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La notion de « gouvernement économique », employée depuis l’origine de l’Union économique et monétaire (UEM), revient actuellement sur le devant de la scène[1]. Elle s’oppose à la notion de « gouvernance économique », qui désigne le dispositif actuel de coordination des politiques économiques des États membres de l’Union européenne, et traduit la volonté d’en accroitre tant l’efficacité que la légitimité.

En effet, classiquement, la notion de gouvernement postule l’exercice d’un leadership clair. Le doyen Trotabas définissait ainsi un gouvernement par sa capacité à « déterminer souverainement les buts – politiques, économiques, sociaux – de l’État et de diriger l’État vers la réalisation de ces buts[2] ». La doctrine économique confirme cette analyse en associant la notion de gouvernement à la « mise en oeuvre effective de politiques de gestion des biens communs[3] ». Dans un régime démocratique, un gouvernement dispose, en outre, d’une légitimité unitaire de nature politique qui repose, en démocratie, sur un mandat populaire.

Par opposition, la « gouvernance économique » européenne renvoie à l’ensemble des règles et des institutions qui permettent la coordination, entre les gouvernements nationaux, de leurs politiques économiques. Il constitue, au sein de l’Union européenne, un sous-système normatif et institutionnel qui se différencie du modèle communautaire d’intégration. D’une part, la coordination repose sur le maintien des compétences économiques des États et sur leur capacité de s’imposer une forme d’autorégulation qui dépend de la vertu de chacun. D’autre part, au niveau institutionnel, le dispositif européen de gouvernance économique se caractérise par une dispersion organique au sein de laquelle prédominent les organes intergouvernementaux sans qu’aucun ne parvienne effectivement à le piloter. Enfin, la légitimité démocratique des choix de politique économique effectués au niveau européen est indirecte en ce qu’elle dépend du contrôle exercé par les parlements nationaux sur leurs gouvernements.

Ce faible niveau d’intégration du dispositif européen de gouvernance économique résulte de la réalisation de l’union monétaire pour laquelle les États membres ont avalisé un transfert de souveraineté sans précédent au profit de l’Union européenne et ont accepté d’être privés d’un instrument d’intervention économique majeur. Aussi, s’ils ont confié la gestion de la politique monétaire à un organe supranational, le Système européen de banques centrales (SEBC), les États ont parallèlement revendiqué la conservation de la maîtrise de leurs politiques économiques. Ils se sont ainsi contentés de les conduire de concert en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union.

Cette asymétrie entre les pôles économique et monétaire de l’UEM apparaît préjudiciable. En effet, l’union monétaire, parce qu’elle modifie la nature des interdépendances entre les États de la zone euro et crée des besoins de coordination plus importants, notamment pour assurer une collaboration fructueuse avec la Banque centrale européenne (BCE) en vue de l’élaboration d’un policy mix efficace, justifiait de créer, par le recours à un mode d’intégration différenciée, des organes et des procédures propres à la zone euro.

Les craintes d’un dysfonctionnement de l’UEM due à une asymétrie entre ses piliers économique et monétaire étaient présentes dès les premiers projets d’UEM. Ainsi le rapport Werner, fondement du premier projet d’union économique et monétaire, envisageait-il la constitution d’« un centre de décision pour la politique économique[4] » indépendant, qui devait exercer une influence décisive sur la politique économique générale de la Communauté. Cette institution aurait notamment oeuvré à une centralisation des politiques économiques conjoncturelles des États membres[5], une harmonisation poussée des politiques structurelles et à une augmentation du poids du budget communautaire.

De même, si le rapport Delors[6] était moins intégrationniste que le rapport Werner en ce qui concerne le pilier économique de l’UEM, il évoquait toutefois, à terme, la nécessité de « progrès parallèles dans l’intégration économique et monétaire » ou encore d’avancées importantes « dans tous les domaines de la politique économique[7] ».

Enfin, les gouvernements français qui se sont succédé depuis que P. Bérégovoy a proposé de créer un gouvernement économique européen ne cessent d’oeuvrer afin de concrétiser cette proposition[8]. Ils n’ont pu parvenir qu’à la création de l’Eurogroupe notamment parce que les autres États membres, au premier rang desquels se trouve l’Allemagne, ont toujours craint que la constitution d’un gouvernement économique remette en cause l’indépendance de la BCE[9].

À partir de 2007, les crises financières, économiques et des dettes publiques d’États de la zone euro ont toutefois révélé les insuffisances notoires du dispositif européen de gouvernance économique en mettant en exergue la déficience des pouvoirs de crise de l’Union et les défaillances de la coordination des politiques nationales. Pour circonscrire ces crises, des réformes de grande ampleur ont été menées et ont indéniablement mené à une plus grande intégration du pilier économique de l’UEM.

En premier lieu, après avoir mis en place un mécanisme européen de stabilisation temporaire[10], le Conseil européen a, le 25 mars 2011, décidé d’ajouter à l’article 136 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[11] un paragraphe permettant aux États de la zone euro d’instituer un mécanisme européen de stabilité (MES) permanent qui a pour mission de mobiliser des fonds et de fournir, pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble et « sous une stricte conditionnalité[12] », une assistance financière en faveur des États de la zone euro qui font face à de graves problèmes de financement.

En second lieu, la crise des dettes souveraines a conduit les gouvernements nationaux et l’Union européenne, au-delà des avancées déjà réalisées dans le Traité de Lisbonne[13], à adopter un ensemble de mesures (Six Pack, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, au sein de l’Union économique et monétaire[14], Two Pack, Union bancaire) visant tant à élargir le périmètre de la surveillance économique et financière qu’à durcir les mécanismes de sanction. Ainsi, à la procédure de surveillance des déficits publics s’ajoutent désormais de nouvelles procédures visant à détecter la survenance de déséquilibres macroéconomiques (PDM), à assurer la soutenabilité des finances publiques (règle d’or) et à rendre le critère de la dette opérationnel[15]. En outre, le contrôle et la surveillance des États qui bénéficient d’un programme d’assistance financière sont particulièrement approfondis. Pour assurer leur respect, ces réformes durcissent également, pour les États de la zone euro, le volet coercitif de ces procédures en introduisant de nouvelles sanctions qui interviennent plus tôt que précédemment et avec une certaine automaticité parce qu’il est prévu qu’elles soient adoptées selon une « procédure de vote à la majorité qualifiée inversée ».

