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La guerre d’indépendance suscite dès son déclenchement un intérêt, voire un véritable engouement, de la part des milieux intellectuels français. Cette « américanomanie[1] » s’accentue à partir de 1778, après la signature des traités d’alliance, d’une part, et d’amitié et de commerce, d’autre part. Des dizaines d’ouvrages en français, imprimés en France, aux Pays-Bas ou à Londres, sont alors publiés sur la Révolution américaine, l’indépendance des États-Unis, la guerre contre l’Angleterre et les nouvelles institutions américaines. Ces textes sont de natures diverses et se présentent sous la forme d’essais, de vraies ou de fausses traductions, de chroniques historiques ou de récits fictionnels[2]. Nombre d’entre eux ont été écrits par des auteurs relativement peu connus et qui restent rarement étudiés aujourd’hui. Ces imprimés s’inscrivent dans une vague de publications en français qui, dans les années 1780, portent sur les États-Unis en général. Ils comprennent entre autres, et pour ne citer que les plus célèbres, des récits de voyage (comme les Voyagesdans l’Amérique septentrionale de Chastellux parus en 1786), des narrations comme l’autobiographie fictionnelle du fermier James (dans les Lettres d’un cultivateur américain dont la première édition en français date de 1784), et la traduction des Notes on the State of Virginia par l’abbé Morellet, publiée en 1786.

Malgré l’importance numérique de ce corpus de textes publiés en français sur la Révolution américaine dans la décennie qui précède la Révolution française, il n’existe pas d’étude systématique approfondie du contenu de ces écrits, ni de leurs conditions de production et d’impression, ni de leur réception. Que faire de cet important corpus d’un point de vue historiographique est une question non résolue à ce jour, et une histoire de la réception intellectuelle de la Révolution américaine en France à la fin du xviiie siècle reste à écrire[3]. Comment intégrer ces écrits, et en particulier ceux des auteurs les plus connus comme Brissot et Condorcet, dans un récit interprétatif de l’histoire des révolutions de la fin du xviiie siècle, voire dans une histoire de type « atlantique », est à déterminer, notamment au vu des récentes contributions visant à renouveler cette approche « atlantique[4] ». Convient-il dans ce cas de voir ces écrits comme des documents illustrant la thèse proposée par Jonathan Israel de l’émergence d’un républicanisme démocratique dans les années précédant la Révolution française, ou bien constituent-ils un moment unique qui n’est ni un laboratoire d’idées pour 1789, ni un simple éloge de l’Amérique dans un contexte géostratégique de revanche sur l’Angleterre?

Les plus connus de ces textes, dont les auteurs sont encore souvent décrits, avec plus ou moins de nuance, comme des « américanistes[5] », ont récemment suscité un regain d’intérêt, notamment le débat entre Mably, Turgot et John Adams, ainsi que les écrits de Brissot et de Démeunier[6]. Ce dernier a, par ailleurs, bénéficié d’une relecture par Jefferson de son Essai sur les États-Unis (1786), qui était à l’origine un article pour l’Encyclopédie méthodique. Jefferson a également suggéré des révisions à François Soulès, qui a publié en 1785 une Histoire des troubles de l’Amérique anglaise. Il en est de même d’autres textes relus par John Adams et Benjamin Franklin. Du point de vue de l’histoire du livre, les écrits consacrés aux insurgents dans les années 1780 apparaissent parfois dans des études plus larges portant sur l’évolution de l’imprimé en France à la fin du xviiie siècle, sans qu’ils ne soient traités à part ou sans qu’une importance particulière ne leur soit accordée en tant que telle[7].

La question de la censure est à cet égard incontournable. Tous les ouvrages portant sur la Révolution américaine et la guerre d’indépendance que leurs auteurs souhaitent faire imprimer ou faire circuler, en France et à Paris en particulier, ont fait l’objet d’une relecture préalable à la fois par un censeur, Cadet de Saineville principalement, et par le ministre des Affaires étrangères, Vergennes, puis Montmorin après la mort de ce dernier en février 1787. Après cet examen, les ouvrages, imprimés ou à paraître, pouvaient obtenir une autorisation pleine et entière d’impression ou de distribution, être « rayés » ou bien se voir accorder une permission de publier, mais sans qu’elle ne fût officielle. Ces « permissions tacites » concernaient des imprimés contenant des positions non orthodoxes, politiquement ou religieusement parlant, mais qui, toutefois, n’allaient pas jusqu’à constituer une menace pour la monarchie ou l’Église françaises. Étant donné les principes sur lesquels était fondée la Révolution américaine, il n’est pas surprenant de retrouver sur la liste des permissions tacites la majorité des ouvrages qui y sont consacrés.

Bien que la contribution des « américanistes » les plus célèbres (Brissot, Condorcet, Démeunier) soit fréquemment évoquée, celle d’autres auteurs français moins en vue n’a pas été analysée en détail. On peut évoquer Michel-René Hilliard d’Auberteuil, surtout connu pour ces écrits sur Saint-Domingue, François Soulès, futur traducteur de Rights of Man, ou Antoine-Marie Cerisier, journaliste établi en Hollande. Ces écrivains ont été en contact plus ou moins étroit avec les Fondateurs américains ayant séjourné en Europe dans les années 1780. Or, ces collaborations n’ont été que superficiellement abordées, à l’exception de celle entre Cerisier et John Adams. Il ne s’agira pas ici de se pencher sur le contenu des textes publiés par ces auteurs français, analyse que j’ai entamée ailleurs[8], mais de considérer les échanges entre ces auteurs et les Fondateurs américains par le biais de la correspondance, publiée et non publiée, de ces derniers. Ces lettres permettent en effet de mieux comprendre la rédaction, l’impression et la distribution de ces ouvrages en France et aux États-Unis, processus qui n’ont pas jusqu’à présent fait l’objet d’une recherche approfondie. De même, du côté français, les Archives de la Chambre syndicale de la Librairie de Paris, qui contiennent les registres des permissions tacites, ainsi que les rapports des censeurs sur un certain nombre de manuscrits à paraître et d’ouvrages déjà publiés, n’ont pas été utilisées pour saisir les enjeux détaillés de la circulation de ces imprimés. Or, l’étude croisée de ces sources relativement négligées révèle l’ambivalence de ce moment franco-américain des années 1780, qui n’est ni une phase préparatoire à la Révolution française, ni un moment d’entente parfaite entre les élites intellectuelles américaines et françaises. Elle confirme qu’il s’agit bien d’une période particulière, dont le sens historiographique demande toutefois à être arrêté pleinement. Cet article doit donc se comprendre comme une contribution à un chantier plus global visant à réévaluer les échanges intellectuels franco-américains pendant les années précédant la Révolution française, projet qui appartient à la fois à l’histoire de la Jeune République américaine et à l’histoire intellectuelle européenne et « atlantique », ou du moins « transatlantique ».

