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Issu d’une session organisée en 2015 dans le cadre du colloque conjoint de la Ontario Archaeological Association (OAS) et de la Eastern States Archaeological Federation (ESAF), l’ouvrage Études multidisciplinaires sur les liens entre Hurons-Wendat et Iroquoiens du Saint-Laurent témoigne d’un désir de réformer, dans un esprit collaboratif, certaines pratiques problématiques en archéologie, qu’elles concernent l’interprétation du passé ou encore la représentation même des Hurons-Wendat ancestraux et actuels. Ce livre, habilement et fidèlement traduit de l’anglais, traite de la question de l’identité des Iroquoiens du Saint-Laurent en insistant sur l’étroite relation entre ces derniers et les Hurons-Wendat ancestraux.

S’agissant d’un ouvrage collectif, il serait laborieux d’aborder chacun des onze chapitres. Il importe plutôt d’examiner sa composition générale tout en portant une attention particulière à certains passages plus marquants. Dans l’ensemble, la qualité du contenu, la concision et l’efficacité des textes méritent d’être soulignées. Loin de compromettre la pertinence du propos, l’objectif de vulgarisation visé dans cet ouvrage offre au lecteur l’opportunité de comprendre aisément les aspects complexes des recherches présentées. La compréhension est également accrue grâce aux nombreux supports visuels qui, en plus d’agrémenter la lecture, permettent de bien cerner les interprétations et conclusions dévoilées par les auteurs. Qu’il soit novice ou expert en la matière, le lecteur se plaira à parcourir les courts chapitres qui s’appuient sur des données archéologiques, ethnolinguistiques, ethnohistoriques, historiques ou de tradition orale. Cette multidisciplinarité offre l’occasion d’adopter une vision holistique, permettant de mesurer l’importance et l’influence relatives de facteurs tels que les contextes géopolitiques, les réseaux sociaux, la complexité sociale, les schèmes d’établissement ou les stratégies belliqueuses, dans l’interprétation des processus de dispersion et d’intégration des Iroquoiens du Saint-Laurent, notamment chez les Hurons-Wendat.

Bien que le passé demeure parfois difficile à saisir, cet ouvrage contribue à offrir une image plus claire de la position qu’occupaient les Iroquoiens du Saint-Laurent dans la mosaïque culturelle préhistorique. À cet égard, l’analyse des réseaux sociaux iroquoiens du Saint-Laurent et paniroquoiens (Dermarkar et al.) démontre que l’examen statistique des liens sociaux permet de déceler des changements dans l’évolution des interactions. En effet, grâce aux indices de signalisation sociale encodés dans le décor des vases, cette étude apporte des éléments de preuve supplémentaires quant à l’étendue de l’influence sociale des Iroquoiens du Saint-Laurent et quant à sa transformation au tournant du xviie siècle, période névralgique où les groupes sont en reconfiguration géopolitique. En revanche, en dépit d’un argumentaire bien détaillé et convaincant, la densité des graphes limite parfois la compréhension du propos.

Le lecteur qui recherche une explication davantage pragmatique concernant la dispersion et la baisse démographique des Iroquoiens du Saint-Laurent s’intéressera au chapitre portant sur l’analyse comparée des pointes de flèche en pierre par rapport à celles en os ou en andouiller (Engelbrecht et Jamieson). En comparant les différences fonctionnelles entre les pointes de projectile en os, privilégiées par les Iroquoiens du Saint-Laurent, et celles en pierre, plus fréquemment utilisées par les Iroquois, les auteurs concluent que le matériau lithique inflige des blessures plus fatales, conférant ainsi un avantage considérable lors des conflits armés. Tout en reconnaissant la valeur multifactorielle de la dispersion des Iroquoiens du Saint-Laurent, la guerre apparaît, de cette manière, comme une hypothèse plus évidente dans l’explication de ce phénomène. Considérant que les pointes de projectile auraient effectivement été l’arme privilégiée pour les activités belliqueuses, il aurait été intéressant, d’un point de vue méthodologique, de connaître les critères entourant l’identification des pointes en os. En effet, si la morphologie des pointes en pierre taillée révèle clairement leur fonction, la morphologie des pointes en os n’est généralement pas aussi suggestive et laisse place à l’interprétation – mais le format de cette publication ne permettait probablement pas d’aborder ce volet de manière aussi détaillée.

Dans un autre ordre d’idées, cet ouvrage permet de mettre en évidence le fait que l’étude des populations anciennes ne concerne pas seulement l’archéologie ; elle est aussi pertinente pour d’autres disciplines et diverses formes de savoirs. À cet égard, en s’appuyant sur des démonstrations linguistiques, John Steckley parvient, de manière captivante et convaincante, à démontrer que l’ethnolinguistique fournit des éléments de preuve attestant non seulement que certains Iroquoiens du Saint-Laurent ont cohabité et se sont intégrés aux Hurons-Wendat (chap. 2), mais qu’ils ont représenté deux entités culturelles distinctes. En effet, comme le souligne Steckley, le dictionnaire de la langue huronne rédigé par le frère récollet Gabriel Sagard témoigne incontestablement de la présence chez les Hurons-Wendat de locuteurs de la langue parlée par les Iroquoiens du Saint-Laurent.

