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INTRODUCTION

Le mal-être chez les enseignants est un phénomène décrit dans plusieurs pays, tels que le Canada, l’Espagne, la Nouvelle-Zélande, le Brésil, l’Angleterre et l’Italie (Buzzy Rausch et Dubielle, 2013; De Pablos-Pons, Colás-Bravo, González-Ramírez et Camacho Martínez-Vara del Rey, 2013; Gozzoli, Frascaroli et D’Angelo, 2015; Maranda, Marché-Paillé et Viviers, 2011; Parker, Andrew, Colmar et Gregory, 2012). Par mal-être, nous entendons, par exemple, le stress vécu, la détresse psychologique, la dépression et le nombre de cas élevés d’épuisement professionnel représentés chez les enseignants. Maranda et al. (2014) soutiennent que plus de 50 % des absences du personnel scolaire seraient dues à des troubles psychologiques pouvant être liés au stress chronique induit par le travail.

Dans une perspective organisationnelle, la littérature abonde sur les différents éléments ayant une influence sur le bien-être au travail. En s’appuyant sur les six dimensions du bien-être psychologique élaboré par Ryff et Singer (2008), Oades et Dulagil (2017) recensent plus de 40 construits à des niveaux individuels, groupaux ou organisationnels qui pourraient faire varier le niveau de bien-être des individus. Autant dans la littérature commune au domaine du travail (Oades et Dulagil, 2017) que dans la littérature spécifique à l’enseignement, le soutien social est l’un des facteurs les plus fréquemment cités pour son apport positif (Curchod-Ruedi et Doudin, 2012). Toutefois, certaines clarifications, autant conceptuelles qu’empiriques, doivent toujours être effectuées pour mieux comprendre comment favoriser le soutien social au sein du corps enseignant. En cohérence avec l’état des faits, nous présenterons dans ce texte la perception d’enseignants ayant participé à une activité collective visant le développement de leur bien-être psychologique au travail, et ce, en ayant un regard particulier sur le soutien social.

PROBLÉMATIQUE

Sous ce titre, nous abordons l’enjeu social décrit en introduction dans un contexte plus global. D’un côté, nous abordons comment le mal-être peut engendrer des répercussions sur le travail des enseignants et, dans une perspective psychopédagogique, avoir une influence sur le contexte d’apprentissage des élèves. Plusieurs éléments issus de l’environnement de travail dans lequel évolue l’enseignant peuvent également être déterminants dans la compréhension du mal-être ou du bien-être au travail chez les enseignants.

Le mal-être des enseignants et ses conséquences sur la vie en classe

Alors que le mal-être vécu par certains enseignants peut engendrer de sérieuses conséquences sur leur santé mentale et physique (Maranda, Viviers et Deslauriers, 2014; Nisbet, 1999; Stephens et Joubert, 2001), cet état peut également avoir des répercussions en classe sur la relation avec les élèves et dans l’implication de ces travailleurs dans l’exécution de leur tâche (Jennings, 2015). D’une part, certains auteurs expliquent ces effets de l’épuisement professionnel des enseignants en s’appuyant sur les symptômes possiblement associés à cette condition. Par exemple, dans leurs travaux, Doudin, Curchod-Ruedi et Moreau (2011; Curchod-Ruedi, Doudin et Baumberger, 2011), abordent l’aspect de la déshumanisation de la relation, associée à l’épuisement professionnel, et qui peut entraîner des relations sociales parfois froides, cyniques et même violentes. Toujours selon ces auteurs, celles-ci pourraient d’ailleurs avoir une incidence sur les progrès scolaires et sociaux des élèves. L’effet du mal-être des enseignants sur la relation élève-enseignant est également appuyé par Hamre and Pianta (2005) qui expliquent plutôt ce lien par l’état sous-optimal dans lequel les enseignants dépressifs effectuent leur travail. Cet état pourrait également avoir des répercussions plus importantes pour les enfants qui ont des caractéristiques particulières comme les troubles de comportement (Jennings, 2015) ou encore des troubles de santé mentale (Sisask et al., 2014). Ainsi, d’un point de vue humain pour les enseignants en souffrance, mais également d’un point de vue psychopédagogique, il est pertinent de s’interroger sur ces enjeux.

L’environnement scolaire et le bien-être au travail chez les enseignants

Les caractéristiques de l’environnement de travail peuvent avoir une influence sur le développement du bien-être au travail chez les enseignants (Aelterman, Engels, Van Petegem et Verhaeghe, 2007; Gozzoli, Frascaroli et D’Angelo, 2015; Price et McCallum, 2015). À ce sujet, plusieurs recherches (p. ex. Aelterman et al., 2007; Gozzoli et al., 2015) ont été menées en vue de mieux comprendre l’influence des caractéristiques individuelles, des relations sociales et des particularités associées au contexte scolaire (l’organisation) sur le bien-être des enseignants, d’autres ont plutôt mis en perspective le bien-être des enseignants et celui des élèves (Roffey, 2012). Tandis que l’établissement de travail peut moduler les tâches attendues chez les enseignants (Maranda et al., 2014), les classes à vocations particulières peuvent également entraîner d’autres types de défis et d’enjeux associés aux besoins des élèves.

Les données présentées dans cet article ont été collectées auprès d’enseignants de classes d’accueil[2]. En lien avec les différences relatives au contexte de travail, ces enseignants peuvent, d’un côté, être confrontés aux répercussions liées aux expériences difficiles d’intégration ou aux suites de parcours migratoires complexes que peuvent avoir vécues certains élèves avant d’arriver dans leurs classes (MacNevin, 2012; Papazian-Zohrabian et al., 2018; Kanouté, Lavoie, Hassani et Charette, 2016). Dans cette situation, les enseignants peuvent avoir le sentiment de ne pas être suffisamment formés pour répondre de façon adéquate aux besoins des enfants (Gagné, Al-Hashimi, Little, Lowen et Sidhu, 2018; McNeely et al., 2017) et vivre davantage de stress (McNeely et al., 2017).

