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Mise en contexte

La participation citoyenne dans l’organisation des services en santé mentale représente un idéal dans les pratiques institutionnelles. Elle s’inscrit dans les directions ministérielles, qui rappellent l’apport essentiel des personnes utilisatrices des services et l’importance, pour les partenaires institutionnels et communautaires, de favoriser et de soutenir ces espaces de participation, en fournissant les conditions nécessaires. En ce sens, le Plan d’action en Santé mentale 2015-2020 (PASM) met en avant la primauté de la personne utilisatrice des services et l’exercice de sa pleine citoyenneté.

En dépit des intentions rédigées par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), l'implantation de modalités au soutien à la participation citoyenne reste questionnable. Il existe un écart marqué entre cet idéal et les pratiques dans le domaine de la santé mentale. Malgré une certaine reconnaissance de la parole des personnes utilisatrices des services qu’ont permis les derniers PASM, ces personnes sont encore souvent exclues d’un réel dialogue (Clément et Bolduc, 2009, cités dans Clément, 2011). Elles ne sont pas reconnues dans leur « parole citoyenne » (Clément, 2011, p. 9), pouvant fournir des opinions valides (Lamoureux, 2004). Peu de repères à l’implantation des pratiques de soutien à la participation citoyenne sont fournis dans le PASM. Le concept de participation n’y est pas défini, aucun détail n’est donné quant au budget alloué au soutien à cette participation et aucune forme de reddition de compte n’est exigée (Clément, 2011). Dans le rapport de recherche de Clément et al. (2012) faisant état de la participation citoyenne en santé mentale, force est de constater que le rôle accordé aux personnes utilisatrices en est un de consultation plutôt que d’influence réelle sur la prise de décisions en matière de services, et ce, malgré le fait qu’elles veulent s'impliquer dans l’organisation des services dont elles bénéficient. De plus, les individus questionnés témoignent du manque d’écoute et d’ouverture (Clément et al., 2012 ; Lathlean et al., 2006).

Alors qu’à une certaine époque la participation citoyenne était au coeur des débats portant sur l’organisation des services sociaux et de santé, on note un découragement à l’égard des efforts nécessaires au maintien du lien entre les citoyen.ne.s et les décisions qui les concernent (Forest et al., 2000). Rappelons qu’au Québec, la participation citoyenne s’ancre dans les caractéristiques fondamentales du système public. Néanmoins, les occasions d’aller au-delà de la consultation publique, et de permettre aux citoyennes et citoyens d’agir activement sur des enjeux qui les concernent directement, sont peu nombreuses au sein du réseau institutionnel.

Ce projet d’intervention fut élaboré dans un désir de soutenir la participation des personnes utilisatrices des services en santé mentale dans leur organisation. Il permet un accès à des espaces de participation et de collaboration pour les personnes utilisatrices des services en santé mentale, souvent marginalisées et limitées dans leurs possibilités d’action citoyenne.

PrÉsentation des deux comitÉs citoyens

Le PASM 2005-2010, et la volonté d’impliquer dans l’organisation des services les bénéficiaires, ont permis la mise en place du Projet Montréalais de Participation Citoyenne. Soutenus par l’organisation communautaire, différents groupes locaux de personnes utilisatrices de services sont apparus sur le territoire montréalais[1]. Ainsi, les deux comités dont il sera question dans cet article se sont implantés sur le territoire de deux CSSS de quartiers avoisinants. Leur mandat vise à « assurer et encourager une participation optimale et durable des personnes utilisatrices des services à la prise de décision en matière de planification, d’organisation, de mise en oeuvre et d’évaluation des services de santé mentale sur le territoire de Montréal » (Action Autonomie, 2012). Il s’agit donc d’un regroupement de citoyen.ne.s qui agissent sur une base de représentation citoyenne dans les services institutionnels. Ces comités visent le développement d’une structure qui permettrait la participation optimale, la mobilisation et la consultation des personnes utilisatrices des services, leur soutien vers le développement de leur pouvoir d’agir individuel et collectif ainsi que la reconnaissance de leur savoir expérientiel.

