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Ce dossier est né d’un désir de comprendre comment le syntagme « fille-s » se décline dans l’imaginaire littéraire contemporain au Québec à travers les articulations culturelles, esthétiques et politiques de la fille ou des filles mises en oeuvre dans la littérature depuis la fin des années 1980. Contrairement aux présuppositions tant théoriques, critiques que morales qui ont largement contribué à l’avancement et à la dissémination des études portant sur les configurations contemporaines de la littérature au Québec, très peu a été rapporté sur la place des filles face au « bouleversement énorme qui [allait] suivre[1] ». Or, il demeure important de reconnaître que « l’abolition de la distance qui sépare les femmes entre elles », celle qui se déploie implicitement ou explicitement dès la fin du xixe siècle chez les personnages de Laure Canon, de Germaine Guèvremont, d’Anne Hébert, de Gabrielle Roy, pour ne nommer que celles-ci, se matérialise nécessairement, affirme Patricia Smart, grâce à « la force des filles[2] ». Le cheminement intellectuel qui se donne à lire à travers ces figures s’élabore aussi dans d’autres études sur les filles au Québec — je pense notamment aux travaux de Martine Delvaux dont l’essai Les filles en série[3] a placé « les filles » à l’avant-scène de la réflexion féministe. Elle montre qu’il y a un effet « simultanément séduisant et anesthésiant d’une image sérielle qui s’offre à nous comme divertissement[4] ». Mais cet essai associe un éventail d’images (des Tiller Girls aux Barbie en passant par les Pussy Riot) pour mettre en relief le fait que ces représentations du corps féminin sériel ne peuvent être cantonnées à une lecture homogène. Le pouvoir de résistance et de rébellion des filles lors du printemps 2012 au Québec se donne à lire dans le fait qu’elles se sont mobilisées dans la rue, sur la ligne de front, en risquant d’encaisser les coups. La fille est une figure qui vit donc à l’heure actuelle une sorte de nouvelle vague sur le plan de l’imaginaire littéraire.

Par ailleurs, les années 1980 au Québec peuvent davantage être perçues comme un moment pivot qu’une conjoncture irréfragable où « la littérature […] entre dans l’ère du pluralisme[5] ». C’est une ouverture qui donne à voir une prolifération et un remaniement des rapports de sexes, de classes et de races, lesquels se désinvestissent des modèles hiérarchiques pour déboucher sur une économie nouvelle, centrée sur la mutualité. Au centre de ces relations horizontales, se trouve celle « du rapport mère-fille [qui] transforme le paysage littéraire[6] ». Les littératures des années 1980 imaginent et lisent les mères sur des modes accusant une quête qui ne peut pas passer par le refus de l’héritage ou par l’incorporation unilatérale du legs filial. Elles ouvrent sur des figures de connivence et forment autant de récits qui travaillent le silence aussi bien que la parole. Mais, comme le précise l’historienne culturelle Catherine Driscoll, afin de produire une analyse productive et complexe des filles, il faut commencer par reconnaître leur spécificité, examinée sous l’angle de leur relation avec les productions culturelles, lesquelles constituent de « singuliers assemblages qui fonctionnent comme un index nous permettant de comprendre les relations qu’elles entretiennent avec des champs qui sont socialement et historiquement en situation de domination dans le monde occidental ainsi que dans le monde globalisé[7] ». Comment les récits contemporains articulent-ils les enjeux sociaux, culturels, économiques des filles ? Qui sont-elles ? Quelle est la place des filles dans la littérature du Québec aujourd’hui ?