Dans ces classes, en plus des caractéristiques des élèves pouvant entraîner d’autres défis pédagogiques (p. ex., les âges différents, les différences relatives à l’expérience scolaire et aux acquis relatifs aux matières vues en classe), certains enseignants sentent une scission entre les classes suivant le cursus régulier et les classes accueillant les élèves nouvellement arrivés (Obondo, Lahdenperä et Sandevärn, 2016). L’un des enseignants participant à la recherche d’Obondo et ses collaborateurs (2016) utilise l’expression « une école dans une école » pour qualifier la séparation physique et le sentiment d’exclusion des élèves et enseignants des classes accueillant les élèves nouvellement arrivés face aux autres classes de l’école.

Le bien-être au travail chez les enseignants a été étudié dans plusieurs contextes, toutefois, très peu d’écrits s’intéressant spécifiquement aux classes d’accueil ont été publiés. En revanche, en considérant les enjeux spécifiques vécus par ces enseignants oeuvrant avec les élèves nouvellement arrivés, il est pertinent de s’interroger sur les éléments de leur contexte d’exercice pouvant avoir une influence sur leur état.

Entre le soutien social et le bien-être au travail

Un bon nombre de recherches ont été menées pour mieux comprendre les facteurs ayant une influence sur le bien-être au travail chez les enseignants. Nous pensons notamment aux travaux de Lam (2019), Duroisin et Goyette (2018) et Théorêt et Leroux (2014). Cependant, à l’instar des recherches publiées dans le domaine du travail et des organisations, compte tenu de la variabilité dans la définition du bien-être et de ses concepts associés, il devient parfois difficile de cerner le phénomène qui est effectivement influencé par les facteurs présentés. Ces difficultés sont d’ailleurs nommées par Boyer et Voyer (2001) dans une perspective générale et par Dagenais-Desmarais (2010) de façon plus spécifique au travail.

Albanese, Fiorilli, Gabola, Zorzi et Doudin (2011), comme plusieurs autres auteurs, soutiennent que bon nombre de facteurs ayant une influence sur le bien-être sont associés à l’individu (p. ex. formations suivies, années d’expérience, représentations de la profession), mais que le contexte social dans lequel l’enseignant évolue est d’une grande importance. Ce contexte peut d’ailleurs permettre à l’enseignant de solliciter les ressources nécessaires s’il en ressent le besoin. Le soutien social est à la fois l’un des facteurs les plus fréquemment associés à la réduction de l’épuisement professionnel chez les enseignants et au développement du bien-être (Bermejo-Toro, Hernández-Franco et Prieto-Ursúa, 2013; Curchod-Ruedi et Doudin, 2015; Liu, Lin et Cai, 2016). Les études liant le soutien social au bien-être ont été menées tant dans les populations générales, que chez les travailleurs comme les enseignants. Toutefois, nous partageons les conclusions de Curchod-Ruedi et Doudin (2012, p. 240) qui soulignent que « L’importance du soutien social à l’école est fréquemment évoquée sans que la complexité de ce qu’il suppose ne soit prise en compte ».

Malgré la multiplicité de définitions et de dimensions associées au soutien social dans la littérature, quelques composantes de ce concept semblent principalement associées à un apport positif sur la santé psychosociale des individus. Néanmoins, les études actuelles tentent toujours de mieux décrire les composantes du soutien social et d’en décrire leur effet (Caron et Guay, 2005; Feeney et Collins, 2015). En éducation, par exemple, Curchod-Ruedi et Doudin (2012) soutiennent que l’évaluation positive du soutien social reçu[3] serait l’une des composantes ayant un effet protecteur sur l’épuisement professionnel. Ces auteurs soulignent toutefois que même si les individus, et dans ce cas les enseignants, reçoivent du soutien social, mais qu’ils ne le considèrent pas comme tel, cela n’aura pas les mêmes effets bénéfiques. En ce sens, ces mêmes auteurs rapportent que les enseignants ayant un sentiment de compétence plus faible ou encore étant en situation d’épuisement professionnel pourraient moins percevoir le soutien social qui leur serait destiné. Ces spécificités sont donc à prendre en considération dans l’étude de ce concept.

Dans une perspective de développement du bien-être, il est possible de mettre sur pied des activités entre collègues aidant les participants à briser l’isolement, créer un réseau entre les enseignants et concrétiser le soutien social (Lafortune, Lafortune et Marion, 2011). Les activités collectives orientées vers l’analyse de pratiques, les réflexions et le partage de connaissances ainsi que la formation continue sont considérés comme efficaces afin de gérer le stress vécu par les enseignants, mais également profitable pour le développement de leur bien-être (Lafortune et al., 2011; Rae, Cowell et Field, 2017; Rothenbühler, 2011; Simões et Alarcão, 2014). En ce sens, à la suite d’une revue de la littérature portant sur l’analyse de pratiques entre enseignants, Lafortune et al. (2011) proposent cinq éléments à considérer pour la création d’une activité pouvant maintenir ses qualités positives sur les enseignants : (1) le temps doit être suffisant pour que les participants puissent créer des liens sécurisants avec leur environnement et ainsi se sentir assez libres pour s’exprimer; (2) le cadre doit limiter les jugements de valeur et les idées préconçues pour privilégier les jugements professionnels; (3) un accompagnement doit être effectué par une personne qui recentre le groupe sur les objectifs fixés et qui maintient les limites préalablement établies pour le groupe; (4) il faut encourager l’analyse de pratique, qui permet aux enseignants de relater des moments de bien-être ou de mal-être, mais également de relativiser leur vécu, (5) les auteurs ajoutent finalement que la profession enseignante doit être valorisée.

En cohérence avec les éléments présentés précédemment, l’objectif de cet article est de présenter les retombées d’une activité collective visant le bien-être offerte aux enseignants, en posant un regard particulier sur le soutien social.