S’agissant de la surveillance du système financier, après la création du Système européen de surveillance financière (SESF) en 2010, un projet d’union bancaire est en cours de réalisation. Il a déjà débouché sur la création d’un mécanisme de supervision unique (MSU) confié à la BCE. La mise en place d’un mécanisme de résolution unique (MRU) est pour sa part en discussion.

En dernier lieu, la crise des dettes souveraines a conduit à renforcer la coordination budgétaire dans la zone euro. D’une part, pour dénouer l’enchevêtrement des processus communautaires et leur mauvaise articulation avec les procédures de décision des États membres, un semestre budgétaire européen a été introduit en 2010. Il vise à organiser chronologiquement le déroulement d’un cycle budgétaire annuel et à intensifier l’interaction entre les niveaux européen et national avant la préparation d’un projet de budget pour l’année suivante. Le Two Pack consolide ce dispositif pour les États de la zone euro en imposant un calendrier et des règles communs en matière budgétaire ainsi qu’en mettant en place une surveillance des projets de budget. D’autre part, de nouveaux instruments de soft law fixant des objectifs non contraignants ont été adoptés pour stimuler la croissance et l’emploi (Stratégie Europe 2020, Pacte pour l’Euro Plus, Pacte pour la croissance et l’emploi).

Ces réformes de grande ampleur ne doivent toutefois pas masquer le fait que les États ne sont pas parvenus à surmonter leurs oppositions relatives à l’opportunité de franchir les étapes clefs menant d’un dispositif de gouvernance à un gouvernement économique de la zone euro.

D’une part, malgré la dispersion organique, qui caractérise l’architecture institutionnelle du pilier économique de l’UEM, les États ne sont pas entendus sur les modalités d’une rationalisation du système institutionnel de la zone euro. Elle aboutit pourtant à ce qu’aucun de ses acteurs ne parvienne à assurer un pilotage efficient de la gouvernance économique européenne et à s’ériger en interlocuteur crédible de la BCE. La multiplicité des acteurs impliqués dans cette gouvernance nuit également à la légitimité des objectifs économiques et des lignes directrices édictées au niveau européen, en compromettant la transparence démocratique sur les compromis atteints et le contrôle démocratique du processus décisionnel.

D’autre part, si la création du MES dote l’Union d’un instrument de stabilisation conjoncturel, ce mécanisme demeure largement fondé sur une logique intergouvernementale qui ne permet pas aux États de dépasser la défense de leurs intérêts nationaux[16]. Sa mise en place n’a d’ailleurs été obtenue, suite à l’opposition de certains États dont l’Allemagne, que parallèlement à un renforcement de la discipline budgétaire et le versement d’une aide conjoncturelle est soumis à une stricte conditionnalité qui se répercute dans les plans d’aide aux États de la zone euro. Or, la discipline budgétaire, qui demeure donc au coeur de la gouvernance économique de l’Union européenne, ne suffit pas pour créer les conditions d’une coordination indicative ou discrétionnaire des politiques budgétaires nationales, mais ne constitue qu’une forme de coordination passive. Et il est à craindre que les seuls instruments de coordination active qui ont été récemment adoptés (Pacte pour l’Euro Plus, la Stratégie Europe 2020 ou le Pacte pour la croissance et l’emploi) ne suffisent pas à pallier cette carence. Ils s’apparentent en effet aux processus de coordination les plus souples du dispositif européen de gouvernance économique dont le mauvais fonctionnement constitue l’une des causes directes de l’apparition, malgré la forte interdépendance économique des États ayant adopté la monnaie unique, de comportements non coopératifs qui minent le fonctionnement de la zone euro et entachent sa crédibilité. Consciente des insuffisances du MES, la Commission européenne a adopté, le 6 décembre 2017, une proposition de règlement concernant la création d’un Fonds monétaire européen qui remplacerait le MES en le transformant en organe de l’Union[17]. Elle motive sa proposition par la nécessité de modérer l’utilisation de la méthode intergouvernementale, trop lente, au profit de l’application du cadre décisionnel de l’Union au moins lorsqu’il est impératif d’allouer un soutien financier en urgence à un État membre en difficulté[18]. De même, l’insertion du Fonds monétaire européen (FME) dans le cadre institutionnel de l’Union permettrait, selon elle, en associant davantage le Parlement européen à la prise de décision, de renforcer sa légitimité démocratique[19].

Les propositions visant à instituer un gouvernement économique de la zone euro reflètent la nécessité de combler les importantes lacunes du dispositif actuel de gouvernance économique. Il s’agirait, en premier lieu, de doter la zone euro de la capacité d’effectuer des transferts budgétaires d’une masse critique suffisante pour accomplir, comme dans l’ensemble des États fédéraux, les fonctions de Musgrave[20] et, par conséquent, de créer une union de transferts budgétaires (I). Il s’agirait, en second lieu, d’identifier précisément une institution capable d’assurer le pilotage de la coordination des politiques économiques et qui bénéficierait d’une légitimité démocratique[21], et donc d’institutionnaliser la zone euro (II).

I. La création d’une union de transfert budgétaire

Dans de nombreuses études, le scénario de la création d’une union budgétaire fédérale pourrait, à court terme, se concrétiser par la possibilité reconnue à l’Union d’émettre des titres de dettes européens garantis en commun par les États membres de la zone euro (A). À plus long terme, l’émission de titres de dette fédérale pourrait faciliter la mise en place d’un budget fédéral (B).

