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La violence sexiste — violence conjugale, violence à caractère sexuel, harcèlement — est le résultat des inégalités entre les hommes et les femmes. Il est démontré que les jeunes femmes sont plus vulnérables à la violence sexiste, qu’elle soit sexuelle ou conjugale, que l’ensemble des femmes[1] (Conroy, 2017). Comme la violence est un enjeu de pouvoir où les abuseurs (le plus souvent des hommes) exercent leur domination sur des personnes qu’ils perçoivent comme étant plus vulnérables qu’eux, les filles de par leur âge et leur expérience de vie limitée sont en situation de désavantage. Elles le sont davantage si elles font partie d’un groupe sujet à la discrimination à cause de leur origine ethnique, d’une situation de handicap, de leur orientation ou de leur identité sexuelle, de leur statut économique ou autre. Être mieux informées et outillées pourrait permettre aux filles de mieux percevoir les situations de risque et de développer des stratégies pour s’y échapper. Développer des connaissances et des habiletés à l’adolescence contribuera donc à augmenter la sécurité des femmes comme c’est le cas des participantes aux ateliers de Jeunes femmes en action (JFA) et ce, dans l’immédiat et pour le reste de leur vie.

Depuis plusieurs années, le Centre Passerelle pour les femmes du District de Cochrane (CPF) offre les ateliers Filles fantastiques aux étudiantes de niveau secondaire. Originellement appelé GirlSpoken, ce programme a été élaboré par Jessica Stein, Heather Holland, et Carol Kauppi (paru sous forme de livre en 2008)[2]. Traduit et adapté par Ginette Demers, Jessica Hein et Heather Holland pour le Centre Victoria pour femmes de Sudbury, il a pour titre Filles fantastiques (FF). Composé de cinq ateliers axés sur les arts, ce programme a remporté un grand succès dans les écoles francophones de la région et les jeunes filles demandaient plus d’ateliers. Pour ce faire, le CPF a obtenu du Gouvernement de l’Ontario les fonds nécessaires à la réalisation d’un programme complémentaire appelé Jeunes femmes en action, dont l’objectif principal est d’augmenter la capacité des filles à se protéger des différentes formes de violences faites aux femmes. Pour donner suite à une consultation auprès des participantes au programme FF et des intervenantes ayant offert le programme, il a été établi que les ateliers auraient pour objectifs de :

  • développer davantage les connaissances sur la violence faite aux femmes : rapports de pouvoir, mythes, consentement, émotions, impacts, droits, importance de l’autonomie, etc.;

  • développer des connaissances et de favoriser la mise en pratique d’habiletés liées aux approches antiracisme et anti-oppression et à la sécurité;

  • offrir des activités de découverte de soi;

  • aborder des enjeux d’actualité tels que l’exploitation sexuelle, la sécurité sur les médias sociaux et autres;

  • favoriser la solidarité entre filles, l’entraide et l’implication communautaire.

Les ateliers sont animés par deux intervenantes possédant l’expérience nécessaire d’intervention auprès des jeunes femmes. Les filles désirant participer au groupe doivent rencontrer les intervenantes avant le début des rencontres de groupe, afin de déterminer si elles ont des besoins particuliers et si elles sont prêtes à vivre ce genre d’expérience. Le nombre de participantes est de huit à dix filles en âge de fréquenter l’école secondaire.

Le CPF a offert de la formation sur le nouveau programme de Jeunes femmes en action et distribué les outils développés pour celui-ci à l’ensemble des services en français en matière de violence faite aux femmes en Ontario, renforçant ainsi les capacités des organismes.

Quant au contenu du guide, on débute avec les principes qui doivent orienter l’intervention auprès des jeunes filles soit, le féminisme, l’approche anti-oppression et antiracisme, l’intersectionnalité, l’interculturalisme, l’accessibilité et la défense des services en français.

