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Depuis le début des années 2000, le travail en équipe[1] a pris une importance de plus en plus grande, aussi bien dans les pratiques managériales que dans la recherche en sciences de gestion. Il se rencontre désormais dans des entreprises de toute taille et de tout domaine d’activité, pour faire face notamment au contexte d’incertitude grandissant qui caractérise l’environnement des entreprises (mondialisation des marchés, hypercompétition entre firmes, poids de l’innovation dans le développement des produits et services, etc.) (Hu et Liden, 2015). Dès lors, et à côté des travaux portant sur les compétences stratégiques ou organisationnelles (Brulhart et al., 2010; Brulhart et al., 2017a; Brulhart et al., 2017b; Brulhart et al., 2018), le travail en équipe a fait naître des questionnements sur un nouveau niveau d’analyse de la compétence, celui de la compétence collective. En effet, ce concept semble aujourd’hui incontournable pour comprendre le fonctionnement des équipes (Retour et Krohmer, 2006; Klarner et al., 2013), et ce, dans des contextes diversifiés : service hospitalier d’urgence (Colin et Grasser, 2009), projets innovants (Hoegl et Gemuenden, 2001; Loufrani-Fedida et Missonier, 2015), projet de partenariat public-privé (Ruuska et Teigland, 2009), équipes de consultants (Klarner et al., 2013), équipes en situations extrêmes (Melkonian et Picq, 2010), équipes de sport professionnelles (Myers et al., 2004), ou encore équipes opérationnelles au sein d’une cimenterie (Rouby et Thomas, 2014).

La définition de la compétence collective la plus reconnue dans les travaux, notamment anglophones, est celle proposée par Ruuska et Teigland (2009, p. 324), qui la considèrent comme « la capacité d’un groupe à travailler ensemble vers un but commun, lequel se traduit par la création d’un résultat collectif, un résultat qui n’aurait pu être accompli par un seul individu en raison de sa complexité ». Dès lors, la force d’une équipe réside dans la capacité à combiner des compétences individuelles dans un effort commun (Bataille-Chédotel, 2001; Retour et Krohmer, 2006; Arnaud et Mills, 2012), afin de produire un résultat qui ne pourrait être réalisé par n’importe quel individu pris de manière isolée (Ruuska et Teigland, 2009). Pour autant, il ne suffit pas de réunir des individus pour qu’ils deviennent collectivement compétents ou, dit autrement, il ne suffit pas de créer une équipe pour que ses membres coopèrent et qu’une compétence collective émerge (Chédotel, 2004).

Les études antérieures, bien que riches et diverses, restent principalement focalisées sur la compétence collective et n’abordent que très peu l’influence de cette dernière sur la performance d’équipe, performance entendue comme la capacité de l’équipe à atteindre ses objectifs (Hackman, 1990). Or, la compréhension de la relation entre compétence collective et performance d’équipe, ainsi que l’identification des leviers d’action permettant de faire de la compétence collective une condition préalable au succès des équipes représentent un enjeu majeur pour les managers et/ou la direction des ressources humaines (DRH). Logiquement, nous observons ces dernières années un intérêt accru des recherches portant sur les liens entre compétence collective et performance d’équipe (Bataille-Chédotel, 2001; Mathieu et al., 2008; Klarner et al., 2013; Defélix et al., 2014). Notamment, Defélix et al. (2014) dressent le constat que les recherches sur la compétence collective et la performance sont en partie disjointes. Sur la base d’observations empiriques, les auteurs montrent des cas différents de mise en pratique de la compétence collective, mais avec un lien plus ou moins explicite et direct avec la performance. Ils concluent notamment que la compétence collective apparaît dans des univers organisationnels différents comme une condition de plus en plus indispensable à l’atteinte des objectifs de l’équipe, autrement dit à sa performance.

Toutefois, bien que la compétence collective soit considérée dans les quelques travaux antérieurs comme une condition préalable essentielle au succès des équipes, nous en savons encore peu sur l’influence de la compétence collective sur la performance d’équipe et sur les leviers de management favorisant cette relation. En particulier, nous constatons qu’il existe peu d’études empiriques quantitatives reliant la compétence collective et la performance d’équipe, et que sont encore plus rares les recherches portant sur les facteurs de contingence de cette relation, notamment en termes de mécanismes modérateurs.

Dans cette perspective, nous tentons d’explorer le rôle du leadership en tant que mécanisme modérateur de cette relation. En effet, le leadership apparaît comme un élément central des fonctionnements collectifs dans la mesure où il serait un élément facilitateur du travail en équipe (Day et al., 2004; Mathieu et al., 2008; Serban et Roberts, 2016). Cependant, même si un nombre important et croissant de recherches porte sur l’influence directe du leadership sur la performance d’équipe (Nicolaides et al., 2014; Serban et Roberts, 2016), rares sont les travaux traitant de ses effets indirects et médiateurs, tout en distinguant les différents types de leadership. Pour cela, nous faisons le choix d’approcher le leadership par le biais de deux dimensions distinctes, relatives d’une part à un mode de leadership horizontal interne (leadership partagé) et, d’autre part, à un mode de leadership vertical externe (coaching), sachant que les formes interne et externe de leadership opèrent de manière concomitante et en conjonction l’une avec l’autre (Ensley et al., 2006; Carson et al., 2007; Nicolaides et al., 2014). Nous nous concentrons explicitement sur le leadership partagé et le coaching, cette distinction représentant la forme la plus évidente et la plus saillante de leadership dans les équipes de travail (Ensley et al., 2006; Rapp et al., 2016). Ainsi, analyser l’influence du leadership sur le lien entre compétence collective et performance d’équipe permettrait de révéler le leadership comme levier de management que les managers et/ou la DRH peuvent mettre en oeuvre pour renforcer la relation entre compétence collective et performance d’équipe.

Notre recherche vise ainsi à répondre aux questions suivantes : En quoi la compétence collective influence-t-elle la performance d’équipe ? Comment les modes de leadership (partagé et coaching) sont-ils susceptibles d’influencer le lien entre compétence collective et performance d’équipe ? Notre recherche ambitionne ainsi d’améliorer la compréhension de la nature de la relation entre compétence collective et performance d’équipe, et ce, en nous intéressant au rôle modérateur du leadership.

Dans une première partie, nous présentons l’analyse de la littérature, laquelle nous permet de considérer la compétence collective comme un concept multidimensionnel et d’exposer les hypothèses de la recherche. Dans une deuxième partie, nous détaillons la méthodologie mobilisée à la fois en termes de construction et de validation des mesures des variables et en termes de test des hypothèses, par le biais d’un modèle de régression. Dans une troisième partie, nous exposons les résultats de notre étude qui s’appuient sur une base de données originale constituée de 147 équipes de 5 étudiants (de niveau Master), engagés dans une simulation de gestion. Enfin, dans une dernière partie, nous discutons les principaux apports théoriques de notre recherche, avant de conclure sur ses contributions managériales et pédagogiques ainsi que sur ses limites et prolongements futurs.

Analyse de la littérature et modèle conceptuel de recherche

La compétence collective : un concept multidimensionnel

Jusqu’à présent, la majorité des recherches sur la compétence collective s’est attachée à étudier le contenu de la compétence collective à travers ses attributs (ou dimensions), notamment pour mieux l’opérationnaliser et l’observer lors d’études empiriques, pour la plupart qualitatives et exploratoires (Hoegl et Gemuenden, 2001; Retour et Krohmer, 2006; Ruuska et Teigland, 2009; Melkonian et Picq, 2010). Ces études antérieures ont notamment abordé la question de la compétence collective des équipes comme le résultat de la combinaison des compétences individuelles. L’objectif est alors d’analyser la façon dont les compétences collectives sont construites dans des contextes d’équipes afin de définir, tout d’abord, les mécanismes qui expliquent l’émergence de la compétence collective à partir des compétences individuelles; ensuite, de comprendre comment ces mécanismes fonctionnent; enfin, comment l’équipe se construit à partir des individus qui la composent.