CADRE DE RÉFÉRENCE

Pour répondre à notre objectif général de recherche et en considérant la problématique particulière à l’enseignement aux élèves nouvellement arrivés, comme écrit précédemment, nous mettons en relation le bien-être psychologique au travail et le soutien social dans une perspective écologique de souligner l’influence de l’environnement.

Bien-être psychologique au travail

Les définitions du bien-être sont très hétérogènes dans les différentes études abordant ce concept en contexte de travail (Creusier, 2013; Dagenais-Desmarais, 2010). La disparité entre celles-ci est tantôt attribuable au contexte dans lequel la définition est utilisée, tantôt relative à la tradition de recherche qui est sous-jacente. En ce sens, certains chercheurs sont d’avis que le bien-être au travail est différent et qu’il doit être abordé sous un angle particulier (Dagenais-Desmarais, 2010; Warr, 2003). Par exemple, Harter, Schmidt et Keyes (2003) concluent que les conceptions générales du bien-être sont parfois trop larges et ne conviennent pas au vécu de gestionnaires ou d’employés. D’autres scindent plutôt la littérature sur le bien-être en deux principales traditions distinctes, soit l’hédonisme, où le bien-être hédonique est atteint lorsque les facteurs positifs sont plus nombreux que les négatifs (Diener, Emmons, Larsen et Griffin, 1985) et l’eudémonisme, où le bien-être se développe par une démarche engagée de croissance personnelle (Waterman et Kroger, 1993). Ces deux conceptions entraînent, entre autres, des particularités épistémologiques, théoriques et méthodologiques (Creusier, 2013; Laguardia et Ryan, 2000; Ryff, 1989).

Notre recherche s’appuie sur la définition élaborée par Dagenais-Desmarais (2010). Celle-ci conçoit le bien-être psychologique au travail comme « une expérience subjective de nature positive, à connotation principalement eudémonique, qui se construit tant à travers soi-même qu’à travers ses relations interpersonnelles au travail et l’interaction avec l’organisation » (Dagenais-Desmarais, 2010, p.167). Cinq dimensions lui sont associées : (1) l’adéquation interpersonnelle au travail; (2) l’épanouissement dans le travail; (3) le sentiment de compétence au travail; (4) la reconnaissance au travail et (5) la volonté d’engagement au travail (Dagenais-Desmarais et Privé, 2010). À l’instar de Klusmann, Kunter, Trautwein, Lüdtke et Baumert (2008), Soini, Pyhältö et Pietarinen (2010) ou encore d’Aelterman et ses collègues (2007), nous privilégions une définition du bien-être au travail qui prend en considération les caractéristiques du travail enseignant. À l’exemple de Soini et al. (2010), nous prenons en considération le contexte social complexe de l’enseignant, qui ne comprend pas seulement les collègues de travail, mais qui englobe plutôt les relations qu’il entretient avec les élèves et leurs parents, les autres enseignants, les professionnels, la direction scolaire et tous les autres acteurs scolaires ou parascolaires. Nous considérons également toutes les caractéristiques propres à l’enseignement, comme les tâches assumées, le contexte d’exercice ou encore les politiques ministérielles teintant l’expérience de travail.

Soutien social

Au même titre que le bien-être psychologique au travail, la définition du soutien social est non consensuelle dans la littérature. Alors que plusieurs s’entendent sur le caractère multidimensionnel de ce concept (Lam, 2019), il est parfois perçu comme une information (Cobb, 1976), une action (Barrera, 1986), une transaction interpersonnelle (House, 1981) ou un processus interpersonnel (Caron et Guay, 2005; Feeney et Collins, 2015; Finfgeld-Connett, 2005).

En ce qui concerne cet article, nous nous appuyons sur la définition de Vaux (1990), qui définit le soutien social comme « un processus transactionnel complexe impliquant une relation interactive entre l’individu et son réseau de soutien » (traduction libre, Vaux, 1988, p. 28-29) : « Il est un métaconstruit qui inclut trois composantes conceptuelles, soient les ressources du réseau de soutien, les comportements de soutien et l’évaluation subjective du soutien » (traduction libre, Vaux, 1990, p. 508). Les ressources du réseau de soutien font référence aux relations qui apportent ou qui pourraient apporter un soutien à l’individu pour atteindre des buts ou gérer des demandes de l’environnement (Vaux, 1990). Vaux (1988) propose cinq principales caractéristiques des ressources du réseau : la taille (le nombre d’individus composant le réseau), la densité (les liens entre les membres du réseau), la diversité (la nature du soutien que peuvent donner les membres du réseau), la qualité des liens (la proximité entre l’individu et les membres composant son réseau de soutien) et la composition du réseau (les titres et les rôles des individus composant le réseau, par exemple frère, collègue de travail, etc.). Les comportements de soutien, à la différence des ressources du réseau, qualifient les actes de soutien qui sont effectivement donnés d’une personne à l’autre. L’évaluation subjective du soutien, quant à elle, est associée à l’évaluation par l’individu des ressources disponibles dans son réseau ou encore à l’évaluation des comportements de soutien qui lui étaient destinés (Vaux, 1988).

Cette conception du soutien social, en plus de prendre en considération les trois principales dimensions représentées dans la littérature, situe ce concept dans une perspective écologique. Vaux (1990) souligne l’apport de l’écologie, soit du contexte (facteurs de stress, les rôles sociaux disponibles, le contexte et les caractéristiques du réseau), dans lequel il est mis en oeuvre, mais aussi des caractéristiques de la personne.

