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Introduction

En France, la loi du 11 février 2005 promeut l’éducation pour tous, l’égalité des droits et la participation citoyenne des personnes en situation de handicap (SH). En rupture avec les définitions associées au paradigme intégratif, les conceptions médicales du handicap sont évincées au profit de définitions situationnelle et sociétale (Chevallier-Rodrigues, Courtinat-Camps et de Léonardis, 2016). Cette loi conduit à poser un nouveau regard sur la personne en SH (Korff-Sausse, 2008). Elle vise l’accessibilité, la compensation et la participation à la citoyenneté (Berzin, 2010). En s’inscrivant dans un paradigme inclusif, elle renforce les actions en faveur de la scolarisation des élèves en SH et affirme le droit pour chaque enfant à une scolarisation en milieu ordinaire au plus près du domicile. La loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, en mentionnant explicitement le terme d’inclusion, affirme son importance et souligne qu’elle doit s’appliquer à tous et ce « sans aucune distinction ». Au-delà de proposer un parcours scolaire continu et adapté visant l’acquisition de compétences tant académiques que sociales (Ebersold, 2009; Fougeyrollas, 2009), l’instauration d’une École inclusive semble davantage se penser en termes d’accessibilité pour tous plutôt qu’en termes de compensation (Ebersold, Plaisance et Zander, 2016). En effet, combler les inégalités par des compensations équitables entre les élèves relèverait moins d’une conception inclusive du handicap que ne le permet l’élimination d’obstacles et de barrières pour faciliter l’accessibilité de tous.

Le 21 août 2015, la circulaire n°2015-129 crée les Unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) de premier et second degrés qui abroge et remplace les circulaires n°2009-087 et 2009-088 concernant les Classes pour l’inclusion scolaire (CLIS) jusqu’alors en vigueur. Avec les CLIS, les élèves pouvaient être scolarisés individuellement dans une classe ordinaire de l’école pour une séance d’apprentissage et/ou être scolarisés collectivement (toute l’ULIS rejoint une classe de l’école). Les ULIS deviennent donc des dispositifs de soutien à la scolarisation. Les élèves sont alors inscrits et scolarisés dans une classe de référence (qui correspond à leur classe d’âge) au sein de l’établissement. Ils peuvent, selon leurs besoins, rejoindre le dispositif ponctuellement. Ainsi, différentes modalités de scolarisation en milieu ordinaire peuvent être proposées : en classe ordinaire avec un Accompagnant des élèves en situation de handicap individuel (AESH) et/ou par le biais de dispositifs spécialisés tels que des ULIS. Une scolarisation en milieu spécialisé (hôpitaux de jour; Institut médico éducatif [IME]) reste une éventualité, tant les besoins des élèves sont différents et évolutifs. Des scolarisations dites mixtes, en conjuguant ces deux premiers milieux, sont aussi possibles.

Le nombre d’élèves en SH scolarisés en milieu ordinaire, contrairement au milieu spécialisé, est en progression constante depuis la loi du 11 février 2005, soit 321 476 élèves inscrits à la rentrée 2017 contre 155 400 en 2006 (ministère de l’Éducation nationale, 2018). Il s’agit surtout d’élèves en SH orientés pour déficience intellectuelle [1](DI; 127 217), davantage scolarisés dans le cadre de dispositifs ULIS (66 090) qu’en classe ordinaire (61 117 élèves). Se pose alors la question de la qualité de l’expérience qu’ils y vivent en termes de socialisation ou d’apprentissage. Des recherches ont abordé cette question à partir du point de vue de parents d’élèves en SH (Berzin, Brisset et Delamezière, 2007), de professionnels de l’éducation (Gombert, Feuilladieu, Gilles et Roussey, 2008) ou encore d’élèves dits « tout-venant » (Lacaille, 2011). À notre connaissance, peu d’étude ont exploré directement ce que vivent les élèves en SH (de Saint Martin, 2016; Ployé, 2018).

L’objectif de cet article est de questionner le point de vue de l’élève en SH orienté pour DI, quant à son expérience scolaire et ses représentations de soi. Dans un premier temps, nous exposons les principaux résultats des travaux de recherche portant sur les effets de la scolarisation dans le contexte inclusif actuel au regard de l’expérience scolaire et de la construction identitaire des élèves. Sur la base de ces résultats empiriques, nous précisons ensuite notre positionnement épistémo-théorique dans lequel le sujet est acteur et auteur dans son développement, nous conduisant alors à interroger directement les élèves. Dans un deuxième temps, nous détaillons la méthode de recherche suivie, tant du point de vue de la procédure, des instruments de mesure que de la stratégie d’analyse et de traitements des résultats avant de présenter ces derniers. Pour terminer, une discussion de l’ensemble des résultats vise à analyser et mettre en perspective les points de convergence et de divergence entre les profils d’élèves obtenus. Il s’agit d’en souligner les facteurs explicatifs et de produire une analyse quant à la définition initialement donnée de l’inclusion avant d’évoquer en conclusion des pistes possibles pour les professionnels cherchant à répondre aux besoins des élèves.

Contexte et problématique

Les travaux relatifs aux effets du contexte de scolarisation (en particulier l’inclusion scolaire) sur le développement des élèves se centrent soit sur l’expérience scolaire soit sur la construction identitaire.

L’expérience scolaire est définie comme englobant à la fois des caractéristiques objectives et subjectives de la scolarité des élèves (Rochex, 1995). Les aspects objectifs renvoient au parcours scolaire de l’élève, soit la scolarité passée et actuelle. La dimension subjective de l’expérience scolaire réfère pour certains spécifiquement au rapport au savoir et à l’école[2] (Charlot, Bautier et Rochex, 1992; Courtinat-Camps et Prêteur, 2012;), pour d’autres à des représentations (Mieyaa, 2012).

La construction identitaire recouvre un foisonnement terminologique qui peut renvoyer, selon les perspectives théoriques soutenues, aux notions d’estime de soi (dimension évaluative du soi), d’image de soi (dimension descriptive du soi), de concept de soi (système organisé d’informations sur soi) ou aux représentations de soi (Villatte, 2010). Cette dernière notion, définie comme une structure dynamique et réflexive, semble présenter l’avantage de faire référence tant à des dimensions évaluative, descriptive, mais aussi affective. Impliquant la conception d’un sujet acteur, elles sont construites à partir du sens élaboré par le sujet en lien avec ses expériences de vie (Malrieu, 2003). Qu’en est-il alors des élèves en SH ?

