Corps de l’article

Afin d’enrichir l’expérience du consommateur, la réalité augmentée, les agents virtuels ou encore la technologie 3D (trois dimensions) sont de plus en plus utilisés pour promouvoir produits et services. Dans le secteur immobilier et touristique, certaines sociétés proposent déjà à leurs investisseurs ou clients potentiels des applications qui permettent une immersion 3D dans un logement futur, ou la visite d’un lieu touristique avec une application 3D. Ces environnements virtuels, pouvant être créés à partir d’images de synthèse numériques ou issues de vidéos 3D, ont certes un intérêt technique, mais comportent aussi une réelle valeur ajoutée pour les entreprises et les consommateurs. Ces technologies s’avèrent d’ores et déjà attrayantes pour faciliter l’achat d’un voyage, l’acquisition à distance d’un bien ou d’un logement en construction. L’acheteur incertain peut ainsi vivre une expérience préalable de visite susceptible de faciliter son processus de décision.

L’intégration du niveau de présence ressenti par le consommateur, c’est-à-dire la sensation « d’être là » dans l’environnement souhaité ou le lieu touristique visé, permet de mieux appréhender les mécanismes d’exploration et de compréhension des espaces, des formes et des objets. Cette présence est « l’élément déterminant de la réussite d’une expérience de réalité virtuelle, que celle-ci soit une simulation aux vertus sensibilisatrices, ludiques ou pédagogiques » (Geslin, 2013 : 74). Transcender le monde réel pour être transporté dans un autre univers ou lieu est l’objectif poursuivi par ces systèmes immersifs virtuels. Afin de cerner au mieux les mécanismes qui favorisent chez l’individu cette sensation de présence, cette étude apporte un éclaircissement sur la façon dont les images mentales sont activées dans les environnements médiatisés, c’est-à-dire virtuels. L’efficacité de la modélisation 3D comparativement à la 2D (deux dimensions) provient certes des caractéristiques intrinsèques des environnements, mais cette étude montre que ces caractéristiques ont des conséquences directes sur le comportement cognitif des individus, soit l’imagerie mentale qui rejaillit sur l’ensemble de l’expérience du consommateur. La visualisation, et donc l’expérience, 3D peut ainsi s’avérer stratégique pour le consommateur avant l’achat d’un futur voyage, en lui permettant de se projeter dans un milieu virtuel correspondant à l’endroit touristique visé, ou encore pour des investisseurs, avant de lancer la construction d’un lieu touristique.

Les recherches intégrant conjointement l’imagerie mentale et la sensation de présence sont relativement rares (Pillai et al. , 2013 ; Rodriguez-Ardura et Martinez-López, 2014). Dans les travaux existants, l’imagerie est analysée en tant que trait de l’individu (Weibel et al. , 2011) et non à travers le résultat de l’activité d’imagerie, comme dans notre recherche. Par ailleurs, Sana Debbabi, Serge Baile, Véronique Des Garets et Gilles Roehrich (2013), qui étudient la formation de l’attitude en situation de présence dans un environnement 3D, soulignent l’importance des mécanismes affectifs. Ceux-ci sont appréhendés dans leur étude comparative par les émotions à valence positive provoquées par la visualisation, mais également par la satisfaction vis-à-vis de l’expérience. Le choix de cet indicateur global d’appréciation provient des travaux antérieurs tirés de la littérature qui démontrent que la satisfaction issue de l’expérience virtuelle est un des facteurs importants qui favorisent l’intention d’achat. Cet effet est établi dans le contexte spécifique des interactions 3D (Klein, 2003 ; Choi et Taylor, 2014). Dans la séquence expérientielle ici proposée, la prise en compte du processus cognitif d’imagerie mentale comme source affective apporte un éclairage dans l’explication des avantages de la 3D.