Réseaux et correspondances transatlantiques : exemples de collaborations et de débats éditoriaux franco-américains

S’il n’est pas pertinent de qualifier de « propagande », comme le faisait Durand Echeverria dans les années 1950 en pleine guerre froide[9], toute intervention des Pères fondateurs américains dans la rédaction et la diffusion d’ouvrages en français sur les États-Unis, il semble qu’on puisse néanmoins considérer leur rôle comme l’une des premières initiatives de diplomatie culturelle. On peut distinguer plusieurs types de collaborations à cet égard : d’une part, des partenariats solides et continus, dont je vais étudier ici un exemple, celui des liens entre John Adams et Antoine-Marie Cerisier, et, d’autre part, des collaborations plus ponctuelles, semble-t-il, qui prennent la forme de relectures et de corrections de manuscrits, d’épreuves ou de textes déjà publiés, et que j’illustrerai ici via les échanges entre, d’un côté, Michel-René Hilliard d’Auberteuil et Benjamin Franklin, et, de l’autre, François Soulès, Thomas Jefferson et John Adams. Une fois leurs ouvrages imprimés, les auteurs français faisaient également appel aux réseaux américains pour faciliter leur diffusion en Europe ou aux États-Unis. Cette typologie sommaire est provisoire et tributaire des sources disponibles. On dispose, par exemple, des lettres adressées par Hilliard d’Auberteuil à Benjamin Franklin, mais pas des réponses de ce dernier, du moins ne figurent-elles pas dans les papiers de Franklin. De même, aucune lettre de John Adams à François Soulès n’a été retrouvée à ce jour. Plus que le contenu de ces écrits en français, les choix de forme et de format, mais également du mode de diffusion de ces textes, nous renseignent sur les dessous de ce moment intellectuel franco-américain.

Antoine-Marie Cerisier et John Adams, ou la traduction comme stratégie intellectuelle

Antoine-Marie Cerisier, journaliste français établi aux Pays-Bas et rédacteur en chef du Politique hollandais, publie à Londres en 1780 un petit ouvrage intitulé, Le destin de l’Amérique. Celui-ci se présente sous la forme d’une traduction fictive qui vise à corriger les nouvelles erronées données par un certain nombre de journaux britanniques sur la guerre d’indépendance, fausses informations qui préoccupaient les Fondateurs américains. Par-delà le point de vue pro-américain et anti-anglais adopté par Cerisier, la forme de cet ouvrage est significative. La traduction, réelle ou non, était alors considérée comme une arme efficace dans ce qui s’apparente à une guerre de l’information, de la désinformation et de la contre-information sur la Révolution américaine en Europe. Pour parachever la vraisemblance de sa supercherie, Cerisier inclut sur la page de titre une citation en anglais de Josiah Tucker (favorable à l’indépendance des colonies, mais qui n’était pas un partisan des patriotes américains) et place en ouverture une introduction en français qui mentionne le succès de l’édition originale en anglais de ce prétendu ouvrage qui en serait à sa « quatrième édition[10] ».

C’est à cette époque, en 1780, que Cerisier commence à collaborer avec John Adams, qui est alors en mission aux Pays-Bas, et a établi ses quartiers à Amsterdam[11]. Ceriser et Adams échangent près d’une trentaine de lettres qui nous renseignent sur la genèse, l’écriture et la publication d’un certain nombre de textes. Cette correspondance tend également à montrer que, loin d’être le simple porte-parole de John Adams, Cerisier conserve son propre point de vue sur les événements qui se déroulent aux États-Unis, en France et en Hollande. Outre la publication d’articles à la demande de John Adams, Cerisier traduit un certain nombre de textes en anglais, à l’initiative plus ou moins explicite de John Adams. Cerisier entreprend par exemple, à l’automne 1780, de traduire The Narrative of Lieut. Gen. Sir William Howe… Relative to his Conduct During his Late Command of the King’s Troops in North America que lui a prêté John Adams, mais on ne sait pas si c’est avec la consigne de le traduire ou de l’utiliser pour écrire une éventuelle histoire de la Révolution américaine. Cerisier s’excuse d’ailleurs auprès de ce dernier d’avoir gardé son exemplaire « si longtemps[12] », ce qui tendrait à prouver qu’il n’a pas reçu d’instructions précises de sa part sur la nécessité de le traduire.

Dans cette même lettre du 15 novembre 1780, Cerisier explique à John Adams que sa traduction est sous presse et qu’il a déjà mis « en italiques tous les passages qui peuvent servir à détruire les fausses opinions[13] ». Il ne semble donc pas ici demander l’intervention du diplomate américain. Dans cette même lettre, Cerisier l’informe de son intention d’écrire une préface où il souhaite démontrer « l’impossibilité de conquérir l’Amérique. 1° par la difficulté des lieux. 2° par les dispositions des Habitans[14] ». La préface qui figure dans l’édition de cette traduction est datée du 25 novembre 1780, soit 10 jours plus tard. Cerisier y a bien inclus les points indiqués dans sa lettre à Adams. Les États-Unis y sont qualifiés de « pays inconquérable », dont les habitants ne se trouvent pas dans une attitude de regret ou de nostalgie vis-à-vis de la Grande-Bretagne, mais ont au contraire coupé le cordon ombilical qui les reliait à la mère-patrie. La mise en italiques de passages choisis est par ailleurs justifiée en fin de préface, mais selon des termes moins explicites que dans la lettre à John Adams. Cerisier décrit pour le public ces paragraphes comme permettant de mieux appréhender les enjeux et le déroulement de la guerre[15]. Dans cette préface, il présente sa traduction comme un « document » dont l’authenticité même peut servir la cause des États-Unis en tant que telle et contrer les informations, sous-entendues inexactes, des journaux européens. Il s’agit, en effet, d’intégrer à une campagne pro-américaine les révélations faites par le général déchu sur le mythe de toute-puissance de l’armée britannique. À cette fin, Cerisier réalise à la fois une traduction et une édition critique. La traduction en français, qui était la langue de la diplomatie, est clairement ici un instrument mis au service de la cause des Américains.

Bien qu’ouvertement pro-américain, Cerisier défend une forme de républicanisme, qui n’est pas forcément du goût de John Adams. Ainsi, le 26 février 1783, Cerisier propose à ce dernier de faire paraître ensemble sa propre traduction de la réponse de Thomas Paine à Raynal et celle de la Dissertation sur le droit canon et féodal, publiée en anglais par John Adams en 1765. Cerisier justifie le lien entre les deux ouvrages en indiquant que l’écrit de John Adams permet d’étayer un certain nombre de points avancés par Paine dans son texte de 1782[16]. Cette édition, qui aurait dû être précédée d’une préface rédigée par Cerisier, ne vit jamais le jour. Je n’ai pas trouvé la réponse que John Adams a faite à Cerisier par écrit, s’il y en eut une, mais on peut supposer que John Adams s’est opposé d’une manière ou d’une autre à la publication conjointe de ces deux traductions au vu de son hostilité aux idées de Paine.