Les recherches en lien avec la construction identitaire ne font pas toujours consensus et notamment concernant l’évaluation de l’estime de soi d’élèves en SH scolarisés en milieu ordinaire ou en milieu spécialisé (Alaphilippe, Maintier, Clarisse et Testu, 2010; Leonova et Grilo, 2009; Ninot, Bilard, Delignieres et Soktolowski, 2000). Selon le contexte de scolarisation (Institut médico professionnel [IMPro] ou ULIS), la construction identitaire des élèves semble soit entravée soit facilitée en raison des registres différents dans lesquels les relations sont établies. Des rapports plus familiers sont par exemple présents à l’IMPro où les élèves font plus aisément référence à leur vie intime contrairement aux élèves d’ULIS davantage focalisés sur les savoirs et l’acquisition de leur statut d’élève. Les élèves d’IMPro auraient alors davantage de difficultés à départager les espaces personnels et publics (Picon, 2010). Pour autant, les études qui se sont intéressées spécifiquement aux dispositifs collectifs d’inclusion scolaire tels que les ULIS (Lacaille, 2011; Lee-Noowacki, 2002; Thomazet et Blanc, 2008) convergent pour souligner une absence de survalorisation de soi dans les dispositifs spécialisés. Ces dispositifs répondraient à une logique particulière en proposant une scolarisation partagée.

Poussin et Sordes-Ader (2005) montrent que cette modalité de scolarisation, contrairement à une scolarisation totale en classe ordinaire ou une scolarisation en milieu spécialisé, conduit à une évaluation et description de soi davantage dévalorisée. Une modalité de scolarisation partagée, placerait les élèves en position d’entre d’eux possiblement stigmatisante (de Saint Martin, 2013). Ceci peut alors expliquer que des élèves d’ULIS, questionné sur leur qualité de vie à l’école, apprécient dans une moindre mesure leur scolarité par rapport à des élèves sans DI ou avec DI scolarisés en IME (Coudronnière, Bacro et Guimard, 2017).

Lorsqu’on leur laisse la parole sur leur expérience scolaire, ces élèves mettent alors en lumière des « éprouvés » et leurs stratégies déployées pour s’adapter aux exigences de l’environnement inclusif (Ployé, 2018; Tap et Anton, 2013). Ils semblent parfaitement conscients de leur situation singulière dans l’établissement et soulignent la complexité que relève le paradigme inclusif lorsqu’il est conjugué avec un dispositif. Ces difficultés à trouver une place au sein de l’établissement peuvent être comprises comme expérience d’élèves en SH (Korff-Sausse, Ciccone, Missonnier, Salbreux et Scelles, 2009; Torossian-Plante et Auguin-Ferrere, 2012), mais elles sont aussi à mettre en lien avec, pour les plus âgés, la problématique adolescente et des difficultés « d’arrimage » du sujet à l’institution scolaire à cette période de transition importante (Deltombe, 2010; Ployé, 2018) où les savoirs peuvent être moins investis (Bennacer, 2008).

La place sociale attribuée aux élèves en SH ne doit pas faire oublier qu’ils ont un positionnement singulier, psychique et groupal, à l’intérieur de l’espace scolaire et qu’ils sont en lien intersubjectif avec la communauté scolaire alors même que celle-ci peut parfois oeuvrer à défaire un lien en les éloignant voire les excluant de cet espace commun. En effet, des élèves en SH peuvent vivre des expériences sociales difficiles au regard des moqueries et autres stigmatisations portées par les pairs « tout-venant » à leur encontre (de Saint Martin, 2016; Lacaille, 2011; Uusitalo-Malvivaara et al., 2012), ce qui questionne lorsqu’on sait l’importance que revêtent les liens aux pairs dans la construction identitaire (Hernandez, Oubrayrie-Roussel et Prêteur, 2012; Mallet, 1993). Dans ce contexte, l’accompagnant des élèves en situation de handicap peut jouer un rôle majeur de médiateur (Lacaille, 2011; Rioux, 2009; Scelles, 2009), bien qu’il puisse par sa présence, souligner aussi l’existence d’une particularité stigmatisante chez les élèves en SH (Bonnemberger, 2016; de Saint Martin, 2016; Picon, 2009).

C’est ainsi que les aménagements scolaires humains ou matériels qui découlent de l’inclusion scolaire peuvent altérer la qualité de vie à l’école des élèves en SH. Ces dispositions seraient alors vécues comme stigmatisantes et les conduiraient à évaluer leur qualité de vie générale plus négativement (Coudronnière et al., 2017). Dans cette perspective, les autrui significatifs (famille, professionnels, pairs) jouent un rôle prépondérant dans leur expérience scolaire (Bardou, Oubrayrie-Roussel et Lescarret, 2012; Beaumatin et Laterrasse, 2004; Bruchon-Schweitzer et al., 2003). L’enseignant spécialisé, en particulier, peut occuper le rôle d’une « bonne mère, comblante, bienveillante » dans cette scolarité susceptible de venir border l’angoisse inhérente aux situations d’inclusion (Ployé, 2013). L’accompagnement envisagé peut alors conduire l’enseignant spécialisé à limiter les temps de scolarisation dans des classes de l’école, afin de préparer en amont les élèves à la classe ordinaire, et à convaincre en même temps les enseignants du collège dans le but de pouvoir répondre plus fidèlement aux besoins particuliers de ses élèves.

Bien que différents termes soient utilisés dans la littérature pour référer à la construction identitaire (estime de soi, concept de soi, image de soi), la présente étude approche cette construction au travers de leurs représentations de soi (Villatte, 2010). Construites en lien avec le sens que le participant donne à ses expériences de vie et aux autrui qui y sont associés (Malrieu, 2003), son étude conjointe à celle de l’expérience scolaire nous parait justifiée tant elle permet d’approfondir la compréhension des processus observés. À l’instar de Rochex (1995), l’expérience scolaire est considérée comme englobant des aspects objectifs relatifs à la scolarité passée et actuelle des élèves, mais aussi à des aspects subjectifs. Les chercheurs choisissent de renvoyer ces derniers aux représentations de l’école en complément de l’étude du rapport au savoir et du rapport à l’école (Chevallier-Rodrigues, 2016). En effet, les notions de rapport et de représentation sont très proches et la construction des rapports que le participant entretient avec le savoir et l’école semble liée à ses représentations (Mieyaa, 2012.).

Sachant que les conditions de scolarisation des élèves en SH sont plurielles et variées et ce, selon leurs besoins et les possibilités de chacun (Frandji et Rochex, 2011), cet article se donne pour objectif principal de considérer à la fois leurs représentations de soi et le sens de leur expérience scolaire (dimension subjective de l’expérience scolaire) tout en tenant compte de leurs parcours scolaires (dimension objective de l’expérience scolaire). Souvent les recherches menées ne s’intéressent qu’à une seule modalité objective de leur expérience scolaire (le contexte scolaire actuel) pour expliquer les effets observés sur les processus étudiés (Lacaille, 2011; Lee-Noowacki, 2002; Thomazet et Blanc, 2008). Dans la présente perspective de compréhension globale, les chercheurs souhaitent approcher la complexité de la dimension objective de leur expérience scolaire, et pour ce faire construire une typologie de parcours scolaires à partir des modalités de leur scolarisation passée et actuelle. Ceci permettra de prendre en compte l’ensemble de ces variables simultanément et concourra alors à affiner la compréhension des processus étudiés. Autrement dit, au regard de leur parcours scolaire, comment ces élèves se construisent et quelle expérience scolaire élaborent-ils ? Quels liens peut-on faire entre leurs parcours scolaires, leurs représentations de soi et leur expérience scolaire ? En tant qu’aspects prépondérants à la construction du participant, apporter des réponses à ces questionnements semble indispensable à la construction des connaissances sur leur développement personnel et scolaire. Ceci devrait pouvoir alimenter l’accompagnement déjà proposé par les professionnels oeuvrant pour l’inclusion scolaire.