Afin de caractériser la compétence collective et d’en présenter une échelle de mesure, nous proposons d’adopter une approche multidimensionnelle de ce concept, en mettant en évidence ses attributs constitutifs. Pour ce faire, nous retenons et combinons les deux grilles de lecture multidimensionnelles de la compétence collective proposées par Hoegl et Gemuenden (2001) d’une part et par Retour et Krohmer (2006) d’autre part. Hoegl et Gemuenden (2001) proposent d’approcher la qualité du travail en équipe (« teamwork quality ») par le biais de six attributs : (1) la communication, qui renvoie à l’existence d’échanges fréquents, informels, directs et ouverts entre les membres de l’équipe; (2) la coordination, qui renvoie à la structuration et la synchronisation des efforts des membres; (3) l’équilibre des contributions, qui renvoie à la capacité des membres à apporter leur expertise maximum au collectif; (4) le soutien mutuel, qui renvoie au soutien et à l’aide mutuelle apportés par chacun des membres aux autres; (5) l’effort, qui renvoie à l’investissement des membres dans la réalisation des tâches; (6) et la cohésion, qui renvoie à la motivation des membres à maintenir l’équipe et à l’existence d’un esprit d’équipe. Pour leur part, Retour et Krohmer (2006) proposent d’appréhender le concept de compétence collective par le biais de quatre attributs. (1) Le référentiel commun renvoie à des représentations homogènes partagées par tous les acteurs et issues d’un phénomène d’élaboration collective permettant de servir la préparation et la réalisation de l’action projetée (De Montmollin, 1984). Il correspond de ce fait à un accord implicite ou explicite sur la finalité poursuivie et les moyens à mettre en oeuvre. (2) Le langage partagé (de travail ou professionnel) correspond à un vocabulaire et une syntaxe partagés spécifiques permettant à l’équipe d’agir en situation (Chédotel et Krohmer, 2014), de percevoir l’environnement de manière unifiée (Salas et al., 2009) et de converser à demi-mots (Falzon, 1991). (3) La mémoire collective (Girod, 1995) renvoie à plusieurs phénomènes : l’acquisition de savoir auprès d’un autre individu, la création d’un nouveau savoir par l’interaction entre les individus ou la réalisation d’un travail en commun, la création d’un nouveau savoir par la confrontation des interprétations des individus. (4) L’engagement subjectif (Wittorski, 1997; Dubois et Retour, 1999) se définit par la prise d’initiative et l’engagement des individus du collectif dans une démarche coopérative de résolution de problème, de facilitation et d’entretien de relations de solidarité, ou encore de veille à la cohésion et à la synergie des groupes de travail.

Dans la littérature, ces deux grilles de lecture multidimensionnelles de la compétence collective sont étudiées de manière disjointe alors qu’elles nous semblent à la fois convergentes et complémentaires. Convergentes, car elles renvoient toutes deux à la qualité des interactions au sein des équipes. En effet, nous considérons que la compétence collective concerne la qualité du travail collaboratif de l’équipe, c’est-à-dire la manière dont les membres interagissent et combinent leurs compétences, et non le contenu des activités qui sont menées et des tâches qui sont réalisées (Hoegl et Gemuenden, 2001). En d’autres termes, compétence collective et qualité du travail en équipe font référence au même phénomène. Complémentaires, car nous considérons, à l’instar de Ruuska et Teigland (2009), que la compétence collective intègre à la fois une dimension pratique et une dimension interpersonnelle, permettant de recouvrir l’ensemble des attributs évoqués précédemment (Hoegl et Gemuenden, 2001; Retour et Krohmer, 2006). La dimension pratique fait référence à la capacité des membres de l’équipe à intégrer leurs compétences individuelles pour résoudre ensemble les problèmes qui se posent, par le biais de processus et de routines spécifiques, permettant la confrontation et la recombinaison des contributions respectives de chacun des membres (Ruuska et Teigland, 2009). Cette dimension fait notamment référence aux attributs suivants de la compétence collective : la mémoire collective, l’engagement subjectif, l’équilibre des contributions des membres et l’effort. Quant à la dimension interpersonnelle, elle se rapporte à la capacité des membres à interagir et coopérer avec les autres membres de l’équipe dans le cadre de la réalisation des tâches et des missions qui leur sont confiées (Ruuska et Teigland, 2009). Cette dimension fait notamment référence aux attributs suivants de la compétence collective : le référentiel commun, le langage partagé, la communication, la coordination, le soutien mutuel et la cohésion. En outre, le concept de qualité du travail en équipe a le mérite de disposer déjà d’une échelle de mesure qui a fait l’objet de nombreuses mises à l’épreuve pour étudier le fonctionnement des équipes notamment dans les travaux anglo-saxons (par exemple, Lindsjørn et al., 2016). Concernant la grille offerte par Retour et Krohmer (2006), elle apparaît également comme l’une des plus consensuelles et usuelles dans les travaux portant sur les compétences collectives dans les travaux francophones (Defélix et al., 2014; Rouby et Thomas, 2014).

Compétence collective et performance d’équipe

L’ensemble des dix attributs constitutifs de la compétence collective, précédemment exposés, nous semble constituer des mécanismes fondamentaux de la performance d’équipe, à la fois à travers leur influence respective directe mais aussi et surtout à travers leur effet multiplicatif et synergique. Nous proposons dans un premier temps de recenser les études empiriques qui montrent le lien entre les six attributs classiques de la compétence collective proposés par Hoegl et Gemuenden (2001) et la performance. Dans un second temps, nous analyserons leur effet multiplicatif et synergique, en y intégrant les quatre attributs constitutifs de Retour et Krohmer (2006).

La communication et l’échange d’information sont considérés comme des leviers centraux de la performance des équipes, en augmentant le volume et la variété d’informations disponibles et en permettant au groupe d’atteindre une solution plus satisfaisante (Klarner et al., 2013).

La coordination permet, quant à elle, à la fois d’identifier la localisation des expertises au sein du groupe et d’assurer leur combinaison et leur intégration efficaces (Hoegl et Gemuenden, 2001; Kanawattanachai et Yoo, 2007). Par ailleurs, la coordination améliore les processus intra-groupe en favorisant l’ouverture de canaux de communication, en réduisant les conflits affectifs et en contribuant à l’esprit de groupe (Kanawattanachai et Yoo, 2007).

L’équilibre des contributions renvoie à la volonté effective des membres de l’équipe d’apporter la globalité de leur expertise respective dans le cadre de la mission confiée. L’apport de chacun des membres à la confrontation des idées permet d’améliorer la performance du groupe, en générant des effets de réciprocité favorables au partage d’informations (Hoegl et Gemuenden, 2001). L’équilibre des contributions est nécessaire à la mise en oeuvre de ces phénomènes qui sont à l’origine de l’émergence de nouvelles connaissances spécifiques et de la prise de décisions collectives adaptées à la mission à mener. De ce point de vue, l’équilibre des contributions constitue un levier de la performance des tâches à mener (Seers, 1989).

Le soutien mutuel renvoie à la conviction que chaque membre de l’équipe peut s’appuyer sur les autres (Vries, 1999; Hoegl et Gemuenden, 2001). La reconnaissance et le soutien perçus poussent les membres du groupe à coopérer et à s’engager dans la poursuite des objectifs du groupe (Carson et al., 2007). Non seulement le soutien mutuel réduit les conflits internes mais il nourrit aussi la confiance au sein du groupe (Vries, 1999). Or, que l’on considère le cas des salariés, des équipes ou des relations inter-organisationnelles, la confiance a montré sa capacité à améliorer la coordination et à dynamiser la performance (Das et Teng, 1998).

Les efforts accomplis par les membres de l’équipe pour réaliser les missions qui leur sont confiées ont une influence sur le succès, indépendante de l’effet de la pertinence des savoirs et des savoir-faire déployés par les membres du groupe (Hoegl et Gemuenden, 2001; Hackman et Wageman, 2005).

Enfin, la cohésion génère une familiarité, une proximité et un confort au sein de l’équipe, autant d’éléments contribuant à réduire les conflits internes et à favoriser une plus forte efficacité de l’équipe (Ensley et al., 2000).

En outre, même si les nombreuses études empiriques recensées ci-avant montrent une influence directe et positive de chacun des attributs de la compétence pris isolément sur la performance d’équipe (Hoegl et Gemuenden, 2001; Kanawattanachai et Yoo, 2007), la compétence collective et son influence sur la performance ne peuvent se concevoir comme une simple accumulation d’attributs mais émergent d’un processus alimenté par les interrelations entre ces mêmes attributs.

