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Introduction

Dans le contexte actuel de transition numérique dans tous les domaines de notre société, l’école a un rôle à jouer pour développer la littératie numérique des élèves et pour réduire la fracture numérique qui est en train de se creuser sur le plan de l’accès aux outils numériques et à Internet (fracture de premier niveau) et des usages (fracture de deuxième niveau) entre les pays du Nord et du Sud, entre les divers groupes socioéconomiques dans un même État et entre différents types d’utilisateurs engagés politiquement sur Internet (Schweitzer, 2014).

La forte progression des taux d’équipement de ces dernières années (Granjon, 2009) a eu comme conséquence la réduction de la fracture numérique de premier niveau (accès) aussi dans les pays du Sud grâce aux démarches et initiatives des décideurs politiques, des milieux éducatifs et des entrepreneurs (Erichsen et Salajan, 2014, cités par Ma, Vachon et Cheng, 2019). Par contre, les usages sont très différenciés et le fait de posséder un outil numérique ne signifie pas forcément que l’individu dispose aussi des compétences et des attitudes nécessaires pour en tirer des bénéfices (Granjon, 2011). La fracture de deuxième niveau persiste tant dans les pays du Nord que dans les pays du Sud (Ma et al., 2018) comme le Costa Rica, pionnier en Amérique latine de l’introduction des outils numériques dans l’enseignement au cours des années 1980.

Pour réduire la fracture numérique, mais aussi parce que les technologies sont le moteur du développement économique et social du pays (Ministerio de Planificación Nacional y Política Económica, 2014, p. 440) et parce que le numérique pourrait améliorer la qualité de l’éducation en matière d’offre de programmes éducatifs et d’accès à l’éducation, le ministère de l’Éducation du Costa Rica promeut l’introduction des outils numériques principalement dans l’enseignement primaire et dans la formation continue des enseignants (Guzman, 2014). Pourtant, c’est surtout la qualité de la formation initiale des enseignants qui est problématique à cause de la forte présence d’universités privées non accréditées, du curriculum non uniformisé au niveau du pays (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO], 2014) et des politiques incohérentes et dépourvues d’une vision sur le long terme (Jiménez, 2014).

Notre étude s’inscrit dans les problématiques évoquées et s’intéresse principalement à l’intégration du numérique dans les universités responsables de la formation initiale des enseignants, aux facteurs d’adoption des outils numériques par les professeurs-formateurs et aux usages dans le cadre des cours destinés aux futurs enseignants. En effet, les professeurs-formateurs ont un rôle important à jouer pour développer les compétences pédagogiques et technologiques des futurs enseignants, renforcer la croyance dans leurs aptitudes à l’égard des outils numériques et promouvoir des usages qui seront profitables à leurs élèves.

État des connaissances

Un individu qui se sent apte à utiliser une innovation, qu’elle soit ou non technologique, serait plus enclin à l’adopter (Leeuwis et Van den Ban, 2003). La croyance en ses aptitudes renvoie au concept d’« autoefficacité » ou « sentiment d’efficacité personnelle » qui s’insère dans la théorie de l’apprentissage social et la théorie sociale cognitive de Bandura (2007).

Selon cette théorie, l’autoefficacité se modifie sous l’influence de quatre sources d’information : l’expérience active de maîtrise (liée aux succès et aux échecs vécus par un individu), l’expérience vicariante (le développement de compétences et l’apprentissage de connaissances par le modelage), la persuasion verbale (les propos à l’égard d’une personne afin de la convaincre ou de la dissuader qu’elle est en mesure de réaliser une activité) et les états physiques et émotionnels (influencés par les activateurs environnementaux et le sentiment de compétence) (Bandura, 2007).

La première source d’information, l’expérience active de maîtrise, correspond aux succès et aux échecs vécus par un individu. Les succès favorisent l’augmentation de son sentiment d’autoefficacité. À l’inverse, les échecs produisent l’effet opposé (Bandura, 2007). L’expérience met en évidence ce qu’une personne est en mesure de faire pour obtenir des succès (Melançon, Lefebvre et Thibodeau, 2013) et elle permet d’expliquer la compétence à intégrer les outils numériques par les enseignants, selon les succès et les échecs qu’ils ont vécus antérieurement avec ces outils (Melançon et al., 2013). Nous pouvons ainsi supposer qu’un enseignant qui n’a pas vécu une expérience positive avec les outils numériques pendant sa formation initiale sera moins enclin à intégrer les technologies dans sa pratique d’enseignement.

La deuxième source d’information, l’expérience vicariante, concerne l’apprentissage de connaissances par le modelage qui peut se produire soit par l’observation du modèle dans l’action, soit par l’enseignement verbal de la tâche (Bandura, 2007). Trois éléments ont une influence sur l’expérience vicariante : la compétence du modèle, les caractéristiques similaires entre les individus et la similitude de performance (Melançon et al., 2013). Bandura (2007) considère le niveau de compétence du modèle comme l’élément le plus important. Dans le contexte de la formation des enseignants, cela signifie qu’il faudrait que les professeurs-formateurs aient une excellente maîtrise des technologies et de leur intégration pédagogique dans l’enseignement. Ainsi, les expériences vicariantes devraient faire partie d’une formation qui vise l’intégration des technologies (Inan et Lowther, 2010), car elles peuvent améliorer le sentiment d’autoefficacité des futurs enseignants (Lefebvre et Thibodeau, 2015), pour autant que les modèles soient appropriés (Ertmer, 2005) et qu’on présente aux futurs enseignants des activités menées par des professeurs expérimentés et intégrant avec succès les outils numériques (Lefebvre et Fournier, 2014).