Comme le projet d’intervention a vu le jour dans le réseau local de services (RSL) d’Ahuntsic et de Montréal-Nord, le premier comité fut ciblé comme un important allié. Face à une certaine démobilisation citoyenne, les deux associations sont regroupées et joignent leurs forces dans la réalisation d’actions collectives diverses. Ainsi, ces deux comités ont grandement contribué à la réalisation du projet, en plus d’en porter ultérieurement les suites, s’appropriant la démarche pour être maîtres de son évolution.

Émergence du projet d’intervention

Devant la nécessité de clarifier l’offre de services en santé mentale et d’identifier les améliorations possibles dans la continuité des services offerts à la communauté, l’idée d’identifier les besoins en matière de services en santé mentale adulte a émergé. Pour éviter de reproduire des pratiques de consultation citoyenne visant à obtenir l’approbation d’outils d’intervention élaborés en amont par des experts (Parazelli, 2011), il semblait primordial de faire de la participation citoyenne l’élément central de ce projet.

L’objectif général du projet d’intervention est de soutenir la participation citoyenne dans un processus d’identification des besoins en matière de services en santé mentale adulte dans deux quartiers montréalais. Les trois visées sous-jacentes étaient donc de réfléchir collectivement autour de l’organisation des services en santé mentale, d’identifier sommairement des besoins en matière de services en santé mentale adulte et de favoriser le développement des deux comités citoyens, en promouvant l’importance de leurs actions parmi les partenaires citoyens, communautaires et institutionnels.

Implantation du projet

Partage des savoirs expérientiels

Le premier objectif était de favoriser le partage des savoirs expérientiels en créant des espaces de parole sur les besoins en matière de services en santé mentale. Ainsi, deux groupes de réflexion, formés de personnes utilisatrices de services et de représentant.e.s des deux comités citoyens, ont permis d’ouvrir la discussion sur leur perception des besoins face aux services offerts et le partage de leurs vécus individuels. Les personnes utilisatrices des services ont pu définir ce qu’elles jugeaient prioritaire et problématique. C’est aussi lors de ces moments de réflexion qu’a été formé le groupe de travail pour co-construire un outil de consultation citoyenne présentant les besoins identifiés.

Co-construire un outil de consultation citoyenne pour collectiviser les besoins

Le deuxième objectif spécifique était de co-construire un outil qui identifie sommairement des besoins collectifs en matière de ressources et de services en santé mentale adulte de la communauté. Il propose également des leviers à l’amélioration des services institutionnels et communautaires. Réfléchi comme un outil d’animation de groupe ou comme un questionnaire rempli par un seul individu, il collectivise les besoins des personnes utilisatrices des services.

De plus, dans une visée de changement structurel, cet outil constitue un levier de revendication, favorisant la collaboration entre les différents partenaires. Il pourra servir d’assise à la discussion et à la réflexion pour la mise en place d’actions intersectorielles en vue d’améliorer les services et les ressources en santé mentale. L’outil est donc à la fois subjectif et quantitatif. Le vécu des citoyen.ne.s transcende les questions qui s’y trouvent et en permet une représentation collective. Les personnes impliquées souhaitaient faire émerger de leur vécu des solutions orientées vers des besoins collectifs, et non procéder à une documentation statistique de la situation.

La représentation citoyenne dans l’organisation des services en santé mentale

Le troisième objectif spécifique de ce projet était de soutenir la représentation citoyenne dans une réflexion collective autour des besoins en matière de services en santé mentale adulte et des avenues d’amélioration de ces services. Pour ce faire, on présenta la démarche de co-construction de l’outil et des résultats sommaires des besoins relevés dans les groupes de réflexion aux acteurs représentant les milieux institutionnel et communautaire. Les citoyen.ne.s impliqué.e.s ont exprimé leur désir de participer activement à cette présentation, symbolisant l’aboutissement de leurs efforts et de leurs investissements. De cette étape a émergé une collaboration entre les partenaires institutionnels et communautaires, en plus de permettre aux personnes utilisatrices d’être agents actifs dans l'élaboration de solutions et d’agir sur les enjeux qui les concernent directement.