Dans une posture théorique où le participant est acteur de son développement, auteur de sa propre expérience de vie et créateur de sens dans ses différents milieux, les chercheurs adoptent alors une démarche épistémologique et méthodologique qui leur permet d’approcher la singularité de ces élèves (Courtinat-Camps, 2010), dont la parole est encore trop peu considérée dans la littérature scientifique (Schneider, 2017). Il s’agit de souligner leurs spécificités sans les substituer les uns aux autres dans la compréhension des effets d’une telle scolarité sur leurs représentations de soi et leur expérience scolaire (Bergman et Trost, 2006).

Inscrite dans une approche compréhensive, cette recherche à caractère exploratoire vise à compléter les connaissances sur ce sujet d’actualité en créant des profils scolaires à partir de classes types élaborées dans le cadre d’une démarche classificatoire informatisée. Bien que les apports d’une approche par typologie puissent paraitre faibles au regard de la complexité des processus impliqués, cette méthode a le mérite d’éclairer de manière inédite leurs profils scolaires. Sans hypothèse préalable, elle évince la recherche d’un seul élément déterminant explicatif qui s’opposerait aux autres, dans la compréhension des variations observées (de Léonardis, Capdevielle-Mougnibas et Prêteur, 2006). Elle permet également de mettre en exergue une hétérogénéité de profils sans toutefois exclure l’existence d’histoires singulières (Courtinat-Camps et Prêteur, 2012).

Méthode

Cette partie présente tout d’abord les participants puis la procédure suivie pour le recueil des données. Les différents instruments de mesure utilisés sont ensuite décrits avant d’expliciter les stratégies d’analyse mises en oeuvre dans cette recherche et le traitement des résultats effectué.

Participants

Un total de 111 élèves en SH (DI légère[3]) scolarisés ont été rencontrés. Ils proviennent de 19 établissements de la région Midi-Pyrénées en France : 9 en classe pour inclusion scolaire (CLIS)[4] (N=44), 7 ULIS (N=49) et 3 IME (N=18). Les élèves rencontrés sont 50 filles (45%) et 61 garçons (55%), âgés de 7,5 ans à 16 ans. Enfin, 48 élèves ont moins de 12 ans et 63 ont entre 12 et 16 ans.

Procédure

Le recueil des données s’est déroulé au cours du second semestre de l’année scolaire, afin de permettre aux élèves de s’approprier leur milieu scolaire. Le recueil a eu lieu après l’obtention des accords nécessaires à la passation : d’abord ceux des chefs d’établissement, ensuite le consentement écrit des responsables légaux, et l’assentiment des élèves. Celui-ci a été exprimé en amont aux responsables de la CLIS/ULIS/IME, auprès desquels les élèves sont plus à même de se prononcer librement, puis avant chaque passation le chercheur a obtenu à nouveau l’assentiment oral des élèves participants et leur a garanti l’anonymat. La passation s’est déroulée au sein d’une salle de l’établissement réservée pour l’occasion, de manière individuelle en présence du chercheur, pour faciliter la compréhension des consignes et permettre à tous les élèves (lecteurs et non-lecteurs) de s’exprimer.

Instruments de mesure

Les chercheurs ont privilégié une technique de recueil de données mixte qui a permis d’avoir accès, en se centrant sur le point de vue des élèves, à différents corpus donnant lieu à une analyse quantitative[5] . Ils ont appréhendé les dimensions suivantes : les représentations de soi, l’expérience scolaire d’un point de vue objectif, soit les modalités de scolarisation actuelles et passées, et l’expérience scolaire d’un point de vue subjectif, centré sur le sens construit par l’enfant.

Les représentations de soi. Pour se saisir des représentations de soi des élèves, les chercheurs utilisent le format Q-Sort de Pierrehumbert et Rankin (1990) basé sur la traduction française de Pierrehumbert, Plancherel et Jankech-Caretta (1987) du Self Perception Profile for Children d’Harter (1982). Ce format permet une comparaison inter-items et élimine ainsi la recherche d’un référent externe, potentiellement plus difficile à mobiliser pour des élèves en SH. À l’origine, ce Q-Sort comporte 53 items qui sont répartis en 6 dimensions :

  1. École (représentations des compétences dans le domaine scolaire en général - 9 items);

  2. Social (relations personnelles dans la sphère sociale - 10 items);

  3. Physique (activités physiques et sportives - 8 items);

  4. Apparence (corps et apparence physique - 8 items);

  5. Conduite (comportements et respect des différentes normes sociales - 8 items); et

  6. Valeur propre (représentation de soi et de la vie en général - 9 items).

Ce Q-Sort a été adapté au niveau du vocabulaire par les chercheurs qui ont ajouté des pictogrammes à chaque item dans le but d’en faciliter la compréhension. Par exemple, voici un des items initiaux correspondant au domaine physique : « Je suis doué pour beaucoup d'activités sportives » et l’adaptation proposé : « Je suis doué, je suis bon pour beaucoup d'activités sportives » avec le pictogramme correspondant[6].

Les élèves effectuent un classement en 9 points allant de Me correspond tout à fait (1) à Ne me correspond pas du tout (9) en comparant les items les uns avec les autres. Le score de chaque dimension est obtenu en faisant la moyenne pondérée des items correspondants.

Afin de vérifier la structure de cette échelle, les chercheurs ont réalisé une Analyse en Composante Principale (de type Varimax). Les résultats de cette analyse suggèrent une nouvelle organisation de cette échelle en 4 dimensions au lieu de 6, avec un total de 29 items[7] :

  • Soi « général et apparence » : liés à l’apparence physique des élèves et la manière dont ils s’évaluent généralement (9 items/α = 0,782),

  • Soi « relationnel » : fait référence aux relations sociales (9 items /α = 0,692),

  • Soi « compétences physique » : (4 items/ α = 0,621),

  • Soi « conformité » : en lien avec des éléments de conduite et de valeur propre (7 items /α = 0,602).

Une trichotomisation des scores obtenus a été effectuée, et ce, à l’aide de points de césure appliqués via le logiciel SPSS afin de respecter la distribution observée.