La troisième source d’information, la persuasion verbale, concerne les propos à l’égard d’une personne afin de la convaincre ou de la dissuader qu’elle est en mesure de réaliser une activité. Convaincre un individu par rapport à ses possibilités de réussite améliore ses chances de produire un effort supplémentaire (Bandura, 2007). Les encouragements verbaux par les pairs ou par les superviseurs de stage auraient ainsi un impact positif sur le sentiment d’autoefficacité des futurs enseignants (Al-Awidi et Alghazo, 2012).

La quatrième source d’information concerne les états physiques et émotionnels et leur impact sur le sentiment de l’individu d’être en mesure d’effectuer une tâche. Ils sont influencés par les activateurs environnementaux et par le sentiment de compétence. Les activateurs environnementaux vont influencer la manière dont un individu interprète les indicateurs physiques et émotionnels. Une interprétation positive des états ressentis fera augmenter son sentiment de compétence. Ainsi, pour que les futurs enseignants développent des états physiques et émotionnels positifs, il faudrait qu’ils découvrent le potentiel des technologies (Al-Awidi et Alghazo, 2012).

Pour les diverses raisons évoquées, une exposition prolongée aux technologies pendant la période de formation initiale favoriserait, selon Allsopp, Alvarez McHatton et Cranston-Gingras (2009), une amélioration des compétences technologiques des futurs enseignants ainsi que leur sentiment d’auto-efficacité; une motivation accrue pour employer les outils numériques (Kumar et Leeman, 2013; Lameul, 2008) de manière plus régulière (Roland, Choumane et Vanmeerhaeghe, 2016); le développement de nouvelles compétences cognitives (Larose et al., 2002); le développement de compétences transversales comme la réflexivité (Admiraal, 2014) et la collaboration en ligne (Baran, 2014).

Par conséquent, Boulton et Hramiak (2014) suggèrent d’introduire les technologies dans la formation initiale des enseignants pour encourager un processus de modelage qui les amènera à utiliser les outils numériques dans leurs cours.

Bien que les professeurs-formateurs soient fortement encouragés à utiliser les outils numériques dans leur enseignement et que l’usage de ces outils se développe progressivement, nombre d’entre eux n’adhèrent pas à la démarche d’intégration du numérique dans leurs cours à cause de la difficulté à dégager le temps nécessaire à leur investissement en pédagogie, et en particulier avec les outils numériques (Boulton et Hramiak, 2014; Brun et Hinostroza, 2014; Chênerie, 2011). Une attitude négative envers certains instruments technologiques pourrait aussi limiter leur utilisation (Campos Martínez, 2015).

Les barrières pour qu’un individu choisisse d’utiliser une technologie seraient de deux types :

First-order barriers are external to the individual and the job and typically involve unavailable resources (e.g. lack of equipment, time, or training) […] Second-order barriers are internal to the individuals and their professional roles and often involve beliefs about teaching, beliefs about technologies, established practices, and unwillingness to change.

McLoughlin, Wang et Beasley, 2008, p. 101

Parmi les barrières externes, la littérature met en évidence l’absence d’un service de soutien organisationnel (Boulton et Hramiak, 2014), plus particulièrement sur le plan technopédagogique (Barrette et al., 2011).

Parmi les barrières internes, Bangou (2006) met en évidence la résistance initiale, notamment par les professeurs-formateurs en début de carrière due à une surcharge de travail et à l’absence de modèles d’intégration des TIC dans leur expérience de formation. La littérature met aussi en relief une insuffisance de connaissances pour les technologies les plus modernes (Echeverria Saez, 2011), des compétences technologiques limitées (Judge et O’Bannon, 2008) ainsi que peu de connaissances sur l’intégration pédagogique des technologies dans les cours (Brun, 2011).

Par conséquent, l’intégration du numérique en contexte pédagogique universitaire est très hétérogène et l’usage des outils numériques se réduit parfois à donner accès aux étudiants à des ressources (médias, logiciels) et aux informations relatives aux cours (supports de cours, agenda pédagogique, annonces, etc.) (Gremmo et Kellner, 2011), alors que l’usage du numérique pourrait non seulement impliquer la conception des cours et les modalités d’interaction, mais aussi offrir aux professeurs-formateurs « la possibilité d’encadrer les étudiants en ligne, d’organiser le travail collaboratif, les exercices interactifs ou l’espace de travail par groupes, d’introduire des forums de discussion et des rencontres en face à face, de proposer des autoévaluations (e-portfolio) » (Paivandi et Espinosa, 2013, p. 5).