Les éléments mis en place pour minimiser les obstacles à la participation

Plusieurs éléments peuvent favoriser l’émergence de la participation citoyenne : créer des espaces organisationnels clairs pour la mobilisation (Linhorst, Eckert et Hamilton, 2005), accompagner les citoyen.ne.s, être à l’écoute et respecter les opinions des personnes (Chevrier et Panet-Raymond, 2009 ; George, Coleman et Barnoff, 2007 ; Linhorst, Eckert et Hamilton, 2005 ; Mercier, Bourque et St-Germain, 2009), prendre en considération les symptômes liés à la santé mentale et les souffrances individuelles dans un premier temps (Lapierre et Lévesque, 2013; Linhorst, Eckert et Hamilton, 2005 ; Pelletier et al., 2014), faire preuve de transparence sur l’influence réelle des personnes (Linhorst, Eckert et Hamilton, 2005), travailler dans un rapport égalitaire et éviter d’utiliser un jargon professionnel (Crawford et al., 2003, cité dans Duperrée et Deslauriers, 2011 ; Lathlean et al., 2006 ; Lapierre et Lévesque, 2013 ; Lévesque et Panet-Raymond, 1987 ; Mercier, Bourque et St-Germain, 2009 ; Parker et Betz, 1996 ; Pelletier et al., 2009), favoriser des lieux et des horaires adaptés à la réalité des citoyen.ne.s (Chevrier et Panet-Raymond, 2009 ; Parker et Betz, 1996) et partager une vision commune de la problématique et de l’objectif de l’action (Chevrier et Panet-Raymond, 2009 ; Ninacs, 2008).

Ce projet d'intervention s'est donc élaboré en fonction de ces éléments. Pour favoriser un partenariat avec les personnes impliquées, l’animation des groupes prenait la forme de discussions, permettant l’émergence d’une réflexion et évitant d’imposer une direction au processus créatif. Une prise de contact personnalisée auprès des citoyen.ne.s impliqués permettait d’assurer une présence et de répondre aux attentes et questionnements face à une telle démarche. De plus, une discussion concernant la portée du projet fut engagée dès le début du processus, dans le but de faire preuve de transparence quant à son impact réel et pour éviter de créer des attentes irréelles. Cette étape de clarification permettait aussi, par le fait même, de fixer une visée commune et une orientation de travail, essentielles à la réalisation d’une action collective. Un souci particulier fut apporté à la posture adoptée dans le rapport aux citoyen.ne.s et à la reconnaissance de chaque intervention, prise de parole ou prise de décision venant des citoyen.ne.s, au vocabulaire choisi pour permettre la compréhension de tous, à l’importance de tisser un lien de confiance et des contacts plus informels avant de solliciter plus activement les citoyen.ne.s, créant ainsi l’émergence d’un climat positif. En référence aux idées de Karsz (2004), une attitude qui prend en compte la capacité d’agir et les connaissances des citoyen.ne.s plutôt que de prendre en charge l’évolution de la démarche fut adoptée. Les animations étaient réalisées sous forme de discussion, où tous étaient invités à partager spontanément.

À un niveau technique, les citoyen.ne.s impliqués pouvaient prendre des rendez-vous téléphoniques pour obtenir des réponses à leurs questionnements sur la démarche ou pour commenter l’évolution du projet. Ainsi, il était possible de transmettre les informations nécessaires, d’être accessible au besoin et de maintenir un lien entre deux rencontres. De plus, on demanda les disponibilités hebdomadaires de chaque personne impliquée avant de fixer les rencontres, dans un souci d’accommoder la réalité de tous. Un lieu géographiquement accessible pour tous fut choisi pour ces rencontres. En ce sens, le remboursement des titres de transport a permis d’assurer la présence d’une majorité, faisant en sorte que le coût du transport en commun ne représente pas une entrave au processus de mobilisation. Finalement, à la suite de la rencontre de co-construction de l’outil d’identification des besoins, chaque personne impliquée a reçu le visuel de la création, afin de laisser un temps d’analyse du contenu et de rassembler les commentaires et les réflexions, en guise de préparation à la rencontre suivante.

