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Politics, Culture and Economy in Popular Practices in the Americas est un ouvrage collectif réunissant dix essais qui abordent l’étude des cultures et pratiques populaires à partir de différentes disciplines : l’anthropologie, la sociologie, l’histoire de l’art et le travail social.

Les directeurs de l’ouvrage contestent le silence et l’approche qui se sont imposés comme facteurs dominants dans le domaine des études sur la culture populaire en Amérique latine à partir des années 1990. Selon Pablo Alabarces, l’un des contributeurs, il s’agit d’une approche qui semble définir le populaire comme un phénomène isolé et réduit à la consommation de masse, alors que pour Eduardo González Castillo, Jorge Pantaleón et Nuria Carton de Grammont, le populaire se caractérise comme un espace relationnel constitué par les membres des classes dominées à partir de leurs pratiques quotidiennes, festives et rituelles.

Chaque auteur soulève des questions pertinentes au sujet de l’étude empirique de la culture populaire. Qu’est-elle exactement et comment est-elle construite ? Est-elle subversive ? Peut-elle être caractérisée comme une force de changement ou, au contraire, comme une force qui légitime l’ordre politique ? Est-ce que la manière dont les agents sociaux comprennent la notion de « culture populaire » est nécessairement opposée à celle des groupes dominants ?

Dans tous les chapitres, l’analyse fait ressortir la pluralité des voix qui participent à la construction de la culture populaire comme dimension de la vie sociale. Les pratiques pertinentes des sujets « autres » qui interagissent avec celles des populations subordonnées sont aussi prises en considération au fil des réflexions : les bureaucrates, les ONG, les groupes au pouvoir, etc. En outre, les auteurs montrent dans leurs contributions que la culture populaire est un lieu d’importants processus politiques, économiques et sociaux dans les Amériques : la transition vers la démocratie, les réformes néolibérales, la migration nationale et internationale, les politiques de sécurité et les mouvements sociaux.

Les collaborateurs de Politics, Culture and Economy in Popular Practices in the Americas s’intéressent en particulier à l’évolution des pratiques populaires dans le contexte des réformes néolibérales et de la transformation de l’État dans les Amériques. Ainsi, les travaux de Laura Navallo et Julieta Infantino, qui portent respectivement sur la danse et le cirque au Brésil et en Argentine, problématisent la coprésence de la culture populaire et de l’État dans des domaines sociaux complexes où interagissent la société civile, les différentes classes sociales et les entrepreneurs. L’essai de Ricardo Macip sur la lucha libre (le catch) au Mexique rend compte des récits dont le public de ce spectacle fait étalage et de la manière dont le catch symbolise la confrontation des forces du bien et du mal. Carton de Grammont, pour sa part, étudie les représentations de la culture populaire et du processus d’urbanisation dans différentes oeuvres d’art contemporain. L’auteure souligne la critique sociale qui y est présente.

Les biens et les pratiques économiques populaires sont aussi abordés en fonction de leurs rapports avec l’État. Dans son ethnographie sur la triple frontière entre le Paraguay, l’Argentine et le Brésil, Brígida Rinoldi propose d’aller au-delà des classifications imposées par l’État (tels « légal » et « illégal »), car elle considère que celles-ci empêchent de voir la complexité de la vie des personnes qui croisent quotidiennement cette frontière et leurs pratiques économiques. Dans son étude sur les jeunes en difficultés par rapport à la loi à Montréal-Nord, González Castillo fait valoir que la notion d’« État » est essentielle pour comprendre l’émergence du sujet populaire lors de l’interpellation policière. Pantaleón, pour sa part, développe une étude des travailleurs temporaires provenant de l’Amérique latine au Québec. Il remet en question certains préjugés associés à la manière dont des instances publiques approchent les pratiques de ces travailleurs.

À l’exception du texte d’Alabarces, qui fait le point sur l’étude de la culture populaire en Amérique latine, chaque chapitre de cet ouvrage collectif consiste en une étude de cas basée sur des données empiriques, souvent ethnographiques, lesquelles s’articulent avec des discussions théoriques solides allant de Latour et Foucault à l’économie politique et aux études culturelles. Ce livre peut être utile pour un public universitaire spécialisé dans les sciences sociales et intéressé par l’évolution du continent américain. Il apporte sa contribution à un débat toujours actuel sur la question de la culture « populaire » et soulève des questions nécessaires pour que la discussion puisse se poursuivre.