A. Une dette fédérale

Les premiers projets de mise en commun des dettes publiques des États participant à l’UEM ont été imaginés dès les années 1990, avant même la mise en circulation de l’euro. La crise de la dette souveraine, qui a frappé la zone euro à partir de 2010, a conduit à leur renouvellement.

Parmi les nombreuses propositions visant à introduire des euro-obligations dans la zone euro, celle soutenue par le Parlement européen semble être particulièrement pertinente[22]. Elle consiste à coupler deux projets distincts, mais complémentaires, qui sont le Fonds d’amortissement de la dette (FAD) imaginé par le Conseil allemand des « sages[23] », et la création de titres publics européens de court terme (« Eurobills »). Ce scénario permettrait, en quelque sorte, l’expérimentation d’une dette « fédérale » de portée initialement restreinte, mais qui pourrait être ultérieurement étendue à d’autres compartiments des marchés de dette souveraine.

Le projet de FAD possède des caractéristiques originales qui, compte tenu à la fois des réticences générales de l’Allemagne à l’égard des « Eurobonds », et de ses inquiétudes quant au surendettement de certains de ses partenaires de l’UEM, en font un dispositif idéal en vue d’amorcer la mutualisation des dettes publiques existantes. Le projet créerait en effet des obligations européennes destinées à purger progressivement les États de la zone euro de leur excès d’endettement public. Ce dernier est défini par les experts allemands comme la fraction de la dette publique allant au-delà du seuil de 60 % du produit intérieur brut figurant dans le pacte de stabilité et de croissance, ainsi que dans le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, au sein de l’Union économique et monétaire.

Le FAD lui-même pourrait être une nouvelle institution créée sur le modèle du MES, c’est-à-dire basée sur un nouveau traité, dont les signataires seraient les États de la zone euro et tous les autres membres de l’Union désireux de s’y associer, ou, au contraire, revêtir une nature plus communautaire, en octroyant, sur le modèle du MESF, de larges prérogatives à la Commission européenne.

Le FAD emprunterait directement sur les marchés de capitaux, avec aide – caractéristique remarquable proposée par les auteurs – des garanties conjointes et solidaires des États membres. Ce fonds émettrait donc de véritables euro-obligations, qui seraient des titres à long terme. Il refinancerait, par vagues successives, les États participants à hauteur de leur dette « excessive » (la fraction dépassant 60 % du PIB), au fur et à mesure que les titres correspondants arriveraient à échéance. Les États s’engageraient pour leur part, conformément aux textes en vigueur, à éteindre cette dette progressivement, à un horizon qui pourrait être de l’ordre de 20 à 25 ans. Le FAD leur apporterait à cette fin un concours appréciable, en ce sens que les conditions d’emprunt sur la dette ainsi mutualisée seraient évidemment plus favorables que celles obtenues par des États empruntant isolément.

Pour crédibiliser leurs engagements, le dispositif prévoit que ces États pré-affecteraient au FAD certaines de leurs ressources fiscales, en vue d’assurer le service de la dette « commune », ainsi que différentes garanties. De la sorte, le risque de défaut d’un emprunteur souverain serait minimisé, de même que le risque que chacun de ces emprunteurs induirait pour ses partenaires. Le fonds serait donc, in fine, un montage adossé à des Eurobonds qui offrirait aux États les avantages d’une dette « fédérale », mais moyennant une double conditionnalité : l’amortissement de leur « dette excessive » (qui donne son nom au FAD), et la pré-affectation au FAD de ressources budgétaires nationales[24], qui aurait une teneur clairement fédérale.

En tant que première étape d’un processus progressif de mutualisation des dettes souveraines dans la zone euro, la mise en oeuvre précoce d’un dispositif comme le FAD présenterait plusieurs avantages. D’une part, elle s’appuierait, pour la première fois, sur des garanties conjointes et solidaires entre membres de la zone euro, tout en explicitant les contreparties budgétaires que ce type d’engagement suppose. En effet, fort logiquement, la création d’Eurobonds – quelle qu’en soit la nature exacte – ne peut pas ne pas s’accompagner d’un renforcement du contrôle budgétaire exercé, d’une manière ou d’une autre, sur les gouvernements concernés. D’autre part, par nature, le FAD permettrait de dissiper l’impression, fallacieuse, mais répandue tout particulièrement dans les pays de culture germanique, que d’éventuelles euro-obligations seraient une façon de faire porter à d’autres qu’à eux-mêmes la charge de la dette des pays surendettés. Tout au contraire, ces derniers seraient en l’occurrence incités à un désendettement progressif. Leur accès au fonds serait en outre conditionné par le respect des textes en vigueur en matière de finances publiques, ce qui aurait un effet disciplinaire – et non l’inverse. Seul le seuil de 60 % du PIB retenu pour caractériser une dette publique excessive mériterait pour la circonstance d’être revu, tant il est limitatif.

Cependant le FAD aurait, par construction, vocation à s’éteindre à un horizon prédéterminé, de 25 ans au plus selon le projet originel. Au-delà de cette date, il ne créerait donc pas de marché de titres européens pérenne. D’où l’intérêt de coupler ce projet avec un dispositif qui, pour sa part, déboucherait sur des titres souverains « permanents ». Notre proposition est que, pour faire pendant aux obligations de terme long émises par le FAD, on crée des bons du Trésor européens de relativement courte échéance, tels que des Eurobills[25]. Ceux-ci sont par définition des titres dont la maturité serait de moins d’un an. Ils seraient eux-aussi émis par une nouvelle institution, l’Agence européenne de la dette (AED). À l’instar du FAD, mais cette fois de façon pérenne, l’AED emprunterait sur les marchés de capitaux avec les garanties conjointes et solidaires des pays membres. Elle deviendrait la seule émettrice de titres publics à court terme au sein de la zone euro, à l’exclusion des États qui lui auraient transféré cette compétence. L’AED affecterait ensuite les fonds levés à ces derniers, sur la base de critères et de modalités qui devraient être prédéfinis. Philippon et Hellwig proposent notamment de plafonner pour chaque État à 10 % de son PIB le montant maximal qu’il peut obtenir, ce qui constituerait une première limite au risque global encouru.