RetombÉes du projet d’intervention

Ce projet a eu de nombreuses retombées. Dans un premier temps, la communauté d’intérêts que forment les deux comités s’est développée, en accueillant deux nouvelles personnes, rencontrées dans les groupes de réflexion. En plus de ce recrutement qui solidifie davantage le comité, ses membres, en s’appropriant les suites de la démarche, développent une nouvelle avenue de mobilisation. Ensuite, la diffusion de l’outil auprès des différents partenaires a donné l’occasion de recenser plus largement les besoins et de démontrer leur aspect collectif. Le projet a permis une meilleure connaissance de la réalité du milieu, définie par les personnes qui sont les premières concernées. De plus, un partenariat avec le milieu communautaire fut mis en oeuvre, dans le but de se solidariser face aux enjeux jugés prioritaires en regard de la santé mentale, mais aussi quant à la participation citoyenne, pour mettre en place des actions collectives. Aussi, par la présentation de cette démarche à l'intérieur du réseau public, il a été possible d'amorcer un dialogue avec les professionnels institutionnels sur l’importance d’arrimer les pratiques et de démarrer des actions intersectorielles. Même si le changement des pratiques courantes, bien ancrées dans la culture professionnelle institutionnelle, peut représenter un défi, la visibilité que donne ce projet d’intervention sur la valeur de la participation citoyenne représente en soi une retombée positive.

Les besoins identifiés par l’outil de consultation

Dans ce processus de collectivisation des besoins des personnes les premières concernées par l’offre de services en santé mentale, il était nécessaire d’entendre les vécus individuels et d'identifier les besoins selon l’expérience et la perception de chacun. Néanmoins, quatre grandes thématiques transcendent ces vécus individuels. D’abord, l’accueil reçu lors d’une demande de service ainsi que l’accessibilité à ces services furent jugés problématiques. Le manque d’humanité et de considération dans la prestation des services a été décrit comme un enjeu primordial par les personnes ayant utilisé, ou utilisant actuellement les services en santé mentale. Ensuite, le partage et la transmission d’informations des professionnels de la santé et des services sociaux aux personnes utilisatrices semblent être un élément sur lequel il importe d’intervenir. De plus, les personnes ont mis de l’avant l’importance d’un soutien accru à l’emploi et au logement, déterminants sociaux primordiaux à la santé mentale. Aussi, il semble évident que la lutte à la stigmatisation représente une avenue à investir. Cette stigmatisation encore bien présente reste la pierre angulaire de tous ces besoins, puisqu’elle teinte tant l’accueil reçu dans la prestation des services que la vie en communauté, et donc l’accès à des logements adéquats et à des offres d’emploi adaptées aux réalités de chacun. Finalement, par le processus de création de l’outil d’identification des besoins, on a constaté le besoin fondamental, pour les personnes utilisant les services en santé mentale, d’être entendues collectivement, en tant que communauté d'intérêts, et reconnues dans leur apport significatif à l’amélioration de ces services.

Observations et rÉflexions soulevÉes par le projet d’intervention

Participation citoyenne ou participation publique ?

La réflexion sur la terminologie et sur le sens de la participation citoyenne est pertinente. Rappelons que la participation citoyenne correspond à une implication active et à un engagement volontaire des citoyen.ne.s (Gambel et Weil, 1995, cité dans Dupperé, 2010). Clément et al. (2013) rappellent la distinction entre participation citoyenne et participation publique, où la participation citoyenne réfère à un mouvement qui est mis en oeuvre par les citoyen.ne.s, alors que la participation publique part de l’État, qui souhaite aller vers les citoyen.ne.s. Compte tenu de la nature du projet, qui souhaite répondre à un mandat institutionnel, on peut se demander s’il est réellement question de participation citoyenne, ou plutôt de participation publique. En effet, réfléchir à la façon dont la mobilisation s’est articulée autour d’une direction institutionnelle permet de se questionner sur la justesse de parler de participation citoyenne.

Alimenter des espoirs trop grands

Lorsqu’un projet soutenant la participation citoyenne est développé, la crainte de créer des espoirs trop grands chez les personnes concernées, quant à l’ampleur des retombées, est légitime. Avec ce projet qui favoriserait un partenariat visant l’amélioration de l’offre de services en santé mentale, la possibilité d’amener les citoyen.ne.s à s’imaginer que leur implication permettrait une modification immédiate et considérable des services offerts constituait un enjeu réel. Dans le but d’éviter une telle issue, ce questionnement fut discuté directement avec les personnes impliquées. Faire preuve de transparence quant à l’influence réelle des personnes est un élément essentiel au soutien à la participation citoyenne (Linhorst, Eckert et Hamilton, 2005). En ce sens, discuter de cet enjeu a permis de saisir les perceptions des personnes impliquées dans la démarche, qui percevaient ce projet comme une occasion de partager et de discuter de leurs perceptions, en plus de s’impliquer dans le développement d’un projet susceptible d’amener des retombées considérables.