Trois exemples illustrent nos propos. Premièrement, la capacité à échanger et combiner une information diverse, pertinente et unique (attribut communication de Hoegl et Gemuenden, 2001) sera d’autant plus importante qu’il existe au sein de l’équipe un référentiel commun et un langage partagé (attributs 1 et 2 de Retour et Krohmer, 2006), permettant l’émergence d’une représentation et d’une perception communes de la situation et des informations obtenues (Salas et al., 2009). Deuxièmement, les efforts accomplis par les membres de l’équipe pour réaliser les missions qui leur sont confiées (attribut 5 de Hoegl et Gemuenden, 2001) contribuent à la mise en oeuvre des autres processus en jeu au sein de la compétence collective : communication, coordination, soutien mutuel (attributs 1, 2 et 4 de Hoegl et Gemuenden, 2001) pour permettre la confrontation des représentations et l’engagement subjectif (attributs 1 et 4 de Retour et Krohmer, 2006) conduisant à la décision collective. Troisièmement, selon Beal et al. (2003), à une forte cohésion d’équipe (attribut 6 de Hoegl et Gemuenden, 2001), sont en outre associées une augmentation des capacités de communication (attribut 1 de Hoegl et Gemuenden, 2001) et une convergence accrue des représentations ainsi qu’une utilisation plus efficace des systèmes de mémoire collective (attributs 1 et 3 de Retour et Krohmer, 2006).

Ainsi, nous considérons que l’ensemble des attributs constitutifs de la compétence collective ne se combinent pas de manière additive mais interagissent de manière multiplicative ou synergique. L’ensemble de ces développements nous conduit à formuler l’hypothèse suivante (Hypothèse 1 – H1) : La compétence collective a une influence positive sur la performance d’équipe.

Leadership partagé et performance d’équipe

Le leadership partagé s’apparente à la propriété d’une équipe dans laquelle le leadership est distribué entre les membres et non concentré sur un leader unique désigné (Carson et al., 2007). Il représente un mode de leadership horizontal, de nature interne et informelle, qui s’oppose au leadership vertical (Pearce et Sims, 2002) qui est, lui, de type formel, hiérarchique et descendant (Carson et al., 2007). Le leadership partagé s’apparente à un processus dynamique et émergent à travers lequel les rôles et fonctions de leaders peuvent être assurés, de manière simultanée ou consécutive, par les différents membres de l’équipe, ceci afin de soutenir et promouvoir l’atteinte de résultats collectifs (Serban et Roberts, 2016).

Les recherches empiriques restent dans ce domaine encore limitées, notamment en ce qui concerne l’étude de l’influence du leadership partagé sur la performance d’équipe (Nicolaides et al., 2014; Serban et Roberts, 2016) ainsi que la nature de cette relation (D’Innocenzo et al., 2014). Ce manque de validation empirique conduit à des positions théoriques relativement partagées et contradictoires. Aux études concluant à une relation positive (Pearce et Sims, 2002; Ensley et al., 2006; Carson et al., 2007; Daspit et al., 2014; Serban et Roberts, 2016), s’opposent celles qui soulignent l’absence de relation (Mehra et al., 2006), voire qui affirment une relation négative (Boies et al., 2010).

Un nombre croissant de recherches soulignent néanmoins l’influence positive directe du leadership partagé sur la performance d’équipe (Ensley et al., 2006; Hoch et Kozlowski, 2014). Il est en effet présenté comme un mode de management susceptible de dynamiser la performance des équipes dans la réalisation de tâches complexes (Day et al., 2004) qui nécessitent de la créativité et de l’interactivité (Hooker et Csikszentmihalyi, 2003). Le leadership partagé favoriserait respectivement : (1) le partage d’information (Carson et al., 2007); (2) la mise en commun d’une plus grande quantité de ressources personnelles et organisationnelles (Daspit et al., 2014); (3) les interactions et la participation entre les membres du groupe (Mehra et al., 2006). Cet apport de contributions diverses et cette liberté d’expression au sein du collectif génèrent, d’une part, des comportements innovateurs ainsi que des savoirs et de la connaissance (Hoch et Kozlowski, 2014) et, d’autre part, accroissent la capacité de résolution des problèmes rencontrés par le groupe (Dionne et al., 2010). Par ailleurs, le leadership partagé offre la possibilité d’améliorer le processus de socialisation et d’intégration sociale des membres (Carson et al., 2007; Mathieu et al., 2015), renforçant en conséquence la confiance collective (Nicolaides et al., 2014). Les liens ainsi créés, et plus généralement la densification du réseau social, conduisent à améliorer l’efficacité des actions et des solutions mises en oeuvre au niveau du groupe (Carson et al., 2007; Daspit et al., 2014; Mathieu et al., 2015). L’ensemble de ces éléments nous permet de formuler l’hypothèse suivante (Hypothèse 2 – H2) : Le leadership partagé a une influence positive sur la performance d’équipe.

Indépendamment de l’influence du leadership partagé sur la performance d’équipe, nous défendons l’idée que le leadership partagé constitue un mécanisme modérateur de la relation entre compétence collective et performance d’équipe. En effet, la compétence collective en tant que processus émergent peut conduire à privilégier l’orientation impulsée par un des membres de l’équipe qui se prévaudrait d’une expertise supérieure ou qui exercerait un pouvoir d’influence dominant. Le leadership partagé, en facilitant et en provoquant les interactions entre les membres, de même qu’en mettant l’accent sur l’importance de la participation de chaque membre, permet un rééquilibrage des influences au sein de l’équipe (Dionne et al., 2010). Il réduit dès lors la probabilité d’apparition d’un biais lié à la domination d’un individu dans la prise de décision. De ce fait, le leadership partagé permet d’aligner les objectifs individuels entre eux (Day et al., 2004) et de réguler des visions et des intérêts internes potentiellement contradictoires (Porter et al., 2016). En améliorant cet alignement, le leadership partagé accentue l’influence positive de la compétence collective sur la performance d’équipe. Il accroît la capacité du groupe à acquérir, assimiler et exploiter de nouvelles connaissances. Il stimule en conséquence la capacité d’absorption de l’équipe (Daspit et al., 2014) et favorise indirectement le potentiel d’expression et d’exploitation de la compétence collective. L’ensemble de ces développements nous conduit à formuler l’hypothèse suivante (Hypothèse 3 – H3) : Le leadership partagé constitue un mécanisme modérateur positif de la relation entre compétence collective et performance d’équipe.

Coaching et performance d’équipe

Le coaching se définit comme l’action d’un individu extérieur au groupe en interaction directe avec celui-ci, dans le but d’aider les membres de l’équipe à mobiliser et à coordonner au mieux leurs ressources internes, afin de réaliser les missions qui leur sont confiées (Hackman et Wageman, 2005). Il constitue de ce fait un mode de leadership qui est à la fois externe, vertical et formel (Carson et al., 2007; Rapp et al., 2016) et qui s’identifie à un individu. À la différence des autres types de leaders, les coachs se caractérisent par leur absence de liens préalables avec l’équipe et par leur intervention souvent limitée dans le temps (Rapp et al., 2016). Ils sont susceptibles d’opérer de manière concomitante avec le leadership partagé (Carson et al., 2007). Cependant, la nature des relations existant entre ces deux types de leadership, de même que leur contribution respective à la performance d’équipe, restent des domaines relativement flous et peu explorés (Nicolaides et al., 2014). La nature des interventions de coaching comprend par exemple l’identification des problèmes de l’équipe, l’encouragement et la valorisation de la prise d’initiative et de la gestion autonome du groupe, ou l’aide à la résolution de problème. Pour Hackman et Wageman (2005), l’activité de coaching comprend trois dimensions principales : (1) une action motivationnelle, visant à minimiser les comportements de passager clandestin et de paresse sociale, ainsi qu’à construire un engagement subjectif partagé dans le travail confié à l’équipe; (2) une action consultative, visant à réduire l’exécution aveugle de routines inadaptées à l’environnement et à encourager l’adoption de modes de fonctionnement en phase avec les besoins de la mission confiée; (3) une action éducationnelle, visant à équilibrer le poids des apports de chaque membre du groupe et à favoriser le développement des connaissances et des compétences en lien avec les objectifs du groupe.

