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Destiné par les Frères Prêcheurs (Dominicains) à l’enseignement de la pastorale, Jean-Paul Montminy, O.P., a plutôt fait carrière comme professeur au département de sociologie de l’Université Laval pendant trente-trois ans. Il était spécialiste de la sociologie de la religion.

Né le 3 juin 1928 à Québec, Jean-Paul Montminy est décédé le 23 décembre 2018. Au terme de ses études secondaires au Petit Séminaire de Québec, il obtenait en 1950 son baccalauréat ès arts ainsi qu’un baccalauréat en philosophie de l’Université Laval. Après son entrée chez les Dominicains en 1951 et son ordination presbytérale en 1955, il a poursuivi pendant quatre ans des études en théologie au Saulchoir (Paris) où il a soutenu une thèse de doctorat. De retour au Québec, il s’est inscrit au département de sociologie de l’Université Laval en 1958, y obtenant le diplôme de maitrise en 1962.

Au début des années 1960, le département de sociologie et d’anthropologie manquait de professeurs. Comme « le père Montminy » détenait un doctorat et achevait sa maitrise, Fernand Dumont, alors directeur du département, souhaitait le recruter, ce qu’il proposa au doyen de la Faculté des sciences sociales. Il connaissait de longue date Montminy puisqu’ils avaient été confrères d’études au collège classique. Le doyen accepta et il demanda à Mgr Louis-Albert Vachon, recteur de l’université, d’entreprendre des démarches auprès de l’Ordre des Dominicains dans le but d’autoriser l’engagement du père sociologue. Le recteur formula sa demande dans une lettre datée du 13 février 1962. Le père Thomas-M. Rondeau, Prieur de l’ordre, se montra cependant réticent à acquiescer à cette demande dans sa réponse à la lettre du recteur Vachon. « Concernant notre Père Jean-P. Montminy, il me faut vous dire d’abord que nous l’avions préparé pour l’Institut dominicain de Pastorale, où nous ne pouvons vraiment pas nous passer de ses services. À cette fin nous comptons sur lui pour l’année scolaire prochaine. En plus, pour la même période, nous songeons à lui confier une série de cours à notre Studium de théologie à Ottawa. (…) Cependant, je suis disposé à vous accorder le Père Montminy à ‘demi-temps’ (…) et ceci, pour la prochaine année académique seulement »[1].

Les réticences du Prieur ont été contrées par l’intervention de Fernand Dumont auprès de la hiérarchie dominicaine et auprès des membres de l’Institut de pastorale à Montréal, ce qui a facilité cet engagement. Autorisé par son supérieur, Jean-Paul Montminy commença à enseigner au département de sociologie et d’anthropologie à demi-temps à l’automne 1962. Le 1er janvier 1964, Mgr Alphonse-Marie Parent, vice-recteur à l’enseignement et la recherche, lui offrit un contrat de « professeur auxiliaire » à plein temps, selon le statut administratif de l’époque[2]. Il obtint son agrégation en 1967 et fut nommé professeur titulaire en 1971.

L’université Laval comptait alors plusieurs prêtres dans son corps professoral. En 1964, le conseil universitaire décida « d’établir la parité entre la rémunération de ses professeurs ecclésiastiques et celle de ses professeurs laïques »[3] et le père Montminy bénéficia alors d’une substantielle augmentation de traitement. Le 2 mars 1965, le recteur Vachon écrivit au père Rondeau pour lui faire part de son appréciation du professeur Montminy. Ce témoignage retrouvé dans les archives mérite d’être cité car il reflète bien l’esprit de cette époque.

Il [Jean-Paul Montminy] accomplit ici une oeuvre qui correspond exactement aux visées de la Faculté des sciences sociales et à l’espoir que nous avons mis en lui. Non seulement a-t-il, au plan académique, une compétence profitable au corps professoral et aux élèves, mais il montre tant d’intérêt et de compréhension des problèmes particuliers à notre jeunesse universitaire que son expérience peut être, à l’occasion, d’une grande utilité à l’étude et à l’élaboration des projets de relations que nous essayons d’établir entre les autorités et les différents groupes de représentation des étudiants. J’ajoute qu’au plan spirituel, le Père a, auprès des professeurs et des étudiants, une influence qui ne peut que mieux accréditer, dans les circonstances présentes, notre statut d’Université catholique[4].