L’illusion de réalité visée par les améliorations de la technologie 3D incite à rappeler ses caractéristiques intrinsèques et à les considérer comme des éléments facilitateurs d’imagerie mentale lors de l’exploration de l’espace. Notre recherche vise à clarifier comment le processus d’imagerie mentale stimulé par les caractéristiques de la 3D se déploie plus rapidement et offre un plus grand réalisme des « images de pensées » que l’individu va créer dans son esprit. Elle répond à la problématique suivante : comment l’expérience 3D versus 2D peut-elle influencer les comportements cognitif et affectif des individus ?

Face aux amalgames dans les conceptualisations et les mesures des notions de présence, d’immersion et de flow , nous commencerons par clarifier les termes dans une première partie conceptuelle. Nous présenterons ensuite dans cette même partie les façons dont les systèmes immersifs de la 3D activent l’imagerie mentale de l’individu, en détaillant comment la richesse, la rapidité et le contrôle perçu, caractéristiques fondamentales de la 3D, peuvent être considérés comme des « facilitateurs 3D » de l’imagerie. Nous exposerons notre démarche méthodologique dans la deuxième partie. La présentation des résultats et les hypothèses validées nous permettront ensuite d’apporter des précisions sur l’ampleur des différences constatées dans la séquence expérientielle 2D/3D. Ces différences donnent des pistes de stratégies « compensatoires » aux entreprises qui ne souhaitent pas investir dans ces nouvelles technologies. Nous conclurons en proposant des implications managériales et des perspectives d’études.

Cadre conceptuel de la recherche

La sensation de présence ( Li et al. , 2002 ; Debbabi et al. , 2013) est présentée comme un médiateur important de l’expérience virtuelle 3D. Pour appréhender la problématique de notre recherche, nous mobilisons la théorie des préférences de Stephen Kaplan (1978). Elle met en évidence les apports de la 3D par rapport à la 2D, permettant ainsi de montrer que les représentations en 3D engendrent des perceptions et des expériences distinctes de la 2D qui influencent différemment la compréhension de l’espace et le désir d’exploration. Quatre dimensions sont associées à ces différences perceptuelles. Puisque l’illusion de présence peut être ressentie pour tout type de média (Reeves et Nass, 1996), la théorie de Kaplan permet de mieux comprendre comment les caractéristiques de l’image 3D créent un environnement propice à l’imagerie mentale (Lee, 2012 ; Choi et Taylor, 2014) et à la sensation « d’être dans le lieu » ( Li et al. , 2002 ; Debbabi et al. , 2013). Afin d’appréhender cette sensation de présence qui est au cœur des expériences virtuelles, cette notion est distinguée des concepts d’immersion et de flow . La 3D comme facilitateur d’imagerie mentale est également énoncée.

La théorie de traitement de l’information et des préférences environnementales

La théorie des préférences environnementales de Kaplan (1978) souligne les apports de la 3D par rapport à une visualisation en 2D. Quatre éléments fondamentaux permettent de caractériser et de définir ces environnements. En 2D, la cohérence des éléments présents dans l’environnement favorise la compréhension de l’individu et une plus grande complexité encourage l’exploration du lieu. En 3D, la lisibilité (définie comme la facilité à trouver son chemin lors de la navigation) s’ajoute à la cohérence pour favoriser la compréhension, et le mystère s’ajoute à la complexité pour stimuler l’exploration et la curiosité de l’individu. Kaplan ( ibid. ) démontre que malgré le caractère des quatre composantes de sa théorie ( illustration 1 ), parfois perçu comme antinomique, les individus préfèrent des environnements qui offrent ces quatre éléments.

Illustration 1

Matrice des préférences

Matrice des préférences
Source : Matrice adaptée de Kaplan et al. (1998)