De plus, même si ces difficultés pour l’intégration du numérique dans les cours universitaires devaient être surmontées, cela ne serait pas suffisant selon Larose, Grenon, Morin et Hasni (2009), car le stage pourrait aussi jouer un rôle important pour l’intégration des outils numériques, notamment l’attitude du responsable de stage à l’égard de ces outils. Un manque d’intérêt et une formation technopédagogique faible (Enochsson, 2010) ou alors un appui modéré aux stagiaires (Niess, 2005) représenteraient des freins au développement des compétences technologiques des futurs enseignants.

Il est aussi indispensable que le développement de ces compétences se poursuive après la formation initiale (Boulton et Hramiak, 2014).

Selon Van den Dool et Kirschner (2003), les établissements de formation devraient préparer les futurs enseignants aux effets des technologies sur leur rôle et celui de leurs étudiants en matière d’autonomie, d’activités authentiques et de motivation. On passe ainsi à des orientations plus constructivistes qui incluent l’apprentissage actif, la résolution de problèmes et la réflexion critique (Park et Ertmer, 2007).

En bref, la littérature suggère que pour mieux préparer les élèves aux défis du numérique, il faudrait que les enseignants reçoivent une formation solide pour l’utilisation pédagogique des outils numériques. Les professeurs-formateurs des établissements de formation des enseignants ont un rôle à jouer dans ce sens.

Objectif de recherche

L’objectif de recherche est d’établir les déterminants individuels et organisationnels de l’adoption des technologies par les professeurs-formateurs dans les établissements de formation des enseignants. Pour répondre à cet objectif, nous analysons les usages des technologies par les professeurs-formateurs dans le contexte étudié.

Cadre théorique

Notre analyse se base sur les principaux concepts de la théorie de la diffusion des innovations de Rogers (2003) qui permet d’appréhender la complexité des facteurs entrant en jeu lors de l’introduction des innovations dans les établissements d’enseignement. L’auteur explicite les variables qui définissent le processus et le niveau d’adoption d’une innovation, sa mise en oeuvre et ses canaux de diffusion.

Le niveau d’adoption d’une innovation

Le niveau d’adoption d’une innovation dépend de la perception que l’on en a, du type de décision prise pour la choisir, du canal de communication pour la diffuser, du système social et de l’agent de changement qui intervient pour son adoption.

La rapidité relative d’adoption d’une innovation par les membres d’un système social donné permet de mesurer son niveau d’adoption. Ce dernier est généralement mesuré à partir du nombre d’individus qui adoptent une innovation dans une période de temps bien déterminée. D’un point de vue individuel, la variation du niveau d’adoption peut être expliquée selon Rogers (2003) à partir des perceptions de cinq attributs de l’innovation associés de manière positive à son degré d’adoption :

  1. L’avantage relatif d’une innovation correspond à la perception de son utilité par rapport à l’objet qu’elle a pour objectif de remplacer.

  2. La compatibilité mesure la perception de l’innovation comme étant compatible avec les valeurs des utilisateurs potentiels, leurs expériences passées et leurs besoins. Le niveau de compatibilité est lié à certains facteurs dont dépendra l’adoption de l’innovation, comme le nom de l’innovation, les associations que les utilisateurs potentiels vont faire avec d’autres innovations (technology cluster) ou la compatibilité avec leur système de valeurs ou leurs besoins.

  3. La perception de la complexité d’une innovation a un impact sur son adoption. Des innovations simples à comprendre vont être adoptées beaucoup plus rapidement que celles dont l’utilisation requiert le développement de compétences nouvelles.

  4. La possibilité d’essayer une innovation avant de l’acheter ou de l’utiliser va mettre en confiance les utilisateurs potentiels.

  5. L’observabilité, c’est-à-dire le fait de voir d’autres individus se servir de l’innovation en en tirant des bénéfices, permet aux utilisateurs potentiels de voir ses avantages.

Selon Rogers (2003), il est aussi important de prendre en considération la raison pour laquelle une innovation a été adoptée, que ce soit une décision individuelle, collective ou autoritaire et donc imposée.

Les moyens de communication jouent aussi un rôle important dans le processus de décision pour adopter une innovation. Les contacts interpersonnels deviennent un moteur de la diffusion des innovations et les innovateurs, en étant les premiers à s’approprier de nouvelles pratiques, représentent des modèles à suivre pour leurs collègues (effet « boule de neige », Rogers, 2003).

Deux types de réseaux de communication sont nécessaires à la diffusion des innovations : les réseaux homogènes (homophily) et les réseaux hétérogènes (heterophily). Les premiers concernent les communications entre des pairs qui ont un langage commun et qui partagent des affinités (professionnelles, sociales, économiques). Les seconds correspondent aux communications entre individus socialement différents sur le plan des croyances, des expériences professionnelles et du statut social.

Le processus d’adoption de l’innovation et de mise en oeuvre

Une innovation est parfois modifiée ou simplifiée afin d’être adoptée dans un contexte donné ou mieux adaptée aux besoins de ses utilisateurs. Rogers (2003) utilise dans ce cas le concept de « réinvention ». La simplification s’explique par le manque de connaissances ou de formation de l’utilisateur.