L’Université Laval était alors à l’aube d’une mutation interne importante à la suite de l’arrivée de nombreuses cohortes d’étudiants, et surtout d’étudiantes, sans oublier l’engagement de plusieurs professeurs laïcs, qui allaient en transformer le visage. La sécularisation de l’appareil administratif ne devait plus tarder. Par ses enseignements et par son engagement dans l’administration, Jean-Paul Montminy a contribué à mettre en oeuvre les changements qui s’imposaient.

À l’époque où la sociologie attirait un grand nombre d’étudiants, le nouveau professeur a dû dispenser plusieurs cours. Mentionnons pour le premier cycle : Introduction à la sociologie, Techniques cliniques, Sociologie de la religion, L’explication en sociologie et Laboratoire de recherche, puis les cours donnés dans les programmes de 2e et 3e cycles, Sociologie des phénomènes religieux, Sociologie de la connaissance et de la culture, Séminaire sur les mouvements religieux et Séminaire sur les idéologies (en collaboration).

Le professeur Montminy publia en 1965 un recueil de textes sur les sciences sociales (Presses de l’Université Laval, 642 p.) servant d’introduction à la sociologie à l’intention des étudiants inscrits au premier cycle. Les manuels québécois de sociologie étaient alors inexistants. Cet ouvrage compte douze ensembles de textes correspondant à autant de semaines d’enseignement. Il comprend notamment les écrits de collègues du département de sociologie – Yves Martin, Jean-Charles Falardeau, Fernand Dumont – et de la Faculté des sciences sociales. S’y trouve une section (cinq textes) portant sur la société traditionnelle et la société technologique qui étaient alors la grille de lecture du changement social au sein de la société québécoise. Dans ses cours, le professeur Montminy abordait la pensée d’Alexis de Tocqueville défini comme sociologue – bien avant sa « redécouverte » faite en France des années plus tard – sans oublier la sociologie de Robert K. Merton, qu’il appréciait.

Dès 1961, Jean-Paul Montminy rédigeait un rapport socio-pastoral sur le diocèse de Sainte-Anne-de-la-Pocatière. Il s’est ensuite penché sur le travail du clergé dans le territoire pilote du BAEQ en 1967. On lui doit des recherches empiriques sur l’évolution des effectifs religieux, menées avec Marc-André Lessard. Par la suite, il s’est impliqué aux côtés de Fernand Dumont et Jean Hamelin dans le programme de recherche phare du département de sociologie dans les années 1970 : l’analyse des idéologies au Canada français. Montminy apporta une contribution importante dans l’étude du fait religieux et dans l’encadrement des travaux des étudiants de 2e et 3e cycles mobilisés dans cette vaste recherche qui a couvert quatre périodes historiques (1850-1900, 1900-1929, 1930-1939 et 1940-1976). Les analyses des idéologies se sont étendues sur plus de vingt ans et elles ont été publiées dans six ouvrages, ce qui en fait l’une des recherches marquantes en sciences sociales, restée un classique dans l’histoire des idées au Québec.

Dans les années 1980, il s’est associé à Jacques Zylberberg, du département de science politique, afin d’étudier certains mouvements religieux québécois au sein de la société postindustrielle, notamment les charismatiques catholiques et les pentecôtistes catholiques. « Les charismatiques se sont donné une identité culturelle, c’est-à-dire des significations communes à partir d’une combinatoire des éléments existants dans le monde quotidien et dans l’univers historique, combinatoire opposée à celles de la culture dominante » (Montminy et Zylberberg, 1981, p. 73).