Modèle processus-personne-contexte-temps

Les particularités de l’environnement de travail des enseignants peuvent avoir une influence sur la relation entre le bien-être psychologique au travail et le soutien social. Par exemple, Burke et Greenglass (1996), qui, après avoir obtenu des résultats qui ne liaient pas le soutien social au bien-être (au contraire de la majorité des études), ont émis l’hypothèse que le stress « chronique » des enseignants peut avoir une influence sur certains facteurs favorisant le développement du bien-être au travail, tel que le soutien social. Vaux (1990), dans une compréhension écologique du soutien social, souligne que la culture, les opportunités d’interactions sociales, les demandes environnementales et les situations stressantes vécues peuvent avoir une influence sur les relations entre les individus. Cet auteur souligne également l’importance du contexte temporel dans lequel le soutien social est actif, car les ressources du réseau, les comportements de soutien et l’évaluation subjective du soutien ne constituent pas des caractéristiques statiques de l’individu. Toutefois, le modèle écologique suggéré par Vaux (1988) est centré sur les relations entre les différentes composantes du soutien social et ne différencie pas les sources de facteurs externes pouvant avoir une influence sur les comportements de soutien. Par conséquent, nous employons le modèle développemental processus-personne-contexte-temps (PPCT) élaboré par Bronfenbrenner et Morris (1998) qui situe l’individu dans son contexte de développement.

De façon détaillée, selon Bronfenbrenner et Morris (1998), le modèle PPCT permet de concevoir la relation bidirectionnelle entre l’individu et son environnement sous les processus. La composante personne représente toutes les caractéristiques individuelles de l’individu. L’environnement dans lequel l’individu évolue est représenté par le contexte qui se scinde en quatre systèmes (microsystème, mésosystème, exosystème, macrosystème). Finalement, le temps fait référence à toutes les unités temporelles, qu’il s’agisse de l’époque, de l’année ou de l’âge chronologique de l’individu. Plus précisément dans cette recherche, nous avons étudié le soutien social comme un processus et le bien-être psychologique au travail sous la composante personne. L’activité collective offerte aux enseignants, quant à elle, se situe dans le contexte et plus particulièrement le microsystème, système où l’individu a des relations directes avec son environnement (Bronfenbrenner et Morris, 1998). Finalement, le temps fait référence à la durée de l’activité collective qui a été offerte aux enseignants. Nous y reviendrons ultérieurement.

À la lumière de ces précisions conceptuelles, nous étudierons, dans cet article, les perceptions des enseignants quant aux cinq dimensions du bien-être psychologique au travail et aux trois dimensions du soutien social après avoir participé à une activité collective, et cela dans une perspective systémique.

MÉTHODOLOGIE

Une activité collective, ayant comme objectif de développer le bien-être au travail, a été offerte aux enseignants d’un département d’accueil d’une école secondaire de la région du Grand Montréal de janvier à juin 2018. L’évaluation de cette activité n’était pas l’objectif principal de cette recherche; celle-ci visait plutôt à étudier le soutien social mis en oeuvre dans ce contexte.

L’activité qui a été proposée aux enseignants était un groupe de parole. Cette activité a comme objectif de :

… permettre à chacun de s’exprimer sur une thématique, indépendamment et librement dans un groupe restreint de personnes. Il s’agit, dans un cadre institutionnel prédéfini, de mettre en commun des vécus, des expériences du quotidien, mais aussi des souffrances et des réflexions qui s’en dégagent permettant des échanges et un réel partage

Galiano et Portalier, 2009, p. 271

Ce type d’activité collective peut être associé à la création d’un espace où les individus peuvent exprimer des ressentis, des émotions ou des pensées et où les autres membres participants sont également prêts à écouter avec respect et non jugement (Bouville, 2005). Le groupe de parole étudié était animé par une psychologue. L’animation de cette activité collective consistait, dans une neutralité bienveillante, à recentrer la discussion, lorsque cela était nécessaire, et de faire respecter les règles qui étaient établies, c’est-à-dire adopter une attitude de non-jugement et assurer la confidentialité des propos abordés pour favoriser l’expression libre chez les participants. Les thèmes discutés lors des rencontres étaient abordés de façon spontanée par les enseignants, aucun thème n’était imposé pour amorcer la discussion. Les enseignants étaient libérés de leurs tâches une fois toutes les trois semaines pour assister à ces huit séances de deux heures.

Participants

La sélection de nos participants s’est effectuée par le biais de l’étude d’une activité collective favorisant le bien-être au travail. Nous avons donc réalisé notre recherche dans le cadre de ce groupe de parole qui correspondait à nos critères, soit : être une activité où plusieurs enseignants participent à la fois et viser le développement du bien-être au travail. L’échantillonnage a donc été réalisé par choix raisonné (Fortin, 2010). Le département d’accueil était composé de deux hommes et six femmes. Sur ce nombre, cinq étaient titulaires de classes d’accueil, un[4] était titulaire d’une classe accueillant les élèves sous-scolarisés, un était titulaire de la classe d’intégration partielle et un autre était spécialiste. Sept enseignants ont participé à toutes les étapes de la recherche. Un huitième n’a pas participé à la première entrevue, mais a pu participer aux autres moments de la collecte de données. Les enseignants participants avaient entre cinq et vingt années d’expérience en enseignement. En considérant que le département d’accueil était récent, les enseignants étaient à leur première (deux sur huit) ou leur deuxième année (six sur huit) à l’école où se déroulait l’activité collective. Dans la section des résultats, tous les enseignants participants seront identifiés CA (classe d’accueil), numérotés de un à huit, indépendamment de l’orientation particulière de leur tâche, pour conserver leur anonymat.

Collecte de données

Notre collecte de données s’est effectuée avant, pendant et après la participation des enseignants aux groupes de parole (voir la Figure 1 qui illustre la séquence de la collecte de données).

Les données relatives au bien-être au travail ont été collectées principalement à partir de deux entrevues individuelles semi-dirigées enregistrées en format audio. La première (environ 1h) avait lieu avant et la seconde (environ 1h30) après la participation des enseignants aux huit séances du groupe de parole. Les questions d’entrevue ont été formulées à partir des dimensions du bien-être psychologique au travail, proposées par Dagenais-Desmarais (2010) et adaptées pour le contexte enseignant à l’aide des travaux de Soini et ses collaborateurs (2010). Quelques références au bien-être au travail ont également été recueillies dans l’analyse du contenu des verbatims des huit séances du groupe de parole. Le discours des enseignants nous a également permis de faire des liens entre leurs propos lors des entrevues et des séances des activités collectives en ayant davantage d’information sur leur vécu et leurs perceptions.