Un autre scénario possible est que l’innovation soit rejetée seulement dans un deuxième temps (discontinuance). Dans ce cas, l’innovation est rejetée pour être remplacée par une autre qui est meilleure (replacement discontinuance) ou elle est abandonnée parce qu’insatisfaisante (disenchantment discontinuance) (Rogers, 2003).

Méthodologie

Deux universités costariciennes ont participé à la recherche. Le choix des universités a été déterminé à partir de deux critères. Elles devaient : 1) être publiques; 2) offrir un programme de formation pour les futurs enseignants du préscolaire et du primaire. Seulement deux des cinq universités publiques du pays répondaient à ces critères : l’Universidad de Costa Rica (ci-après UCR) et l’Universidad Nacional[1] (ci-après UNA). Pour une question d’homogénéité de la population étudiée, nous n’avons pas inclus dans notre échantillon les universités privées[2], car elles ne sont pas systématiquement accréditées et ont des marges de manoeuvre plus larges que les universités publiques dans la définition des plans d’études.

L’approche méthodologique choisie pour cette étude est mixte (Pinard, Potvin et Rousseau, 2004), avec une dominance qualitative.

Les participants ont été sélectionnés dans quatre groupes différents : les futurs enseignants (en formation initiale) du préscolaire et du primaire, les professeurs de la Faculté des sciences de l’éducation, les directeurs de programme et les responsables techniques du numérique à l’UCR et à l’UNA. L’échantillon des participants aux entretiens a été volontaire (Beaud, 1997).

Cinq instruments ont été employés pour recueillir les données : une grille d’analyse pour les documents institutionnels et politiques portant sur l’utilisation du numérique dans les universités et plus précisément dans les programmes de formation; trois canevas d’entretiens semi-dirigés avec le directeur de programme de chaque université, les responsables techniques du numérique, les professeurs-formateurs; un questionnaire destiné aux futurs enseignants.

Dans cet article, nous présentons uniquement les résultats des entretiens qui vont nous permettre de répondre à l’objectif d’établir les déterminants individuels et organisationnels de l’adoption des technologies dans les établissements de formation des enseignants.

Pour constituer le canevas d’entrevue, nous avons : 1) circonscrit les différents sous-thèmes en utilisant le logiciel de carte conceptuelle Cmap à partir des politiques institutionnelles des deux universités sélectionnées ainsi que de la théorie de la diffusion des innovations (DOI) de Rogers (2003); 2) effectué une déclinaison de chaque sous-thème de l’intégration et de l’adoption des outils numériques en questions ouvertes; 3) effectué une sélection des questions ouvertes les plus pertinentes; 4) soumis la grille d’entrevue à des pairs. Nous avons abouti à douze questions au total réparties dans trois catégories : les politiques institutionnelles (place du numérique dans le curriculum de formation), les usages des outils numériques par les professeurs et les facteurs qui influencent les professeurs-formateurs pour l’utilisation des technologies dans l’enseignement (tableau 1). Les questions ont été adaptées à l’interlocuteur. Certaines questions n’ont pas été posées aux responsables techniques du numérique puisqu’elles sortaient de leur domaine de compétences et de leurs responsabilités (ex. plan d’études des futurs enseignants).

Tableau 1

Thèmes du canevas d’entretien avec les professeurs-formateurs, les directeurs de programme et les responsables techniques du numérique à l’UCR et à l’UNA

Thèmes du canevas d’entretien avec les professeurs-formateurs, les directeurs de programme et les responsables techniques du numérique à l’UCR et à l’UNA

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Analyse

Pour la codification, nous avons opté pour un codage mixte (L’Écuyer, 1990). La codification du corpus a été effectuée par deux personnes à partir d’une grille d’analyse élaborée en fonction des catégories découlant du cadre théorique et de celles qui ont émergé des verbatim.

Les étapes suivantes ont été effectuées afin d’entreprendre les analyses de contenu.

  1. Transcription des enregistrements.

  2. Lectures des verbatim pour repérer les passages significatifs.

  3. Création de la grille de codage avec émergence de nouveaux codes.

  4. Codage des segments en utilisant le logiciel d’analyse qualitative QDA Miner. Nous avons tout d’abord effectué un codage semi-ouvert de 25 % du matériel au hasard. Les thèmes ont été définis à partir des grilles d’entretien en utilisant la phrase comme unité de sens et en constituant le livre de codes.

  5. Contre-codage de 25 % du matériel en utilisant le livre de codes qui a été entre-temps constitué. Le taux d’accord interjuges s’est élevé à 72 %, ce qui est considéré comme satisfaisant (Durand et Blais, 2003).

  6. Condensation des données.

  7. En dernière étape, la réalisation d’une matrice a été réalisée afin de montrer quels résultats pouvaient être inférés à partir de l’organisation des données.

Résultats

Seize personnes ont participé à des entrevues semi-dirigées d’une durée de 30 minutes à 1 heure pendant l’année universitaire 2016-2017. L’âge des professeurs varie de 29 à 55 ans et leur expérience dans la formation des enseignants est pour tous d’au moins cinq ans. Il s’agit de cinq femmes et de cinq hommes.