Surtout, l’accès aux ressources de l’AED serait, comme pour le FAD, conditionnel, et produirait donc également des effets disciplinaires dès lors que cette conditionnalité pourrait renvoyer au strict respect des règles budgétaires en vigueur pour l’UEM. En contrepartie, les États bénéficieraient de conditions d’emprunt favorables, en raison notamment de la grande liquidité d’un marché des Eurobills. Le risque que ces États puissent individuellement connaître des problèmes de refinancement à court terme, comme on l’a observé occasionnellement ces dernières années, serait virtuellement écarté, ce qui contribuerait à la stabilité financière dans la zone euro.

Pour sécuriser autant que faire se peut les Eurobills, ceux-ci pourraient bénéficier de la séniorité sur toute autre forme de dette souveraine nationale. En outre, leur nature même de titres à court terme permettrait de limiter intrinsèquement les risques. En effet, les emprunts réalisés solidairement par les États membres via l’AED viendraient, par construction, à échéance en moins d’une année. La participation d’un État au dispositif pourrait donc être reconsidérée à intervalles réguliers et suffisamment rapprochés. En ce sens, les Eurobills ont un caractère moins engageant pour les États impliqués que des euro-obligations à moyen ou long terme et semblent, par conséquent, appropriés dans le cadre d’une démarche progressive de fédéralisation de la dette souveraine.

Le dispositif permettrait également de contribuer à rompre le cercle vicieux liant systèmes bancaires nationaux et émetteurs souverains. En effet, les banques de la zone euro auraient vocation à détenir, de façon préférentielle, des Eurobills au titre de la gestion de leur liquidité – ce que la réglementation bancaire européenne pourrait aller jusqu’à imposer. Auquel cas leur exposition au risque souverain de leur pays d’origine serait nettement réduite.

En cas de succès du FAD et de l’AED – c’est-à-dire en l’absence d’incident grave lié à leur fonctionnement, et surtout de défaut de l’une des parties – la mutualisation des dettes souveraines dans la zone euro pourrait être ultérieurement étendue à d’autres segments du marché. Les bons du Trésor à moyen terme, puis les obligations proprement dites pourraient progressivement entrer dans le champ de compétence de l’AED, qui aurait vocation à devenir, à terme, l’unique interface entre les emprunteurs souverains et le marché des capitaux dans la zone euro. L’AED aurait alors les caractéristiques d’un embryon de « Trésor public » européen. Elle pourrait être un jalon institutionnel important sur la voie d’une véritable fédéralisation budgétaire de la zone euro.

B. Un budget fédéral

La réalisation de l’UEM pose, depuis l’origine, la question de savoir si une union monétaire peut fonctionner sans budget de nature fédérale. En effet, tous les États fédéraux disposent d’un budget central conséquent pour remplir les fonctions, identifiées par Musgrave, d’affectation des ressources, de redistribution des revenus et de stabilisation conjoncturelle et ainsi contribuer à une croissance équilibrée et à sa relance lors des phases de récession.

Dans les années soixante-dix, sur demande de la Commission, un Comité d’experts, présidé par Sir MacDougall, avait affirmé qu’un budget de 5 à 7 % du PIB communautaire serait suffisant pour remplir de manière effective les fonctions de redistribution et de stabilisation propres aux budgets des États fédéraux[26]. Il semble néanmoins qu’un budget de la taille préconisée par le rapport MacDougall soit, au moins dans un premier temps, politiquement irréalisable, voire inadapté à la nature du projet européen qui repose sur un compromis entre le principe fédéral et le rôle des États-nations.

Aussi, plus récemment, les études[27] qui recommandent l’adoption d’un budget « significatif, mais modeste » retiennent-elles un pourcentage de l’ordre de 2 à 3 % du PIB de la zone euro pour lui permettre de bénéficier des avantages du fédéralisme budgétaire dans le cadre d’une « situation pré-fédérale[28] ».

En premier lieu, un accroissement de la taille du budget de la zone euro permettrait à celui-ci de jouer le rôle stabilisateur traditionnellement rempli par un budget fédéral et qui fait aujourd’hui défaut. Or, pour une grande majorité des économistes, une stabilisation centralisée est plus efficace qu’une stabilisation décentralisée[29]. Ainsi J. Pisani-Ferry avait-il estimé dès les années 1990 qu’un fonds de stabilisation représentant 0,25 % du PIB de la zone euro serait à même d’amortir 25 % d’un éventuel choc asymétrique de faible ampleur qui la frapperait[30]. Une marge supplémentaire de 0,5 à 1 % du PIB de la zone euro serait suffisante pour assurer le financement d’une politique conjoncturelle de relance.