Une hypothèse s’est érigée à la base de ce projet : d’un point de vue sémantique, les mots « girl-s » et « fille-s » ne présentent pas le même réseau de significations. Si aujourd’hui « girl-s » est représentatif d’un mouvement de libération sexuelle et politique, comme le font entrevoir les productions télévisuelles de tout acabit et la musique pop étasunienne, la figure de la fille est loin d’être le symbole irréfutable de la liberté. Historiquement parlant, elle a surtout été « [a]ssociée à une subjectivité malléable, transitionnelle, [ayant été] généralement dénigrée, jugée superficielle, narcissique et dénuée de moralité », si bien que son image est « devenue une zone de confrontation entre nostalgie du passé et peur de l’avenir[8] ». Puisque c’est une tradition qui se déploie à partir de cette notion de crise, penser aux « fille-s », c’est aussi reconnaître que l’histoire des savoirs a associé, presque de façon ontologique, « fille-s » à l’adolescence. L’adolescence, plus que n’importe quel autre moment de la vie, occupe un espace et un temps « où s’inaugure un rapport au corps, à autrui, au sexuel et à la mort[9] », un rapport qui implique « un passage symbolique, entre soi et l’autre[10] », mais aussi un passage qui ne manque pas de renvoyer, non pas à la présence pleine, ineffaçable, de la métaphysique, mais bien à la « présence-absence[11] ». Comme le rappelle la psychanalyste et philosophe française Anne Dufourmantelle, la fille « est l’image parfaite, emblématique, de la féminité en chrysalide[12] ». Comment traduire la triple dimension, langagière, figurative et politique que présente le réseau de significations qui s’articule autour de « fille-s », « adolescente-s », « femme-s » ?

En sociologie, au Québec, les travaux de Caroline Caron à propos de la controverse médiatique sur l’hypersexualisation des adolescentes qui a animé le Québec au tournant des années 2000 mettent certainement de l’avant les adolescentes en tant qu’agentes sociales[13]. De ce fait, l’expression « fille-s » n’a pas les mêmes incidences culturelles, esthétiques et politiques, non seulement selon les cultures sollicitées, mais aussi selon les disciplines convoquées. Or, le contexte disciplinaire entourant l’horizon discursif des figures de filles demeure à ce jour un point aveugle dans le champ élargi des études littéraires. Caroline Caron apporte certes un contre-point discursif au phénomène social de l’hypersexualisation des filles qui est construit par les médias et les experts, en particulier les sexologues et les éducateurs, comme le dévoilement excessif du corps féminin, lequel semble être en contradiction avec la « neutralité présupposée du milieu scolaire[14] ». Mais, entre le monde réel et le monde littéraire, il y aurait sans doute des fils rouges à déficeler et reficeler à la manière d’une mémoire pénélopienne dont le tissage ne peut être considéré sous le signe de la soumission du littéraire au sociologique. C’est justement cette lacune que ce dossier entend combler en mettant de l’avant la portée politique et poétique de ces figures.

Il est sans doute difficile de voir la fille autrement que dans un état entre « la puberté et la maternité », car « la jeune fille évoque peut-être le rapport le plus compliqué entre la masse et l’individu qui ait dominé les discours de la modernité[15] ». Peu élaborée dans la critique du mouvement situationniste, l’approche de Jen Kennedy nous rappelle que les « collages de Gil J. Wolman, [l]es romans de Michèle Bernstein et [l]es films de Guy Debord et de René Viénet[16] », sans oublier le journal éponyme du SI, se concentrent tous autour d’une seule image. Pour les situationnistes de la fin des années 1950 (Guy Debord et ceux qui participent du même mouvement littéraire), la mise en place de nouvelles formes de vie, nécessaires pour nous permettre de reconfigurer nos rapports à l’économie spectaculaire-marchande, a été orchestrée autour de l’image de la « jeune fille nubile[17] ». Qu’advient-il quand on retire l’adjectif « jeune » du syntagme « fille » ? Comme l’explique Virginie Despentes dans King Kong théorie[18], la fille est trop souvent associée à la jeunesse. Elle est belle et attirante. Elle est la représentante de « la femme idéale pour la société[19] ». Elle est le « fantasme par excellence de tout Pygmalion […], [elle] répond aux désirs de tous […], elle est celle que l’on veut, la vestale de l’ordre et des hiérarchies sociales[20] ». Il y aurait donc une vraie urgence à guillotiner, littéralement à couper la tête de toute théorie ou de représentation hégémonique de la fille frivole, désirable, jeune, toujours prête à assouvir les désirs de la société.