L’expérience scolaire. Les enseignants ont renseigné la dimension objective de l’expérience scolaire en répondant à un questionnaire concernant les données socio-biographiques des élèves et les principales modalités de leur scolarisation passée et actuelle (Chevallier-Rodrigues, 2016), notamment les données concernant les dispositifs de scolarisation rencontrés et les modalités d’enseignement privilégiées. Le versant subjectif de l’expérience scolaire, ici centré sur ce que l’enfant peut dire de ses représentations de l’école, son rapport au savoir et son rapport à l’école, a été appréhendé à l’aide de trois outils.

Le dessin de l’école réelle et de l’école imaginaire (Caglar, 1990) et les productions verbales associées à ces dessins. De la production de ces dessins, différents types d’école s’en dégagent : une école de type « social » (reprenant les bâtiments, les éléments de la cour, les personnes de l’école), une école de type « maison » (se référant graphiquement à une maison, mais où des scènes de travail sont relatées), et une école de type « transparence » (s’apparente à l’école sociale vue de l’extérieur, mais les détails intérieurs sont rendus visibles ; le travail scolaire est mis en avant). Le dessin vise aussi à faciliter la parole de l’élève en SH qui peut ne pas être aisée (Pirone, 2018). Au travers de ce média, des sentiments et l’existence de conflits liés à leur expérience scolaire peuvent être révélés.

Le bilan de savoir oralisé (Charlot et al., 1992). Ce bilan consiste en une production d’un discours en réponse à la question suivante : « Depuis que tu es né(e), tu as appris plein de choses (à la maison, à l’école et ailleurs) : tu peux me dire ce que tu as appris ? C’est quoi le plus important dans tout cela ? ». Cette question large incite les élèves à faire des choix dans leurs réponses possibles (savoir du quotidien, savoirs scolaires, savoirs relationnels …). La formulation a été adaptée pour les élèves rencontrés par rapport à la version initiale[8] de Charlot et al. (1992). Les choix qu’ils vont effectuer vont donner à voir pour partie de leur singularité et des choix de valeurs qu’ils effectuent. Les apprentissages cités peuvent renvoyer : 1) aux savoirs du quotidien (apprentissages de la vie quotidienne [AVQ]; manger, faire le ménage); 2) aux apprentissages et savoirs scolaires (apprentissages intellectuels et scolaires [AIS]; compter, tracer, lire); 3) à ceux évoquant également des savoir-être (apprentissages relationnels et affectifs [ARA]; relations d’harmonie, de conformité); ainsi que 4) ceux relatifs au développement personnel (DP; autonomie, confiance…). Ils peuvent être cités en faisant référence à des agents de transmission (famille, professionnels…) et/ou des lieux d’apprentissages (milieu familial, scolaire, extrascolaire…).

Le questionnaire « Les jeunes, l’école et leur avenir » (Prêteur, Constans et Féchant 2004). Ce questionnaire, de type échelle de Likert en quatre points, renseigne sur : 1) leur rapport au savoir, à l’apprendre et à l’avenir (26 items : rapport à l’apprendre, aux apprentissages, implication scolaire, souhaits scolaires et professionnels); 2) l’autoévaluation des résultats scolaires (2 items : évaluation de leurs résultats avant et après l’orientation actuelle); 3) leur rapport à l’école (29 items : satisfaction scolaire et sens accordé à l’école, rapports aux autrui scolaires, attentes envers l’école); 4) et le soutien social perçu (17 items : perception de la présence, investissement des parents et autres adultes significatifs dans leur scolarité). Ce questionnaire a également fait l’objet d’adaptation au niveau du vocabulaire en proposant des synonymes aux termes pouvant être complexes et ce, afin de faciliter la compréhension de tous les élèves.

Stratégie d’analyse et de traitement des résultats

Cette sous-partie présente tout d’abord la construction des parcours scolaires, soit la dimension objective de l’expérience scolaire des élèves, puis s’attache à décrire les principales modalités composant chacun des parcours obtenus ; étape préliminaire à la présentation de l’analyse multivariée.

Construction de la dimension « Parcours scolaire ». Pour réaliser une typologie de parcours scolaires, les chercheurs ont procédé à une Classification hiérarchique ascendante (CHA) à partir du logiciel SPSS sur 11 variables issues du questionnaire appréhendant la dimension objective de l’expérience scolaire (voir Tableau 1).

L’objectif de cette CHA est double. Elle permet d’une part de ne garder que les variables mettant en exergue les spécificités de leur parcours scolaire (Evrard, Pras et Roux, 2003) et d’autre part elle permet d’effectuer un tri permettant une réorganisation des informations recueillies auprès des participants, pour les « ranger » sous forme de classes[9]. Ces classes représentent des profils-types, qui regroupent des participants en fonction de caractéristiques communes, dans notre cas sur leur parcours scolaire, en déterminant l’existence d’un lien de dépendance entre les variables (tests du Khi2 de Pearson et V de Cramer).

Les chercheurs obtiennent des participants « théorico-statistiques » : les participants d’une classe ne correspondent pas à la totalité des caractéristiques de celle-ci. Cette démarche permet de faciliter la compréhension de processus complexes, mais ne permet pas de rendre compte fidèlement des particularités individuelles (Bergman et Trost, 2006). Les résultats doivent alors s’analyser non selon des effectifs, mais en considérant l’existence d’une surreprésentation de caractéristiques dans les classes où des différences entre effectifs théoriques (attendus) et effectifs réels sont observées.

Cette méthode permet d'ordonner de manière optimale les observations originales des chercheurs puisque 92 % d'entre elles sont correctement classées, seuil supérieur à celui fixé à priori de 80 % (Kinnear et Gray, 2005). Les résultats obtenus par la CHA retiennent 9 variables sur les 11 initiales et proposent 3 classes. Ces trois classes correspondent à trois formes de parcours scolaires qui se distinguent principalement par le contexte de scolarisation actuel et les modalités d’enseignement proposées aux élèves (voir Tableau 2).

Tableau 1

Description de la population générale[10]

Description de la population générale10

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Tableau 2

Répartition des indicateurs des variables relatives aux trois parcours scolaires[11]

Répartition des indicateurs des variables relatives aux trois parcours scolaires11

Note. **p < ,01 ; ***p < ,001 ; ND=Non Discriminanti ; NC : Non Concerné.

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Parcours 1 : CLIS avec scolarisations individuelle et collective (N=38). Le parcours scolaire 1 se définit par une scolarisation en dispositif spécialisé pour la première année, la classe ordinaire étant le lieu de scolarisation antérieur. Dans ce parcours, la CLIS correspond à une première orientation dans un dispositif spécialisé. Les temps d’enseignement hebdomadaire se déroulent pour plus d’un mi-temps. Des scolarisations individuelles (un seul élève suit un enseignement dans une classe de l’école) et collectives (les élèves du dispositif suivent un enseignement avec les élèves d’une classe de l’école) sont pratiquées et ce, sans la présence de l’accompagnant des élèves en situation de handicap. Aucun devoir n’est donné, des scolarisations inversées (un élève de l’école dit « tout-venant » suit en enseignement au sein du dispositif) ainsi que des décloisonnements (échanges de service entre les enseignants) sont réalisés.