En deuxième lieu, la fonction redistributive d’un budget central constitue un argument classique en faveur de la centralisation des politiques budgétaires[31]. Ces transferts, d’un montant trop faible, existent au niveau européen et mériteraient d’être accrus notamment depuis les derniers élargissements à l’Est de l’Europe[32]. Or, de nombreuses études révèlent que même une faible augmentation de la taille du budget de la zone euro permettrait de maintenir le niveau actuel de l’aide versée aux États les plus pauvres, mais également de financer de nouvelles politiques structurelles. Les actions structurelles sont, en effet, propices à l’affirmation d’un principe d’additionnalité impliquant un modèle de financement additionnant des fonds européens et étatiques voire régionaux ou locaux[33]. L’implication de fonds européens, tout en étant limitée, serait alors décisive pour donner les impulsions nécessaires au démarrage de projets européens. Comme l’indique L. Reboud, le budget de la zone euro n’aurait évidemment pas pour rôle de « tout faire » ou de « tout financer », mais remplirait une fonction d’induction, de cristallisation[34]. La stratégie de Lisbonne et les programmes macroéconomiques qui l’ont suivie auraient dû constituer un terrain de prédilection à l’application du principe d’additionnalité. À travers un mécanisme de subventions proportionnelles aux fonds engagés par les États, l’application du principe d’additionnalité aurait eu pour effet de réduire les coûts des projets pour les États et de les inciter à atteindre les objectifs fixés. Cependant, les dernières perspectives financières, polluées par les préoccupations des États contributeurs nets de restreindre leur participation au budget de l’Union européenne, n’ont pas suivi cette perspective. Force est en effet de constater que le principe de l’équilibre recettes-dépenses par État met à mal toute perspective de solidarité financière au sein de la zone euro et ruine présentement toute perspective de fédéralisme budgétaire en Europe[35]. Pourtant, les bénéfices que retire chaque État de la construction européenne résultent de mécanismes complexes qui ne peuvent, en aucun cas, s’apprécier à l’aune de sa seule contribution budgétaire nette. De même, certaines politiques – à l’instar d’une politique européenne de recherche – n’ont aucune raison a priori d’avoir la même ampleur relative dans tous les États. Enfin, l’objectif d’une convergence économique entre les États membres implique des transferts de richesse des États les plus prospères vers les États les plus en retard[36]. Mais, en fin d’analyse, l’émergence d’un « fédéralisme pigouvien », décentralisé, mais doté d’un budget européen incitatif au lancement de projets européens, n’a pas eu lieu[37]

En dernier lieu, nombre d’études[38] montrent que la création d’un gouvernement économique européen et d’un budget de la zone euro, donc d’une avant-garde intégrée au sein de l’Union européenne, ne pourra avoir pour seul objectif la stabilisation macroéconomique, mais devra également concerner un large spectre de politiques économiques[39] voire la Justice et affaires intérieures (JAI)[40] et la politique de sécurité et de défense (PESD)[41]. Elles prévoient par conséquent le développement de la fonction d’affectation d’un budget de la zone euro qui est tributaire d’avancées dans ces deux politiques[42].

Pour financer un budget de la zone euro, la perspective d’un impôt européen constitue une thématique ancienne qui n’a jamais été délaissée[43]. Un impôt européen permettrait en effet de mettre un terme au mode de financement actuel du budget de l’Union qui, parce qu’il est en grande partie fondé sur des contributions étatiques, est soumis à de difficiles négociations entre bénéficiaires nets et contributeurs nets[44]. Il pourrait, qui plus est, corriger l’absence d’harmonisation fiscale entre les législations nationales et constituer un instrument efficace d’interventionnisme économique et social.

De nombreuses suggestions (impôt sur les sociétés[45], écotaxes[46], impôt direct sur le revenu[47])[48] ont été émises, mais aucune ne semble véritablement à même de conjuguer un rendement financier suffisant et une visibilité satisfaisante pour les citoyens. En outre, si l’on retient l’exigence d’un budget de l’ordre de 2 % à 3 % du PIB de la zone euro, il faudrait envisager d’affecter à la zone euro tout ou partie des recettes de plusieurs impositions. C’est ainsi en définitive, la ressource de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), parce qu’elle a l’avantage d’avoir déjà fait l’objet d’une forte harmonisation et qu’elle bénéficie d’une certaine visibilité auprès des citoyens, qui serait le plus à même d’être sollicitée. Ainsi, en 1986, les États avaient procédé à une forte augmentation du pourcentage de TVA versée à la Communauté qui était passé de 1 % à 4 %[49]. En se fondant sur ce précédent, en 2011[50], la Commission avait ainsi proposé, sans succès, de permettre aux institutions européennes de fixer une surtaxe de 2 % maximum sur le taux normal de TVA appliquée par les États membres. Dans cette proposition, la Commission suggérait également d’instaurer une taxe sur les transactions financières dont le produit servirait à alimenter le budget européen. Face à l’opposition de plusieurs États membres, le Conseil a autorisé une coopération renforcée en la matière entre 11 États, mais aucun accord n’a pour l’instant vu le jour…

La constitution d’une union de transferts budgétaires au sein de la zone euro devrait indubitablement se doubler d’une redéfinition du cadre institutionnel du pilier économique de l’UEM allant dans le sens d’une institutionnalisation de la zone euro.

II. L’institutionnalisation de la zone euro

L’intégration du système institutionnel de la zone euro suppose de clarifier et de rationaliser les missions de chacun des organes intervenant dans le processus de coordination des politiques économiques et notamment d’institutionnaliser l’Eurogroupe, de l’ériger au centre du schéma institutionnel de la zone euro pour promouvoir un authentique pilotage de la gouvernance économique (A). Parallèlement à l’institutionnalisation de l’Eurogroupe, il est nécessaire que le Parlement européen, source de légitimation des objectifs économiques décidés au niveau européen, comme les parlements nationaux, seuls garants de la responsabilité de leur gouvernement, voient leur influence élargie dans le système institutionnel de la zone euro en contrôlant davantage les choix de politique économique comme le policy mix (B).

A. L’institutionnalisation de l’Eurogroupe

Les différents projets élaborés depuis le début des crises pour approfondir la gouvernance économique européenne visent principalement à attribuer à l’Eurogroupe, par le biais des traités, une capacité de décision pour la zone euro relative à l’adoption d’orientations sans portée législative (processus de coordination indicative) et de réprimandes (mécanismes de surveillance multilatérale)[51]. Cette proposition, qui écarte le Conseil pour les Affaires économiques et financières (Conseil ECOFIN)[52], peut apparaître ambitieuse, mais se justifie pour les questions qui, en dehors de celles strictement relatives à la politique monétaire (qui ne concernent donc que les États in), doivent être traitées au niveau de la zone euro au regard de « l’intensification des interdépendances induites par la participation à une zone monétaire intégrée[53] ». Une des faiblesses de ce scénario est la relégation de la Commission dans une fonction d’exécutante de la politique des États. En effet, l’Eurogroupe demeurant une instance intergouvernementale, le risque que les États ne parviennent pas à concilier leurs intérêts nationaux, qu’ils défendent en priorité, avec l’intérêt général de l’Union est important[54]. Pour pallier ce risque, l’institution d’un Président de l’Eurogroupe, sur le modèle du Haut représentant à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), qui serait formellement situé dans la Commission et dans l’Eurogroupe, permettrait de marier les réalités intergouvernementale et communautaire[55].