L’apport le plus important de Jean-Paul Montminy à la sociologie du fait religieux catholique au Québec est sans nul doute l’ouvrage de synthèse qu’il a écrit avec son collègue Raymond Lemieux, Le catholicisme québécois (2000). Ce livre a fort bien vieilli et il demeure d’une grande actualité pour comprendre le monde contemporain. Dans une langue accessible, les auteurs avancent que « le catholicisme a perdu son lien organique avec le fonctionnement de la structure sociale » (p. 84-85) à la suite de la sécularisation des systèmes d’éducation, de santé et de sécurité sociale au moment de la Révolution tranquille, sans oublier le déclin de la paroisse, si importante dans l’organisation sociale d’autrefois. « La communauté des citoyens a remplacé la communauté des croyants ». Ils précisent que l’Église québécoise s’est historiquement « éloignée de la bourgeoisie en développement, dont les modèles proviennent d’univers étrangers à son discours » tout en s’éloignant aussi du monde ouvrier dont l’encadrement ne tenait plus la route (p. 49). Leur ouvrage explique comment le catholicisme québécois a évolué vers un « catholicisme nominal » ou un « catholicisme culturel », ce qui n’est pas sans poser un important défi pour l’institution. Les dernières lignes sur l’identité catholique contemporaine des Québécois méritent d’être citées (p. 105).

Ainsi posée sur le mode de l’idéologie, la question de l’identité représente avant tout une réalité culturelle, signe obligé de la dépendance envers une lignée, un clan, une collectivité au moins virtuelle n’impliquant cependant pas de responsabilités, ni même de pratiques particulières. Indifférente à l’avenir, elle relève de la normativité d’une origine. Autrement dit, la communauté chrétienne se réduit au dépôt d’un mythe, sans projet.

Pendant sa longue carrière, Jean-Paul Montminy a occupé différents postes dans l’administration de l’Université Laval alors que cette dernière connaissait d’importants changements en passant d’une administration cléricale à une administration laïque. Dès son entrée dans un poste régulier de professeur, il fut nommé secrétaire du Département de sociologie et d’anthropologie (l’équivalent du directeur des études) et il devint secrétaire de la revue Recherches sociographiques de 1966 à 1968. Il occupa ensuite le poste de directeur du département de 1968 à 1971. Sous son mandat, les anthropologues firent sécession pour fonder le département d’anthropologie. Le professeur Montminy devint ensuite vice-doyen aux études avancées et à la recherche de la Faculté des sciences sociales de 1972 à 1974. Sept ans plus tard, il fut nommé par le recteur Jean-Guy Paquet Protecteur universitaire pour la période 1981-1986, une fonction nouvellement créée par l’institution. Puis il revint à la faculté des sciences sociales à titre de doyen du 11 avril 1988 au 10 avril 1993 pour prendre sa retraite le 31 août 1995. Il fut par la suite nommé professeur émérite de l’université Laval.

Enfin, il importe de souligner ses nombreux engagements au sein de l’Église catholique mais aussi dans la société québécoise, en particulier dans la ville de Québec. Jean-Paul Montminy a traversé presque tout un siècle marqué par une mutation dont il a été un « spectateur engagé » (au sens de Raymond Aron), à la fois acteur sur le terrain et analyste scientifique. Le sociologue dominicain a assumé divers services au sein de sa communauté religieuse et il a été responsable de la formation permanente et membre du conseil provincial des Dominicains du Canada. Il a aussi assuré régulièrement la prédication à l’église Saint-Dominique, paroisse catholique située près des plaines d’Abraham à Québec, et il fut membre actif du Comité presbytéral du diocèse de Québec, sans oublier le YMCA de Québec, entre autres.

Très apprécié des étudiants, notamment dans sa fonction de tuteur, « il était de bon conseil », estimait une religieuse Ursuline de sa connaissance. Jean-Paul Montminy était un humaniste dans la grande tradition intellectuelle, un homme ouvert aux idées nouvelles. Son action a toujours été en phase avec son temps, sans nostalgie pour le passé et cherchant des solutions adaptées à son époque. À l’âge de la retraite, il a consacré beaucoup de temps à accompagner des personnes malades ou en fin de vie et il était reconnu pour ses grandes capacités d’empathie et sa chaleur humaine.