Parcours 2 : ULIS avec scolarisations individuelles (N=54). Le parcours scolaire 2 est associé à une scolarisation en dispositif spécialisé depuis 6 à 10 ans. L’ULIS, lieu de scolarisation actuel, n’est pas le premier dispositif spécialisé rencontré. La scolarisation se déroule sur plus d’un mi-temps par semaine et des scolarisations individualisées dans les classes de l’école en présence de l’accompagnant des élèves en situation de handicap sont mises en place. Des devoirs sont donnés et aucune pratique de scolarisation inversée ou de décloisonnement n’est observée.

Parcours 3 : IME avec regroupements collectifs (N=19). Comme les élèves associés au parcours scolaire 2, les élèves caractéristiques de ce parcours scolaire sont également scolarisés dans un dispositif spécialisé depuis au moins six années. Toutefois, ils s’en distinguent puisque le dispositif spécialisé est ici situé en milieu spécialisé et non en milieu ordinaire. Des regroupements collectifs (groupes d’âge et/ou de niveaux) sont prévus par les enseignants pour les enseignements.

Ce sont les élèves âgés de 12 ans et moins qui sont surreprésentés dans le parcours scolaire 1 tandis que les élèves âgés de 12 ans à 16 ans sont plutôt caractéristiques des parcours scolaires 2 et 3 : X²(2, N = 37) = 69,184,< 0,000.

Analyse multivariée. Dans une perspective compréhensive et exploratoire, l’ensemble des réponses des participants ainsi que les parcours scolaires construits ont fait l’objet d’une Classification hiérarchique descendante (CHD) à l’aide du logiciel Alceste (Reinert, 2003). À partir du traitement de données textuelles, via une préparation de corpus spécifique, ce logiciel se centre sur les ressemblances et les dissemblances des réponses données par les participants pour effectuer des regroupements. Plus précisément, l’analyse du corpus se fonde sur l’occurrence de verbatims et de caractéristiques communes, telles que des variables illustratives (âge, sexe…) et des variables actives (réponses des participants), pour ensuite former des classes ou profils-type de réponses. Sur la base d’informations issues de questionnaires fermés, un paramétrage particulier du logiciel permet également d’obtenir ces profils.

Les variables illustratives et actives, préalablement enregistrées au moment de la préparation du corpus, sont couplées aux profils suggérés par l’analyse et permettent de les décrire. Pour chaque élément traité, l’analyse spécifie le Khi2 correspondant, indiquant la force de l’association, et le nombre d’occurrences associées dans la population globale. Cette CHD est réalisée sur la base de deux variables illustratives, soit le sexe et l’âge des élèves et de 72 variables actives introduites dans l’analyse, toutes relatives à l’expérience scolaire des élèves (la typologie de parcours scolaire préalablement construite et le sens de l’expérience scolaire) et aux représentations de soi.

Cette analyse a porté sur l’ensemble de notre population (N=111) et 91 % des données analysées ont été classées, soit 100 participants. Le pourcentage des données retenues est supérieur à 70 %, seuil à partir duquel l’analyse est statistiquement significative (Reinert, 2003).

Résultats de l’analyse multivariée

La CHD met en exergue 5 profils scolaires différenciés, répartis en 2 groupes contrastés (voir Tableau 3). Le premier groupe rassemble les profils scolaires 1 (30 % des élèves), 4 (17 %) et 5 (15 %). Ces trois profils sont composés d’élèves dont l’investissement envers les savoirs n’est pas uniforme, avec pour certains des expériences inclusives négatives et/ou des relations aux pairs délicates associées à des représentations de soi peu valorisées. Le deuxième groupe, composé des profils 2 (18 %) et 3 (20 %), fait référence à des élèves évoquant un investissement dans les savoirs, des relations aux pairs harmonieuses et des représentations de soi valorisées.

Les profils scolaires issus du premier groupement

Présentations des profils scolaires 1, 4 et 5, qui se différencient au niveau de l’investissement envers les savoirs, la qualité des relations aux autres et le type de représentations de soi mobilisés. Une forte hétérogénéité dans l’élaboration des relations aux savoirs, aux autres et à soi est présente dans les profils scolaires issus du premier groupement.

Un élève et des parents mettant à distance les savoirs scolaires (Profil scolaire 1). Cet élève prototypique, âgé de plus de 12 ans[12], relève plutôt du parcours scolaire 2 (ULIS avec scolarisations individuelles; voir Tableau 4). Il se distingue par l’absence d’agent d’apprentissage et d’évocation de savoirs et apprentissages. Pour autant les apprentissages scolaires de bases (lire/écrire) sont cités, illustrant un positionnement que l’on peut situer dans un « entre-deux ». Dans cette perspective, il indique à la fois le contenu scolaire comme ce qu’il aime le plus et le moins à l’école, révélant une certaine ambivalence face aux savoirs scolaires. L’inimité adressée aux savoirs serait en partie liée aux autres (enseignants, élèves) sur lesquels il rejette la faute de son non-investissement ; autres qui ne semblent pas être un support valorisé puisqu’aucune relation d’harmonie n’est spécifiée. Toutefois, l’aspect relationnel n’est pas occulté. Cet élève indique : avoir un enseignant pourvu d’attributs positifs, avoir assez d’amis dans sa classe et dessine d’ailleurs une école de type « social » (école au sein de laquelle il n’aime toutefois pas aller).

Cet élève, qui met à distance les apprentissages, indique ne pas savoir comment étaient ses résultats avant son actuelle orientation, soit parce qu’il n’est pas en mesure de le faire ou qu’il ne veut pas le faire. Au vu de son souhait d’orientation prochain en dispositif spécialisé, il est possible de se demander s’il s’agit, par exemple, d’un choix réalisé dans le but de conserver les liens aux pairs existants ou s’il s’agit de mettre à l’écart d’éventuelles difficultés scolaires, difficultés déjà expérimentées par le passé. De surcroit, il semble être seul à gérer ces difficultés, ses parents étant décrits comme n’intervenant pas, tant au niveau des devoirs que des réprimandes. Peut-être est-ce une forme de détachement parental des apprentissages qui pourrait conduire cet élève à ne citer aucun apprentissage de la vie quotidienne, ni d’agent; savoirs qui s’acquièrent en premier lieu dans le milieu familial.