La version française préparée par Cerisier de la réponse de Paine à Raynal, publiée en 1782 en anglais sous le titre Letter to the Abbe Raynal, paraît donc seule. Elle est la troisième traduction de ce texte qui a alors déjà eu un certain retentissement en Europe[17]. Cerisier a modifié le titre de Paine puisqu’il intitule sa version traduite, Remarques sur les erreurs de l’Histoire philosophique et politique de Mr Guillaume Thomas Raynal. Il a, en outre, choisi de diviser le texte de Paine en sections, cohérentes, à chacune desquelles il a également donné un titre. Cerisier n’a, semble-t-il, pas été en contact direct avec Paine au sujet de ce projet de traduction, puisque je n’en ai trouvé aucune trace dans la correspondance ni de Paine, ni de Cerisier, ni d’autres Américains. Cerisier, dont le nom figure sur la page de titre, contrairement aux deux autres ouvrages qu’il a publiés précédemment, paraît lui-même l’avouer dans sa préface du traducteur, où il revendique la « liberté[18] » qu’il a pu prendre avec le texte de Paine tout en demandant à ce dernier de faire preuve d’indulgence. Outre l’ajout de sous-titres, Cerisier indique qu’il a « substitué la dénomination d’Historien Philosophe à celle d’Abbé [19]» pour désigner Raynal dans le texte. Cette modification est en rapport avec celle du titre : Cerisier souhaite capitaliser sur le succès de l’ouvrage de Raynal, l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes. Cerisier, dans sa préface, fait ainsi explicitement de l’écrit de Paine un complément ou, selon ses propres termes, un « supplément » indispensable à l’oeuvre de Raynal. Cette préface démontre qu’il a clairement senti le potentiel de la controverse entre Paine et Raynal. Il y décrit en effet le lectorat visé par cette traduction, qui comprend l’élite européenne lettrée et politique, notamment des Pays-Bas[20].

Gabriel Bonnot de Mably, intellectuel et philosophe à la carrière alors déjà longue, publie en 1784 un essai sur le régime politique américain qui est dédié à John Adams. Le rôle joué en sous-main par celui-ci dans la publication des Observations sur le gouvernement et les lois des États-Unis d’Amérique est relativement bien connu[21]. John Adams tente de faire pression sur Vergennes, dont il s’est aliéné le soutien en 1780, pour que l’ouvrage soit publié en France. Il adresse le 26 septembre 1783 une courte note en français au ministre des Affaires étrangères où il précise qu’il « voudrai[t] faire imprimer un petit ouvrage qui ne contiendra que des remarques sur les Constitutions américaines », référence à la publication du texte de ces Constitutions pilotée par Benjamin Franklin et sur laquelle je reviendrai plus loin. Le 4 octobre, Vergennes considère que la procédure d’accréditation de l’ouvrage doit suivre son cours et il fait savoir à John Adams que c’est le directeur de la Librairie, Le Camus de Néville, qui peut prendre la décision[22]. John Adams fait alors rapidement appel à Cerisier, le 16 octobre, pour organiser l’impression de l’ouvrage à Amsterdam. Adams demande à Cerisier de corriger la version manuscrite du texte recopiée par Chalut, puis d’envoyer les épreuves à Mably pour correction. Plusieurs éditions en français furent publiées en 1784 aux Pays-Bas, notamment par Rosart, qui est également l’éditeur de la première édition en anglais, traduite par Benjamin Choyce Sowden, traducteur que les papiers de John Adams ont permis d’identifier[23].

Dans sa lettre à Cerisier du 16 octobre 1783, John Adams invoque la proximité de principes entre Mably et Cerisier[24]. Bien qu’étant beaucoup plus proche des idées de Turgot que ne l’était Mably, généralement associé au courant républicain classique[25], Cerisier accepte la mission que lui confie John Adams et propose même de rédiger la préface de la traduction en néerlandais du texte de Mably, qu’il appelle « l’Abbé républicain ». Le seul « conseil » que lui donne alors John Adams est de recommander au lecteur de conserver son esprit critique. Dans cette lettre, ce dernier se montre en outre assez paternaliste à l’égard des auteurs européens, qu’il considère, à quelques exceptions près (Mably, Raynal, Cerisier et Price), comme en retard dans le domaine de « la Science de la Société », sous-entendant certainement au rebours des Américains[26]. John Adams descend par la suite lui-même dans l’arène en 1787 en répondant à Turgot dans Defense of the Constitution of the United States, dont la traduction en français ne paraîtra qu’en 1792. Au moment de sa parution en anglais en 1787, Cerisier considère cet écrit d’Adams comme « le bréviaire des véritables principes républicains » et se félicite en novembre de la même année d’une possible influence en Europe, bien que contrecarrée en Hollande, de « la doctrine Américaine des Adams, des Payne, des Price, des Priestley », qu’il met sur le même plan, un peu malencontreusement sans doute selon le point de vue de John Adams[27].

Écrire en français l’histoire de la Révolution américaine

Cerisier nourrit de surcroît, au début des années 1780, le projet d’écrire une histoire de la Révolution américaine, chantier au sujet duquel il consulte John Adams. Si la lettre que celui-ci adresse à Mably le 15 janvier 1783 sur ce thème, publiée ensuite par Cerisier, a été assez souvent commentée, le projet de Cerisier l’a moins été. Le 14 janvier, la veille du jour où il écrit à Mably, John Adams envoie pourtant une lettre à peu près similaire à Cerisier, où il établit un inventaire des sources nécessaires à la rédaction d’une histoire de la Révolution américaine. Cette liste est moins complète que celle qu’il conseille à Mably et sa lettre à Cerisier est plus courte, car sans doute conçue uniquement pour un usage privé. Dans sa réponse du 26 février 1783, Cerisier précise son projet et, même s’il ne mentionne pas Paine, il semble avoir été inspiré par l’intention de l’auteur de la réponse à Raynal de faire circuler en Europe un texte donnant une version (pro-)américaine de la révolution et de l’indépendance des États-Unis. Ainsi Cerisier se propose-t-il de rédiger non « une histoire parfaite », mais « une notice abrégée qui mette les Européens en état de moins se tromper ». Il souhaite publier une sorte de manuel pédagogique, non pas sur la Révolution américaine, mais sur la guerre d’indépendance, permettant, d’une part, de rétablir et d’établir une forme de vérité historique sur les origines et le déroulement du conflit entre les colonies et la mère-patrie, et, d’autre part, de poser un jalon pour ceux qui pourraient entreprendre le projet plus ambitieux d’écrire l’histoire de la révolution. L’inventaire détaillé de documents préparé par John Adams dans sa lettre du 14 janvier n’est donc manifestement pas ce que Cerisier recherche, car il demande encore au négociateur américain de la paix de 1783 de lui conseiller d’autres ouvrages plus en rapport avec son projet. Il fait ainsi référence aux nombreux « pamphlets sur la révolution Américaine » parus à Londres parmi lesquels il convie à John Adams de faire une sélection[28]. Ce dernier ne semble pas avoir répondu sur ce point. Sa lettre suivante, datée du 10 mars, n’en fait pas état et John Adams se contente de solliciter Cerisier pour faire paraître sa lettre à Mably (que John Adams dit avoir également montrée à Marmontel), mais en anonymisant à la fois son auteur et son destinataire. Le futur second président des États-Unis semble continuer à penser que les auteurs français ne sont pas à la hauteur de la tâche consistant à écrire une histoire de la Révolution américaine, y compris Cerisier[29].