Dans le champ des études féministes, depuis les années 1980 « la place de la maternité […] [des dernières années] s’est considérablement transformée », même « [s]’il fallait dans les années 60 et 70 tenter de déconstruire l’idée qu’une femme était une mère[21] ». Analysant l’oeuvre de Marie-Célie Agnant en tandem avec celles de Ying Chen, Nelly Arcan et Marie-Sissi Labrèche, Catherine Mavrikakis et Évelyne Ledoux-Beaugrand s’entendent pour dire qu’à « la mère toute-puissante proche de la pulsion de mort », convoquant et invoquant l’annihilation de la parole de la fille, la littérature contemporaine oppose aujourd’hui « de nouveaux liens entre mères et filles, dès lors libérées de leur assujettissement à une loi paternelle qui venait fausser leur relation[22] ». Si le corps des filles des années 1960 et 1970 est incarné dans les mains d’une Bérénice[23] vengeresse et indomptable et l’« oeil myope » d’une Florentine, « seul [organe] sensible aux fictions intériorisées[24] », quelles géographies corporelles, filiales ou politiques mettent en lumière les zones de l’imaginaire contemporain restées à ce jour aveugles, mais avec lesquelles nous devons désormais compter ? Ce dossier tente de travailler l’espace de ces écarts, de ces désillusions, de ces ouvertures, de ces tâtonnements, de ces excavations, de ces doutes, de ces échecs, de ces divagations, de ces hurlements, de ces silences, de ces consumations.

À ces questions, s’ajoute l’urgence de penser à la place des figures de filles autochtones ainsi que de celles qui proviennent de communautés minorisées. Et c’est à cette injonction que s’ouvre ce dossier. À travers l’analyse transhistorique du concept « to elope », Nathalie Batraville met en écho la correspondance de Louis-Joseph Papineau avec Cru (2014), le récit de l’histoire du viol vécu par Néfertari Bélizaire dès l’âge de deux ans et demi et l’oeuvre triptyque Amour, colère et folie de Marie Vieux-Chauvet parue en 1968 chez Gallimard, laquelle figure parmi les premiers textes haïtiens à mettre le viol de l’avant de manière centrale. Batraville donne à voir les contours d’une filiation afroféministe francophone à l’aide d’un examen finement étoffé et jusqu’à ce jour absent du paysage épistémique au Québec, toutes disciplines confondues, qui montre l’impossibilité « de penser la structure de l’État canadien et de la soi-disant nation québécoise sans penser la violence coloniale, indissociable en Amérique de la violence [du] marché de chair noire ».

Les lectrices et lecteurs de ce dossier sont donc invité⋅e⋅s à considérer la dimension plurielle de la question de la force à l’aune d’une généalogie qui est imprégnée d’abus et d’excès, surtout lorsqu’elle est utilisée pour assurer sa propre existence. Avec cette idée fort importante pour saisir l’archipel des articulations esthétiques, culturelles et politiques de la fille et des filles au Québec, le dossier ouvre sur une compréhension tant sémiotique qu’historique de la force en Occident puisqu’elle s’est érigée sur le désir insatiable d’obtenir et de récolter les primes de la domination.

En nous inspirant des travaux d’Adrienne Rich[25], comment peut-on aujourd’hui concevoir spécifiquement le personnage de la fille — et plus spécifiquement de la fille autochtone — en tant que mère, sans sombrer dans des approches discursives qui participent du complexe du sauveur blanc ? Si « [l]a mère [a longtemps été] privée d’une inscription civile[26] » et « d’une identité personnelle » et si le « questionnement intense sur ce que pourrait être une maternité enfin définie par les femmes[27] » devait se faire au sein d’un projet éminemment féministe à la lumière, pour Joëlle Papillon, les récits Kuessipan. À toi (2011) et Manikanetish. Petite Marguerite (2017) de Naomi Fontaine portent un discours qui va à l’encontre des jugements traditionnellement proposés par les regards allochtones sur la maternité adolescente. Les ventres des adolescentes enceintes ne seraient pas des lieux en attente d’une solution réparatrice (l’avortement), comme la terre sableuse innue ne serait pas en besoin d’un surplus de valeur (le paysagisme immobilier). La « force des filles » aujourd’hui appelle à la reconnaissance de ce que Papillon appelle « la solidité » des filles, plutôt que leur victimisation.