Tableau 3

Présentation générale des profils scolaires[13]

Présentation générale des profils scolaires13

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Tableau 4

Présentation du Profil scolaire I

Présentation du Profil scolaire I

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Un élève n’investissant ni les savoirs ni les relations aux pairs (profil 4). L’élève prototypique caractéristique de ce profil 4 est plutôt une fille[14] (voir Tableau 5). Cet élève prototypique ne positionne ni les savoirs scolaires, ni les études et les diplômes à des places privilégiées. Les savoirs ne sont pas investis pour faire plaisir à ses enseignants (auxquels il ne répond pas toujours face aux sollicitations du travail solaire) ou à ses parents. Se plaçant à distance d’un plaisir à procurer aux parents, bien que le père semble se mobiliser pour les devoirs et les résultats obtenus, il se questionne peu sur les activités scolaires et exprime plutôt une non-mobilisation dans les savoirs.

Tableau 5

Présentation du Profil scolaire 4

Présentation du Profil scolaire 4

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Le dessin de l’école donne à voir une école de type « maison », un lieu possiblement réassurant auquel il est possible de raccrocher les savoir-faire de base, seuls cités, relevant des apprentissages de la vie quotidienne. Cette école maison est peut-être convoquée pour contrebalancer les expériences de l’école au sein desquelles les relations aux pairs semblent être délicates. En effet, cet élève exprime ne pas avoir beaucoup d’amis dans sa classe, ne pas apprécier les temps de scolarisation dans les classes de l’école en dehors du dispositif et indique ne pas jouer avec les élèves des classes dans lesquelles il est scolarisé.

Cet élève qui semble être en retrait des apprentissages scolaires et indiquant des relations aux pairs inexistantes ou déplaisantes, développe une représentation de lui-même peu valorisée puisque les niveaux de soi « général et apparence », « relationnel » et « compétences physiques » figurent parmi les plus faibles des élèves rencontrés.

Un élève plus jeune, investissant les savoirs et ayant des représentations de soi dévalorisées (profil 5). L’élève prototypique de ce profil, âgé de 12 ans et moins[15], est plutôt issu du parcours scolaire 1 (CLIS avec scolarisations individuelle et collective dans les autres classes; voir Tableau 6). Il se définit par l’importance qu’il accorde aux apprentissages scolaires et notamment aux disciplines scolaires qu’il investit, par intérêt, et sur la base de retours positifs sur ses activités. Il désigne l’histoire-géographie/science comme étant la matière qu’il aime le moins, et ce, au regard de sa complexité. Cet élève témoigne d’un investissement dans les apprentissages, mais les agents scolaires ne sont pas cités dans son bilan de savoir ; il envisage d’effectuer du travail scolaire dans l’école de ses rêves et souhaite par ailleurs être dans une classe ordinaire l’année prochaine. Ce choix est peut-être à relier à des expériences désagréables vécues lors des temps de scolarisations dans les autres classes, temps qui demeurent restreints dans sa semaine scolaire et que cet élève n’apprécie pas. Son jeune âge associé à une courte expérience des dispositifs spécialisés, l’amène à désirer une voie ordinaire au sein de laquelle les savoirs scolaires sont davantage valorisés. On ne sait pas si ce souhait d’orientation est aussi effectué pour rester davantage au contact d’autrui et d’élèves « tout-venant » puisque ces derniers ne sont pas mentionnés dans son discours. Seules des activités récréatives sont évoquées et ce, sans lien explicite aux pairs. Celles-ci semblent tout de même avoir autant d’importance que le travail scolaire.

Tableau 6

Présentation du Profil scolaire 5

Présentation du Profil scolaire 5

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L’enseignant de sa classe est décrit comme quelqu’un de compréhensif. Le père est présenté comme ne posant que peu de questions sur sa scolarité alors que, selon cet élève, l’école sert à faire plaisir aux parents. Ce manque d’implication pourrait alors être dévalorisant et expliquerait en partie que ses représentations de soi se situent dans des niveaux faibles et moyens.

Les profils scolaires du second groupement 

Les profils scolaires 2 et 3 qui composent ce groupement mettent en lumière un investissement important de la sphère scolaire et un engagement dans les relations aux autres. Ces deux profils présentent toutefois des différences, concernant par exemple les mobiles liés au rapport au savoir, que les chercheurs analysent ci-après.

Un élève accordant une place importante à la famille, se mobilisant dans la sphère scolaire et dans les relations aux autres (profil 2). L’élève prototypique est plutôt associé au parcours scolaire 1 (CLIS avec scolarisations individuelle et collective dans les autres classes; voir Tableau 7). Il déclare aimer aller à l’école et souhaite poursuivre des activités scolaires dans son école imaginaire. Il accorde aux études et aux diplômes une grande importance.

Cet élève, évaluant ses résultats comme bons avant son actuelle orientation, se considère comme propre agent de transmission, aux côtés de l’agent scolaire. Sa matière détestée l’est par la faute d’autrui, exigeant sans doute trop de lui. En effet, il révèle avoir des difficultés pour réaliser ce qui est demandé par l’enseignant et signifie l’existence d’un excès de leçons et d’exercices, mais aussi de difficultés lorsqu’il doit écouter les adultes. Ce dernier élément semble marquant pour cet élève accordant de l’importance aux relations de conformité (score de soi conformité élevé). Ces relations de conformité sont évoquées au sein des apprentissages relationnels et affectifs, domaine davantage mis en avant que le développement personnel qui n’est pas cité. Cet élève semble davantage tourné vers les relations à autrui que sur lui-même. En ce sens, la mobilisation scolaire qu’il évoque est liée au plaisir à procurer aux parents et aux enseignants. Ces derniers sont perçus comme n’ayant pas que des attributs positifs, pouvant quelquefois gronder, caractéristiques procurant un équilibre recherché puisque ce sont aussi ces attributs qui sont évoqués pour décrire l’enseignant rêvé.

Les aspects relationnels, dont l’importance a déjà été évoquée, sont également à relier aux pairs présents dans son discours. Cet élève aime les temps de scolarisation dans les autres classes et dit jouer avec ces élèves ; ce discours s’illustre dans un dessin de l’école sociale.

Ses parents sont investis dans sa scolarité : ressources pour faire les devoirs, questionnant les activités quotidiennes et manifestant un certain mécontentement lorsque les résultats attendus ne sont pas jugés satisfaisants. De la même manière que pour l’enseignant, les qualités de réassurance et de justice sont valorisées. Les normes et la conformité semblent des points importants chez cet élève qui souhaiterait être scolarisé en classe ordinaire.