Les instruments et applications technologiques utilisés par les professeurs

Tant à l’UCR qu’à l’UNA, les outils technologiques et Internet sont facilement accessibles, bien que l’UCR dispose de plus de ressources, comme le matériel de robotique ou les tablettes (tableau 2).

Tableau 2

Accès aux technologies à l’UNA et à l’UCR

Accès aux technologies à l’UNA et à l’UCR

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Tant les professeurs que les futurs enseignants peuvent avoir accès à des ordinateurs et à des imprimantes dans les laboratoires d’informatique, même si ces derniers sont peu fréquentés étant donné que la plupart des futurs enseignants possèdent un ordinateur. Cependant, plusieurs futurs enseignants proviennent de régions rurales éloignées où l’accès à Internet n’est pas généralisé :

Tous disent qu’ils ont accès à Internet à la maison, mais en réalité lorsqu’on parle avec eux on se rend compte de leur situation... ils utilisent beaucoup leur cellulaire ici, mais à la maison ils n’ont pas tous Internet.

PROF07

Afin d’avoir un aperçu plus précis des autres instruments numériques utilisés par les professeurs et notamment l’équipement personnel (téléphone, tablette) ou les applications Web, nous avons demandé aux professeurs quelles technologies ils utilisent pendant les cours. Les réponses nous ont permis de trouver six instruments technologiques et six applications (tableau 3). Comme les résultats l’indiquent, les professeurs utilisent principalement des outils et applications numériques déjà bien ancrés dans les usages professionnels et pédagogiques, comme l’ordinateur, le projecteur ou le courriel. Par contre, les outils et applications numériques qui sont pourtant déjà bien présents dans les usages personnels, comme le téléphone portable ou les réseaux sociaux, sont peu utilisés dans le contexte professionnel.

Tableau 3

Outils technologiques et applications utilisés par les professeurs (n = 10)

Outils technologiques et applications utilisés par les professeurs (n = 10)

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Les facteurs d’adoption des technologies ou de résistance

L’analyse des entretiens a permis de trouver onze facteurs qui, selon les répondants, auraient un impact sur la décision des professeurs-formateurs d’intégrer les technologies dans leur enseignement (tableau 4). Nous avons regroupé les facteurs en deux catégories : les facteurs externes ou organisationnels et les facteurs internes ou individuels, en les distinguant selon leur impact positif ou négatif sur l’adoption des technologies. La majorité des facteurs évoqués (7/11) auraient un impact négatif. Nous constatons également que les facteurs négatifs (ou de résistance) sont principalement des facteurs organisationnels liés à l’environnement de travail, comme l’accès aux ressources, le temps pour se former, les politiques institutionnelles, le soutien technique ou l’absence de modèles d’intégration du numérique.

Tableau 4

Facteurs externes et internes de résistance (négatifs) ou d’adoption (positifs) des technologies

Facteurs externes et internes de résistance (négatifs) ou d’adoption (positifs) des technologies

* Ce facteur appartient aux deux catégories (externe et interne) car, selon les répondants, il relève tant d’une volonté individuelle que d’une directive de l’organisation.

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Dans la prochaine section, nous présentons les différents facteurs par catégorie.

Facteurs externes

Six facteurs externes à l’individu et directement liés à l’organisation ont été évoqués. Premièrement, bien que l’accès aux outils numériques de base soit garanti, l’infrastructure et les ressources technologiques peu performantes seraient un frein pour les professeurs : « le Wi-Fi n’est pas bon dans toutes les salles » (PROF03) et « il y a des pannes d’électricité » (PROF04).

Le deuxième élément évoqué est le manque de temps. Les professeurs n’ont pas le temps « pour préparer le matériel de cours en y intégrant les technologies » (RESP03). Sur les dix professeurs interrogés, seulement deux ont suivi des formations en relation avec les outils numériques ces dernières années. La participation aux cours de formation est faible, car « il n’y a rien qui les oblige » (RESP03), même s’il existe un mécanisme de reconnaissance et d’incitatifs financiers : « car si on suit les cours on a des points qui permettent d’augmenter le salaire » (PROF03).

Troisièmement, la majorité des professeurs n’ont pas de modèle d’intégration des outils numériques. Par conséquent, certains professeurs souhaitent encourager les futurs enseignants à utiliser ces outils par un effet de modelage :

C’est pour que d’une certaine manière l’étudiant, qui sera ensuite un enseignant, voit la technologie comme un « outil naturel » dans le processus d’apprentissage, pour après… lorsqu’il travaillera.

PROF02

Le quatrième élément évoqué concerne les politiques institutionnelles de l’Université, notamment à l’UNA, qui ne sembleraient pas encourager les professeurs à utiliser les technologies dans leurs cours :

Je sens que l’[U]niversité n’encourage pas une vraie didactique pour l’utilisation des technologies […] elle donne pour acquis que chaque professeur va les utiliser à sa manière… mais il n’y a pas une politique.