-> Voir la liste des figures

Pour les sites Web, ces « facteurs informationnels » issus des représentations visuelles produisent des émotions positives (Deng et Poole, 2010), une impression globale favorable, et incitent à des visites répétées (Rosen et Purinton, 2004). Lucian Visinescu, Anna Sidorova, Mary Jones et Victor Prybutok (2015) utilisent la théorie de Kaplan pour explorer les effets d’une conception Web 2D versus 3D sur l’expérience du client, ses perceptions d’utilité et de facilité d’utilisation. Ils étudient l’expérience à travers le construit d’absorption cognitive (Agarwal et Karahanna, 2000). Leurs résultats indiquent que les sites marchands utilisant des environnements 3D sont perçus comme moins faciles à utiliser. Ils sont également, pour les utilisateurs non habitués, associés à une plus faible absorption cognitive comparativement au site 2D traditionnel, les effets sur l’absorption cognitive étant modérés par l’expérience du site des utilisateurs. Il est intéressant de souligner que dans leur étude ils appréhendent l’absorption cognitive à partir de cinq dimensions : la dissociation temporelle (la capacité à se rendre compte du passage du temps lors de l’engagement dans l’interaction) ; l’immersion centrée (l’expérience d’un engagement complet avec l’ignorance des autres stimuli) ; un plaisir accru associé aux interactions ; le contrôle perçu des interactions par l’utilisateur ; et la curiosité générée par l’expérience. Ce concept global est certes riche, mais accentue la confusion déjà importante entre les notions d’immersion, de présence et de flow  : d’une part, il ne favorise pas la compréhension de l’enchaînement des effets, notamment entre les processus cognitifs et les états affectifs ; d’autre part, il juxtapose des dimensions qui évoquent des notions d’immersion mais aussi de dissociation temporelle souvent associée au concept de flow (Csikszentmihalyi, 1990) ; finalement, ce concept d’absorption est plus souvent défini dans la littérature comme un trait de personnalité caractérisant la tendance générale de certains individus à être en immersion dans les expériences de la vie (Tellegen et Atkinson, 1974 ; Van Laer et al. , 2013) que comme une réponse temporaire à un contenu. Ces éléments incitent par conséquent à clarifier les notions d’immersion, de présence et de flow qui sont toutes des formes de réponses expérientielles, mais qui comportent des spécificités (Van Laer et al. , 2013).

Immersion, flow et sensation de présence

Malgré les tentatives de clarification, les termes d’immersion, de flow ou de sensation de présence restent souvent utilisés de façon interchangeable. La sensation de présence , « d’être là », est une expérience subjective de l’utilisateur qui est définie par Debbabi et ses collègues (2013 : 5) comme « une perception de présence dans un environnement médiatisé [soit virtuel] qui apparaît comme s’il était moins médiatisé ou réel » grâce à la technologie 3D. L’utilisateur est « ailleurs » que là où il est physiquement, l’« ailleurs » étant formé par le système générant l’environnement virtuel (Slater, 1999). En situation de présence, l’individu ressent le sentiment d’être corporellement dans le monde créé virtuel. Mel Slater ( ibid. ) parle d’illusion perceptuelle de présence produite par la technologie, et qui se réfère à tout ce que le corps de l’utilisateur ressent (voir aussi Geslin, 2013). La notion d’immersion est quant à elle plus confuse. Marianela Fornerino, Agnès Helme-Guizon et Christine De Gaudemaris (2005) la définissent comme l’état d’activité intense dans lequel le consommateur se trouve quand il accède pleinement à l’expérience. Pour Bob Witmer et Michael Singer (1998), c’est un état psychologique permettant d’interagir avec un environnement qui fournit un flux continu de stimuli et d’expériences. L’expérience de flow ou de flux est un état se caractérisant par une séquence ininterrompue de réponses facilitées par l’interactivité de la machine, accompagné d’une perte de la conscience de soi et de la notion du temps (Hoffman et Novak, 1996). La théorie du flow (Csikszentmihalyi, 1990) considère que l’expérience de flow est fonction de l’équilibre entre ce que la personne perçoit comme défi dans l’activité et ses compétences. Pendant cette expérience agréable, l’individu oublie le temps qui passe en se concentrant sur ce qu’il fait, en ayant le contrôle de chaque interaction qui concerne l’action et en étant curieux.