Malgré le succès grandissant du coaching au sein des organisations, les recherches portant sur l’influence de ce type de leadership sur la performance sont à la fois peu nombreuses (Carey et al., 2011) et contradictoires (Hagen et Aguilar, 2012). Une majorité d’études semble néanmoins s’accorder sur l’influence positive du coaching sur la performance d’équipe (Salas et al., 2015; Rapp et al., 2016). À travers son action, périphérique et facilitatrice, de conseil, d’encouragement et de formation, le coaching permet d’optimiser les processus de fonctionnement et de travail de l’équipe. Selon Salas et al. (2015), le coach pousse les membres de l’équipe à être plus compétents et à améliorer de manière constante leur méthode de travail et de fonctionnement. Son action de soutien et d’accompagnement a d’autant plus de portée par rapport aux autres formes de leadership, qu’il offre une expertise perçue à la fois comme neutre et objective (Rapp et al., 2016), notamment parce qu’il n’est pas impliqué dans les activités classiques d’évaluation et de contrôle. Des méta analyses récentes (Theeboom et al., 2014; Jones et al., 2015) montrent que les activités de coaching sont très clairement associées à certaines des dimensions de la performance d’équipe à savoir l’efficacité perçue, la productivité et la performance de groupe. Ces différents éléments nous permettent de formuler l’hypothèse suivante (Hypothèse 4 – H4) : Le coaching a une influence positive sur la performance d’équipe.

Par ailleurs, nous défendons l’idée que le coaching constitue un mécanisme modérateur de la relation entre compétence collective et performance d’équipe. En effet, selon Hackman et Wageman (2005), le coaching vise à interagir avec l’équipe de manière à ce que celle-ci utilise de façon coordonnée et appropriée ses compétences et ressources collectives. Le coaching apparaît comme l’un des principaux vecteurs de responsabilisation et d’autonomisation du collectif (Hagen et Aguilar, 2012) et, de manière plus générale, de sa capacité à s’autoréguler et à gérer lui-même des problèmes complexes et nouveaux. Il favorise notamment l’auto-apprentissage collectif qui peut être mis à mal par les communications interpersonnelles dites « insidieuses » et les ajustements interindividuels qui nuisent au collectif (Schaubroeck et al., 2016). Cet apprentissage est d’autant plus important qu’il conditionne la capacité d’adaptation de l’équipe face aux transformations de son environnement.

De ce point de vue, le coaching via sa triple action – motivationnelle, consultative et éducationnelle – permet d’améliorer l’alignement entre la logique du groupe et les objectifs fixés pour l’équipe. Le coaching peut ainsi faciliter un « recadrage » et un ajustement nécessaire de la perception du travail, des missions à réaliser et des objectifs à poursuivre (Theeboom et al., 2014). En améliorant l’alignement entre le fonctionnement cognitif du groupe et les objectifs de l’équipe (Wrzesniewski et Dutton, 2001), le coaching accentue l’influence positive de la compétence collective sur la performance d’équipe et notamment l’influence de sa composante pratique. L’ensemble de ces développements nous conduit à formuler l’hypothèse suivante (Hypothèse 5 – H5) : Le coaching constitue un mécanisme modérateur positif de la relation entre compétence collective et performance d’équipe.

Au final, nous obtenons le modèle conceptuel de recherche suivant à tester (cf. figure 1).

FIGURE 1

Modèle de recherche conceptuel à tester

Modèle de recherche conceptuel à tester

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Méthodologie de l’étude empirique

Echantillon et collecte des données

Pour mener à bien ce travail, nous avons eu recours à une base de données originale constituée à partir de 147 équipes de 5 étudiants de niveau Master (soit 735 individus), engagés dans une simulation de gestion multi-périodes, « Le Monde d’Artemis », qui s’est déroulée sur une période de quatre jours au sein d’une grande école de commerce française au cours du mois de juin 2015. Les équipes sont formées par les services administratifs de la scolarité de l’école dans le but d’assurer une répartition identique des groupes en termes de « spécialités académiques » des étudiants (finance, contrôle de gestion, marketing, ressources humaines, stratégie). Aucun leader (ou responsable de l’équipe) n’est désigné par l’organisation de la simulation. Ce choix de population spécifique nous permet d’explorer notre problématique du lien entre compétence collective et performance d’équipe. Si cette population induit un certain nombre de limites notamment en termes de généralisation des résultats, elle nous offre le terrain d’une « expérimentation » en situation réelle d’un grand nombre d’équipes à la poursuite d’un objectif en temps limité.

Le détail de la simulation « Le Monde d’Artemis » est précisé dans l’encadré 1 ci-après.

Le séminaire est encadré par 21 professeurs, qui sont chacun en charge d’un ensemble de 7 équipes. Tous disposent d’un doctorat en sciences de gestion (ou équivalent) et d’une expérience d’enseignement de plusieurs années au minimum au sein d’universités ou de grandes écoles de commerce françaises. Ils ont tous une expertise dans les matières relatives aux sciences de gestion ainsi que dans le domaine de l’encadrement des étudiants du fait de leur expérience dans l’enseignement supérieur. Ils ont en outre suivi une formation dispensée par l’un des créateurs du jeu visant à assurer une bonne compréhension de la simulation, des enjeux pédagogiques et du rôle des professeurs au cours de la simulation (notamment en matière de mode de coaching).

Les professeurs impliqués assument des fonctions de coaching auprès des équipes qu’ils encadrent. Leur intervention correspond à une triple fonction : motivationnelle, consultative et éducationnelle. Les activités et les interventions des professeurs lors du jeu de simulation relèvent très majoritairement d’un « supportive coaching[2] » (au sens de Carson et al., 2007), qui s’exprime à travers leurs actions d’accompagnement, de facilitation, d’aide à l’organisation et au fonctionnement collectif. Dans le cadre du jeu de simulation, les coachs ne sont jamais directement impliqués dans l’identification et la résolution des problèmes de l’équipe. Les feuilles de décisions sont ainsi saisies par les seuls étudiants. Les actions des coachs s’orientent dans les premières phases du jeu vers l’implication, la motivation et l’autonomisation de l’équipe. Leurs conseils portent ainsi principalement sur des méthodes de travail et d’organisation favorisant le travail collectif et l’autonomie de fonctionnement. Très clairement, leurs fonctions s’assimilent à des actions de soutien, d’encouragement et de promotion d’un travail collectif et organisé. Les professeurs encadrants aident les étudiants à développer des méthodes structurées de résolution de problèmes et les poussent à s’appuyer sur les données les plus pertinentes et à mettre celles-ci en perspective. Ces professeurs s’appuient sur leur connaissance et expérience du jeu, de son mode de fonctionnement et de ses objectifs et, pour les nouveaux encadrants, sur une formation de trois jours. À l’issue de chaque remise de décisions, des débriefings sont organisés avec l’ensemble des membres de l’équipe permettant de faire un point sur les dysfonctionnements au sein de l’équipe. Il s’agit de favoriser au sein de l’équipe un apprentissage qui porte aussi bien sur les méthodes de travail que sur les techniques d’analyse. Les professeurs remplissent enfin une fonction d’accompagnement visant à développer la capacité de l’équipe à gérer l’incertitude (résultant des multiples décisions prises par les autres équipes et qui sont susceptibles de les impacter) et la complexité générée par l’interdépendance des différentes décisions à prendre.

Les données nécessaires à la recherche ont été collectées de plusieurs manières. Avant que la simulation ne débute, nous avons rassemblé les informations démographiques relatives aux membres des équipes (âge, spécialisation académique, sexe, notes de tronc commun obtenues par les étudiants). Les données relatives aux variables de compétence collective, de leadership partagé et de coaching ont été collectées par questionnaires entre le trimestre simulé 7 et le trimestre simulé 8. Chaque coach a distribué des exemplaires du questionnaire à chaque membre des équipes dont il avait la charge, les a collectés et les a ramenés aux responsables de cette recherche. Il a été demandé aux membres des équipes de renseigner les questionnaires individuellement sans échanger avec les autres membres. 735 questionnaires ont été collectés, soit un taux de retour de 100 %. Enfin, les données relatives à la performance des équipes ont été collectées à partir du logiciel de simulation à l’issue du trimestre simulé 8, à la fin de l’exercice de simulation.