Réel partage égalitaire du pouvoir ?

Les propos dans les groupes de réflexion ont amené un questionnement sur le statut privilégié de la personne qui soutient un processus collectif. Sans vouloir généraliser, plusieurs ont témoigné d’un parcours de vie qui se heurtait à de nombreuses injustices, subissant l’impact de diverses structures sociales, politiques et économiques, cumulées aux événements personnels marquant leur histoire de vie. Cela amène donc une réflexion sur l’écart de statut entre les personnes impliquées dans le projet et la personne qui les soutient, entre autres par la différence de statut socioprofessionnel, de niveau d’éducation, d’accès facilité à des espaces de participation et à diverses ressources pour combler ses besoins. En considérant que les citoyen.ne.s ont vécu, et vivent encore au quotidien, des inégalités de toutes sortes, le rapport de pouvoir est difficilement égalitaire. Les principes de la participation citoyenne et du soutien à l’empowerment reflètent l’importance d’établir un rapport égalitaire. Il est primordial d’adapter sa posture professionnelle pour soutenir un rapport de collaboration qui se veut égalitaire (Le Bossé, Bilodeau, Chamberland et Martineau, 2009) et d’entreprendre une autoréflexion critique pour mieux saisir la façon dont s’actualisent ces rapports de pouvoir dans l’intervention, en gardant en tête que sa propre posture d’intervenant est un élément important de l’équation (Lee, Macdonald, Caron et Fontaine, 2017).

Désengagement du milieu institutionnel dans le soutien à la participation citoyenne

Ce projet a permis de constater que le milieu communautaire semble s’impliquer davantage lorsque vient le temps de soutenir la participation citoyenne. En ce sens, il est possible de se questionner sur l’impact de cette réalité sur le désengagement du milieu institutionnel quant au soutien à cette participation. Le milieu institutionnel s’appuierait sur le milieu communautaire lorsqu’il est question de la participation des personnes utilisatrices des services en santé mentale, alors que cette responsabilité devrait être soutenue également par ces deux milieux (Clément, 2015). Néanmoins, la réalité institutionnelle ne semble pas être adaptée à la réalité citoyenne (Clément 2015), et la responsabilité de la participation mise de l’avant dans le PASM est remise au réseau institutionnel, alors que dans les faits, elle semble davantage portée par les personnes utilisatrices elles-mêmes ou par le milieu communautaire qui les soutient (Clément et al., 2012). Le fait que les directives du PASM ne précisent pas qui détient la responsabilité de soutenir la participation citoyenne amène une prise en charge par le milieu communautaire (Clément, 2015).

Instrumentalisation de l’empowerment et de la participation

En regard de ce qui a été observé lors de l’implantation du projet, il semble y avoir des différences entre l’interprétation de ces concepts dans le milieu communautaire et le milieu institutionnel. Le milieu communautaire mise sur une réappropriation de certains enjeux par les individus concernés, et sur leur pouvoir d’agir, alors que dans le milieu institutionnel, certaines pratiques amènent à se questionner sur les motivations sous-jacentes au soutien au développement du pouvoir d’agir. La possibilité que la mobilisation citoyenne devienne un instrument pour atteindre les objectifs des programmes conçus par les dirigeants des institutions et dans lesquels les citoyen.ne.s sont des clients ou des consommateurs est bien réelle (Mercier, Bourque et St-Germain, 2009). Cela éloignerait de la portée réelle de la mobilisation citoyenne, soit de constituer des occasions pour que les citoyen.ne.s puissent non seulement identifier, mais aussi agir sur des enjeux qui les concernent, en contribuant à l’organisation des divers programmes et politiques. Il subsiste un risque d’instrumentaliser la participation citoyenne, dans le but de faire cadrer les citoyen.ne.s marginalisés dans les directions établies par l’institution en place (Parazzeli, 2011).