Au sein des instances intergouvernementales, le Président de l’Eurogroupe contribuerait tant à l’élaboration stratégique des objectifs et des lignes directrices au sein du Conseil européen qu’à leur mise en oeuvre et à la gestion quotidienne de la coordination au sein de l’Eurogroupe et du Conseil ECOFIN. Dans toutes ces enceintes, sa faculté à agir comme un médiateur aidant à parvenir à des solutions acceptables pour tous les États serait décisive pour lui permettre de s’imposer. Il s’assurerait, en outre, de la bonne exécution des processus de coordination dans les États membres. Enfin, parce qu’il présiderait l’Eurogroupe et le Conseil ECOFIN, il contribuerait à maintenir la cohérence des politiques économiques des États bénéficiant d’une dérogation avec le policy mix de la zone euro.

En tant que Vice-Président de la Commission responsable des affaires économiques et monétaires, il aurait la tâche de coordonner les travaux des autres commissaires, qui, parce qu’ils s’occupent de politique économique, seraient placés sous son autorité. Il disposerait également d’un pouvoir formel de proposition, qui pourrait être particulièrement efficace lorsque la Commission s’y rallierait, mais surtout de l’indispensable infrastructure humaine et matérielle de cette institution. Le Président de l’Eurogroupe pourrait ainsi interagir avec l’ensemble des Comités et groupes de travail de la Commission et du Conseil ainsi qu’avec les Comités indépendants – Comité de politique économique, Comité économique et financier – sur lesquels la Commission, parce qu’elle assure leur secrétariat, a une grande influence, et dont le rôle en matière de coordination des politiques économiques est considérable[56].

Ériger l’Eurogroupe en véritable gouvernement économique de la zone euro implique principalement de lui reconnaître le pouvoir de décider, en cas de crise, d’une action conjointe pouvant aller à l’encontre de l’autonomie reconnue aux États. Or, à l’heure actuelle, même lorsque la coordination est souhaitable, elle ne peut pas être imposée en ce qu’elle relève de la compétence des États. En cas de survenance d’un choc économique ou lorsque l’orientation d’ensemble de la politique macroéconomique de la zone euro serait contraire aux objectifs économiques fixés, l’Eurogroupe devrait avoir la capacité d’adopter des décisions contraignantes. Toutefois, afin de ne pas heurter trop fortement l’autonomie des États, des mécanismes procéduraux devraient être créés pour délimiter l’étendue et la fréquence des prises de décision collective. Il conviendrait de définir des circonstances, comme la survenance de crises économiques importantes, dans lesquelles il serait légitime de transgresser la présomption d’autonomie dont bénéficient les États de la zone euro pour permettre à l’Eurogroupe, pour une durée déterminée, sur proposition de la Commission et selon des règles de majorité renforcée, de modifier les orientations de politique nationale ou d’adopter des décisions, notamment relatives à une action budgétaire conjointe, qui s’imposeraient à l’ensemble des États de la zone euro[57].

L’enjeu de la constitution d’un gouvernement économique de la zone euro réside également dans ses futures relations avec la BCE pour la gestion du policy mix européen. En effet, une des insuffisances de l’UEM est l’inexistence d’un exécutif comparable à celui des États capables de s’imposer comme l’interlocuteur crédible de la BCE et de travailler avec elle sur le plan interne comme au plan international[58].

Sur le plan interne, un Eurogroupe institutionnalisé aurait la légitimité nécessaire pour conclure, sur le modèle néo-zélandais, un contrat (policy targets agreement (PTA)) dans lequel seraient définies les cibles d’inflation que la Banque centrale doit poursuivre afin de réaliser sa fonction primordiale, la stabilité des prix, mais également d’autres objectifs à la réalisation desquels elle devrait participer. Une telle approche, parce qu’elle privilégie l’accountability au profit de l’indépendance, apparaîtrait toutefois vraisemblablement inacceptable à certains États, dont l’Allemagne, au regard des entorses au statut de la BCE qu’elle impliquerait. Selon J.-V. Louis, la simple organisation d’une fonction gouvernementale, comparable à celle d’un Département national de l’Économie et des Finances, au niveau européen suffirait, quoi qu’il en soit, à mettre en équilibre le pôle monétaire et le pôle économique. En effet, les relations entre la BCE et le Président de l’Eurogroupe, parce qu’elles pourraient se comparer aux relations entre la Bundesbank et le Ministère des Finances, seraient susceptibles d’être acceptées par le gouvernement allemand[59] et d’aboutir à une coordination opérationnelle[60].

Sur le plan externe, l’attribution d’une capacité de décision effective pourrait suffire à rendre opératoires les dispositions du traité qui organisent la politique de change[61]. En effet, dans l’ensemble des États occidentaux, notamment aux États-Unis, si la Banque centrale est associée à la politique de change en raison des liens entre taux d’intérêt, réserves en devises et taux de change, c’est, en toutes hypothèses, le pouvoir politique qui décide en dernier ressort[62]. Le traité ne déroge pas à la règle puisque l’article 219 TFUE accorde formellement au Conseil les principaux pouvoirs en matière de politique de change. Toutefois la pratique démontre que, en l’absence d’une instance de décision politique, le paragraphe 219(2) TFUE, qui permet au Conseil d’adopter des orientations de politique de change, reste inutilisé et conduit la BCE « à occuper un terrain laissé vacant[63] » et à exercer les responsabilités en matière de politique de change. Une institutionnalisation de l’Eurogroupe conjuguée à la reconnaissance d’une capacité décisionnelle à son profit, parce qu’elle renforcerait considérablement l’autorité de cet organe, lui permettrait de s’ériger en interlocuteur crédible de la BCE et de collaborer efficacement avec elle.