Les données relatives au soutien social ont été́ collectées à partir de plusieurs moyens selon les dimensions du concept. Les données liées aux comportements de soutien ont été collectées lors des séances du groupe de parole par l’enregistrement en format audio et l’observation des manifestations non verbales des comportements de soutien (p. ex. faire un pouce en l’air pour appuyer l’initiative d’un collègue) qui a été réalisée par la chercheure. Les données relatives à l’évaluation subjective du soutien et aux ressources du réseau ont été collectées à l’aide de questions ouvertes, basées sur la conception de Vaux (1988), lors de la deuxième entrevue individuelle.

De façon complémentaire, lors de la deuxième entrevue, nous avons posé des questions ouvertes sur l’expérience des groupes de parole pour mieux comprendre l’influence de cette activité sur leur bien-être au travail. Aussi, tout au long du processus, nous avons colligé des notes de terrain pour consigner les éléments contextuels qui auraient pu avoir une influence sur les éléments étudiés dans cette recherche.

ANALYSE DES DONNÉES

Après la transcription des données audio et la mise en commun des données issues de tous les outils, un codage mixte a été effectué pour conserver les codes issus de notre cadre de référence, mais permettant également la modification, le retrait ou encore l’ajout de catégories émergentes (Van der Maren, 1996). Des catégories associées aux perceptions des enseignants relatives au groupe de parole et ses caractéristiques ont, par ailleurs, émergées. Pour effectuer l’analyse des données, nous avons utilisé le logiciel de données qualitatives NVivo et les codes ont été discutés entre chercheurs.

Figure 1

Illustration de la séquence de données

Illustration de la séquence de données

-> Voir la liste des figures

Les données présentées dans cet article sont principalement issues de la seconde entrevue semi-dirigée, où les enseignants témoignent de leur expérience relative aux activités collectives, au soutien social et au bien-être psychologique au travail après les huit séances.

RÉSULTATS

Dans une perspective mettant en lumière l’interaction bidirectionnelle entre l’individu et son microsystème, nous aborderons plus spécifiquement les perceptions des participants sur les ressources du réseau, les caractéristiques du groupe de parole, la mise en commun du vécu et le développement du bien-être psychologique au travail dans ce contexte. Alors que nous avons étudié les trois dimensions du soutien social, les ressources du réseau de soutien étaient dominantes dans les perceptions des enseignants sur les retombées de ces activités, nous ciblons alors ces résultats dans le cadre de cet article en y ajoutant les éléments saillants relatifs au bien-être psychologique au travail. Nous présentons dans ce texte les résultats généraux regroupant l’expérience de plusieurs enseignants.

Les perceptions du réseau de soutien après l’expérience des groupes de parole

De façon générale, dans les témoignages des enseignants sur leurs perceptions des retombées de ce groupe de parole, plusieurs éléments associés à un changement relatif aux ressources du réseau ont été mentionnés. Tous les enseignants ont souligné que les groupes de parole leur ont permis de mieux connaître leurs collègues ou encore que cette activité leur a permis de consolider des liens qu’ils avaient avec les autres enseignants du département d’accueil. Certains participants soulignent qu’ils seraient maintenant plus enclins à demander de l’aide ou à collaborer avec les autres enseignants qui prenaient part au groupe :

Oui, c’est sûr, on a besoin de… […] de se rencontrer et d’apprendre à avoir plus d’informations sur nous-mêmes pour qu’on puisse travailler en collaboration ensemble […] les enseignants, ils ne devraient pas travailler chacun de leur côté, il faut toujours travailler en collaboration et donc ça a permis de mieux nous connaître et de mieux travailler ensemble…

CA2

… maintenant, c’est : t’as une question, tu vas la poser. Tu ne dis pas, « mais je la pose à qui, à qui, à qui ? » Peu importe, tu rencontres ton collègue, ta collègue, tu lui poses ta question, t’as ta réponse.

CA6

Dans une autre perspective, certains enseignants soulignent plutôt qu’ils sont maintenant présents pour leurs collègues et que le groupe de parole a permis à certains de pouvoir autant dispenser du soutien social que d’en recevoir. Cela peut faire référence au processus transactionnel du soutien social, comme suggéré par Vaux (1988, 1990) :

… il y a Manal[5] qui est venue pleurer sur mon épaule un peu pis qui vient ici des fois quand elle en a assez, Marco qui vient [me voir][6]… Sacha avec qui je vais aller dîner le midi, alors oui. J’ai une relation… avec certains d’entre eux. Pas tous. […] Ça vient de ça [du groupe de parole].

CA8

C’est sûr que ça [les groupes de parole] crée des liens, […] c’est sûr qu’on va s’entraider parce qu’on est tous dans la même situation aussi, on a tous besoin d’aide, autant qu’ils ont besoin d’aide de moi, autant que moi aussi j’ai besoin de la leur.

CA5

En faisant écho aux études sur la solitude perçue par certains enseignants dans leur travail (Maranda et al., 2011), les groupes de parole ont pu favoriser l’établissement de réseaux de soutien pour les participants. Ils perçoivent, après leur expérience, que certains de leurs collègues pourraient, s’ils en avaient besoin, leur prodiguer une forme de soutien social. Les enseignants soulignent également qu’ils auraient une plus grande aisance à solliciter le soutien de leurs collègues ou même qu’ils sont plus à même de dispenser du soutien social. Ces éléments mettent en lumière le caractère transactionnel de ce concept.

