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Introduction

Estimer la hauteur d’un édifice, choisir le trajet optimal entre deux endroits, déterminer toutes les formes possibles pour construire une bouche d’égout : un oeil averti peut identifier des problèmes mathématiques dispersés au hasard dans son trajet quotidien. En tant qu’étudiantes en mathématiques, nous avons fait cette constatation et lancé le projet Maths en ville, une promenade interactive de deux heures mettant en scène les mathématiques de la ville de Montréal afin de les présenter à nos concitoyens et concitoyennes. Inspirées par l’initiative Maths in the City, présentée à Londres et à Oxford depuis 2010, nous avons développé la version montréalaise de cette activité en collaboration avec le Coeur des sciences. Cet organisme de diffusion de la culture scientifique à l’Université du Québec à Montréal s’adresse à un public général en offrant notamment différentes balades portant par exemple sur l’agriculture urbaine, les toits verts ou l’écologie sonore.

Dans le cadre de ce projet, nous nous servons de la balade comme support pédagogique pour initier les participantes et participants à divers concepts mathématiques. L’inscription à la balade se fait en ligne, sur le site du Coeur des sciences, qui s’occupe en outre de la promotion de sa programmation par l’envoi de courriels et de publications sur les réseaux sociaux de même que par un affichage papier. Le coût d’inscription varie de 8 $ à 12 $. La balade se compose de neuf stations qui offrent un environnement urbain permettant de résoudre des problèmes mathématiques. Lors de la résolution de ces problèmes, nous avons l’occasion de présenter des notions souvent nouvelles pour les participants et participantes. Les déplacements à pied d’une station à une autre ne comportent pas d’éléments explicatifs.

Les balades Maths en ville sont présentées en été à des groupes mixtes composés autant d’initiés que de curieuses et curieux. Conçues pour un public adulte n’ayant pas nécessairement une formation scientifique, les activités recourent parfois à des notions apprises à l’école secondaire (par exemple, la trigonométrie), mais servent largement à présenter des idées mathématiques qui peuvent être comprises sans connaissances antérieures particulières. Bien qu’elle ne se destinait pas particulièrement à un public scolaire, de nombreuses écoles secondaires ont démontré leur intérêt pour la balade.

Après avoir fait vivre l’activité à plus d’un millier de personnes au cours d’une cinquantaine de balades réalisées depuis 2015, nous témoignons ici de certaines observations concernant les activités tenues, notamment sur les apports de la ville et de la promenade à l’apprentissage.

Durant la balade, nous tirons parti de différents monuments et autres éléments d’urbanisme afin de les associer à des notions mathématiques accessibles à un large public. Par exemple, la façade colorée du Palais des congrès (voir Figure 1) nous est utile pour faire connaître le théorème des quatre couleurs, qui veut que ce nombre de couleurs soit suffisant pour que deux zones adjacentes d’un dessin (voir Figure 2) arborent des couleurs différentes (un autre exemple familier est fourni par la carte du monde). Nous profitons de l’occasion pour discuter avec le public de la controverse qui entoura l’annonce de ce théorème afin de montrer que les mathématiques ne sont pas à l’abri de débats disciplinaires.

Figure 1

Façade multicolore du Palais des congrès de Montréal, devant laquelle les participantes et participants sont invités à colorier des cartes en respectant certaines contraintes

Photo : Denis Jacquerye

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Figure 2

Coloriage réalisé par des participantes et participants à l’occasion de la discussion sur le théorème des quatre couleurs. Ici, on voit bien que quatre couleurs suffisent pour colorier cette carte.