Mesures des variables

La mesure de performance a été réalisée sur la base des résultats financiers obtenus par chaque équipe au cours des huit périodes de la simulation. Les variables indépendantes de l’étude (compétence collective, leadership partagé, coaching) ont été mesurées par le biais des questionnaires auto administrés et renseignés par chaque étudiant. Enfin, les variables de contrôle ont été mesurées sur la base des informations communiquées par les services administratifs de l’école.

Variable expliquée : la performance d’équipe

Pour rendre compte de la performance d’équipe, nous retenons la conception de Hackman (1990) fondée sur la capacité de l’équipe à atteindre ses objectifs. Dans le contexte de la simulation, l’équipe se voit fixer un objectif de maximisation de la rentabilité financière moyenne. La mesure de performance d’équipe qui est donc retenue est celle de la rentabilité financière moyenne (ou ROE[3]) calculée sur les huit périodes de la simulation. En outre, le ROE moyen est centré-réduit. Ce processus de centrage-réduction permet d’homogénéiser les niveaux de performance d’un univers à l’autre et de neutraliser les écarts de moyennes et d’écarts type entre les univers concurrentiels dans le but de les rendre comparables. La notation des participants est également fondée sur ce critère, ce qui permet de s’assurer de l’adhésion des membres de l’équipe à la poursuite de cet objectif. C’est la raison pour laquelle cet indicateur est retenu pour mesurer la performance d’équipe. Par ailleurs, cet indicateur, correspondant à l’objectif assigné aux participants, est classiquement mobilisé seul ou en combinaison dans les études similaires mobilisant des équipes d’étudiants participant à des simulations (Boone et Van Witteloostuijn, 2005; Mathieu et Schulze, 2006). Pour éviter le risque de contamination de la perception des répondants par le résultat obtenu, nous avons recours à plusieurs moyens. Tout d’abord, le ROE moyen n’est pas diffusé à chaque période mais uniquement à l’issue de la période 8. Ensuite, le fait de centrer-réduire les ROE moyens pour rendre comparables les univers concurrentiels accentue cette difficulté à percevoir leur véritable performance pour les étudiants avant la fin de la simulation (en effet, le ROE moyen et le ROE moyen centré-réduit ne sont que partiellement corrélés). Par ailleurs, s’ils peuvent appréhender l’évolution de leur performance sur la base de la succession de leurs propres résultats trimestriels (c’est-à-dire sur la composante interne), ils ne sont pas en mesure d’appréhender la composante de la performance relativement à leurs concurrents et, notamment, aux entreprises qui ne font pas partie de leur univers (composante externe). Enfin, lorsqu’ils renseignent les questionnaires en période 7, ils ignorent les résultats obtenus en période 7 et période 8.

Variables indépendantes

La compétence collective. Concernant cette variable, nous avons développé une échelle en 10 items. L’échelle s’appuie sur les 6 attributs proposés par Hoegl et Gemuenden (2001), que nous combinons avec les 4 identifiés par Retour et Krohmer (2006). Dans l’objectif de proposer une mesure à la fois multidimensionnelle et opérationnelle de la compétence collective, nous limitons volontairement cette mesure à un construit de 10 items. Ces items permettent de rendre compte de l’ensemble des dimensions constitutives de la compétence collective que nous avons identifiées : communication, coordination, équilibre des contributions, soutien mutuel, effort, cohésion, référentiel commun, langage partagé, mémoire collective et engagement subjectif. Ces items sont évalués sur une échelle bornée en 7 points (« pas du tout d’accord » / « tout à fait d’accord »). Deux items ont été supprimés après la réalisation d’une analyse factorielle visant à s’assurer que nos variables indépendantes étaient empiriquement distinctes (cf. ci-après : « procédure de validation des mesures »). Au final, nous avons obtenu une mesure en huit items permettant de mesurer la compétence collective.

Le leadership partagé. Concernant cette variable, nous nous sommes appuyés sur la mesure développée par Carson et al. (2007), fondée sur l’approche des réseaux sociaux (Meindl et al., 2002) et utilisant un indicateur de densité, c’est-à-dire une mesure de la quantité de leadership assumé par chaque individu, telle que perçue par les autres membres de l’équipe. Chaque membre de l’équipe évalue les autres membres sur une échelle de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord) sur la question suivante : « Au cours de la simulation, votre équipier x assure souvent les fonctions de leader au sein du groupe de travail ». Pour calculer la densité, nous nous appuyons sur la méthode mobilisée par Sparrowe et al. (2001) et Carson et al. (2007) en faisant la somme des notes affectées par les membres d’une équipe (concernant le niveau de leadership exercé par les autres membres) et en divisant cette somme par le nombre maximum possible. Ainsi, une forte densité correspond à la situation où un grand nombre de membres de l’équipe ont jugé qu’un grand nombre des autres membres de l’équipe manifestent une attitude de leadership, ce qui s’apparente à une situation de leadership partagé (dans laquelle le leadership est distribué entre les membres). À l’inverse, une faible densité correspond à une situation où les membres de l’équipe ont jugé que peu de membres exercent une fonction de leadership élevé.

Le coaching. Concernant cette variable, nous nous sommes appuyés sur la mesure développée par Carson et al. (2007) pour proposer une mesure en 4 items. Ces items permettent de rendre compte des dimensions constitutives du coaching précédemment identifiées : motivationnelle, consultative et éducationnelle. Ces items sont évalués sur une échelle bornée en 7 points (« pas du tout d’accord » / « tout à fait d’accord »). Un item a été supprimé après la réalisation d’une analyse factorielle visant à s’assurer que nos variables indépendantes étaient empiriquement distinctes (cf. ci-après : « procédure de validation des mesures »). Au final, nous avons utilisé une mesure en trois items pour évaluer le coaching.

Variables de contrôle

Plusieurs variables, classiquement considérées dans ce type de recherche (Certo et al., 2006), sont contrôlées par le choix de notre population d’étude. Dans notre cas, les variables de taille des équipes, de cursus académique et d’âge (Kor, 2003; Boone et Van Witteloostuijn, 2005; Carson et al., 2007) sont neutralisées et n’ont pas à être contrôlées du fait de l’homogénéité des équipes. En effet, chaque équipe est composée de cinq membres, présentant le même profil d’étude et le même âge. Par ailleurs, chaque groupe est composé de la même proportion d’étudiants issus des diverses spécialisations proposées au sein de l’école (finance, contrôle de gestion, marketing, ressources humaines, stratégie); le degré d’hétérogénéité fonctionnel est ainsi identique sur l’ensemble des équipes. C’est la raison pour laquelle, nous choisissons d’intégrer seulement trois variables de contrôle à notre étude, susceptibles d’influencer la performance : la répartition H/F au sein de chaque équipe (Boone et Van Witteloostuijn, 2005; Carson et al., 2007), l’existence de liens de travail antérieurs entre les membres de l’équipe (expérience antérieure de travail en commun) (Kor, 2003), et le niveau moyen des compétences académiques individuelles des membres du groupe (Mathieu et Schulze, 2006; Mathieu et al., 2015). Les recherches antérieures ont notamment montré que le niveau moyen des compétences académiques individuelles de l’équipe est positivement associé aux résultats obtenus par l’équipe dans le contexte d’un exercice de nature académique (Mathieu et al., 2015). Nous considérons ici que la simulation, même si elle met les étudiants dans le contexte de gestion d’une entreprise virtuelle, constitue un exercice mobilisant les compétences académiques en matière de stratégie, de gestion de production, de contrôle de gestion, de marketing et de développement durable. C’est la raison pour laquelle nous anticipons un effet positif de la moyenne des compétences académiques individuelles sur la performance d’équipe. Cette compétence est définie comme une variable composite additive, c’est-à-dire une ressource globale disponible pour les membres de l’équipe mais qui ne préjuge pas de la distribution ou du caractère homogène des compétences au sein de l’équipe (Eddy et al., 2013). Pour opérationnaliser la variable de moyenne de compétences académiques individuelles, nous nous appuyons, pour chaque équipe, sur la moyenne des notes de tronc commun (composé des notes relatives aux cours fondamentaux reliés à la simulation de gestion : stratégie, finance, ressources humaines, contrôle de gestion, marketing) obtenues par les étudiants de chaque équipe, au cours de l’année précédant la participation à la simulation.