PROF08

Ce manque de clarté des politiques en vigueur aurait un impact sur l’utilisation des technologies par les professeurs :

L’utilisation des technologies dépend beaucoup aussi des plans d’étude[s] d’un programme, qui devraient aussi définir d’une certaine manière comment les intégrer […]. Si un plan d’étude[s] ne propose pas l’utilisation des outils numériques, il est très probable qu’on ne les retrouve pas dans les processus de formation. Donc il faudrait les ajouter dans les propositions curriculaires.

PROF10

L’ensemble des responsables de la formation de l’UCR estiment que les plans d’études sont vétustes (ils datent des années 1990) et que les références à l’utilisation des technologies y sont très peu présentes : « Nous avons un déficit par rapport aux outils numériques, à comment les travailler, comment les exploiter par rapport à notre époque. » (RESP01)

Les technologies devraient être introduites de manière transversale dans tous les cours. Cependant, le degré d’intégration est laissé au libre jugement des professeurs, qui sont « stimulés et motivés » à utiliser les outils numériques, mais qui n’y sont pas obligés, car « tout naît finalement à partir de l’initiative des professeurs ou des étudiants ».

Un participant ajoute qu’il manque une articulation des politiques entre les niveaux macro et méso :

D’un côté, les universités forment les futurs enseignants, de l’autre il y a le [m]inistère de l’Éducation qui est l’institution nationale qui dicte les politiques éducatives. Le problème est aussi que parfois l’université ne répond pas vraiment aux nécessités.

PROF10

Le soutien technique ou technopédagogique est évoqué. Un soutien technique est offert dans les deux universités. À l’UCR, il existe aussi un soutien technopédagogique (Équipe Protea). Cependant, peu de professeurs recourent à ce service : « Malheureusement, ils ne sont pas autant demandeurs qu’on le souhaiterait : ce sont toujours les mêmes professeurs. […] c’est une lutte » (RESP05).

Finalement, en ce qui concerne la pédagogie différenciée et inclusive, nous constatons que les outils numériques seraient aussi utilisés pour adapter l’enseignement aux besoins différents de chaque enseignant et pour améliorer l’apprentissage.

Facteurs internes

Parmi les facteurs internes, l’attitude envers les technologies est évoquée. L’attitude négative et la « peur » seraient à l’origine de la résistance aux technologies : « Je ne me risque pas à utiliser quelque chose que je ne sais pas utiliser » (PROF02).

Un professeur parle aussi de la peur de se ridiculiser devant ses étudiants, ou de se tromper. La peur peut être liée à la complexité d’un outil, comme dans le cas des tableaux interactifs, très peu utilisés.

Le deuxième facteur concerne le fait que les technologies seraient considérées comme des catalyseurs du changement et, de ce fait, susciteraient une certaine résistance :

Je crois qu’en tant que professeurs nous nous sommes peu adaptés à ce domaine […]. Il y a eu des essais avec la direction précédente, mais ça n’a pas marché, il y a eu de la résistance de la part du personnel.

PROF07

Le troisième facteur est l’interaction avec les collègues expérimentés. La possibilité de collaborer avec les collègues les plus expérimentés et l’échange d’informations est un facteur positif déterminant pour l’adoption des innovations technologiques.

En quatrième lieu, les répondants mentionnent l’amélioration des compétences transversales des futurs enseignants, comme la collaboration ou la réflexivité. Les répondants évoquent l’importance de développer la collaboration entre les futurs enseignants et le recours à deux outils (par exemple Prezi et WhatsApp) justement dans ce but. Pour stimuler la réflexivité, le portfolio numérique est mentionné.

Le cinquième facteur évoqué concerne l’amélioration des compétences technologiques des futurs enseignants. Certains professeurs utilisent les outils numériques, car « il est important que les étudiants sachent se servir des outils » et qu’ils puissent « développer certaines compétences qui leur permettront après de se confronter à n’importe quelle technologie » (PROF02).

Certains répondants évoquent d’ailleurs une fracture numérique entre les futurs enseignants provenant des centres urbains et ceux provenant des régions rurales :

Plusieurs n’ont pas eu accès aux technologies jusqu’au moment d’entrer à l’université […]. Ils ont peu de connaissances technologiques, même si on pense le contraire. […] Ils les utilisent dans leur vie quotidienne, mais il n’y a pas une utilisation « productive » des technologies.

RESP05

Discussion des résultats

À partir des réponses aux entretiens (tableau 4), les conditions idéales pour l’intégration des outils numériques dans un système de formation dépendent de décisions liées à des facteurs tant externes qu’internes.

Le contexte organisationnel dans les universités publiques costariciennes est peu propice à l’adoption des technologies

Sept facteurs sur onze, dont tous les facteurs externes ou organisationnels, sont reliés négativement à l’adoption des technologies. Le contexte organisationnel des universités à l’étude semble peu favorable à cause d’une infrastructure globalement satisfaisante, mais présentant encore des lacunes et un soutien technopédagogique insuffisant (UNA), des politiques institutionnelles peu favorables aux technologies et l’absence de modèles d’intégration.