La force qui domine ou qui tente de dominer les filles est donc gouvernée par des illusions de grandeur. C’est ce qu’explique Karine Rosso qui contribue à la mise en parallèle de l’imaginaire contemporain de la fille en abordant la dimension raciale inscrite au sein de l’articulation stéréotypée de la señorita, une constante dans l’imaginaire nord-américain. Rosso développe l’idée selon laquelle il serait possible de voir une multitude de formes d’oppression entre les filles dans les romans Soudain le Minotaure (2004) de Marie-Hélène Poitras et Quelque part en Amérique (2012) d’Alain Beaulieu, puisque ces récits problématisent les stéréotypes binaires entre la jeune femme du Nord, instruite, active socialement et libre de se mouvoir dans la ville, et la jeune femme du Sud, passive, analphabète et victime d’une famille dysfonctionnelle.

Travaillant sur un volet à ce jour inexploré de cette question de la force, Eftihia Mihelakis expose les modalités de la prédation liée à la virginité de la jeune fille. Elle préconise l’idée selon laquelle non seulement la prédation possède « un caractère transhistorique », mais, au surplus, que cette dernière nécessite toujours un arsenal institutionnel qui se déploie autour du noyau indissociable liant la virginité, la filiation et la bourgeoisie. Pour ce faire, elle étudie les articulations littéraires du repli de la pensée et de la mauvaise foi en traversant l’oeuvre de France Théoret depuis Une voix pour Odile (1978) jusqu’à Va et nous venge (2015). L’oeuvre de Théoret témoigne d’un refus radical de complaisance que procure l’homogénéité du confort matériel et idéel, toutes générations confondues, et ouvre sur le devoir de venger la jeune vierge.

Contrairement aux inscriptions québécoises de la Jeune-Fille tiqqunienne, qui appartiennent — surtout à en croire la pièce récente d’Olivier Choinière — à l’idéologie hégémonique du spectacle, Ania Wroblewski propose de subvertir le raisonnement intellectuel de l’image de la jeune fille comme symbole de la virginité du territoire américain, parce qu’elle prend en considération les pouvoirs non pas de consommation mais de consumation qui s’y rattachent. À travers une lecture croisée du roman Le ciel de Bay City (2008) de Catherine Mavrikakis et Le désert mauve (1987) de Nicole Brossard, il devient désormais possible de reconnaître, grâce au champ chromatique de la couleur mauve, une pensée qui « danse autour du feu[28] », car, comme le dit Wroblewski, c’est « par le feu, par le plaisir, par l’amour, par la création littéraire, par la rébellion et même par le désastre », plutôt que par le désir insatiable de la consommation de biens et de services, « [que] les filles adolescentes [sortent] du cycle du consumérisme dans lequel elles sont, par défaut, inscrites ».

Dans un récent ouvrage sur la violence, la consommation de masse et les représentations médiatiques des filles, Meda Chesney-Lind et Katherine Irwin[29] indiquent deux moments charnières de l’histoire culturelle contemporaine. Dans les années 1980 et 1990, les filles étaient au centre de tout un mouvement de libération (le fameux girl power), mais, en réalité, elles souffraient de façon disproportionnelle de divers troubles psychologiques par rapport aux garçons. Au début du millénaire, de nouveaux défis ont été mis en relief grâce surtout aux apports des Girlhood Studies, un sous-champ de recherche des études féministes né du mouvement punk Riot Grrrl, mais rapidement transmuté aux études en pédagogie, en sociologie et en psychologie sociale au Canada anglais, aux États-Unis et en Australie dès les années 1990. Loin de la figure de la fille défaillante, dépressive et solitaire qui prédominait dans les années 1990, le paysage actuel est plutôt rempli d’images de filles méchantes (mean girls), de filles de gang de rue, de filles agressives, affirment Chesney-Lind et Irwin. Qu’elle soit méchante ou agressive, lorsqu’elle est en groupe, la fille semble systématiquement déranger. Catherine Dussault-Frenette, qui travaille sur la sexualité des filles[30], souligne que « l’une des facettes encore peu étudiées de la figure de la fille dans la littérature québécoise [est] celle de l’amie ou de l’alliée », si bien qu’il « est temps de réfléchir au potentiel de résistance que recèle cette figure », parce que les relations entre filles ne sont pas toujours régies par la possession dans tous les sens du terme. Pour ce faire, elle étudie le roman Le goudron et les plumes (1993), dans lequel Hélène Monette « recompose la généalogie d’une amitié brisée », qui se fait au sein d’une dynamique symbolique précise : celle de la constellation. Chez Monette, la constellation devient une figure métaphorique qui lui permet « de rapatrier les étoiles solitaires, de les faire advenir comme sujets et, en les nommant ainsi une par une, de les faire briller », comme l’écrit Dussault-Frenette.