Un partage de l’expérience quotidienne pour développer les ressources de son réseau de soutien

Dans le cadre des groupes de parole, les enseignants ont fréquemment discuté de leur quotidien, des défis et des enjeux qu’ils vivaient avec leurs classes. Tantôt, ces éléments étaient relatifs à l’enseignement en contexte de diversité, tantôt, ils étaient davantage en lien avec l’expérience générale d’enseignement. Avec ces connaissances sur le vécu des autres enseignants, certains ont souligné que le partage de leurs expériences mettait en relief la pertinence de discuter et d’échanger avec leurs collègues, mais que cela pouvait également les aider à surmonter la réserve qu’ils éprouvaient parfois à solliciter les autres enseignants du département de classes d’accueil lorsqu’ils en avaient besoin :

Ça [le groupe de parole] a créé comme groupe plus serré […] je ne serais pas… pas gêné, ni inconfortable à aller les voir pour demander : « qu’est-ce qu’on fait avec lui ou n’importe quoi ? » Parce qu’on se connaît […] j’ai entendu dans le groupe de parole que telle enseignante avait un problème avec ça, […], ça te donne accès à une banque de solutions.

CA8

D’autres voient ces échanges sur leur vécu comme pouvant être un vecteur de changements concernant les éléments de leur environnement qui ont une incidence sur leur travail :

Il y a peut-être des choses que j’avais trop gardées, des inquiétudes […] que ce soit avec des élèves ou avec des collègues ou de l’administration, de la direction, le fonctionnement de l’école puis là quand tu t’aperçois que finalement c’est quelque chose qui est vécu par tous tes collègues, mais tu dis : « Ah ok! Bien peut-être qu’on pourrait en parler de façon ouverte pour améliorer les choses! » Parce que des fois quand tu penses que tu es seul dedans [tu te dis] je vais faire avec.

CA3

En ayant une meilleure connaissance de leurs pairs et en prenant conscience de la similitude ou de la différence entre leurs expériences quotidiennes, certains enseignants disaient mieux comprendre des réactions, des inquiétudes ou les comportements de certains de leurs collègues :

… on a appris à se connaitre, à mieux se situer. La pensée de la personne, ce qu’elle vit. Donc le groupe a aidé à ça, donc je peux mieux situer les enseignants, je comprends mieux le vécu, le passé de Marco avec tout ce qu’il a vécu. Y’a certains points de Manon que je comprends mieux, […] puis je pense que le fait de connaitre ça, ça permet de regarder les autres personnes d’un autre oeil, d’avoir une meilleure compréhension de vraiment voir […] ça a valu la peine.

CA4

Ce partage de l’expérience peut rappeler le soutien par les pairs (peer-support), principalement discuté en psychiatrie, en psychologie sociale, en sociologie et en anthropologie, et qui peut être perçu comme une forme de soutien social où les individus partagent des expériences similaires (Charlier, 2018). Bien que ces éléments étaient davantage étudiés sous l’angle de la discussion sur des questions communes dans les groupes de parole, il est intéressant de relever l’intérêt des enseignants à avoir ce genre d’échanges.

Des caractéristiques de l’activité au partage de l’expérience

Selon les témoignages des enseignants, la mise en commun du vécu, comme décrite ci-haut, a pu être permise, entre autres, grâce au cadre de l’activité collective proposée aux enseignants. Alors que tous les enseignants relèvent le caractère particulier de ce cadre, certains abordent dans leur discours, de façon plus spécifique, l’attitude de non-jugement, la liberté des thèmes abordés et la confidentialité des propos, trois éléments qui étaient soutenus par la psychologue clinicienne qui assurait l’animation des séances. Les participants nomment également l’effet positif de se retrouver entre enseignants de classe d’accueil :

On ne peut pas dire : « Il y a la direction qui est là », il n’y a personne qui nous juge […] Pour moi c’est ça le groupe de parole et puis sans jugement c’est très important […] Non même entre nous, c’est on sort, c’est fini, c’est vraiment confidentiel, c’est pour toutes ces choses-là, c’était vraiment très, très essentiel.

CA7

… j’ai beaucoup aimé le fait que ça soit vraiment comme un genre de table ronde puis que ce soit libre. On parle de ce qu’on a envie.

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La parole libre qui était permise dans les groupes, associée aux caractéristiques de cette activité collective, pouvait également être mise en comparaison avec d’autres espaces qui pourraient, d’une certaine façon, être utilisés par les enseignants pour s’exprimer. Toutefois, ceux-ci ne sont pas toujours aussi sécuritaires et ne permettent pas la même liberté que les groupes de parole. Un enseignant fait d’ailleurs la comparaison entre la salle réservée aux enseignants à l’école et le groupe de parole :

… Cette spontanéité, cette liberté qui caractérisent ces ateliers qui fait un peu la différence entre une discussion […] de tous les jours en salle du personnel avec d’autres collègues où tu dois calculer ce que tu vas dire, tu dois réfléchir, tu dois penser…

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C’est ce moment et cette occasion qu’on pouvait parler, qu’on pouvait dire ce qu’on ressentait, qu’on pouvait dire ce qu’on vivait dans nos classes, qu’on pouvait dévoiler des choses peut-être qu’on peut pas dévoiler dans les corridors.

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Ils soulignent également que ce temps qui leur était offert par l’école pour discuter entre eux était différent de ce qu’ils sont habitués de vivre au quotidien. Ce temps leur a permis non seulement d’échanger, mais également de discuter sur des avenues possibles de solution pour des problèmes et des enjeux qu’ils vivaient au travail.

… s’il n’y avait pas ce groupe de parole-là, on n’aurait même pas eu le temps de se parler, chacun court de son côté et puis là au moins on a eu comme deux périodes juste à parler de nos problèmes donc on a au moins l’occasion de se connaître […] Parce qu’à travers les discussions on a pu trouver quand même peut-être des solutions pour certains élèves, pour certains… Certaines façons d’agir avec les élèves, on a pu trouver des solutions à travers nos discussions.