Si l’accès à l’infrastructure et aux outils numériques, principal déterminant de l’adoption d’une technologie, est possible dans les deux universités, le discours des participants est nuancé : si le Wi-Fi est effectivement accessible dans l’établissement, il ne fonctionnerait pas bien dans toutes les salles, il y aurait parfois des pannes d’électricité et les salles ne seraient pas entièrement équipées comme on le prétend. Ces éléments constituent un frein majeur selon les professeurs.

Malgré l’existence d’une assistance technique dans les deux universités, les professeurs y recourent très peu, car ils préfèrent être aidés par les collègues les plus expérimentés. L’absence d’une communication claire sur les types de soutien accessibles dans les facultés pourrait expliquer en partie cette attitude, comme cela ressort aussi de la recherche de Wickersham et McElhany (2010).

En ce qui concerne les politiques institutionnelles et les plans d’études, la conception et l’utilisation des dispositifs technologiques dans la formation des enseignants au Costa Rica demeurent une initiative individuelle, parfois collective, mais avec peu d’ancrage organisationnel. Cette situation ressemble à celle qui a été reportée par Endrizzi (2012) dans une recherche menée en contexte universitaire francophone.

Certains professeurs regrettent l’absence d’une politique institutionnelle claire insérée dans une stratégie numérique encourageant une intégration plus généralisée des technologies et alignée avec les priorités de l’Université en matière de recherche, d’enseignement et d’insertion professionnelle. En effet, nous constatons un positionnement dichotomique dans une des deux universités à l’égard des technologies. D’un côté, les programmes stratégiques critiquent fortement la révolution scientifique et technologique à cause de la logique de marché sous-jacente[3], mais en même temps, le potentiel du numérique pour l’élargissement des politiques d’apprentissage et d’enseignement est reconnu ainsi que la nécessité de développer les compétences technologiques des étudiants. À la lumière de ce résultat, nous estimons, comme cela ressort aussi des résultats d’Endrizzi (2012), que la stratégie numérique doit aussi être centrée sur les besoins des usagers et prévoir un accompagnement planifié à l’utilisation des technologies; elle doit être cohérente, couvrir à la fois la pédagogie, la fonction documentaire, l’administration et le pilotage et se traduire par des changements organisationnels.

Nous avons aussi constaté que certains professeurs introduisent les outils numériques dans leur enseignement en se proposant comme des modèles pour les futurs enseignants afin de les inciter à l’utilisation des technologies. Les avantages du modelage ont aussi été soulignés par Kumar et Leeman (2013), Chai, Koh et Tsai (2010) et Lameul (2008).

La complexité perçue d’un outil freine son adoption

La perception de la complexité d’un outil technologique provoque une attitude négative et peu favorable pour son utilisation. C’est le cas du tableau interactif, très peu utilisé. Parfois, cet instrument est d’ailleurs « réinventé », modifié, simplifié et utilisé comme projecteur. Cela peut être expliqué par le manque de connaissances techniques des utilisateurs et la méconnaissance des plus-values de cet outil. Par conséquent, le rayonnement de cette innovation est faible, n’encourageant pas un phénomène d’observabilité favorable à sa diffusion qui n’est d’ailleurs pas prescrite par les directives institutionnelles.

Cette sous-utilisation entraînant des gaspillages financiers, nous sommes amenés à nous interroger sur les raisons qui ont motivé les instances à équiper les salles de cet outil et sur la prise en compte des besoins des professeurs en matière de pédagogie universitaire numérique.

Les innovations technologiques peuvent provoquer une résistance au changement

L’attitude négative face aux technologies entraîne une forme de résistance au changement qui s’aligne avec les résultats des recherches d’Assude, Bessieres, Combrouze et Loisy (2010) et d’Ouédraogo (2011). En réalité, les réponses recueillies nous donnent peu d’informations sur les raisons qui sont à l’origine de cette résistance. Un répondant évoque le facteur générationnel et le fait que les professeurs proches de la retraite ne souhaitent pas investir d’énergie dans des innovations technologiques. Si les résistances peuvent parfois être l’expression d’un certain conservatisme, il s’agit aussi de la volonté de ne pas abandonner des stratégies d’enseignement qui ont fait leurs preuves et que l’usage d’une technologie rendrait obsolètes, comme l’indiquent aussi Assude et al. (2010). Cela est d’autant plus le cas lorsque les professeurs considèrent que les technologies ne constituent pas des stratégies aussi assurées.

Cependant, cette résistance ne relève pas exclusivement de la sphère personnelle, mais aussi de modèles de pensée inscrits dans les habitus de l’établissement universitaire. Il est donc important de déterminer ces résistances afin de mieux comprendre les contraintes des systèmes de formation et d’enseignement ainsi que les évolutions possibles.

La résistance au changement pourrait aussi être liée au manque de temps pour apprendre à utiliser un nouvel outil technologique et l’intégrer pédagogiquement dans sa pratique. Le facteur « manque de temps » confirme les résultats de Boulton et Hramiak (2014) et de Brun et Hinostroza (2014).