Tom Van Laer, Ko De Ruyter, Luca Visconti et Martin Wetzels (2013) insistent sur la nécessité de distinguer les concepts de flow et d’immersion de la notion de transport narratif . L’immersion relève d’une réponse expérientielle aux éléments visuels et esthétiques des images, alors que le transport narratif se fonde sur une histoire avec des personnages et une intrigue qui ne sont pas forcément présents dans l’immersion. Ce degré d’absorption de l’individu dans le flux narratif de l’histoire (Green et Brock, 2000) comporte de l’empathie et de l’imagerie mentale qui n’apparaissent pas dans les expériences de flow (Bracken, 2006). Ce transport narratif a également été étudié par Jennifer Escalas (2004) pour analyser les effets persuasifs de différents types de référence à soi dans le contexte publicitaire. Cette auteure démontre l’efficacité des publicités qui utilisent la simulation mentale (c’est-à-dire qui donnent des instructions à imaginer aux consommateurs), qui sont, par définition, des publicités avec une structure narrative. Celles-ci peuvent mener au transport narratif, tout comme les messages qui utilisent la mémoire autobiographique (Sujan et al. , 1993). Contrairement à un traitement analytique qui se fonde sur les modèles traditionnels de persuasion (Petty et al. 1983), le traitement narratif détourne l’attention et conduit à la persuasion à travers une réponse cognitive négative réduite, du réalisme de l’expérience et de fortes réponses affectives (Sujan et al. , 1993 ; Green et Brock, 2000).

Christine Petr, Dominique Bourgeon-Renauld, Maud Derbaix et Elodie Jarrier (2017) considèrent le transport narratif à la fois comme levier d’immersion et comme une forme particulière d’immersion reposant sur un univers fictionnel particulier (immersion narrative). Ce point de vue est intéressant et se rapproche des recherches sur les jeux vidéo qui parlent d’immersion pour se référer « tantôt au sentiment d’absorption, tantôt au sentiment de présence du joueur, selon le type d’immersion qui est expérimenté » (Trépanier-Jobin et Couturier, 2018 : 3). Dans ces contextes (Arsenault et Picard, 2008 ; Trépanier-Jobin et Couturier, 2018), le sentiment de présence (être transporté dans un univers autre) peut relever d’une « immersion spatiale » influencée par la qualité et la quantité des détails de l’environnement, d’une « immersion narrative » (si le joueur est captivé par le récit) et/ou d’une « immersion identification » (si le joueur incarne véritablement le personnage). Le sentiment d’absorption y est par contre lié à une « immersion fondée sur le défi » et à l’habilité du joueur, de façon identique au concept de flow de Mihaly Csikszentmihalyi (1990). Enfin, selon Gordon Calleja (2011), l’espace doit être navigable, à la différence d’un espace entièrement visible à l’écran, pour provoquer l’immersion.

Une autre approche consiste à introduire la notion de plaisir ressenti dans l’expérience de consommation pour distinguer immersion et état de flow (Carù et Cova, 2003 ; Fornerino et al. , 2005). Dans cette perspective, les « états de flux » sont synonymes de jouissance et d’immersion totale et sont moins nombreux, alors que les micro-immersions sont de petits moments forts (moins extrêmes) qui se traduisent par un sentiment de bien-être, de développement et de gratification. Le plaisir étant indépendant de la sensation de présence, dimension centrale de notre recherche sur la 3D, nous adoptons ici la perspective de Slater (1999). Elle permet de distinguer la sensation de présence psychologique du concept d’immersion en le définissant comme une description objective de la technologie qui montre sa capacité à apporter une illusion de réalité aux sens de l’utilisateur.

Dans cette conceptualisation, l’immersion est objectivement quantifiable, tandis que la sensation de présence est une expérience subjective seulement quantifiable par l’utilisateur qui la ressent. Dans les modèles théoriques qui adoptent ces deux définitions, la sensation de présence est considérée comme le résultat de la technologie immersive. Plus l’environnement est immersif, plus la sensation de présence est élevée. Plus précisément, les effets de certaines caractéristiques immersives du média – comme la 2D versus la 3D ou la taille de l’écran – sur la présence et sur les attitudes favorables vis-à-vis de la marque ont déjà été démontrés (Li et al. , 2002). L’immersion est par conséquent définie ici comme le cadre dans lequel l’illusion de l’endroit peut se produire (Slater, 1999) et le flow , s’il est ressenti, provient de la sensation de présence vécue par l’utilisateur (Hoffman et Novak, 1996).

