la recherche-création en milieu universitaire. La première consisterait à systématiser le travail exploratoire amorcé par Pierre-Luc Landry afin de repérer, de caractériser et de catégoriser les définitions de ce que sont la recherche-création et les méthodes qui y correspondent, cela afin d’éclairer les dimensions épistémologiques, scientifiques et méthodologiques du phénomène. Pour ce faire, un questionnement comme celui qu’Alain Findeli propose (chapitre 2) pourrait s’avérer porteur: il y va de questions d’ordre épistémologique, méthodologique, critériologique, praxéologique, axiologique, éthique, communicationnelle et éthique pour appréhender l’objet. La seconde contribution pourrait présenter les résultats d’une recherche évaluative des formes de soutien financier à la recherche-création en contexte universitaire au Canada. Quelles sont les définitions de la recherche-création retenues par le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des arts du Canada, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et le Fonds de recherche Société et culture du Québec? Comment sont-elles traduites dans les programmes de subvention? Comment les ressources financières sont-elles distribuées? Comment ces programmes ont-ils été accueillis par les chercheurs-créateurs? Quels en ont été les impacts déclarés?

Dans l’ouvrage, l’évènement qui a permis sa production était qualifié de première édition des États généraux de la recherche-création. Il est donc probable que d’autres évènements comparables soient organisés dans le futur, pour mieux rendre compte de la complexité du phénomène de la recherche-création en milieu universitaire, et pour bonifier les politiques de soutien financier à la recherche-création. Dans cette perspective, le livre dont il est ici question serait le jalon d’une démarche plus globale.