Analyse des données

Procédure de validation des mesures des variables explicatives

Même si l’échelle de coaching avait déjà été validée dans des recherches antérieures, il était nécessaire de vérifier le caractère distinct et unidimensionnel de nos mesures de coaching et de compétence collective. Pour ce faire, nous avons réalisé une analyse factorielle exploratoire (Analyse en Composante Principale ou ACP) sur l’ensemble des items de la compétence collective et du coaching et sur l’ensemble des individus (N=735). Nous avons tout d’abord vérifié la pertinence de l’ACP en ayant recours successivement au test de sphéricité de Bartlett et au test de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO) complétés par les mesures de MSA (Measure of Sampling Adequacy). Après une rotation Varimax, nous avons purifié les échelles pour nous assurer de leur validité convergente et discriminante (cf. tableau 1). Cette procédure nous a conduits à éliminer deux items de l’échelle de la compétence collective et un item de l’échelle de coaching. Nous avons par la suite vérifié le caractère unidimensionnel de l’échelle de compétence collective (8 items) en réitérant une ACP, laquelle a confirmé le caractère unidimensionnel de cette échelle. Enfin, nous nous sommes penchés sur la fiabilité du facteur obtenu en utilisant l’alpha de Cronbach, ce qui nous a permis de valider les mesures de coaching (α=.92) et de compétence collective (α=.86).

Les scores de compétence collective, de leadership partagé et de coaching sont composés des réponses des membres de chaque équipe et doivent être agrégés au niveau de l’équipe car ce sont des construits de « consensus direct » (Chan, 1998). Agréger des perceptions individuelles est justifié lorsque les items du questionnaire sont écrits de manière à présenter l’équipe comme un ensemble (Chan, 1998). Cependant, avant de pouvoir réaliser cette agrégation (en faisant par exemple la moyenne de la perception de la compétence collective de chaque membre de l’équipe afin d’obtenir le score de compétence collective), un certain nombre de tests doivent être réalisés (Collins et al., 2016). Dans ce cadre, nous calculons les valeurs des corrélations intra-classe (ICC(1) et ICC(2)) ainsi que l’indicateur de fiabilité inter-évaluateurs (James et al., 1984) ou rwg (Bliese, 2000). La valeur de rwg est une mesure d’accord intra-groupe. Une valeur médiane supérieure à 0,70 est généralement considérée comme suffisante pour justifier l’agrégation au niveau du groupe (Chen et al., 2004). Les valeurs de rwg pour la compétence collective, le coaching et le leadership partagé sont respectivement de 0,81, 0,84 et 0,67. L’indicateur d’ICC(1) évalue la fiabilité des scores individuels en donnant la part de variance du construit du groupe attribuable à l’appartenance au groupe (Bliese, 2000). Les valeurs obtenues indiquent un effet réduit (valeur de l’ordre de 0,01), un effet moyen (valeur de l’ordre de 0,10) ou un effet important (valeur de l’ordre de 0,25). Les valeurs d’ICC(1) pour la compétence collective, le coaching et le leadership partagé sont respectivement de 0,18, 0,21 et 0,29, ce qui est satisfaisant. L’indicateur d’ICC(2) évalue la fiabilité du score moyen du groupe (Chen et al., 2004; Collins et al., 2016). Les valeurs d’ICC(2) pour la compétence collective, le coaching et le leadership partagé sont respectivement de 0,58, 0,66 et 0,71, ce qui est dans la norme d’acceptabilité.

Ces résultats confirment que la fiabilité et le degré d’accord inter-membres sont suffisants pour garantir l’agrégation des scores des membres au niveau de l’équipe. Les variables de coaching et de compétence collective sont alors construites en calculant la moyenne des réponses des membres de l’équipe. Pour calculer la densité, nous faisons la somme des notes affectées par les membres d’une équipe (concernant le niveau de leadership exercé par les autres membres) et divisons cette somme par le nombre maximum possible.

Tableau 1

Modèle de mesures* (compétence collective et coaching)

Modèle de mesures* (compétence collective et coaching)

* Les loadings inférieurs à 0,3 ne sont pas repris dans ce tableau

** Les items suivis de deux astérisques ont été supprimés à l’issue de l’analyse factorielle

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Résultats

Statistiques descriptives

Le tableau 2 présente pour chaque variable (calculée à l’échelle de l’équipe) leur moyenne et écart type ainsi que les corrélations entre les variables.

Test des hypothèses

Pour tester les hypothèses de recherche, nous avons eu recours à une analyse de régression hiérarchique menée en trois étapes successives (modèles 1 à 3). Le modèle 1 (modèle de base) présente les résultats de l’influence des variables de contrôle sur la performance, le modèle 2 intègre les variables indépendantes à l’équation, et le modèle 3 teste les effets modérateurs du leadership partagé et du coaching. Les variables indépendantes ont été préalablement centrées pour éviter les risques de multicollinéarité (Aiken et al., 1991). Quel que soit le modèle considéré, les valeurs de VIF (Variance Inflation Factors) pour les variables explicatives du modèle se sont établies entre 1,05 et 2,82, ce qui les situe bien en deçà de la valeur limite de 5 proposée par Hair et al. (2000), ce qui écarte tout risque de multicollinéarité (Levin et Cross, 2004).

Tableau 2

Moyenne (M), écart type (SD) et corrélations entre les variablesa

Moyenne (M), écart type (SD) et corrélations entre les variablesa

a N=147

b La répartition H/F dans les équipes a été évaluée par le nombre de femmes présentes dans l’équipe

c L’existence de liens antérieurs a été mesurée en utilisant une mesure mono item mobilisant une échelle bornée en 7 points (« pas du tout d’accord » / « tout à fait d’accord ») : « J’ai eu l’occasion de travailler à plusieurs reprises au cours des dernières années avec au moins 2 des membres de mon équipe ». L’existence de liens antérieurs est défini comme un construit additif. De ce fait, l’agrégation des données au niveau de l’équipe ne nécessitait pas de test de cohérence intra-groupe (Chan, 1998; Collins et al., 2016).

* p<.05 ** p<.01

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Pour évaluer l’ajustement du modèle, nous nous appuyons sur le F test de Fisher-Snedecor ainsi que sur le coefficient de détermination (R2 et R2 ajusté). Nous rendons également compte de la significativité des coefficients standardisés β pour chacune des variables indépendantes de l’analyse. Enfin, nous avons testé le caractère aléatoire de la distribution des termes d’erreur (diagramme des résidus) ainsi que l’homoscédasticité des résidus (diagramme de dispersion) et le caractère non auto corrélé des termes d’erreur par le biais d’un test de Durbin Watson (Evrard et al., 1997). Les résultats obtenus sont présentés dans le tableau 3 ci-après.

Tableau 3

Analyses de régression hiérarchique – variable dépendante : performance d’équipe (ROE)

Analyses de régression hiérarchique – variable dépendante : performance d’équipe (ROE)

Note : Les coefficients présentés sont les coefficients standardisés (bétas)

*** p<0,01; ** p<0,05; * p<0,1 - Variable dépendante : ROE moyen

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Dans le modèle 1, la moyenne des compétences académiques individuelles des membres du groupe est significativement reliée à la performance d’équipe (β=0.485; p<0.01). Ce résultat souligne l’influence majeure de la moyenne des compétences académiques individuelles des membres du groupe. Cependant, la répartition H/F et l’existence de liens antérieurs ne montrent aucune influence significative sur la performance d’équipe. Bien que la moyenne des compétences académiques individuelles des membres est la seule variable de contrôle significativement reliée à la performance d’équipe, le modèle 1 explique 21 % de la variance de la performance d’équipe (p<0.01).

Le modèle 2 a permis de tester les hypothèses H1, H2 et H4, d’une influence positive de la compétence collective, du leadership partagé et du coaching sur la performance d’équipe. Ce modèle met en évidence l’influence positive significative sur la performance de la compétence collective (β=0.414; p<0.01), du leadership partagé (β=0.274; p<0.05) et du coaching (β=0.238; p<0.05). Ce modèle explique 32 % de la variance de la performance d’équipe (p<0,01). En outre, l’ajout cumulé de ces 3 variables lors de cette étape conduit à une augmentation de la variance expliquée de la performance d’équipe de 12 % (ΔR2=124; p<0.01). Ces résultats montrent l’influence significative de la compétence collective, du leadership partagé et du coaching sur la performance d’équipe et nous permettent de valider nos hypothèses H1, H2 et H4. Ces résultats mettent également en évidence la coexistence et l’effet positif cumulatif sur la performance d’un mode de leadership horizontal (leadership partagé) et vertical (coaching). En outre, la comparaison des coefficients de l’équation de régression permet de montrer la supériorité de l’effet du leadership partagé comparativement à l’effet du coaching.