La 3D comme facilitateur d’imagerie mentale

Le facteur 3D apparaît dans notre recherche comme un facilitateur majeur de l’imagerie mentale, autre variable cognitive étudiée.

Définition de l’imagerie mentale et des dimensions de l’expérience 3D

L’imagerie mentale est un processus cognitif par lequel l’information sensorielle est représentée en mémoire de travail. En marketing, elle est souvent appréhendée par le résultat de ce processus, c’est-à-dire par l’image mentale même, définie comme une représentation mentale d’une ou plusieurs entité(s) conforme(s) (ou non) à la réalité (Lao, 2010 ; 2013). Trois formes d’images mentales (Denis, 1989 ; Lao, 2010 ; Lao et Vlad, 2018) subsistent : les images mentales à caractère hallucinatoire, les phénomènes d’imagerie étroitement liés à la perception et les images mentales évoquées dans l’activité mentale consciente. À l’instar de la littérature en marketing, notre recherche se concentre sur la dernière catégorie, qui incorpore les images de mémoire et d’imagination. L’image de mémoire émet une fonction de restitution cognitive d’un événement passé, qui met directement en lien une image mentale avec l’expérience perceptive originale. Les images « d’imagination » sont par contre associées à des événements passés de l’individu ou au contraire sont le fruit de leur imagination. Ces « images de pensées » sont un phénomène mental naturel et peuvent être décisives dans des situations où le consommateur doit aborder des événements nouveaux (Gavard-Perret et Helme-Guizon, 2003). Elles sont stimulées par l’individu, mais aussi par l’ensemble des composantes expérientielles perçues de l’environnement. Effectivement, des stimuli internes à l’individu peuvent générer des images mentales, telles que des souvenirs propres à l’individu. Mais elles peuvent aussi être suscitées par des stimuli externes tels que l’outil manipulé, les instructions à imaginer (Gavard-Perret, 1993 ; Escalas, 2004 ; Lao, 2010 ; 2013) ou encore la technologie utilisée. Dans le cadre de notre étude usant de la technologie 2D/3D, l’imagerie mentale visuelle est mise en avant, car l’imagerie prédominante est souvent de même nature que celle du stimulus la suscitant (Gavard-Perret et Helme-Guizon, 2003). Les dimensions majeures de l’imagerie étudiées en marketing sont nombreuses : l a valence (Helme-Guizon, 1997) , la vivacité (Lao, 2010 ; Lao et Vlad, 2018), la facilité de formation ( ibid. ), la quantité ( Vellera et Gavard-Perret, 2016 ) ou encore l’imagerie mentale de soi (Lao, 2010 ; 2013 ; Vellera et Gavard-Perret, 2016  ; Lao et Vlad, 2018). Pour ce qui concerne l’expérience 3D, trois caractéristiques sont classiquement étudiées, la richesse, la rapidité et le contrôle ; nous les présentons dans le tableau 1 (Li et al. , 2002 ; Klein, 2003).

Tableau 1

Dimensions de l’expérience 3D

Dimensions de l’expérience 3D
Réalisation : Lao, Martin et Jeanpert (2019), à partir des travaux de Li, Daugherty et Biocca (2002) et de Klein (2003)

-> Voir la liste des figures

Les liens entre les dimensions d’imagerie mentale et de l’expérience 3D sont relatés ci-dessous.