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Ailleurs, la carte du Quartier des spectacles sert de point de départ à l’explication de la méthode inductive. L’objectif général de cette méthode est de trouver la solution à une version plus restreinte du problème afin de l’utiliser pour résoudre le problème initial. Nous fournissons à chacun une technique récursive pour calculer le nombre de chemins possibles entre deux points donnés. Dans la situation présentée, afin de connaître le nombre de chemins se rendant à un certain point, il suffit de connaître cette même information au sujet des coins de rue voisins et de les additionner. Le nombre de chemins se rendant à un coin de rue voisin constitue ainsi un exemple d’une version restreinte du problème de départ. En répétant cette technique, il est possible de résoudre le problème. L’activité permet de conclure que le nombre de possibilités est considérable, ce qui peut induire une certaine perplexité, dans la mesure où des moteurs de recherche déterminent le chemin le plus rapide en une fraction de seconde. Il devient alors nécessaire de conclure cette partie de la promenade en expliquant la manière dont les algorithmes sont conçus pour éliminer rapidement les possibilités les moins intéressantes et effectuer ensuite un calcul rapide. Devant la carte (voir Figure 3), nous invitons le public à compter les chemins différents entre le coin formé par le boulevard René-Lévesque et la rue Sanguinet et celui formé par le boulevard De Maisonneuve et la rue Saint-Hubert, qui sont au nombre de onze (voir Figure 4). Devant la diversité des réponses (souvent erronées) du public, nous montrons une façon rigoureuse de déterminer le nombre de chemins de notre point de départ à chacun des coins.

Figure 3

Carte du Quartier des spectacles située sur la place des Festivals.

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Figure 4

En additionnant le nombre de chemins qui passent au sud et à l’ouest, on peut trouver le nombre de chemins total.

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Au fil des stations, nous présentons des mathématiques utilisées au quotidien, non pas de nature financière, mais portant sur des objets tout aussi courants que les bouches d’égout, dont nous étudions la forme, ou les poumons, qui présentent une structure fractale. Le public est ainsi invité à explorer les notions exposées à l’aide de manipulations diverses : dessins à la craie sur le trottoir, jeux de cordes, coloriage de formes, etc.

La réaction des personnes ayant participé à ces balades nous laisse croire que le fait de se promener dans la ville permet de poser un nouveau regard sur la réalité qui nous entoure. En outre, la marche impose un rythme qui facilite la « digestion » de l’information, présentée en stations de quatre à douze minutes. Entre celles-ci, les déplacements d’environ cinq minutes permettent au public de réfléchir aux notions présentées ou encore de poser des questions aux animatrices et animateurs afin d’en approfondir certaines.

De plus, pour les Montréalaises et Montréalais, la balade est l’occasion de redécouvrir autrement leur centre-ville. Nous croyons que l’association de concepts mathématiques à des lieux connus favorise à la fois un meilleur apprentissage des mathématiques et une meilleure connaissance de sa ville. Quant aux personnes qui connaissent moins Montréal, l’activité constitue pour elles une occasion de la découvrir en dehors des approches touristiques classiques.

Le projet Maths en ville a également été présenté dans le cadre d’activités scolaires à des groupes de niveaux secondaire et collégial. Il se distingue auprès de ce public notamment parce que l’offre de sorties scolaires en mathématiques est mince. L’activité représente donc pour les enseignantes et enseignants une possibilité de sortir de la salle de classe afin d’explorer des mathématiques dans un contexte d’enseignement non magistral. De fait, l’approche mise de l’avant consiste plutôt à employer la devinette afin d’inciter les élèves ou les étudiants à découvrir les résultats mathématiques par eux-mêmes, avec notre accompagnement.

À cet effet, les élèves doivent, par exemple, découper un symbole de recyclage que nous avons construit en trois dimensions ou encore énumérer toutes les formes possibles que peuvent prendre les bouches d’égout pour éviter qu’elles ne tombent dans le trou qu’elles recouvrent (voir Figure 5). On ne peut évidemment pas passer à côté du problème classique de l’estimation de la hauteur d’un édifice, qui permet d’appliquer directement le théorème de Thalès, un énoncé de trigonométrie des plus célèbres au programme de tous les établissements secondaires.

Figure 5

Dans l’ordre habituel : bouche d’égout de San Francisco en forme de triangle de Reuleaux, ruban de Möbius et symbole du recyclage (aux yeux des mathématiciens, il s’agit d’un ruban de Möbius)

Photos : David Benbennick et Le Devoir

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Conclusion

Cette promenade a pour principale utilité de montrer l’omniprésence, la diversité et la beauté des mathématiques à un public qui, sans cette occasion d’entreprendre une balade offrant de surcroît la possibilité de prendre l’air, ne se déplacerait probablement pas pour recevoir de tels enseignements. La dimension ludique de l’activité et le cadre informel qui la caractérise nous permettent de toucher un public curieux, bien que parfois réticent devant les mathématiques, mais qui semble toujours apprendre au cours de cette balade.