Si ni Cerisier ni Mably n’écrivirent d’histoire de la Révolution américaine, un certain nombre d’autres ouvrages parurent, qu’on peut qualifier d’historiographiques, au sens littéral et non au sens scientifique des méthodes de recherche actuelles. Parmi ces publications figurent les Essais historiques et politiques sur la révolution de l’Amérique septentrionale de Michel-René Hilliard d’Auberteuil, publiés en 1781-82. Ce dernier, avocat, s’était fait mal voir des autorités françaises pour ses écrits critiquant l’administration de Saint-Domingue, où il a exercé avant de revenir dans la métropole[30]. On sait d’après les lettres qu’Hilliard d’Auberteuil a envoyées à Benjamin Franklin que ce dernier a corrigé certaines des épreuves de ces Essais entre avril et juin 1782. Le premier volume a été publié en 1781 à Bruxelles et le second en 1782. Il semble que Franklin ait relu au moins les épreuves de « la troisième partie » de ce second volume, à l’initiative d’Hilliard d’Auberteuil, comme le laisse penser la formulation employée par celui-ci dans la lettre accompagnant le premier envoi qu’il fait à Franklin le 10 avril 1782[31]. Toutefois, Franklin n’a, semble-t-il, pas conservé la liste des corrections qu’il a suggérées. De même, je n’ai pas trouvé les éventuelles lettres que Franklin aurait pu adresser à Hilliard d’Auberteuil, dont les archives liées à ses fonctions à Saint-Domingue semblent seules avoir survécu ou du moins avoir été retrouvées pour le moment. Il est donc difficile, voire impossible, de connaître la nature des interventions de Franklin sur le texte. On sait néanmoins que Franklin a contribué à la diffusion de l’écrit d’Hilliard d’Auberteuil, comme en atteste la lettre de Franklin à Robert Livingston du 5 décembre 1782 par laquelle Franklin adresse à ce dernier, à la demande d’Hilliard d’Auberteuil, six exemplaires à distribuer aux États-Unis, dont un à Paine (qui ne lisait pas le français à cette époque) et le reste à sa guise[32].

Jefferson a, pour sa part, proposé un certain nombre de corrections à l’auteur d’un autre ouvrage, François Soulès, traducteur et homme de lettres, qui fit paraître en 1785 une Histoire des troubles de l’Amérique anglaise. Les papiers de Jefferson permettent de connaître avec précision la nature de ces suggestions. Il semble que Jefferson, alors représentant des États-Unis en France, ait commencé sa relecture critique de l’écrit de Soulès avant même que celui-ci ne le lui demande, s’il lui en a jamais fait la requête, car rien n’est moins sûr[33]. Le 3 août 1786, Jefferson dresse ainsi la liste des passages qui lui paraissent mériter une correction ou un infléchissement. Ce document de plusieurs pages se présente sous la forme de citations en français tirées de l’ouvrage de Soulès, suivies de remarques en anglais rédigées par Jefferson. Soulès a manifestement accepté un certain nombre des recommandations de Jefferson dans la seconde édition de 1787, mais pas toutes[34].

Le travail de rapprochement des passages des éditions de 1785 et de 1787 suivant les suggestions de Jefferson a été fait par les directeurs de publication des Jefferson Papers, mais aucune analyse approfondie de cette collaboration ne semble avoir été menée. Les historiens américains ayant travaillé sur Jefferson comparent souvent la malléabilité de Démeunier, qui a plus facilement suivi les conseils de Jefferson, à la liberté prise par Soulès vis-à-vis des suggestions de son interlocuteur[35]. Les choix éditoriaux de Soulès montrent en effet l’usage personnel qu’il a fait de la rhétorique « patriote » de Jefferson (au sens de ce mot dans le contexte de la Révolution américaine opposant les « patriotes » aux « loyalistes », notamment après le 4 juillet 1776). Parmi les éléments saillants de cette rhétorique figurent le lien entre la représentation et les droits qui permettent de la fonder, l’idée que ce sont bien les troupes anglaises qui ont entamé les hostilités à Lexington et le caractère non civilisé de l’armée britannique (dénoncé en particulier par Paine dans ses American Crisis). Soulès a bien introduit dans son texte ces éléments majeurs de la vision « patriote » de la Révolution américaine, à l’exception de la nature barbare du peuple britannique, mentionnée par Jefferson, mais que Soulès, en bon partisan des Whigs et futurs « radicaux » britanniques, tempère, dénonçant même presque la généralisation abusive de son éminent relecteur.

Par ailleurs, nombre des corrections proposées par Jefferson concernent des sources historiques ou sont fondées sur elles, voire sur la « mémoire » ou le « souvenir » que Jefferson dit avoir de ces sources, mémoire qui peut elle-même être considérée comme une forme de document et que Jefferson revendique comme telle, puisqu’il affirme l’exactitude des faits qu’il présente. À plusieurs reprises, il fait référence à des documents privés, tels que « les lettres de George Washington », « le brouillon d’un plan de confédération » proposé par Benjamin Franklin, ou à des archives publiques, comme « les procès verbaux de l’assemblée[36] » de Virginie. Soulès peut donc indiquer sur la page de titre de la seconde édition de 1787 qu’il a écrit « d’après les mémoires les plus authentiques », bien qu’il y ait eu accès indirectement.

En réponse aux remarques de Jefferson qu’il qualifie de « judicieuses », François Soulès, dans une lettre en anglais, qu’il maîtrisait très bien, demande à Jefferson plus de précisions sur des points particuliers, comme l’effectif des troupes américaines à la bataille de Bunker Hill, ou l’accord entre les généraux Washington et Howe sur « l’évacuation de Boston », le 17 mars 1776. Soulès interroge également le ministre plénipotentiaire sur l’interprétation du Stamp Act fournie par Démeunier dans son Essai sur les États-Unis, paru en 1786 et que Jefferson a grandement contribué à amender. Jefferson confirme bien que la date donnée par Démeunier est erronée, mais sans le dire aussi clairement. Il précise en effet simplement la date exacte et propose ensuite à Soulès une analyse assez longue de la portée de cette loi, marquée encore une fois par la rhétorique « patriote ». Jefferson y critique les positions de John Dickinson exposées dans ses Letters from a Farmer in Pennsylvania (1767-68) au sujet des lois fiscales britanniques. François Soulès ne semble pas avoir tenu compte de ces éléments, évoquant très brièvementle Stamp Actdans son Histoire qui ne commence véritablement qu’en 1768[37].

En janvier et février 1787, Jefferson interpelle Soulès au sujet de son récit de la bataille de la Wyoming Valley du 3 juillet 1778. Plus que le fond de cette discussion, il est frappant de constater que Jefferson s’appuie sur un manuscrit non publié de Crèvecoeur intitulé « Susquehanna », qui ne parut pas du vivant de l’auteur des Lettres d’un cultivateur américain, et que Jefferson prêta à Soulès. Il a même été suggéré que la première version du texte de Crèvecoeur fut celle de Soulès[38]. Du point de vue de l’histoire du livre, une telle circulation croisée de manuscrits atteste l’existence d’un réseau franco-américain substantiel dans les années 1780, dont les textes effectivement publiés sur les États-Unis en français pendant cette décennie ne forment que la partie visible, réseau qui demande pourtant encore à être étudié en détail.