Un élève ayant des facilités dans les savoirs et développant des relations aux autres satisfaisantes (profil 3). Le sujet prototypique de ce profil est plutôt associé au parcours scolaire 3 (IME avec regroupements collectifs ; voir Tableau 8). Il évoque, à l’inverse du sujet du profil 2, l’absence de quelconques difficultés tant au niveau des exercices que de la gestion des demandes des adultes. Les matières préférée et détestée sont évoquées, mais il n’est pas en mesure d’indiquer la raison de son choix. Il fait référence à son parcours scolaire et aux institutions qu’il a connus, de même qu’aux savoirs scolaires et aux apprentissages de la vie quotidienne (notamment les savoirs et savoir-faire de base). L’élève caractérisé par le parcours scolaire 3 est scolarisé en IME, dispositif au sein duquel les élèves partagent de nombreux moments de vie collective favorisant la valorisation de tels savoirs. C’est ainsi que l’élève de ce profil réalise le dessin d’une école maison. Les relations aux pairs sont privilégiées : il indique jouer avec les élèves des autres groupes et aime les temps dédiés aux activités récréatives.

Tous ces aspects font que cet élève déclare aimer aller à l’école et souhaite être orienté au sein d’un dispositif spécialisé pour l’année à venir, choix qui n’est pas relié au contexte agréable qu’il pourrait y trouver, mais à des raisons professionnelles (possibilité d’effectuer des ateliers en lien avec le métier envisagé, lieux de stages diversifiés).

Au niveau du soutien social perçu, le père est mentionné comme celui qui pose des questions sur la nature des activités réalisées au sein du dispositif.

Bien que de nombreux aspects relevants d’expériences positives soient mentionnés, cet élève présente un niveau moyen à la dimension du soi « général et apparence ».

Tableau 7

Présentation du Profil scolaire 2

Présentation du Profil scolaire 2

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Tableau 8

Présentation du Profil scolaire 3

Présentation du Profil scolaire 3

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Discussion-Conclusion

L’objectif de cet article était d’appréhender le point de vue d’élèves en situation de handicap au sujet de leurs représentations de soi et de leur expérience scolaire via la création de profils scolaires.

Par le biais d’une analyse multidimensionnelle, fondée sur la parole des élèves encore peu mise en avant dans ce domaine de recherche, les chercheurs ont pu identifier cinq profils scolaires hétérogènes permettant d’appréhender les effets conjugués du parcours scolaire, (construit au préalable via la dimension objective de l’expérience scolaire), du rapport au savoir et à l’école, mais aussi des représentations de l’école (dimensions subjectives de l’expérience scolaire) et des représentations de soi.

Précisément, pour la dimension objective de l’expérience scolaire, les résultats montrent qu’aux côtés du contexte scolaire, ce sont principalement les modalités d’enseignements, la durée de scolarisation hebdomadaire, le contexte scolaire antérieur et la durée de la scolarisation en dispositif spécialisé qui caractérisent leur parcours scolaire.

De l’analyse multivariée, les chercheurs retiennent l’existence d’une forte hétérogénéité révélant des particularités chez ces élèves tant entre les deux groupements de profils initiaux qu’au sein même de ces groupements. Précisément, le premier groupement révèle des profils diversifiés en ce qui concerne l’investissement des savoirs par les élèves, la nature de leurs relations aux pairs et leurs représentations de soi contrairement au second qui rassemble des profils d’élèves plus harmonieux.

Au sein du premier groupement, l’hétérogénéité est significative. Le profil 1 « Un élève et des parents mettant à distance les savoirs scolaires » se distingue des profils 4 « Un élève n’investissant ni les savoirs ni les relations aux pairs » et 5 « Un élève plus jeune, investissant les savoirs et ayant des représentations de soi dévalorisées » en dévoilant un élève plutôt désengagé de sa scolarité, à l’image de ses parents qui sont, selon lui, peu investis. Son parcours scolaire et son âge plus avancé, le conduisent probablement à privilégier les liens aux pairs, en tant que centre d’intérêt majeur, à l’instar des élèves « tout-venant » (Hernandez et al., 2012 ; Mallet, 1993). En effet, ces éléments, sur lesquels il porte une évaluation positive, jouent un rôle prépondérant sur le développement des représentations de soi, qui est d’une grande importance à l’adolescence, période intense en questionnement sur soi (Deltombe, 2010; Ployé, 2018). À cette étape du développement, les savoirs scolaires peuvent être moins investis qu’auparavant (Bennacer, 2008). Dans cette perspective, ne pas se positionner face aux savoirs scolaires, alors non primordiaux, lui permettrait de se valoriser aux yeux d’autrui notamment si ces savoirs ne peuvent lui procurer une valorisation par eux-mêmes : il s’agirait alors d’une stratégie de protection (Tap et Anton, 2013).

Les élèves des profils 4 et 5 se positionnent plus clairement face aux savoirs, mais se différencient dans leur investissement envers leurs relations à autrui. En effet, l’élève du profil 4 semble éprouver un certain déplaisir face à la sphère scolaire, tant envers les apprentissages que les autrui scolaires. La maison serait considérée ici comme un lieu réassurant mais au sein duquel les agents familiaux ne sont pas mobilisés. Cet élève semble donc assez isolé. Il pourrait se valoriser sur d’autres domaines de vie afin de s’en protéger, mais cela ne semble pas être la position qu’il adopte. Au regard de ces niveaux de soi, cet isolement ne semble pas, en effet, être mis à distance de lui-même. Cet élève ne semble pas/plus vouloir dépendre des autres et se place en retrait des savoirs et des relations aux pairs.

L’élève prototypique du Profil scolaire 5, plutôt jeune, met surtout en exergue l’importance des activités récréatives dans ses représentations de l’école, temps appréciés et certainement valorisants (Uusitalo-Malmivaara et al., 2012). Son intérêt porterait sur des aspects à partir desquels il peut attirer l’attention d’autrui. Ainsi, sa matière préférée est choisie selon les retours évaluatifs qui lui sont faits. Il semble être installé dans une recherche de liens à l’autre. En conséquence, son souhait d’être orienté en classe ordinaire pourrait être formulé dans le but de restaurer, pérenniser des liens avec les pairs et/ou de s’investir davantage dans les savoirs possiblement gratifiés par l’attention d’autrui. Ses représentations de soi assez faibles pourraient être une des raisons qui le pousse à poursuivre ce désir.

À l’inverse, les élèves correspondant au deuxième groupement de profils témoignent d’un engagement certain tant envers les savoirs que leurs relations aux pairs, mais se distinguent par leurs mobiles. L’élève du profil 2 « accordant une place importante à la famille, se mobilisant dans la sphère scolaire et dans les relations aux autres », plus jeune, semble tout d’abord placer la sphère familiale à une position privilégiée tout comme ses relations aux pairs au sein de sa scolarité (Beaumatin et Laterrasse, 2004). Dans un second temps apparaissent d’autres facteurs, tels que les savoirs scolaires et sa volonté de paraître conforme, que cet élève semble prioriser dans le but de faire plaisir à ses parents. Ces aspects pourraient expliquer, en partie, son souhait d’une scolarisation future en classe ordinaire et la fonction importante accordée aux études et diplômes. Vouloir faire plaisir à leurs proches semblerait les conduire à vivre plus aisément une scolarité et à investir les savoirs (Bardou et al., 2012).