Le modèle 3 a permis de tester les hypothèses H3 et H5, d’un effet modérateur du leadership partagé et du coaching sur la relation entre compétence collective et performance d’équipe. Nos résultats montrent un effet significatif du terme d’interaction pour le leadership partagé (β=0.128; p<0.1) et pour le coaching (β= - 0.405; p<0.01). Ce modèle explique 43 % de la variance de la performance d’équipe (p<0.01). En outre, l’ajout cumulé de ces 2 variables lors de l’étape 3 conduit à une augmentation de la variance expliquée de la performance d’équipe de 11 % (ΔR2=113; p<0.01). Ces résultats mettent en évidence l’influence positive significative sur la performance du terme d’interaction « compétence collective x leadership partagé » permettant de valider notre hypothèse H3. Cependant, l’influence négative significative sur la performance du terme d’interaction « compétence collective x coaching » conduit à la non validation de notre hypothèse H5.

Nous avons représenté graphiquement ces phénomènes modérateurs afin de préciser la nature de leur influence (cf. figures 2 et 3). Le coefficient positif du terme d’interaction « compétence collective x leadership partagé » témoigne du fait que lorsque le niveau de leadership partagé augmente, la relation entre la compétence collective et la performance d’équipe s’accroît. La figure 2 ci-après illustre cette relation, en présentant le lien entre la compétence collective et la performance d’équipe dans le cas d’un faible et d’un fort leadership partagé.

D’une part, la performance d’équipe augmente avec le niveau de compétence collective et, d’autre part, nos résultats témoignent d’un effet positif du leadership partagé à la fois dans la situation d’une faible compétence collective et d’une forte compétence collective. Ainsi, le niveau de performance d’équipe est supérieur si le degré de leadership partagé est fort, à la fois dans le cas d’un faible niveau de compétence collective et dans celui d’un fort niveau de compétence collective.

Le coefficient négatif du terme d’interaction « compétence collective x coaching » témoigne du fait que lorsque le niveau de coaching augmente, la force de la relation entre la compétence collective et la performance d’équipe s’affaiblit. Ainsi, l’effet modérateur négatif du coaching réduit l’influence de la compétence collective sur la performance d’équipe, avec l’augmentation du niveau de compétence collective. La figure 3 ci-après illustre cette relation, en présentant le lien entre la compétence collective et la performance d’équipe dans le cas d’un faible et d’un fort coaching.

Si la relation entre la compétence collective et la performance d’équipe apparaît positive et significative quel que soit le cas de figure (faible ou fort coaching), cette relation apparaît nettement plus forte dans le cas d’un faible niveau de coaching que dans le cas d’un fort niveau de coaching. En d’autres termes, dans le cas d’un faible niveau de compétence collective, le niveau de performance d’équipe est supérieur avec un fort niveau de coaching mais, dans le cas d’un fort niveau de compétence collective, le niveau de performance d’équipe est identique avec un fort niveau de coaching et un faible niveau de coaching.

FIGURE 2

Relation entre compétence collective et performance d’équipe en fonction de l’intensité du leadership partagé

Relation entre compétence collective et performance d’équipe en fonction de l’intensité du leadership partagé

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FIGURE 3

Relation entre compétence collective et performance d’équipe en fonction de l’intensité du coaching

Relation entre compétence collective et performance d’équipe en fonction de l’intensité du coaching

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Discussion

Notre recherche, qui mobilise une mesure à la fois multidimensionnelle et opérationnelle de la compétence collective, souligne en premier lieu l’influence majeure et directe de cette dernière sur la performance d’équipe. Notre étude quantitative confirme, et complète ainsi, les résultats issus de recherches antérieures, notamment exploratoires et qualitatives (Bataille-Chédotel, 2001; Mathieu et al., 2008; Defélix et al., 2014). En outre, nos résultats démontrent l’influence dissociée de la moyenne des compétences individuelles et de la compétence collective, alors que l’ensemble des études existantes ne contrôlent pas l’influence de la compétence individuelle dans leur modèle (Hoegl et Gemuenden, 2001; Kor, 2003; Klarner et al., 2013). Nos résultats soulignent aussi l’influence spécifique de la compétence collective, comme un construit distinct de la somme des compétences individuelles, sur la performance d’équipe. Cette vision de la compétence collective, affirmée sur le plan théorique (Mathieu et al., 2008), trouve ici une confirmation empirique : les compétences individuelles ne se combinent pas de manière additive en une compétence collective mais de manière multiplicative ou synergique. En effet, la baisse du coefficient β associé à la moyenne des compétences individuelles avec l’introduction dans l’équation de la variable de compétence collective est en accord avec cette interprétation et laisse à penser que la compétence collective constitue un processus permettant au groupe de créer des compétences de niveau supérieur sous la forme de l’intégration et de la combinaison des compétences individuelles.

En ce qui concerne l’influence du leadership partagé, notre recherche confirme, d’une part, les résultats des rares études empiriques qui mettent en exergue l’influence positive de ce type de leadership sur la performance d’équipe (D’Innocenzo et al., 2014; Nicolaides et al., 2014). D’autre part, et en ayant recours à un indicateur financier global de la performance d’équipe encore peu mobilisé (rentabilité financière moyenne ou ROE), elle enrichit un certain nombre d’autres études (Ensley et al., 2006; Carson et al., 2007; Daspit et al., 2014). Ce résultat laisse à penser que le leadership partagé constitue un antécédent majeur de la performance d’équipe, notamment dans le cadre de tâches complexes (Day et al., 2004) qui nécessitent de la créativité (Hooker et Csikszentmihalyi, 2003) et qui sont réalisées dans un environnement incertain et turbulent, y compris lorsque les membres de l’équipe ne sont pas caractérisés par une forte hétérogénéité. Deux explications peuvent être invoquées à l’appui de ce résultat. Premièrement, le leadership partagé offre les conditions d’un partage d’informations enrichi, améliorant ainsi la disponibilité des ressources du groupe (Carson et al., 2007), ainsi que leur exploitation. Deuxièmement, le leadership partagé est à l’origine d’un processus de socialisation amélioré au sein du groupe (Mathieu et al., 2015) et contribue ainsi à l’émergence d’un état affectif positif au sein de l’équipe (Hmieleski et al., 2012) et d’une confiance collective (Nicolaides et al., 2014).

Notre recherche empirique valide en outre l’hypothèse d’un effet modérateur du leadership partagé sur la performance d’équipe. Ce résultat, malgré un faible coefficient du terme d’interaction (0,128), conforte notre raisonnement selon lequel le leadership partagé, en accentuant les interactions entre les membres de l’équipe et en encourageant la participation de chacun à la prise de décisions, permet un rééquilibrage des influences au sein de l’équipe et réduit la probabilité de l’apparition d’un biais lié à la domination d’un individu dans la prise de décision (Mehra et al., 2006; Porter et al., 2016). Dès lors, le leadership partagé renforce l’action positive de la compétence collective quel que soit le niveau de développement de cette dernière. Le leadership partagé permet ainsi d’assurer un éclairage plus pertinent des situations auxquelles sont confrontés les membres de l’équipe et d’orienter la combinaison de leurs savoirs, capacités et attitudes dans la direction d’une plus grande efficacité.

Nos résultats montrent également l’influence positive du coaching sur la performance d’équipe. Ils renforcent donc l’idée que le coaching, en tant que mode de leadership externe, constitue, par le biais de sa triple action – motivationnelle, consultative et éducationnelle, un moyen de faciliter et d’encourager la combinaison des ressources détenues par les membres de l’équipe. L’effet du coaching sur la performance peut s’interpréter, au même titre que pour le leadership, au travers d’une dimension rationnelle et d’une dimension émotionnelle. D’une part, l’effet du coaching sur la performance d’équipe s’explique par un enrichissement des apports de chacun au groupe, par une clarification des objectifs et par un engagement supérieur dans la poursuite de ces objectifs (Theeboom et al., 2014). D’autre part, cet effet sur la performance d’équipe s’explique par l’amélioration du bien-être au travail et la réduction du stress que permet le coaching : en améliorant le climat social et la satisfaction au travail des membres de l’équipe, le coaching contribue à améliorer l’efficacité des tâches confiées (Theeboom et al., 2014). Le coaching, à l’instar de ce que suggèrent les travaux de Schaubroeck et al. (2016), permettrait également de fluidifier et d’optimiser les processus décisionnels en limitant les conflits internes et en favorisant respectivement les échanges, la communication et une participation équilibrée de chacun.