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Les enseignants développent tantôt des relations d’amitié avec leurs collègues et tantôt, ils entretiennent des relations plus professionnelles. Les groupes de paroles ont donc permis aux enseignants d’apprendre à se connaître dans un cadre un peu différent du travail :

Un lieu commun finalement où on peut échanger et puis apprendre à connaître un peu plus les gens. Oui, parce que je pense que c’est du monde avec qui… On va prendre une bière ce soir ? Non, là t’es là, t’apprends à les connaître comme ça, t’sais…

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Dans ces segments, les témoignages des enseignants soulignent les caractéristiques spécifiques des groupes de parole, qui diffèrent des espaces habituellement disponibles en contexte scolaire et qui ont permis une rencontre et des échanges entre les participants. Les enseignants discutent, entre autres, de l’importance de l’expression libre pour connaître leurs collègues et de partager des façons de faire qui ont parfois été perçues comme des solutions.

Du partage de l’expérience vers le développement du bien-être au travail

Lors de la seconde entrevue, lorsque les enseignants étaient interrogés sur leurs perceptions quant à l’influence du groupe de parole sur leur bien-être psychologique au travail, sept enseignants ont répondu par l’affirmative et un huitième avait une opinion plus nuancée. Il soutenait, entre autres, que le groupe était intéressant par ses échanges, mais qu’il voyait peu de répercussions directes dans son environnement. D’après son expérience, cet enseignant aurait préféré que les discussions du groupe mènent à des solutions à mettre en application, même si l’apport du partage d’expériences était tout de même bénéfique pour lui.

… peut-être des fois [le groupe a développé mon bien-être] quand on voit ce que vivent les autres […] Mais les problèmes que l’on vit, on les vit tous, mais s’il n’y a rien qui change alors… certains irritants qu’on a on ne peut pas les changer.

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Sept participants rapportent que la mise en commun de leurs expériences et du soutien qu’ils pouvaient vivre durant ces rencontres ont pu contribuer à leur bien-être psychologique au travail :

Ils viennent partager, oui, ils viennent m’écouter, écouter nos problèmes, on s’écoute, on s’entraide, ça vient nous… C’est-à-dire nous aider à bien vivre ça, c’est-à-dire à comprendre nos difficultés qu’on vit, ça nous aide psychologiquement je pense, oui, oui, je trouve que c’est une bonne, oui, une bonne chose.

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Dans le dernier extrait, un lien est tissé entre le partage de l’expérience, l’entraide ou le soutien social qui résulte de la prise de conscience du vécu des autres, vers le développement du bien-être psychologique au travail.

Les groupes de parole et les dimensions du bien-être psychologique au travail

Les enseignants participant au groupe de parole ont décrit leur perception de cette activité collective sur leur bien-être psychologique au travail de façon subjective. À cette question, leurs réponses n’étaient pas orientées selon les cinq dimensions du bien-être psychologique au travail comme nous l’avons présenté dans notre cadre de référence. Cette évaluation globale peut, d’une certaine façon, rejoindre la dimension subjective de l’évaluation du bien-être psychologique au travail nommée dans la définition de Dagenais-Desmarais (2010). Cependant, dans leurs témoignages concernant leur expérience, plusieurs enseignants ont nommé des éléments pouvant faire référence à la dimension de l’adéquation interpersonnelle au travail. Cette dimension du bien-être psychologique au travail renvoie, par ailleurs, à l’appréciation, la confiance et à la bonne entente entre collègues, mais aussi au sentiment d’être accepté par leurs collègues pour la personne qu’ils sont (Dagenais-Desmarais, 2010). Bien que nous ayons une vision plus globale de l’adéquation interpersonnelle au travail qui prend en considération le contexte social complexe des enseignants, nous ciblons ici la relation entre collègues puisque les participants rapportent mieux connaître les autres enseignants du département d’accueil :

… ça nous a permis d’établir des liens entre nous et un lien fort. Et puis là, maintenant, je peux dire que… je connais plus mes collègues.

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Aussi, il est intéressant de s’attarder au cas d’un enseignant qui connaissait très peu les collègues avec qui il partageait ses locaux. Lors de la première entrevue, cet enseignant nous avait souligné avoir des relations parfois tendues avec ses collègues. Cependant, lors de la seconde entrevue et après avoir participé aux groupes de parole, cet enseignant rapportait avoir appris à connaître ses collègues :

En connaissant plus mes collègues, c’est sûr que je m’adapte et j’essaie […] et c’est sûr que ça [le groupe de parole] a porté fruit, c’est sûr que j’ai appris beaucoup de choses, oui, je m’adapte à eux.

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Dans cet extrait, il est possible de percevoir que la meilleure connaissance a permis à l’enseignant de s’adapter à ses collègues. Durant la seconde entrevue, celui-ci nous a également mentionné qu’il tentait davantage de collaborer avec ses collègues et qu’il s’entendait bien avec ceux-ci. Il est alors possible de tisser un lien avec l’indicateur de la « bonne entente », associé à l’adéquation interpersonnelle au travail.