Plus généralement, la représentation externe de la zone euro pourrait se voir améliorée par la formalisation au sein des traités d’une présidence de l’Eurogroupe sur le modèle précédemment exposé. Ce dernier cumule en effet de nombreux avantages. Tout d’abord, par opposition à la nature technocratique de la BCE et de la Commission, le Président de l’Eurogroupe assurerait la direction d’un organe intergouvernemental politiquement lié aux gouvernements nationaux et disposerait par conséquent d’une légitimité suffisante pour être acceptée des États membres. Ensuite, l’autorité que lui conférerait l’institutionnalisation de l’Eurogroupe lui permettrait d’assurer la représentation unique de la zone euro[64]. Enfin, en fusionnant les fonctions de Président de l’Eurogroupe et de Vice-Président de la Commission responsable des affaires économiques et monétaires, le Président de l’Eurogroupe pourrait représenter seul les instances économiques de la zone euro, l’union monétaire étant représentée par le Président de la BCE. Ce bicéphalisme de la représentation de la zone euro dans les instances internationales, sur le modèle des États-Unis, qui sont représentés au G7 par le Secrétaire d’État au Trésor et par le Président de la Réserve fédérale des États-Unis (FED), aurait l’avantage de respecter l’économie du traité sans nuire à la visibilité de l’euro sur la scène internationale.

B. La création d’un comité parlementaire de l’euro

Le scénario d’une fédéralisation de la zone euro par le biais de la constitution d’un budget fédérale et de l’émergence d’un gouvernement économique de la zone euro implique immanquablement une plus grande implication tant des parlements nationaux que du Parlement européen[65]. Conjuguer les exigences du contrôle démocratique et le respect de la souveraineté des États en matière de gouvernance économique exige en effet d’associer les parlements nationaux qui seuls peuvent s’ériger en interlocuteurs des gouvernements puisqu’il s’agit de leur mission traditionnelle. De même, le Parlement européen, légitimé par son élection au suffrage universel direct, doit être associé au processus de parlementarisation de la gouvernance économique d’autant qu’il lui incombe, en principe, « d’assumer l’ensemble des missions d’ordre parlementaire à l’échelon de l’Union[66] ».

Au regard de ces deux constats, la création d’un Comité parlementaire de l’euro, proposé par Valéry Giscard d’Estaing dès 1995, semble seule constituer une proposition crédible[67]. Il serait en effet composé de parlementaires nationaux d’États de la zone afin de recréer un lien, qui a été paradoxalement rompu par l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct, entre le niveau national et le niveau européen[68] dans une matière marquée par la place prépondérante reconnue aux organes intergouvernementaux. Mais, parce que le Comité parlementaire de la zone euro ne viendrait pas agir en complément du Parlement européen, pour « éviter tout antagonisme entre les parlements nationaux et le parlement européen, entre État-nation et Europe[69] », il devrait également être composé, pour partie, de parlementaires européens élus dans des États de la zone euro. Dans cette optique, il convient de représenter à égalité les députés européens et les représentants des parlements nationaux au sein du Comité parlementaire de l’euro. Valéry Giscard d’Estaing avait d’ailleurs proposé, suivant cette logique, de constituer un Comité parlementaire de l’euro pouvant compter de 100 à 120 membres pour moitié de parlementaires européens des États membres de la zone euro et pour moitié des représentants des parlements nationaux de ces mêmes États désignés à la proportionnelle par leurs pairs[70]. Quant aux deux modalités possibles de répartition des sièges entre les États que constitue la répartition égalitaire entre les États à l’instar du Sénat des États-Unis et la représentation inégalitaire à l’image du Bundesrat qui surreprésente toutefois les Länder les moins peuplés[71]. Le débat est ouvert, mais la représentation égalitaire défendue par les « petits » États semble être la plus adéquate. En effet, la composition du Comité parlementaire prendrait déjà en compte la taille des États membres de la zone euro en étant pour moitié composée de députés européens représentant proportionnellement la démographie de chaque État. De même, la plupart des objectifs économiques seraient adoptés par l’Eurogroupe en procédant, lors du vote, à une pondération des voix. Dès lors, il « semble inutile de minorer la place des plus petits États. Il apparaît […] que les inconvénients psychologiques d’une répartition inégalitaire l’emporteraient de beaucoup sur les avantages en termes de juste représentation[72] ».

Les prérogatives qui seraient dévolues à un Comité parlementaire de l’euro apparaissent, dans leurs grandes lignes, moins difficiles à établir.

En premier lieu, la mise en place d’instruments budgétaires fédéraux implique un rehaussement conséquent du plafond des ressources propres. Une telle évolution devrait s’accompagner d’une revalorisation conséquente des pouvoirs actuels du Parlement européen en matière de recettes au profit du Comité parlementaire de l’euro[73]. De même, si un impôt européen devait être créé, en vertu du principe du consentement à l’impôt qui constitue à n’en pas douter un principe général du droit de l’Union européenne (PGDUE), les parlementaires européens, qui représentent les citoyens européens, devraient a fortiori être en mesure de se prononcer de manière décisive. Classiquement, le consentement des citoyens à l’impôt, principe reconnu dans tous les États membres, est en effet réalisé par le biais du consentement de leurs représentants. Une modification de l’article 311 TFUE qui prévoirait la possibilité pour l’Eurogroupe de créer une ou plusieurs ressources propres déterminées, sur proposition de la Commission et en codécision avec le Comité parlementaire de l’euro, légitimerait la création d’un impôt européen. Pour autant, la procédure d’adoption de la décision créant un impôt unique ne pourra pas être délestée de sa phase étatique d’adoption. Elle est en effet dotée d’un caractère paraconstitutionnel, puisqu’elle complète les dispositions des traités relatives au mode de financement du budget européen, qui implique qu’elle soit soumise pour ratification aux parlements nationaux[74].