Vivacité de l’imagerie et richesse 3D

Deux dimensions de l’imagerie sont susceptibles de faire écho à la dimension de richesse de l’expérience 3D : la vivacité et la quantité des images mentales. La vivacité de l’imagerie est pertinente à étudier puisqu’elle revêt une finalité de l’utilisation de la 3D : la création d’une illusion de réalité. On l’associe à la « clarté » des images suscitées chez l’individu, de façon similaire à une « perception réelle ». Plusieurs recherches recommandent l’intégration de cette dimension de l’imagerie dans l’analyse de la formation des états affectifs (Lee, 2012 ; Choi et Taylor, 2014) . La dimension de la quantité d’images mentales n’est cependant pas prise en compte dans notre recherche, l’objectif étant d’évaluer la qualité des images mentales suscitées chez le consommateur par un support 3D versus 2D et non leur quantité ; la dimension relative à la vivacité de l’imagerie est donc privilégiée. L’individu peut par une qualité accrue percevoir l’environnement virtuel comme étant plus « réel ».

Facilité de l’imagerie et rapidité 3D

La dimension temporelle de la rapidité de l’interaction 3D rejoint pour sa part la facilité de l’imagerie. Cette facilité dépend de la façon dont l’information associée au stimulus, préalablement stockée dans la mémoire à long terme, est activée, autrement dit son accessibilité (Helme-Guizon, 1997). Comparativement à une visualisation en 2D, la rapidité de l’interaction grâce à la 3D est un élément facilitateur de la rapidité des images mentales.

Vivacité, facilité de l’imagerie et contrôle 3D

Une lisibilité et un repérage aisé dans l’espace permettent de bien appréhender les environnements 3D (Kaplan et al. , 1998) et accroissent la sensation de contrôle de l’utilisateur, ces éléments étant classiquement associés à la navigation 3D. L’autogestion du temps et du parcours associée à ce contrôle devient un argument en faveur de l’intégration de la facilité de l’imagerie pour comprendre ces environnements. Ainsi l’instantanéité des actions devrait faciliter l’immédiateté de la mentalisation. Une inspection sous différentes perspectives et au rythme souhaité devrait également clarifier les images mentales suscitées chez l’individu, soit la vivacité de son imagerie mentale.

Les liens entre les dimensions de l’imagerie mentale et de l’expérience 3D sont présentés dans l’ illustration 2 . La vivacité et la facilité d’imagerie étant plus importantes avec une interface 3D que 2D (Lee, 2012), cela conforte la notion de « facilitateurs 3D d’imagerie mentale » de notre étude et tend à être testé empiriquement en rapport avec la visite d’un lieu.

Illustration 2

Les facilitateurs 3D de l’imagerie mentale

Les facilitateurs 3D de l’imagerie mentale
Réalisation : Lao, Martin et Jeanpert (2019)

-> Voir la liste des figures

L’intérêt de l’imagerie mentale dans le secteur touristique

Avant toute visite ou départ en vacances, chaque individu s’imagine son futur voyage et se projette pour mieux appréhender et préparer son déplacement. L’imagerie mentale s’expose comme une variable prédominante pouvant influencer le comportement des individus, futurs touristes. Et les stimuli véhiculés en amont à destination des clients influencent directement les représentations mentales que se font les individus. Dans un contexte de tourisme et de gastronomie, Julia Csergo (2016) suggère que les acteurs du tourisme urbain développent une image culinaire afin de renforcer l’attractivité des villes pour les touristes. Ainsi, une communication et une promotion sur les villes « gastronomiques » ou l’appartenance à un réseau international de « villes gourmandes » constituent de nouvelles représentations mentales suscitant des comportements appétitifs ( ibid. ). Pour Line Bergery (2004), les collectivités doivent créer des synergies afin de renforcer l’image mentale des destinations touristiques et réinventer les vacances (Arnaud et Kovacshazy, 1998). L’apport de la 3D serait alors une perspective d’évolution dans la recherche d’informations des consommateurs. Fabienne Joliet et Thibault Martin (2007) avancent quant à eux que les images mentales de paysages proviennent de deux types de données complémentaires : 1) les images paysages non verbales qui peuvent être définies comme des «  imagens  » (selon le terme de Paivio, 1971) ; 2) les images verbales (entretien – verbal oral ; et littérature – verbal écrit) qui peuvent êtres caractérisées par des «  logogens  » (toujours selon Paivio, 1971). Ces dernières peuvent, selon Joliet et Martin (2007), produire ou révéler des images mentales de paysages. La technologie 3D s’inscrirait alors davantage dans les images non verbales, c’est-à-dire les « images visuelles ».