À la fin du récit Pique-nique sur l’Acropole (1978) de Louky Bersianik, « une fille étend ses bras vers une des Caryatides, les statues féminines qui soutiennent l’Érechthéion, une partie de l’Acropole[31] ». La mère ne peut ni parler ni agir. Mais la fille s’engage à corps perdu dans un geste qui est simultanément celui d’une convocation à la survivance et celui d’une croyance à la réanimation. L’appel se meut rapidement en exhortation. Même si la mère est condamnée à supporter l’édifice architectural de l’emblème occidental, la fille l’implore de s’extirper de son corps de marbre pour la rejoindre. À la fin, la Caryatide parvient à se dégager de cette posture qui semblait immuable. Elle tend ses bras vers la fille, mais n’a ni la voix ni le corps entièrement libre. Vingt-quatre ans plus tard, l’image des Caryatides revient au début de l’essai de Martine Delvaux. L’essayiste et romancière s’attache à cette image pour rappeler, à l’instar de Vitruve dans son De Architectura, que les Caryatides sont avant tout des représentations de jeunes vierges qui « ont été érigées en mémoire du traitement fait aux femmes de Caryae, un village de Sparte, par les envahisseurs grecs[32] ». Forte de perspectives qui « expose[nt] les différences, [les] mesure[nt] et les interroge[nt], les traverse[nt] », l’envolée pluraliste convoquée par Pierre Nepveu[33] il y a trente ans nécessite aujourd’hui que l’on saisisse l’ampleur du geste qui consiste à traiter des filles. Si ces configurations mythologiques de la fille traversent l’imaginaire littéraire au Québec, elles ne se manifestent dans le devoir de mémoire, qui se rattache à cette idée que le « pluralisme fort expose les différences […] comme un brouillage ou un désordre à assumer et à surmonter autrement que par des appels dogmatiques à l’unité, à l’identité ou au recentrement[34] ».

Ce devoir de mémoire n’a rien du chant des sirènes qui nous mettrait sur les traces d’un Ulysse, dont la ruse incarnée prive Autrui de sa jouissance, de son existence et de sa mémoire, afin qu’il puisse mieux l’apprécier à sa place, en catimini, et toujours pour attirer à son tour les nymphes hasardeuses qui viendraient folâtrer dans son voisinage. Les textes qui sont lus ici, les penseuses qui s’y attachent, les communautés littéraires qui sont sollicitées désinvestissent l’imaginaire saturé du poids des stéréotypes des mythes de la fille afin de rendre possible le « récit diasporal qui habite[35] » et qui a toujours habité le Québec. Ce dossier est le premier au Québec à mettre en relief le syntagme « fille-s » de façon délibérément transhistorique et transculturelle. La fille est loin de signaler un vide à combler, un espace vierge à remplir : « la fille [est peut-être] une version édulcorée, universelle, idéelle des filles », comme le rappelle Catherine Dussault-Frenette, mais elle ne peut plus être reléguée au second plan de la pensée littéraire, dans un espace imaginaire de dormance perpétuelle ou de consommation insatiable. La force des filles réside dans la déconstruction de la dialectique jeunesse-maturité, passé-futur, territoire vierge-territoire à coloniser.