Lors de l’écriture et de la parution du premier volume de son ouvrage, François Soulès résidait tout près de chez les Adams à Londres et a fait lui-même parvenir un exemplaire à John Adams[39]. Celui-ci annota les deux volumes avant de les envoyer à son fils, John Quincy, mais sans suggérer de corrections à Soulès, du moins par écrit, car on ne sait pas si John Adams lui a montré les volumes annotés. Dans une lettre adressée en décembre 1786 à sa mère, Abigail, John Quincy déplore la dédicace à Hugh Percy (qui soutint d’abord la position des « patriotes » américains avant d’être envoyé à Boston pour brièvement participer à la guerre d’indépendance du côté britannique). John Quincy Adams mentionne néanmoins l’approche « impartiale » de Soulès[40]. Ces volumes annotés par son père sont conservés à la Stone Library dans le domaine des Adams à Quincy (Massachusetts)[41]. Étant sans doute destinées à un usage privé, les notes de John Adams se différencientde celles de Jefferson. Elles sont également beaucoup moins nombreuses. John Adams souligne ainsi à plusieurs reprises son rôle déterminant en marge du texte, par exemple lors des résolutions adoptées par le Congrès continental, le 8 juin 1775 (pour déclarer que le Massachusetts n’était plus soumis à la loi britannique puisque la charte de 1691 était suspendue), ainsi que les 10 et 15 mai 1776[42].

Trois notes écrites par John Adams sont toutefois proches des remarques que Jefferson faisait à peu près au même moment, bien que je n’aie pas trouvé de lettre échangée entre Jefferson et Adams montrant qu’ils en avaient discuté. Ces annotations de John Adams concernent des points clés, qui ont naturellement interpellé les deux Fondateurs. Il s’agit tout d’abord de l’aide potentielle fournie par la France. Leurs commentaires diffèrent : Adams nie que les Américains en avaient déjà l’assurance en juillet 1776, se concentrant sur l’aspect diplomatique, tandis que Jefferson insiste sur le fait que l’aide de la France n’a fait qu’accélérer le dénouement de la guerre en faveur des Américains. De même, Jefferson souligne les ressources et la détermination des Américains pour réfuter la suggestion de Soulès selon laquelle « les États-Unis feraient encore partie de l’empire britannique ». John Adams, dans une note plus courte, indique en marge qu’aucune armée n’aurait pu vaincre les Américains et leur retirer leur indépendance. Enfin, ce dernier inscrit sèchement un « No » en marge d’un paragraphe sur le transfert en Grande-Bretagne d’accusés américains pour y être jugés, ce que Jefferson infirme également[43]. C’est le seul des trois points abordés ici que Soulès a modifié dans son édition de 1787, sachant qu’il n’a probablement pas eu connaissance des annotations de John Adams. Sa relation avec les Adams tourna court pour une question de dette non remboursée et Abigail Adams ironisa sur celui qu’elle qualifia en février 1786 de « Chevalier d’Industry » [sic], tandis qu’il se présentait comme le « Tacite américain » dans l’une des lettres à son mari. Elle pensait que les dettes contractées par Soulès, et qui le conduisirent à Newgate, étaient dues à l’impression de son ouvrage à Londres, qu’il n’avait pas les moyens de mener à bien selon elle[44]. L’Histoire des troubles de l’Amérique anglaise fut autorisée en France par Vergennes à la toute fin de l’année 1786 et fit l’objet d’une permission tacite le 11 février 1787[45].

Censure et permissions tacites : stratégies de tolérance et d’interdiction de l’imprimé sur la Révolution américaine

Avant d’obtenir une autorisation d’impression ou de diffusion en France, les textes, manuscrits ou imprimés, étaient alors préalablement relus par un censeur, ainsi qu’éventuellement par un ministre de Louis XVI responsable du domaine en lien avec le texte soumis à l’examen[46]. Les sources françaises, connues et étudiées, notamment la correspondance de Vergennes conservée aux Archives du ministère des Affaires étrangères, et celles beaucoup moins exploitées, comme les registres de la Librairie conservés à la Bibliothèque nationale de France, ouvrent une fenêtre sur un autre aspect de la rédaction et de la diffusion des ouvrages en français sur la Révolution américaine.

On peut distinguer à cet égard plusieurs types d’ouvrages : des écrits semi-officiels, comme la traduction des Constitutions des treize états-unis de l’Amérique, les discours rédigés pour répondre aux questions mises au concours des Académies sur la découverte de l’Amérique et sur la Révolution américaine, et, enfin, les essais sur la révolution et les institutions américaines ainsi que les comptes rendus de cette révolution et de la guerre d’indépendance.

Le rôle de Vergennes

Vergennes a joué un rôle actif dans le processus de contrôle de l’imprimé, mais ses activités dans ce domaine ne semblent pas avoir toutes été analysées en détail par les historiens[47]. Son intervention sans doute la plus commentée est la part qu’il a eue dans la publication du journal intitulé Affaires de l’Angleterre et de l’Amérique, qu’il a piloté en collaboration avec Benjamin Franklin et John Adams dans le but de diffuser une propagande pro-française et pro-américaine en Europe de mai 1776 à octobre 1779[48]. Son autre intervention la plus connue concerne la publication de la traduction du texte des Constitutions américaines par La Rochefoucauld d’Enville à l’initiative de Franklin. Contrairement à son refus de faire accélérer la procédure standard pour l’impression des Observations de Mably à l’automne 1783, Vergennes intercède, au printemps de la même année, en faveur de la traduction de La Rochefoucauld, et ce, à la demande de Franklin. Le 24 mars 1783, ce dernier informe Vergennes par écrit de son projet de diffusion des Constitutions américaines en français, qu’il défend en soulignant qu’« il n’en existe pas encore de Traduction complette » [sic] et que celle qu’il propose sera littérale et sans commentaire ou annotations, soit sans « aucunes matières étrangères ». Vergennes transmet cette requête au garde des Sceaux qui, le 1er avril 1783, donne son accord pour faire une exception à condition qu’une relecture par un censeur ait lieu au fur et à mesure de l’impression via un envoi au directeur général de la Librairie, Néville. Le 5 avril, Vergennes en informe Franklin. L’impression semble avoir été rapide puisque, le 11 mai 1783, le registre de la Libraire indique que le texte a été « approuvé définitivement » par Vergennes[49].

L’impression et la publication des Constitutions des treize états-unis de l’Amérique paraissent cependant constituer une exception. Vergennes s’est en effet montré moins conciliant à l’égard de tous les autres textes soumis à la censure et dont il a reçu les rapports. Il a avant tout cherché à protéger ce qu’il pensait être les intérêts géostratégiques, militaires et diplomatiques de la France, en particulier dans les textes parus avant la fin de la guerre d’indépendance et avant l’aboutissement des négociations des traités de paix de 1783. Les circonstances et les motivations de la signature des traités de 1778 sont des points sur lesquels il a été particulièrement attentif, car il ne souhaitait pas que l’aide de la France envers les États-Unis avant 1778 pût être révélée. En atteste le rapport rédigé par le censeur Cadet de Saineville le 27 juin 1778 sur les Lettres d’un membre du Congrès américain. Elles sont, après renseignements pris, précise le censeur, une « correspondance […] absolument fictive », déjà examinée en 1776 par Vergennes « qui n’avait pas voulu qu’on les imprimât alors et qui avait désiré qu’on différât ». Même si ce commentaire concerne les dernières lettres de l’ouvrage, Saineville souligne que la quatrième lettre suggère bien l’intention de la France de soutenir les insurgents dès 1776, mais que « l’état de sa marine ne lui permet pas de se déclarer ». Toutefois, d’après Saineville, les lettres 18, 19 et 20 font « l’éloge de la sagesse du ministre français qui s’est contenté d’un traité de commerce non exclusif ». Saineville conclut qu’à l’été 1778, ce texte ne fait pas de tort à la France du point de vue de sa politique extérieure et intérieure, mais il ajoute que son zèle méticuleux de censeur l’a conduit à demander que des passages contre les monarchies britannique et espagnole soient retirés, et ce, avant même l’engagement de l’Espagne dans le conflit. C’est donc une permission tacite que recommande Saineville en plus de l’accord du ministère des Affaires étrangères. Celle-ci sera donnée le 17 mars 1779 par Antoine de Sartine, alors secrétaire d’État à la marine[50].