À la lumière du projet : recommandations pour soutenir la participation citoyenne

L’élaboration et l’implantation de ce projet d’intervention ont aussi permis de formuler des recommandations qui faciliteront le soutien à la participation citoyenne dans l’organisation des services en santé mentale. D’abord, rappelons que, selon Clément (2011), peu de repères à l’implantation des pratiques de soutien à la participation citoyenne sont fournis dans la description du PASM 2015-2020. Le concept de participation n’y est pas défini et aucun détail concernant le budget alloué au soutien à la participation citoyenne n’est donné. Il semble nécessaire de clarifier ce qui est attendu des personnes utilisatrices des services face à l’organisation des services. Il serait alors pertinent de redéfinir à quoi réfère la participation et de mettre en place des moyens clairs pour la soutenir en milieu institutionnel (Clément, 2012). Un manque de précision dans la définition des pratiques de soutien à la participation citoyenne permet d’organiser la participation des citoyen.ne.s en fonction de la réalité organisationnelle, et non l’inverse. Ainsi, il est suggéré d’établir plus clairement des mesures de mise en action du soutien à la participation citoyenne en santé mentale, d’établir une partie du budget accordé au programme-service à la mise en place de moyens de reconnaissance de l’apport des citoyen.ne.s dans le processus et surtout d’établir clairement l’importance de fournir une rétroaction sur leur apport réel à l’organisation des services.

De plus, il serait essentiel d’accorder une plus grande importance aux savoirs expérientiels, de donner accès aux personnes utilisatrices des services à des espaces décisionnels et de dépasser la simple consultation citoyenne. Si, face à la rigidité de la culture professionnelle en santé mentale et de la structure organisationnelle du réseau institutionnel, il est trop imposant de permettre aux citoyen.ne.s de participer activement aux prises de décision concernant les pratiques qui les concernent, on pourrait investir davantage les comités déjà existants au coeur du milieu institutionnel. Dans le cadre de ce projet, les deux comités citoyens forment une association de personnes déjà mobilisées. Il n’en reste pas moins que ses membres ont témoigné avoir été plus souvent sollicités pour une consultation, ou un regard extérieur dans des projets mis en oeuvre par le milieu institutionnel, plutôt que pour une réelle collaboration. Considérant que le pas est déjà franchi avec ces comités citoyens, il serait important de les investir pleinement et de leur accorder une place à la hauteur de leurs compétences et de leurs savoirs.

Conclusion

Au coeur des pratiques qui soutiennent la participation citoyenne se pose le questionnement de l’exercice de la pleine citoyenneté. Le concept de citoyenneté est socialement et politiquement construit, et entretient le sentiment de légitimité qu’auront certains groupes d’individus dans l’exercice du rôle de citoyen. Ainsi, les citoyen.ne.s entretenant une vision positive de leurs compétences développeront une conscience de leur rôle et une conscience critique qui met en branle les mouvements de mobilisation (Ninacs, 2008). Cette même mobilisation vise la modification des structures qui influencent les conditions de vie des groupes vulnérables, et mise sur une collaboration équitable entre les experts et les personnes utilisatrices des services (Lathlean et al., 2006). C’est entre autres l’accès à ces espaces de participation qui permet aux individus marginalisés de surmonter les oppressions subies (Zimmerman et Rappaport, 1988). En regard de cela, il est possible de saisir que certains groupes marginalisés ne seront pas en mesure d’exercer un pouvoir d’action, principalement s’ils subissent préjugés et injustices. C’est à cette réalité que font face les individus qui vivent avec un trouble de santé mentale. Les personnes utilisatrices des services sont encore trop souvent exclues des espaces décisionnels et peu de crédibilité est accordée à leur parole (Clément et Bolduc, 2009, cité dans Clément, 2011). C’est en ce sens que ce projet d’intervention s'inscrit dans l’amélioration des pratiques. Il visait un réel apport du savoir expérientiel des personnes utilisatrices des services en santé mentale ainsi que l’établissement d’un lien de collaboration avec les divers partenaires pour améliorer l’offre de services. Il a favorisé le partage des savoirs expérientiels en créant des espaces de paroles, et soutenait l’apport significatif des personnes utilisatrices dans ce processus d’identification et de collectivisation des besoins autour de la question des besoins en santé mentale.

Rappelons que l’innovation existe parfois dans le simple fait de croiser des regards et d’arrimer des pratiques. Si ce projet d'intervention et la démarche participative qui l’anime ne sont pas ultérieurement entretenus, ils auront tout de même permis de faire dialoguer différentes perspectives et divers savoirs.