Si la majorité des chapitres présente une certaine neutralité dans le débat sur l’affiliation entre les Iroquoiens du Saint-Laurent et des Hurons-Wendat, la position huronne-wendat est plus explicite dans le premier et dans le dernier chapitre, intitulés respectivement : « Interpréter ethnicité et affiliation culturelle : les points de vue hurons-wendat et anthropologiques » (Gaudreau et Lesage) et « Hurons-Wendat et Iroquoiens du Saint-Laurent : nouveaux constats d’une étroite relation » (Warrick et Lesage). Le premier confère à l’ouvrage sa spécificité de par l’analyse critique du concept d’ethnicité qui y est développée, témoignant d’une volonté de réconcilier la divergence de points de vue entre la conception archéologique de l’ethnicité et celle des groupes autochtones. Bien que les auteurs tentent de faire progresser les réflexions relatives aux différentes interprétations de ce concept en soulignant qu’il est difficile, voire impossible, de déterminer l’identité ou l’ethnicité à partir de vestiges archéologiques, Gaudreau et Lesage font connaître sans grand détour leur position favorable aux revendications huronnes-wendat visant notamment à être considérés comme descendants directs des Iroquoiens du Saint-Laurent. Par ailleurs, les revendications des Mohawks, qui sont fort similaires à celles des Hurons-Wendat, rendent le débat encore plus complexe. Bien que l’ethnicité pose un défi aux archéologues, par-delà les critiques présentées dans ce chapitre il aurait été intéressant que les auteurs offrent des propositions alternatives conséquentes avec leur vision de l’ethnicité, un chemin sur lequel ils ne s’aventurent malheureusement pas. Les questions relatives à la manière d’aborder les marqueurs identitaires ou les traits distinctifs perceptibles dans le registre archéologique demeurent donc en suspens. Ensuite, concernant le second chapitre susmentionné, les auteurs Warrick et Lesage ne laissent aucune ambiguïté quant à leur position, en réaffirmant le lien de descendance directe entre les Iroquoiens du Saint-Laurent et les Hurons-Wendat. Cette position semble d’ailleurs prendre appui sur les données présentées dans le chapitre portant sur la tradition orale huronne-wendat et l’antériorité territoriale, où Jean-François Richard présente une version alternative de l’occupation des basses terres du Saint-Laurent, supportant l’idée que la vallée du Saint-Laurent est un territoire ancestral huron-wendat. De plus, en soutenant que « ce sont les Autochtones qui savent le mieux qui ils sont et d’où ils viennent » (p. 139), Warrick et Lesage profitent de ce chapitre final pour encourager, peut-être maladroitement, les archéologues à décoloniser leur pratique et à préconiser de manière plus systématique une approche collaborative avec les communautés autochtones.

Bien que ce livre représente un exemple inspirant où l’on favorise la collaboration, il rend également compte du défi de considérer conjointement le point de vue des Autochtones et celui des archéologues. Les différentes interprétations relatives à l’ethnicité des Iroquoiens du Saint-Laurent relevées par Gaudreau et Lesage témoignent de ce défi. Cette constatation atteste notamment la complexité de changer les paradigmes dominants concernant la notion d’ethnicité en archéologie. Nul doute que les efforts déployés dans cet ouvrage feront progresser le débat sur l’identité culturelle des Iroquoiens du Saint-Laurent. La conciliation des intérêts et objectifs des différents acteurs engagés dans un tel projet nécessite inévitablement de surmonter les divergences d’opinions, un défi que les auteurs ont abordé en adoptant un esprit de réciprocité.

Pour conclure, à la lumière des informations présentées, il est possible de constater que l’histoire de l’occupation de la vallée du Saint-Laurent, les processus de réorganisation géopolitique, les processus de migration ou encore la dynamique d’incorporation de populations au sein d’autres nations témoignent presque tous en faveur de la dispersion des populations iroquoiennes du Saint-Laurent et de leur intégration parmi les populations ancestrales huronnes-wendat à une période charnière entre le xve et le xvie siècle. En ce sens, les collaborateurs de cet ouvrage multidisciplinaire répondent à son objectif premier en révélant la relation privilégiée entre ces deux communautés et en réfutant le scénario de la disparition complète des Iroquoiens du Saint-Laurent.

Enfin, ce livre soulève des réflexions intéressantes sur le rôle des chercheurs vis-à-vis l’interprétation du passé, tout comme l’influence qu’ils peuvent exercer dans l’émergence d’un nouveau mode de production des connaissances plus démocratiques.