En ce qui a trait aux ateliers, il était prévu au départ d’en élaborer huit, d’une durée de trois heures chacun. Toutefois, les intervenantes consultées ont indiqué qu’il est difficile d’avoir suffisamment d’heures afin de travailler avec les jeunes filles lorsque le programme est offert dans les écoles secondaires, là où le programme est proposé le plus souvent. Le guide a donc été structuré différemment. Ainsi, il offre une série d’outils et de thèmes dans lesquels les intervenantes peuvent piger pour offrir des ateliers de plus courte, selon la progression suivante :

Ateliers 12 :

Créer la confiance (ententes, confidentialité, sécurité, anti-oppression)

Ateliers 26 :

Enjeux, matériel éducatif, exercices de découverte de soi

Ateliers 78 :

Aller vers l’avenir, boucler la boucle

Advenant que le gouvernement de l’Ontario aille de l’avant et permette aux jeunes femmes âgées de 14 ans et plus[3] de se prévaloir des services dans les centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), le guide pourrait alors être utilisé dans son ensemble. Cela aurait également pour avantage de pouvoir aborder des sujets comme l’homosexualité et l’avortement, sujets hélas encore tabous pour certains conseils scolaires de la province.

Thèmes abordés

Après que les participantes se soient entendues sur les modalités de fonctionnement du groupe (entente de confidentialité, usage du téléphone pour des photos, etc.), le groupe effectue un retour sur les thèmes de Filles fantastiques : la roue du pouvoir et du contrôle, la roue de l’égalité et la Charte de mes droits, suivi d’exercices sur l’identité, la communication, l’image corporelle, les relations intimes et la santé. De plus, les intervenantes facilitent une discussion qui porte sur le privilège et l’exclusion afin de développer la solidarité à l’intérieur du groupe.

Les prochaines activités ont pour thèmes la connaissance de soi, certains éléments de la psychologie de l’adolescence et un exercice portant sur la capacité de nommer ses émotions, dans toutes leurs nuances. Ensuite, les jeunes filles discutent d’argent à l’aide d’un jeu, pour favoriser la prise de conscience au sujet de l’autonomie financière des femmes, un enjeu clé pour réduire ou éliminer la dépendance financière de ces dernières, et ainsi, diminuer leur vulnérabilité dans une situation où elles font face à la violence.

On traite aussi de la violence faite aux femmes, de ses conséquences sur la santé physique et mentale; on profite aussi du moment pour informer les jeunes filles de la présence de services dans leur communauté. Il est nécessaire pour les animatrices du groupe de bien connaître leur rôle d’intervenante, car les dévoilements de violence envers les jeunes filles sont possibles. Comme les jeunes filles sont souvent aux prises avec diverses situations comme le partage de photos et les rencontres sur les médias sociaux ou encore, savoir ce qu’est un réel consentement, ou la traite et la prostitution pour ne nommer que celles-là, le programme permet de tenir des discussions sur ces sujets. Tout comme dans FF où on faisait usage d’activités artistiques, on leur propose ici d’écrire un slam et de créer un zine qui soient porteurs de messages dénonçant la violence faite aux femmes.

Dans un dernier temps, on aborde les stéréotypes féminins et masculins et on ouvre sur le maintien des inégalités dans la société, incluant le rôle que joue l’État sur ce plan. Dans une ère de dénonciation des violences sexuelles, de l’inceste, des viols et du harcèlement, il est important d’aider les jeunes filles à se situer face à ces enjeux. Finalement, ces dernières sont invitées à se projeter dans l’avenir et à célébrer le chemin parcouru tout au long des ateliers.

Il est plus difficile pour les jeunes filles francophones en milieu minoritaire d’avoir accès à des ressources en français, et encore plus lorsqu’elles proviennent d’une localité rurale où il y a peu de services à proximité. Participer à un groupe en milieu scolaire, palier secondaire, et être informée de l’existence de services sert à briser l’isolement et à développer un sentiment d’appartenance. Les informations reçues servent à outiller les jeunes filles face aux aléas de la vie et aux violences dont elles peuvent avoir été ou être éventuellement les victimes. Certaines prises de conscience, par exemple face à l’autonomie financière des femmes, peuvent servir de motivation à la poursuite des études. Plus important encore, la participation aux ateliers peut réduire des barrières advenant qu’elles soient confrontées à la violence au cours de leur vie. Il peut être difficile pour certaines survivantes de violence d’aller chercher du soutien, notamment à cause de la honte, du tabou ou de la peur. Parler de l’agression sexuelle ou de la violence dans une relation intime est une démarche qui peut sembler parfois impossible et le CPF a espoir qu’en rejoignant un grand nombre de jeunes filles à travers l’Ontario, que soit facilitées leurs démarches vers un programme de soutien et de guérison.