Ce sujet était encore plus brûlant en 1781-82 puisque les négociations de paix étaient en cours. C’est le moment où Hilliard d’Auberteuil publie ses Essais. Ce contexte explique en partie l’extrême vigilance de Vergennes. Dans sa lettre du 25 juin 1782 à Franklin, Hilliard d’Auberteuil lui apprend qu’à la demande du « département des affaires étrangères », et donc de Vergennes, il a dû changer son texte au sujet des traités de 1778. La version proposée sur ce point dans les Essais historiques et politiques a été jugée à la fois « incompl[ète] » et imprécise, car « l’auteur ne distingue pas assez le traité d’amitié & de commerce du traité d’alliance éventuelle », selon la citation des annotations en marge de son texte révélées par Hilliard d’Auberteuil. Ces notes sont sans doute de Vergennes ou de Rayneval, son plus proche collaborateur, car, comme nous allons le voir plus loin, le censeur Cadet de Saineville s’est préoccupé d’autres aspects lorsqu’il a rendu compte de ce texte. D’Auberteuil déplore ainsi l’obligation qui lui a été imposée de suivre le contenu d’un écrit publié en 1780 par Rayneval. L’auteur des Essais exprime ses regrets concernant l’interprétation qu’il se trouve forcé d’en donner et qu’il qualifie lui-même de « faible » et de « timide[51] ». Ces documents reflètent donc les potentielles divergences d’intérêts et de stratégies entre les autorités françaises et les diplomates américains officiels comme Franklin, même si on ne sait pas ce que ce dernier a pu dire ou suggérer à Hilliard d’Auberteuil sur l’interprétation de l’alliance entre la France et les États-Unis[52].

Cette vigilance s’est néanmoins traduite par un très petit nombre de refus de diffusion ou de publication des écrits liés à la Révolution américaine ou à la guerre d’indépendance. Ainsi, sur près de 50 ouvrages mentionnés dans les registres des permissions tacites que j’ai consultés, moins de 10 ont été « rayés ». En mai 1779, Vergennes rejette coup sur coup deux textes potentiellement radicaux : le 9, il raye un Essai sur la révolution de l’Amérique septentrionale et sur les suites qu’elle doit avoir, manuscrit qui paraît n’avoir jamais été publié, et le 15, sur la recommandation de Saineville, il refuse ce qui semble être une traduction manuscrite de Common Sense de Thomas Paine, dont une première édition en français est parue à Amsterdam en 1776. Bien qu’on ne dispose pas du rapport du censeur, on peut aisément comprendre les raisons de ce refus au vu du contenu très antimonarchique du brûlot de janvier 1776. Il pourrait s’agir non de la première traduction publiée en France en 1791 et réalisée par Griffet de Labaume, mais de celle parue à Paris en 1793 chez Buisson, dont le texte est différent de celui de Labaume[53]. Vergennes avait pourtant autorisé la parution d’extraits traduits, puis de la traduction de la totalité du pamphlet de Paine, attribué alors à un Adams, sans doute Samuel, dans les Affaires de l’Angleterre et de l’Amérique en 1776. Cependant, les passages les plus antimonarchiques étaient accompagnés de commentaires visant à réfuter les positions de ce « M. Adams » sur la démocratie. En rayant la traduction soumise à la censure le 15 mai 1779, alors que John Adams avait quelques mois plus tôt cherché à prouver qu’il n’était pas l’auteur du Sens commun, Vergennes montre qu’il ne pouvait approuver la parution en France d’un tel texte en tant qu’ouvrage, même, semble-t-il, avec des annotations similaires à celles des Affaires, dont le lectorat était, il est vrai, plus restreint[54].

Parmi les quelques textes interdits figurent des discours soumis pour les divers concours organisés par les Académies dans les années 1780 sur des questions liées à l’Amérique, que Vergennes et les censeurs surveillaient de près. Cette série de concours est initiée par Raynal, l’auteur de l’Histoire philosophique, qui, dès 1780, propose à l’Académie de Lyon une question sur les effets de « la découverte de l’Amérique[55] ». Ce concours, qui n’aura pas de lauréat, a néanmoins généré un grand nombre d’écrits dont les auteurs ont repris le thème suggéré par Raynal en dehors du concours. Plusieurs textes en rapport avec ce concours sont rayés dans les années qui suivent, mais sans que l’on sache pourquoi puisque les rapports des censeurs n’ont pas été conservés : le 7 août 1784, Le commerce illustré, ou réponse aux 3 questions suivantes : la découverte de l’Amérique a-t-elle été utile ou nuisible au genre humain et, le 5 octobre 1786, le Discours sur cette question, la découverte de l’Amérique a-t-elle été utile ou nuisible au genre humain et s’il en a résulté des biens etc. Le premier semble ne pas avoir été publié, tandis que le second, écrit pour le concours de l’Académie de Lyon, a vraisemblablement paru en 1790[56]. En revanche, on dispose du rapport établi le 12 août 1787 par Cadet de Saineville sur le texte de l’abbé Genty publié sous le titre L’influence de la découverte de l’Amérique sur le bonheur du genre humain. Saineville, qui en a autorisé la publication, juge ce discours positivement et précise qu’il n’a apporté de modifications au texte que dans « des endroits qui [lui] ont paru les exiger pour ne point blesser les cours d’Espagne et d’Angleterre ». L’édition de 1788 du texte de Genty inclut, à la toute fin de l’ouvrage, la partie élogieuse du commentaire de Saineville, sans mentionner les quelques amendements demandés par celui-ci, et Genty se présente lui-même comme « Censeur Royal » sur la page de titre[57].

En 1784, l’Académie des Jeux floraux de Toulouse met au concours « la grandeur et l’importance de la révolution américaine ». Vergennes se propose de récompenser, par une somme d’argent assez conséquente, le lauréat, qui sera Jean-Baptiste Mailhe. Son texte sera publié en 1784 à Toulouse par l’« Imprimeur de l’Académie Royale des Sciences ». Il ne semble pas avoir été corrigé par la censure, sans doute parce que cet écrit relève, ou peu s’en faut, de la pure propagande. Mailhe, futur membre de la Convention, voit dans la Révolution américaine une occasion de développer le commerce mondial, ce qui lui évite de traiter frontalement la question du régime politique. Il y célèbre le « génie de Vergennes », la grandeur et la puissance de la France, ainsi que la sage politique de Louis XVI, et des Bourbons qui « ont vengé l’humanité outragée[58] ». En revanche, le 27 juillet 1784, le texte de Deslandes, soumis pour le même concours figure sur le registre des permissions tacites. Sa publication est autorisée à condition qu’il suive « les corrections indiquées par le Censeur », que je n’ai pas retrouvées pour le moment. Dans l’édition de 1785 de ce texte aux forts accents rousseauistes (en référence au Rousseau des Discours), Deslandes se montre enthousiaste vis-à-vis de la Révolution américaine et de ses principes de liberté et d’égalité, tout en louant le rôle central de Louis XVI pendant la guerre d’indépendance et en défendant celui de la couronne espagnole par le biais du traité d’Aranjuez de 1779. L’auteur se targue en note d’avoir fait spontanément l’éloge de Louis XVI en citant son précédent ouvrage, ce qui pourrait être une réponse à l’une des potentielles demandes du censeur[59].