DISCUSSION

En nous appuyant sur les réponses fournies par les enseignants aux secondes entrevues menées à la suite des groupes de parole, nous avons discuté, dans ce texte, des perceptions des enseignants quant à l’influence du groupe de parole sur leur réseau de soutien, mais également sur certaines dimensions de leur bien-être psychologique au travail. Ces résultats soulignent les apports perçus d’une activité collective menée sur le lieu de travail par le partage d’expériences, mais également par la mise en place d’un espace d’échanges sécuritaires entre enseignants pour développer leur réseau de soutien et leur bien-être au travail. Sur le plan du bien-être psychologique au travail, les résultats de cette recherche rejoignent, notamment, les travaux de Lafortune et ses collaborateurs (2011) et de Sharrocks (2014), qui soulignent que les activités collectives en contexte scolaire peuvent favoriser le développement du bien-être au travail chez les enseignants participants. L’activité collective ajoutée dans le microsystème des enseignants rejoignait d’ailleurs certaines caractéristiques identifiées par Lafortune et ses collaborateurs (2011) présentées précédemment dans ce texte et qui peuvent favoriser les retombées positives des activités de groupe. Par exemple, cela rejoint les caractéristiques liées au temps suffisant, au cadre limitant les jugements, à l’animation par un tiers qui maintient les règles de base établies par le groupe. Selon les témoignages des enseignants, le cadre de l’activité a tout de même aidé à favoriser l’expression libre, surtout en ce qui concerne le non-jugement et la confidentialité. En s’appuyant sur les dimensions du bien-être psychologique proposées par Dagenais-Desmarais (2010), alors que nous avons discuté de l’adéquation interpersonnelle au travail, il serait intéressant de poursuivre la réflexion sur les autres dimensions qui auraient pu être influencées par cette activité. Par exemple, si les solutions rapportées par les participants ont pu être mises en application ou encore si la mise en commun de leur vécu et la relativisation de leur situation a pu avoir une influence sur leur sentiment de compétence.

Au sujet du processus qui était à l’étude, le soutien social, la principale dimension mise de l’avant par les participants lorsqu’ils sont interrogés au sujet de leur perception sur les suites du groupe de parole, était les ressources du réseau et plus particulièrement la taille, la qualité des liens, mais aussi la composition du réseau selon la conception de Vaux (1988, 1990). En s’appuyant sur le cadre de référence, Vaux (1990) souligne que, de façon très générale et indépendamment des autres caractéristiques associées au réseau de soutien, plus il y a d’individus le composant, plus cela est positif (more is better). En ce sens, les enseignants ont rapporté avoir consolidé ou développé de nouveaux liens avec leurs collègues. La proximité des liens (closeness) peut également favoriser le soutien social entre les enseignants, puisque selon Vaux (1990), des liens plus serrés pourraient motiver les individus à prodiguer plus de soutien social, mais aussi de permettre aux enseignants de raffiner le soutien offert, car les individus sont plus à même de comprendre ce dont les autres ont besoin (Vaux, 1990). Un exemple issu de nos résultats pourrait être l’enseignant qui a pu développer une relation avec ses collègues grâce aux groupes de paroles et qui, après les séances, souhaitait collaborer avec ceux-ci.

Selon la définition de Vaux (1988), nous pouvons avancer que le groupe de parole peut devenir une forme de réseau de soutien si l’individu le perçoit comme étant un espace où il peut recevoir du soutien social s’il en a besoin. Le partage de l’expérience, de son côté, peut davantage être considéré comme un comportement de soutien, parfois indirect, car l’individu n’est pas toujours activement impliqué dans le processus. En ce sens, Lam (2019) souligne qu’en plus du vécu partagé entre les individus donnant et recevant le soutien social, une identité partagée peut être un facteur favorisant les retombées positives du soutien social. Il serait intéressant de poursuivre la réflexion sur l’identité professionnelle commune aux enseignants des classes d’accueil et l’influence de celle-ci sur la perception du soutien social. Nos résultats peuvent également être liés avec les textes abordant le soutien par les pairs (peer support) qui discutent de groupes d’individus ayant des expériences similaires et qui s’entraident en prodiguant des conseils associés à leur vécu commun (Charlier, 2018; Doull, O’Connor, Tugwell, Wells et Welch, 2017). En effet, les groupes de parole permettaient ces discussions relatives au vécu des enseignants et ils pouvaient échanger sur leurs réalités.

FORCES ET LIMITES DES RÉSULTATS PRÉSENTÉS

Notre recherche a permis une meilleure compréhension de l’influence d’une activité collective menée en contexte de travail chez les enseignants sur le bien-être et le soutien social. Quelques nuances sont toutefois à apporter concernant les résultats présentés dans ce texte. D’abord, nous avons choisi de présenter des données générales quant à la perception des enseignants à la suite des groupes de parole en ciblant principalement l’angle du soutien social et du bien-être psychologique au travail. Il est cependant important de préciser que les caractéristiques individuelles et le vécu des enseignants peuvent faire varier les perceptions des participants. Aussi, cet article documente les impressions de participants à un groupe de parole, dans un contexte d’exercice particulier, soit les classes d’accueil. Comme mentionné dans la première section du texte, les défis particuliers et l’isolement possiblement vécu par ces enseignants (Obondo et al., 2016) a pu avoir une influence sur leur perception des groupes de parole. Comme mentionné dans la problématique, les caractéristiques associées à l’environnement de travail peuvent également avoir une influence générale sur le bien-être au travail des enseignants (Aelterman et al., 2007; Gozzoli et al., 2015; Price et McCallum, 2015).

CONCLUSION

Pour conclure, dans un contexte où la santé mentale des enseignants n’est pas toujours optimale (Maranda et al., 2014), plusieurs facteurs et moyens peuvent être mis en oeuvre pour favoriser le développement de leur bien-être psychologique au travail (Théorêt et Leroux, 2014). Il est important de mieux comprendre la perception des enseignants associée aux dispositifs qui sont mis en place en contexte scolaire. Ce texte met en lumière, entre autres, l’importance pour les enseignants de briser l’isolement et de mettre en commun leur vécu en favorisant l’établissement d’un réseau de soutien dans un contexte sécuritaire au travail. Il souligne aussi les avantages perçus par les enseignants de cette activité pour la mobilisation commune et le travail collaboratif entre collègues. Cette activité se démarque également par sa portée écologique. Alors que les groupes de parole prennent place dans le microsystème de l’enseignant et qu’il est conçu pour avoir une influence sur le bien-être psychologique au travail de celui-ci, le caractère ouvert de la discussion permet aux enseignants d’échanger sur divers éléments du contexte associé au travail quotidien des enseignants en classe d’accueil. Pour la suite, il serait intéressant de poursuivre cette réflexion en des activités collectives offertes aux enseignants, autant du point de vue des autres dimensions du soutien social que de celles du bien-être psychologique au travail.