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« The Future of Capitalism. Facing the New Anxieties », de Paul Collier, Allen Lane, 2018

Paul Collier est professeur d’économie et de politique publique à la Blavatnik School of Government de l’Université d’Oxford. Il a acquis une renommée mondiale, notamment pour ses contributions examinant la situation des pauvres dans les pays les plus pauvres, et pour ses propositions d’action internationale à la mesure des défis à relever (The Bottom Billion, Oxford University Press, 2007). Avec The Future of Capitalism, l’ambition de l’auteur d’adresser les problèmes fondamentaux de notre époque est à nouveau manifeste. Il identifie trois nouveaux clivages sociaux, sources d’anxiété et de colère populaire, affectant la Grande-Bretagne et plus largement les démocraties occidentales : ce sont les régions contre les métropoles; les individus n’ayant pas poursuivi d’études contre les plus diplômés; les travailleurs contre les chercheurs de rentes. Il rend compte de leurs origines et produit des solutions pour les réduire.

Les clivages qui sont identifiés constituent une réelle menace pour le capitalisme. Les réponses politiques qui voient le jour ici et là sont souvent idéologiques, inspirées de Rawls ou de l’utilitarisme, ou populistes. Elles ne contribuent pas foncièrement à résoudre les problèmes; au contraire, elles ont contribué et contribuent encore à les exacerber. Pour en sortir, l’auteur avance des solutions inspirées par le pragmatisme. Il ne s’agit pas de vaincre mais de gérer le capitalisme. Si la recherche insatiable de l’intérêt personnel constitue un moteur pour le développement économique de la société capitaliste, cette recherche met à mal un aspect essentiel de notre vie à savoir les relations humaines qui fondent la communauté. Pour nourrir celles-ci, il est pressant d’expliquer encore le sens des obligations réciproques, dans la famille, l’entreprise et au niveau de l’Etat. L’auteur ne traite pas seulement d’éthique. Il aborde aussi des pistes plus économiques pour réduire les fractures, comme celle cherchant à rééquilibrer l’espace économique, entre métropole et villes petites et moyennes, par une politique audacieuse de redéploiement des activités tenant compte des difficultés de coordination et financée exclusivement par la taxation non abusive des rentes de métropole. Un livre stimulant et essentiel, de et pour notre époque.

Marcus Dejardin

« L’humain, plus qu’une ressource au coeur de la gestion », sous la direction de François Bernard Malo, James D. Thwaites, Yves Hallée. Presses de l’Université Laval, 2019

La mondialisation et le changement technologique ont, dès le début des années 70, amené une transformation profonde de la gestion des grandes organisations dans le monde occidental, et ce, en particulier en raison de l’élargissement de l’univers concurrentiel des entreprises. Face à la montée de la concurrence étrangère, mais aussi de la résurgence de la PME sur les marchés locaux, la plupart des entreprises occidentales ont majoritairement adopté une conception darwiniste du marché : « seules les meilleures entreprises survivront ». Cette conception a amené son lot de bouleversements dans les pratiques de gestion des ressources humaines qui apparaissent comme la clef de la performance de l’entreprise; ainsi naquit l’idéal type de la « gestion stratégique des ressources humaines ».

« L’humain, plus qu’une ressource au coeur de la gestion » est le fruit d’une collaboration entre vingt-sept auteurs belges, français et canadiens dont la grande majorité est constituée de professeurs de carrière dans le domaine de la gestion des ressources humaines et des relations industrielles. S’inscrivant dans un courant critique, l’ouvrage propose d’éclairer ces mutations contemporaines au regard de leurs enjeux humains tout en soulignant les initiatives porteuses de sens et en faveur d’une humanisation du travail. Proposant un regard sur les thèmes principaux de la GRH (culture, leadership, sélection, rémunération, gestion des compétences, engagement, négociation, etc.), mais aussi sur les nouveaux enjeux et les nouvelles tendances (gestion territoriale des RH, gestion des diversités, responsabilité sociale, etc.), ce livre collectif se lit avant tout comme une invitation à sortir des prescriptions normatives qui réduisent et orientent les activités humaines vers les seuls indicateurs de performances économiques à court terme. Fondamentalement multidisciplinaire, mettant à contribution l’histoire, le management, la psychologie, la sociologie, l’ergonomie, le droit, l’éthique et l’économie (pour ne nommer que ces disciplines), l’ouvrage incite le lecteur à remettre en question les modèles et les recettes de GRH supposés répondre aux impératifs d’un déterminisme environnemental sous-entendu.

Au final, L’Humain, plus qu’une ressource au coeur de la gestion, loin d’être un opus achevé, se révèle avant tout une ouverture, visant à briser les conceptions et les mythologies managériales qui font fureur en gestion des ressources humaines. Les éditions futures promises par les codirecteurs seront certainement à suivre. D’ici là, nous sommes convaincus qu’il contribuera à une meilleure professionnalisation du travail de gestionnaire des ressources humaines et qu’il amènera davantage de profondeur et de diversité dans un champ d’études que l’on reproche trop souvent d’être homogène, systématiquement biaisé en faveur des intérêts économiques à court terme des détenteurs des capitaux, intrinsèquement normatif et « athéorique ».

Sylvain Luc