La possibilité de collaborer avec les collègues les plus expérimentés favorise l’adoption des outils numériques, tout comme une communication efficace à propos des innovations technologiques

À l’UCR, la diffusion des innovations technologiques se fait davantage par la voie informelle que par les canaux formels (formations continues). En effet, la communication est plus facile entre individus ayant des caractéristiques similaires, soit par le biais d’un réseau de diffusion homogène (homophily). Ainsi, les professeurs préfèrent s’adresser aux collègues pour des innovations envers lesquelles ils ont une certaine méfiance plutôt que de recourir aux entités qui promeuvent ces innovations, même lorsque des formations sont offertes pour en faciliter l’adoption. Ce résultat est confirmé par la recherche de Zhao et Frank (2003) qui indique que la collaboration entre pairs a plus d’impact sur le niveau d’adoption des technologies et sur le changement des croyances que les formations continues. L’importance de la collaboration a aussi été soulignée par Allsopp et al. (2009) qui suggèrent qu’un plan d’intégration des technologies structuré et impliquant une collaboration entre les membres de la Faculté a une influence positive sur la perception de l’autoefficacité des futurs enseignants, notamment pour leurs compétences technologiques.

Les technologies peuvent être un levier pour moderniser l’enseignement et pour améliorer l’apprentissage des futurs enseignants

Premièrement, certains participants perçoivent les technologies comme un levier pour moderniser l’enseignement supérieur ainsi que la pédagogie. Nous rejoignons ici les résultats d’Endrizzi (2012).

Deuxièmement, l’utilisation des outils numériques pourrait améliorer l’apprentissage des étudiants. Ce résultat a aussi été souligné par Fisher, Higgins et Loveless (2006) qui estiment que ces outils peuvent non seulement amplifier les connaissances, mais aussi permettre une réorganisation de la pratique cognitive.

L’intégration des outils numériques dans les cours pourrait permettre de réduire la fracture numérique

Certains professeurs constatent une fracture numérique entre les futurs enseignants provenant des zones rurales et ceux qui proviennent des villes. Ils constatent une fracture numérique de premier niveau, car les futurs enseignants provenant des zones rurales n’auraient pas tous accès aux outils numériques ou à un réseau Internet performant. Cela reflète bien la situation du Costa Rica où l’accès aux technologies n’est pas possible pour tous selon le statut socioéconomique ou le lieu d’habitation (région rurale ou urbaine). Ils observent également une fracture numérique de deuxième niveau, car les usages ne sont pas toujours forcément « productifs ».

Ainsi, une des motivations des professeurs pour intégrer les outils numériques dans leurs cours est de développer les compétences technologiques des futurs enseignants en favorisant l’égalité des chances, comme l’évoquent également les travaux menés par Salas (2016). Le développement des compétences technologiques pour combler la fracture numérique a également été mise en évidence par les recherches de Li et Ranieri (2013) et de Helsper et Eynon (2013).

Conclusions

L’objectif de recherche présenté dans cet article est d’établir les déterminants individuels et organisationnels de l’adoption des technologies dans les facultés d’éducation.

Premièrement, nous avons constaté que les principaux instruments technologiques utilisés par les professeurs sont des technologies implantées dans le système éducatif depuis un certain temps, démontrant une prédilection pour des instruments plus conventionnels et ayant déjà fait leurs preuves (ordinateur, projecteur, courriel).

Les facteurs d’adoption ou de résistance aux technologies sont en lien tant avec l’organisation (externes) qu’avec les individus (internes). S’il est essentiel que les professeurs aient facilement accès aux ressources technologiques, ce qui relève du domaine organisationnel, l’adoption d’une technologie dépendra aussi de facteurs individuels qui sont plus difficiles à surmonter pour les organisations (McLoughlin et al., 2008). La théorie de la diffusion des innovations de Rogers (2003) nous a permis de comprendre que les caractéristiques de chaque technologie, et tout particulièrement le niveau de complexité ou son avantage relatif, vont influencer son adoption.

S’il est important de déterminer les obstacles et les facteurs facilitant la diffusion des technologies dans les établissements de formation des enseignants, cela n’est pas suffisant pour améliorer leur diffusion. Pour qu’un changement en profondeur se produise, une pression forte de la part de la direction semble être nécessaire. Il est aussi indispensable de développer des politiques institutionnelles claires afin que l’intégration des outils numériques soit déployée de manière systémique en prenant en compte des facteurs tels que l’infrastructure technologique et l’offre d’une assistance technique adéquate aux besoins, l’existence de modèles d’intégration des outils numériques spécifiques à la formation des enseignants et la définition de plans stratégiques clairs qui encouragent l’utilisation des technologies en définissant des objectifs à atteindre par les professeurs. Les facteurs internes devraient également être pris en compte par une analyse des besoins des professeurs afin de choisir l’implémentation d’instruments technologiques pertinents.

Pour ce qui concerne la fracture numérique, les politiques et les mesures actuellement mises en place au niveau du ministère, des universités et des facultés d’éducation ne semblent pas être encore complètement satisfaisantes par manque de clarté, mais aussi parce que les inégalités numériques observées auprès des futurs enseignants costariciens semblent être le reflet d’inégalités économiques, sociales et géographiques préexistantes à la généralisation et à l’utilisation massive des technologies de l’information et de la communication.