Le point de vue ambivalent des censeurs

Bien que ne prenant pas la décision finale, les censeurs jouaient un rôle central dans le processus de contrôle de l’imprimé. Les sources que j’ai consultées, et notamment les rapports des censeurs mis en lien avec les décisions finales de Vergennes, puis de Montmorin, d’autoriser officiellement ou officieusement la diffusion des textes passés au crible de la censure, tendent à montrer que ce sont avant tout les questions de politique étrangère qui retiennent l’attention des ministres de Louis XVI. C’est assez attendu, mais il est peut-être plus surprenant de constater qu’en définitive les critiques formulées à l’encontre du régime politique, de l’économie ou de la société française sont globalement tolérées, dans une certaine limite.

L’attitude consistant à ménager l’ennemi de la France dans la guerre d’indépendance, évoquée ci-dessus, apparaît dans le rapport fait par Saineville le 12 juillet 1778 sur l’écrit de Beaumarchais, Le voeu de toutes les nations. Le censeur sait gré à l’auteur de vouloir contrer la propagande britannique contre la monarchie française, laquelle aspirerait à la domination universelle en incitant tous les pays européens à construire une marine puissante pour s’opposer au règne de la Grande-Bretagne sur les mers. Tout en reconnaissant que les idées de l’auteur sont « assez sages », c’est-à-dire conformes aux vues du monarque et de ses ministres, Saineville se montre circonspect sur le style de Beaumarchais dont il juge le ton très, voire trop, acerbe. Il y constate « une déclamation et une animosité qui peuvent échauffer beaucoup les esprits » contre les Anglais, ce qui suggère qu’il a reçu des instructions au sujet de l’anglophobie, potentiellement moins soutenue, du moins officieusement, du côté français que par certains diplomates américains. Saineville préfère donc s’en remettre à l’avis de Vergennes, qui permet l’ouvrage de Beaumarchais le 2 août 1778[60].

Dans son rapport du 20 juin 1781 sur les Essais d’Hilliard d’Auberteuil, alors que la bataille de Yorktown n’a pas encore eu lieu, Saineville estime que la vision négative de la monarchie britannique qui apparaît dans l’ouvrage est inappropriée. Il reproche à Hilliard d’Auberteuil de « se livre[r] souvent à des déclamations contre le Roy d’Angleterre et ses ministres qui [lui] paraissent peu décentes, même dans l’état de guerre où nous sommes », dit-il, en pensant peut-être aux répercussions implicites pour la monarchie française. Saineville reconnaît le « grand nombre de changements » auxquels Hilliard d’Auberteuil « a consenti ». Cependant, il les juge insuffisants car laissant encore transparaître ce qu’il nomme « un esprit philosophique », qui se manifeste par une attaque contre les institutions monarchiques, y compris françaises. Il souligne qu’il a pu lire dans les Essais historiques et politiques une « critique de notre propre administration sous plusieurs rapports », qui a été maintenue dans la version publiée du texte. Hilliard d’Auberteuil s’en prend en effet à la forme européenne de l’aristocratie héréditaire ainsi qu’au clergé, et se félicite de l’élimination de ces deux catégories dans les Constitutions américaines, qui permettent de conserver une forme de société en phase avec la nature et non corrompue par « l’arbitraire » des gouvernements européens[61].

De façon plus générale, Saineville à la fois regrette et admire l’empathie dont Hilliard d’Auberteuil fait preuve à l’égard de la Révolution américaine, car, selon sa formule élégante, « l’auteur, en écrivant l’histoire des Insurgents, l’a écrite en véritable Insurgent ». Une telle approbation des principes à l’origine de la Révolution américaine se lit dans l’usage que d’Auberteuil fait du mot « tyrannie », qui, d’après le censeur, « est employé à chaque page » et s’étend à toutes les formes de monarchie, dont celle de la France. De même, cet attachement à la liberté prend la forme d’un rejet de la censure, même si Saineville précise que, sur la question de la « liberté de la presse », Hilliard d’Auberteuil a déjà accepté de supprimer une note « sur les parlements qui font brûler les livres ». En dépit de ces éléments à charge, Saineville se dit séduit par ces Essais en tant que « lecteur » privé, ce qui ne signifie pas qu’il puisse « l’approuver comme censeur ». Il choisit donc de faire renvoyer à l’auteur les deux volumes annotés avec « une foule d’endroits à réformer », en particulier dans le second volume. Le texte a ensuite été, semble-t-il, examiné de près par Vergennes, ce dont Hilliard d’Auberteuil a fait état à Franklin. Les Essais bénéficient le 6 octobre 1781 d’une permission tacite de la part de Vergennes[62], qui s’est surtout concentré, on l’a vu, sur les questions de politique étrangère au détriment des critiques adressées à la monarchie, lesquelles revêtent, assez logiquement, moins d’importance que les enjeux de politique étrangère dans le processus d’autorisation tel qu’il l’a conduit.

Même après la signature des traités de 1783, c’est toujours la politique étrangère qui semble être le principal souci des autorités françaises. Cette distinction entre politique intérieure et extérieure apparaît ainsi encore plus clairement dans le rapport rédigé par Saineville le 27 juillet 1784 sur l’ouvrage de Mably, qui n’a pas été d’abord imprimé en France, on l’a dit. Le 3 mars 1784, Ceriser informe John Adams que l’impression de l’ouvrage par Rosart est en bonne voie. Cette lettre indique également que Mably a fait envoyer des exemplaires de son ouvrage à Benjamin Franklin, tout en lui recommandant de ne pas le distribuer à Paris avant sa sortie officielle des presses de l’éditeur par crainte de la « contrefaçon[63] ». Dans son rapport, Saineville rappelle que le texte de Mably a reçu « l’agrément de M. de Vergennes », et donc du ministère des Affaires étrangères, mais il ajoute que certaines opinions de Mably sont susceptibles de soulever des objections dans une monarchie. Saineville s’attache à la position de Mably vis-à-vis de la démocratie, car c’est bien évidemment un sujet sensible dans une monarchie comme la France, qui n’est pas parlementaire. Saineville estime que pour Mably, « la démocratie est la base de tout gouvernement qui veut tirer le meilleur parti de ses citoyens », mais qu’elle doit être « tempérée », car il n’est pas possible d’« établir une démocratie parfaite en Amérique » étant donné l’existence aux États-Unis d’« un germe d’aristocratie qui doit chercher à s’étendre ». En conséquence, toujours selon la présentation de Saineville, la Constitution de Pennsylvanie apparaît comme trop démocratique, tandis que celle du Massachusetts a su circonscrire sa partie démocratique plus justement, ce qui n’est pas surprenant sachant que John Adams en est le principal auteur et que Mably lui a dédié son texte.