En deuxième lieu, dans la perspective de l’institutionnalisation de l’Eurogroupe, le Comité parlementaire de l’euro disposerait, sur le modèle actuel, d’un pouvoir de codécision pour toutes les décisions liées à l’utilisation du budget de la zone euro, notamment pour l’octroi d’une aide financière de stabilisation conjoncturelle. En ce qui concerne la coordination des politiques économiques, il disposerait d’un pouvoir consultatif. L’Eurogroupe devrait dès lors s’appuyer de manière importante sur les recommandations que rendrait le Comité parlementaire de l’euro pour élaborer les objectifs de politiques économiques et surveiller les finances publiques nationales. Les mécanismes de coordination indicative comme coercitive devraient être modifiés en ce sens pour assurer un contrôle démocratique complet et octroyer une plus-value certaine à la gouvernance économique en termes de légitimité[75]. Ex ante, tout d’abord les recommandations relatives aux grandes orientations des politiques économiques (GOPÉ) et les rapports relatifs à l’évolution économique dans chacun des États membres et ceux relatifs à la surveillance de l’évolution des finances publiques des États membres seraient transmis au Comité parlementaire de la zone euro afin qu’il puisse en débattre. Ex post ensuite, ce dernier devrait être mis en situation, par le biais de résolutions, d’évaluer le contenu des mesures adoptées.

Le Comité parlementaire de l’euro exercerait en outre une fonction efficace de dialogue et par conséquent de contrôle sur l’Eurogroupe en ce que les parlementaires nationaux pourraient collectivement marquer leurs éventuels désaccords au niveau européen et établir collectivement une attitude commune à observer au niveau national qui demeurera un centre de décision essentiel dans la mesure où la plupart des décisions contraignantes y seront adoptées[76]. Dans ce cadre, le Président de l’Eurogroupe viendrait régulièrement se présenter devant le Comité parlementaire de la zone euro afin de l’informer des mesures adoptées[77]. Et, de son statut de Vice-président de la Commission européenne, découlerait une responsabilité politique opérationnelle en ce qu’il pourrait faire l’objet, avec l’ensemble de la Commission, d’une motion de censure votée par le Comité parlementaire de l’euro. Cette responsabilité serait complétée par une responsabilité individuelle devant le Conseil européen qui, avec l’approbation du Président de la Commission, aurait le pouvoir de le démettre.

Un Comité parlementaire de la zone euro devrait, en dernier lieu, être en mesure d’assurer un contrôle démocratique approfondi de la BCE de telle sorte que les dirigeants de la BCE viendraient exposer devant lui les objectifs de leur politique[78]. Au-delà de l’amélioration du dialogue monétaire entre le Parlement européen et la BCE, qui nécessite de fixer la périodicité des auditions de la BCE[79] et d’attribuer aux députés un temps de parole plus conséquent, il conviendrait de répondre aux exigences fixées par la commission économique du Parlement européen pour concrétiser le dialogue avec la BCE[80]. Il s’agit, d’une part, afin de s’assurer de l’intégrité et la compétence des candidats au poste de membre du directoire de la BCE, de consacrer le principe suivant lequel les chefs d’État et de gouvernement ne nomment aucun candidat n’ayant pas reçu l’approbation politique du Comité parlementaire de l’euro. Il s’agit d’autre part et comme le réclame sans discontinuer le Parlement européen, d’imposer à la BCE convienne, devant le Comité parlementaire de l’euro, de décrire précisément la manière dont la politique monétaire doit, conformément aux traités, apporter son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union sans porter préjudice à l’objectif de stabilité des prix et apprécie les résultats de sa politique. Il s’agit enfin d’obliger la BCE à revenir sur sa décision, visant à protéger son indépendance[81], de ne pas publier certains documents relatifs à la conduite de la politique monétaire, comme les procès-verbaux de ses décisions[82] ou de ne pas les publier le jour même de la décision.

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La dégradation de la conjoncture économique, entre 1993 et 1996, puis la crise du PSC en novembre 2003, avaient déjà mis en relief les carences de la gouvernance économique européenne. Les crises financières, économiques et des dettes publiques d’États membres de la zone euro ont, à partir de 2007, confirmé que le modèle de gouvernance économique, fondé sur le maintien des compétences économiques étatiques, privait l’Union de moyens d’intervention efficaces et la cantonnait à des actions d’importance marginale situées en deçà des seuils d’efficacité.

Pour les circonscrire, des réformes d’une ampleur jamais atteinte depuis le lancement de l’UEM sont en cours de réalisation. Elles ont déjà abouti à combler certaines carences du dispositif européen de gouvernance économique notamment en le dotant d’un mécanisme pérenne de stabilisation conjoncturelle.

Au-delà, le projet, porté depuis les origines de l’UEM, de constituer un gouvernement économique européen refait surface. Il vise, d’une part, à créer une union de transferts budgétaires pour que l’Union dispose de la capacité d’effectuer des transferts budgétaires d’une masse critique et, par conséquent, de constituer une union budgétaire de type fédéral. Il a, d’autre part, pour ambition d’institutionnaliser l’Eurogroupe pour que, doté d’une légitimité démocratique, il devienne une institution capable d’oeuvrer à un pilotage effectif de la coordination des politiques nationales et, in fine, à l’élaboration d’un policy mix européen. Force est néanmoins, pour l’instant, de constater que le dispositif actuel de gouvernance économique, tel qu’il a été réformé, demeure largement fondé sur une logique intergouvernementale, et ne s’inscrit par conséquent pas dans cette perspective intégrationniste.