En outre, si la relation entre la compétence collective et la performance d’équipe apparaît positive et significative quel que soit le cas de figure (faible ou fort coaching), cette relation est nettement plus intense dans le cas d’un faible niveau de coaching que dans le cas d’un fort niveau de coaching. Le coaching semble plus utile en termes d’apport de la compétence collective à la performance d’équipe, dans le cas d’un faible niveau de compétence collective que dans le cas d’un fort niveau de compétence collective. Ainsi, dans la situation où la compétence collective peine à se développer au sein de l’équipe, le coaching apparaît comme le moyen de compenser cette insuffisance via sa triple action sur l’équipe. En revanche, dans le cas où l’équipe est caractérisée par une compétence collective fortement développée, l’action du coaching se révèle peu productive en termes de gain de performance.

Ce résultat va à l’encontre du raisonnement que nous avions développé, selon lequel l’action du coaching permet d’améliorer l’alignement entre la logique de l’équipe et les objectifs de performance à atteindre, accentuant ainsi l’influence positive de la compétence collective sur la performance d’équipe, quel que soit le niveau de compétence collective. L’effet modérateur du coaching ne semble ainsi pas influencer l’alignement entre la logique de l’équipe et les objectifs affectés, mais plutôt compenser la contre-performance liée à une compétence collective insuffisamment développée. Ce résultat nous conduit à considérer que le coaching et la compétence collective constituent des phénomènes concurrents ou substituables en termes d’influence sur les fonctionnements d’équipe à l’origine de sa performance.

Enfin, notre recherche met en évidence la coexistence et l’effet positif cumulatif sur la performance d’équipe d’un mode de leadership horizontal (leadership partagé) et vertical (coaching). Ce résultat permet de préciser la question de l’influence respective du leadership partagé et du leadership vertical sur la performance d’équipe. En effet, la comparaison des coefficients de l’équation de régression permet de renforcer les études existantes montrant la supériorité du leadership horizontal sur le leadership vertical (Pearce et Sims, 2002; Ensley et al., 2006, Nicolaides et al., 2014), notamment dans les contextes de travail caractérisés par une forte interdépendance des individus, un fort besoin de créativité et une grande complexité (Pearce, 2004). Pour autant, ces résultats montrent que, même dans ces contextes, le recours à un mode de leadership vertical (sous la forme du coaching) permet de dynamiser la performance d’équipe. De ce point de vue, notre recherche met en évidence un effet cumulatif mais indépendant du leadership partagé et du coaching, qui contribuent à la performance d’équipe. Si l’influence de ces deux modes de leadership sur la performance d’équipe et sur les fonctionnements collectifs a déjà fait l’objet de nombreuses recherches (Ensley et al., 2006; Carson et al., 2007; Hmieleski et al., 2012; Daspit et al., 2014; Hoch et Kozlowski, 2014; Jones et al., 2015), leur rôle en tant que modérateur de la relation entre compétence collective et performance d’équipe n’a, à notre connaissance, jamais été mis en évidence.

Conclusion

Au final, nous considérons que notre recherche permet d’améliorer la compréhension de la nature de la relation entre compétence collective et performance d’équipe. L’originalité de notre recherche réside notamment dans la réalisation d’une étude quantitative, introduisant une variable modératrice inédite – le leadership – par le biais de deux dimensions distinctes, relatives d’une part à un mode de leadership horizontal interne (leadership partagé) et, d’autre part, à un mode de leadership vertical externe (coaching).

Au-delà des apports théoriques discutés précédemment, la contribution managériale de notre recherche concerne la mise en évidence des leviers de management par lesquels la compétence collective peut être mobilisée pour développer la performance d’équipe. En particulier, nos résultats soulignent l’intérêt, tout d’abord, d’adopter un mode de leadership partagé afin d’accentuer l’effet positif de la compétence collective; ensuite, d’avoir recours au coaching dans le cas d’une compétence collective défaillante ou en développement; et enfin, d’utiliser de manière combinée ces deux types de leadership. D’un point de vue pédagogique, l’enseignant responsable d’un cours de management d’équipe ou encore de management de projet par exemple pourrait s’appuyer sur les résultats de notre recherche : d’une part, pour intégrer dans ses thèmes d’enseignements le concept de compétence collective (ses différents attributs constitutifs, son influence sur la performance d’équipe); et d’autre part, pour présenter le leadership partagé et le coaching comme des leviers de management permettant d’accentuer l’impact de la compétence collective sur la performance d’équipe.

Ce travail n’est pas pour autant exempt de limites, lesquelles constituent autant de prolongements potentiels. Tout d’abord, compte tenu de notre population d’étude composée d’étudiants impliqués dans une simulation de gestion d’entreprise dans le rôle d’une équipe de direction, il apparaît nécessaire de poursuivre les investigations et de valider ces premiers résultats auprès d’autres populations. Il serait ainsi souhaitable de tester ce modèle auprès d’équipes de natures différentes, notamment d’équipes de dirigeants d’entreprises afin d’étendre la validité externe de ces résultats. Ensuite, nos résultats sont obtenus par le biais de mesure instantanée des variables indépendantes de l’étude. Ce choix méthodologique, s’il permet de mettre en évidence une série de relations, passe sous silence les phénomènes dynamiques d’évolution de ces variables au fil du temps et les changements qui pourraient faire évoluer les relations que nous interrogeons. C’est pourquoi l’une des pistes possibles de poursuite de ce travail réside dans la mise en place d’un modèle de recherche intégrant la dynamique temporelle et permettant de mesurer les phénomènes considérés à plusieurs étapes de leur développement. Il pourrait ainsi être intéressant, à travers une étude longitudinale qualitative, de caractériser le processus de construction et de renforcement de la compétence collective et ses influences différenciées dans le temps sur la performance d’équipe. La troisième limite est liée au choix de notre mesure de la compétence collective. Si cette mesure témoigne de notre volonté de proposer une opérationnalisation multidimensionnelle du concept, elle demeure une mesure exploratoire et nécessite d’être validée dans d’autres contextes d’études. Enfin, la quatrième limite de cette recherche tient à la durée limitée de l’exercice étudié qui ne permet pas un développement de la compétence collective à la hauteur d’un travail en commun qui se poursuivrait par exemple sur plusieurs semaines ou plusieurs mois. Cette limite ouvre également la voie à une perspective d’élargissement de notre travail, visant à étudier une population d’équipes travaillant en commun sur une durée plus longue.

Une autre voie de prolongement de cette recherche pourrait porter sur l’analyse et la caractérisation des relations existant entre le leadership partagé et le coaching, ainsi que sur la manière dont ces deux types de leadership fonctionnent ou opèrent ensemble dans la relation compétence collective – performance d’équipe. D’ailleurs, un certain nombre d’études (Anderson, 2013; Ladegard et Gjerde, 2014) semblent suggérer des interactions entre ces deux mécanismes modérateurs, voire une relation d’influence du coaching sur le leadership partagé (Ely et al., 2010). Une analyse plus approfondie du rôle modérateur du coaching pourrait être entreprise en distinguant les différents rôles du coach et en analysant leur influence respective sur la performance d’équipe. La mise en évidence de besoins différenciés en matière de coaching entre différentes équipes, mais aussi au sein de la même équipe selon les phases de travail, pourrait constituer un approfondissement pertinent. L’analyse de la relation compétence collective – performance d’équipe pourrait enfin être enrichie et complétée, d’une part, en intégrant d’autres variables modératrices telles que les caractéristiques des tâches et de l’équipe (taille, composition, etc.), le contexte organisationnel et, d’autre part, en s’intéressant aux contextes qui rendent la compétence collective inefficace et/ou inopérante.