Quant à l’élève du profil 3, qui fait l’expérience de « facilités dans les savoirs et de relations aux autres satisfaisantes », celui-ci valoriserait la sphère scolaire sans contrepartie. Caractérisé par le fait de ne pas être scolarisé en milieu ordinaire, cet élève, qui n’est pas concerné par des exigences communes aux élèves « tout-venant », semble dépeindre un tableau scolaire sans anicroche. Il valorise fortement les agents scolaires et les lieux scolaires, tous deux assurant une transmission de savoirs (Beaumatin et Laterrasse, 2004). Ayant investi la sphère scolaire, cet élève met en avant l’absence de difficultés face aux demandes des adultes tant dans les apprentissages que dans d’autres temps de la journée scolaire. Serait-ce par déni (Korff-Sausse et al., 2009), en raison d’un manque de conscience de la situation de handicap, quelquefois délibéré (Torossian-Plante et Auguin-Ferrere, 2012), ou par la réassurance et la protection que son parcours scolaire peut alimenter (Picon, 2010) ? Quel qu’en soit l’origine, ce positionnement semble permettre de se dégager des demandes perçues de la part d’autrui, pouvant être considérées comme difficilement réalisables (Ployé, 2018). Sans avoir à traiter de telles sollicitations, cet élève pourrait s’investir plus librement dans ses différents domaines d’intérêt. Associés à une absence de scolarisation en milieu ordinaire, leur contexte de scolarisation semblerait les libérer de pressions extérieures et du poids du regard de l’autre (Picon, 2010). A priori, ne cherchant pas à faire plaisir aux autres, ces élèves s’avèrent être les seuls à investir sans condition les savoirs.

L’élaboration de ces profils scolaires confirme l’existence de liens étroits entre les représentations de soi et le sens de l’expérience scolaire. Ainsi, les représentations de soi des élèves sont en accord avec le caractère positif ou négatif accordé à leur expérience scolaire. Les représentations de soi des élèves et leur expérience scolaire ne sont pas en lien direct avec leur parcours scolaire et ne répondent pas à des logiques uniformes. Bien plus que leurs parcours scolaires, ce sont les relations de sens et de valeurs qu’ils entretiennent avec leur entourage familial ou scolaire qui alimentent le sens de leur expérience scolaire et leurs représentations de soi. En effet, les positionnements divergents que peuvent prendre par exemple les profils 3 et 5 questionnent les incidences que peut avoir l’école inclusive. Cette dernière vise l’accessibilité au savoir, mais aussi à la participation sociale. Pour s’en donner les moyens, identifier ce qui fait obstacle à cette accessibilité est alors une condition sine qua non. Les résultats de cette étude renseignent sur ces aspects et convergent avec les résultats de recherches questionnant les représentations de soi et l’expérience scolaire d’élèves en SH et « tout-venant » : les autrui significatifs, la prise en compte des différents milieux de vie des élèves sont des aspects majeurs à considérer (Bardou et al., 2012; Ployé, 2013), au-delà de la situation scolaire en elle-même et dans la compréhension de ce qui peut faire obstacle ou de ce qui peut faciliter cette accessibilité. Ainsi, leur SH semble quelquefois prépondérante dans l’explication de ce qui peut faciliter (Profil scolaire 3) ou au contraire rendre difficile leur scolarisation (Profil scolaire 5), mais n’est pas toujours mise en avant dans les relations de sens et de valeurs qu’ils donnent à voir à l’égard des savoirs et de l’école. L’investissement familial (Profil scolaire 2) ou son absence (Profil scolaire 1), l’importance accordée à l’enseignant (Profil scolaire 2) les relations aux pairs harmonieuses (Profils scolaires 1, 2 et 3) ou difficiles, voire inexistantes (Profils scolaires 4 et 5) sont alors des éléments de compréhension majeurs de leur expérience scolaire et de leur représentation de soi. Ces différents profils confirment la complexité que peut revêtir une scolarisation inclusive (Ployé, 2018), mais ne laisse en rien prédire les effets que peut produire un parcours scolaire sur leur expérience scolaire et leurs représentations de soi, à l’image des Profils scolaires 5 « Un élève plus jeune, investissant les savoirs et ayant des représentations de soi dévalorisées » et 2 « Un élève accordant une place importante à la famille, se mobilisant dans la sphère scolaire et dans les relations aux autres » qui à parcours scolaire équivalent (CLIS avec scolarisations individuelle et collective), semblent opposés sur de nombreux points. Ces profils permettent de prendre la mesure du lien intersubjectif décrit par Ployé (2018) qui relie l’élève, mais aussi l’enfant, l’adolescent, le fils, la fille, l’ami…, à une communauté scolaire et qui conduit à affirmer avec conviction l’importance de laisser les élèves, quelque soient leurs caractéristiques, s’exprimer pour saisir ce qui se joue pour eux et qu’aucuns ne peuvent saisir de l’extérieur. Outre l’intérêt d’identifier des profils scolaires en considérant les rôles conjugués des différents processus étudiés, cette méthode apparait donc intéressante pour une compréhension plus fine de ce qui se joue pour ces élèves inscrits dans une scolarisation inclusive.

Au-delà de compléter les connaissances actuelles concernant la scolarisation inclusive des élèves en SH, ces résultats pourraient être éclairants pour soutenir les professionnels dans leurs pratiques. Cherchant à répondre aux besoins des élèves, il s’agirait alors de saisir ce qui fait sens et non-sens pour eux via des activités soutenant leur verbalisation comme par exemple la réalisation de récit fictif. C’est sur cette base que des propositions peuvent alors être faites au cas par cas pour orienter la construction de leurs relations de sens et de valeurs envers les savoirs, l’école et soi. Il peut s’agir de limiter/augmenter les temps de scolarisation individuels, privilégier ou non la présence de l’accompagnant des élèves en situation de handicap lors de ces temps, donner ou non des devoirs, varier les supports… pour des actions sur leur parcours scolaire. En ce qui concerne la construction du sens de leur expérience, favoriser ou limiter des relations entre pairs en SH et/ou « tout-venant », mobiliser la famille et les autres professionnels peuvent être des solutions mises en oeuvre. Afin d’étayer le développement de leurs représentations de soi, il est par exemple possible de proposer des activités réflexives propices à l’expression de soi, telles que des activités artistiques, pour mettre à distance des conflits.

Pour répondre aux exigences d’une école inclusive, ces modalités, d’autant plus complexes à mettre en oeuvre puisqu’elles s’interstructurent et peuvent être rattachées autant à l’expérience scolaire qu’aux représentations de soi, doivent être envisagées non seulement en fonction des besoins supposés des élèves, mais aussi et surtout selon les besoins énoncés par les principaux concernés : les élèves eux-mêmes en tant que créateur de sens autour de leur expérience.