Cependant, Saineville s’émeut de la formulation de Mably sur l’absence totale de démocratie dans les monarchies qui traitent les peuples comme des « bestiaux », point négatif que Saineville nuance ensuite en louant les recommandations de Mably au sujet de la limitation de la liberté de la presse dans un État naissant. D’autre part, Saineville relève que Mably critique la grande tolérance religieuse des Américains, tout en lui reprochant d’être trop indulgent vis-à-vis de cette tolérance et de « favoriser le déisme ». Néanmoins, ce qui démontre encore une fois le caractère partagé de l’évaluation de Saineville, il abonde dans le sens de Mably au sujet de la bonne foi de ceux qui sont dans l’erreur, les hérétiques, tout en soulignant qu’une telle affirmation, bien que « vraie », n’en est pas moins inacceptable publiquement, car « contraire au dogme de notre Église ». À l’issue de ce rapport mitigé, Saineville ne dissimule pas, une fois de plus, le « plaisir qu’[il a] eu à lire cet ouvrage » en tant que lecteur individuel ou individu privé, mais conclut qu’il ne peut pas en autoriser la diffusion « comme Censeur », pas même via une permission tacite. Pourtant, en faisant remarquer que « nous avons des milliers d’ouvrages très publics, très répréhensibles », il invite à l’autoriser. De fait, le texte de Mably bénéficie d’une permission tacite le 7 août 1784[64]. En comparant l’évaluation par Saineville des ouvrages de Mably et d’Hilliard d’Auberteuil, on constate que le censeur est plus réservé sur le contenu du premier, car celui-ci contient une défense d’un autre régime que la monarchie sur un mode plus théorique et plus systématique que celle du second, sans compter la réputation de Mably, dont le livre était susceptible d’être lu par un public lettré plus large que celui de l’ancien avocat de Saint-Domingue.

Le censeur qui a relu l’écrit de Brissot et de Clavière, De la France et des États-Unis, le 15 juillet 1787, se livre à une analyse relativement similaire à celle de Saineville sur Mably, dans la mesure où Jean-Jacques Accarias de Serionne loue l’approche adoptée par Brissot et Clavière sur la question du commerce international, tout en regrettant les propos trop libéraux que contient l’écrit sur la politique intérieure de la France. Ainsi Serionne fils juge-t-il que « tous ces différents objets relatifs à l’intérêt mercantile de deux puissances amies sont développés avec beaucoup d’ordre et de clarté » et que l’ouvrage fait également une réponse bienvenue sur la situation financière et « la prétendue anarchie de l’Amérique septentrionale », à la suite de la rébellion de Shays à l’hiver 1786-1787 et de la convocation de la Convention de Philadelphie. En revanche, l’introduction de Brissot pose problème parce qu’elle s’en prend à « la censure » et prône la « liberté de la presse ». Pour autant, Serionne recommande la diffusion de l’ouvrage, qui sera permis le 24 juillet 1787[65].

Conclusion

L’analyse des archives de la Librairie et des papiers des Fondateurs américains montre que tous ces écrits en français se trouvent au coeur de réseaux intellectuels complexes tissés entre Français et Américains pendant les années 1780, mais également à la croisée des enjeux de politique extérieure, voire intérieure, française. Ces textes sont en partie le fruit d’une diplomatie culturelle américaine qui se déploie en Europe dans cette décennie. Les auteurs de ces ouvrages ont par ailleurs été sincèrement intéressés à la cause des États-Unis. Cerisier écrit ainsi à John Adams le 15 avril 1781 :

Quelqu’un a observé que je n’etois ni bon Anglais, ni bon français et que j’étois encore meilleur Américain que Hollandais. Ce que je sais c’est que j’ai les principes de la liberté trop profondément gravés dans le coeur, pour jamais trahir la cause où je crois l’avoir trouvée et pour jamais déguiser mes sentimens[66].

Un certain nombre des textes publiés sur la Révolution américaine dont nous avons étudié la rédaction, l’impression et l’autorisation de diffusion contenaient, de fait, de tels « principes ». Cerisier était partisan des réformes de Turgot et Hilliard d’Auberteuil a très sévèrement jugé la décadence du système héréditaire français. Les paragraphes écrits par ce dernier à ce sujet ont pourtant moins gêné les autorités françaises, du moins Vergennes, que ses considérations sur les traités d’alliance entre la France et les États-Unis. Il y a donc eu une forme de tolérance pour la critique des institutions françaises à condition qu’elle ne soit pas érigée en théorie antimonarchique, comme ce fut le cas pour Common Sense dont la radicalité interdisait la publication en France sous forme de traduction individuelle. En revanche, la réponse que Paine fit à Raynal en 1782 fut bienvenue, puisque Paine y avait lissé son propos républicain et y avait réfuté les idées de Raynal sur l’alliance entre la France et les États-Unis, selon la lettre envoyée à Vergennes par La Luzerne, alors ambassadeur de France aux États-Unis[67].

Ces écrits en français sur la Révolution américaine peuvent être étudiés sous l’angle, d’une part, de l’histoire de la production et de la circulation de l’imprimé en France et en Europe et, d’autre part, de l’histoire diplomatique, intellectuelle et culturelle des relations franco-américaines entre 1778 et 1788. Cette décennie constitue un moment charnière, aussi bien pour les États-Unis que pour la France. Dans une certaine mesure, il serait tentant de considérer ce corpus comme une sorte de chaînon manquant entre les Lumières incarnées par Voltaire, Rousseau ou Montesquieu, et la Révolution française. Or, si une critique de nature physiocratique ou proche de Turgot apparaît dans certains de ces textes, il n’est pas légitime d’y voir une anticipation de 1789 ou de 1792. Il ne s’agit pas non plus d’établir un lien artificiel par le biais de l’imprimé entre la Révolution américaine et la Révolution française. Malgré le nombre de publications sur les États-Unis à la fin des années 1770 et pendant les années 1780, il reste à évaluer la place de ces textes dans les débats intellectuels de cette époque, et notamment à déterminer si cette discussion sur l’Amérique du Nord était marginale ou plus centrale.

Les enjeux de ce débat changent radicalement en 1789. Ainsi, lorsque Mazzei, encouragé par Jefferson, fait paraître ses Recherches philosophiques sur les Américains en 1788, dont le manuscrit a été approuvé par Vergennes à la fin de l’année 1786, l’ouvrage arrive presque trop tard, ou du moins à un moment où ce sont les questions de politique intérieure qui occupent le devant de la scène intellectuelle et politique en France et où elles tendent à reléguer les discussions sur l’Amérique au second plan. De même, lorsque Joseph Mandrillon, autre auteur français ayant écrit sur les États-Unis et proche de Cerisier, reçoit de George Washington à l’automne 1788 un exemplaire d’un ouvrage en anglais sur la rébellion de Shays, The History of the Insurrections in Massachusetts in the Year 1786 par George Richards Minot, et entreprend sa traduction, qui ne paraîtra pas, le débat sur les États-Unis ne se pose plus dans les mêmes termes en France[68].