En communication publicitaire, Marie-Laure Gavard-Perret (1993), qui a mené une expérimentation dans le domaine du tourisme, conclut que les responsables qui souhaitent favoriser la mémorisation publicitaire et les attitudes et croyances positives à l’égard d’un produit doivent émettre une image et un texte avec personnage, soit une présence humaine au sein du stimulus visuel et la mise en scène verbalement d’un personnage au sein du stimulus verbal. Enfin, Cédrick Gautier (2018) explore l’influence de l’imagerie mentale issue d’une photographie d’une chambre d’hôtel sur le vécu d’une expérience de consommation anticipée. Selon lui, trois dimensions de l’imagerie mentale sont influencées par les stimuli visuels : la vivacité, l’élaboration et l’imagerie mentale de soi. La mémorisation du stimulus, l’imagination et l’expérience de consommation anticipée en sont également influencées. L’utilisation de la technologie 3D pourrait alors devenir un réel atout afin d’améliorer l’imagerie mentale visuelle, lors d’une visite virtuelle en 3D, en amont d’une réelle visite.

Hypothèses de recherche

Présence, réponses émotionnelles et satisfaction expérientielle

La réalité virtuelle peut déclencher chez l’individu des réactions émotionnelles similaires à celles provoquées par des environnements physiques. Pour Patrice Bouvier (2009), une immersion interactive non augmentée d’émotions se résume à un effet de surprise et explique qu’une fois le sentiment de présence atteint, les émotions sont ressenties avec davantage d’intensité. Certains travaux analysent la joie ressentie par l’individu et montrent le rôle joué par cette présence dans les environnements 3D versus 2D (Nah et al. , 2011). L’individu est ainsi projeté dans une expérience directe virtuelle qui favorise un plaisir similaire à une expérience directe (Debbabi etal. , 2013). Par conséquent, des réponses émotionnelles positives devraient être ressenties si cette sensation de présence est vécue par l’individu lors de visualisation en 2D et 3D ; soit l’hypothèse H1a : la présence a une influence positive sur les émotions positives.

Yung Kyum Choi et Charles Taylor (2014) croient que plus les utilisateurs sont en immersion dans l’environnement virtuel, plus ils considèrent l’expérience comme réelle : ils expérimentent des pensées, des émotions et des comportements similaires à ce qu’ils pourraient expérimenter dans une situation réelle, résultant en une expérience plus enthousiasmante. Ainsi, lors d’une visite virtuelle, plus l’utilisateur est face à une grande interactivité, plus il aura tendance à se sentir « réellement » dans le lieu visité, ce qui favorise la compréhension et l’appréciation de l’expérience vécue. Donna Hoffman et Thomas Novak (1996) montrent que les réponses émotionnelles varient selon l’interactivité du média exposé, comme cela peut être le cas avec la visualisation de plans en 3D (versus 2D). L’expérience virtuelle, considérée comme plus interactive qu’une simple modélisation en 2D, augmenterait probablement les émotions positives. Ces travaux conduisent à l’hypothèse H1b : l’influence de la présence sur les émotions positives est plus importante pour des plans visualisés en 3D versus 2D.

Le rôle direct de la sensation de présence sur la satisfaction vis-à-vis de l’expérience n’est pas investigué dans les recherches empiriques antérieures. Dans un tout autre contexte, celui des environnements d’apprentissage virtuel, l’étude de Dong-Hee Shin, Frank Biocca et Hyunseung Choo (2013) mérite d’être citée, car elle mesure l’immersion à partir d’items classiquement associés à la présence. Ainsi, la présence ressentie dans une classe virtuelle avec des enseignants ressort comme levier de confirmation des attentes qui favorise la satisfaction globale vis-à-vis de l’expérience 3D. Cette satisfaction y est définie comme une sensation positive, indifférente ou négative. L’hypothèse H2 est donc avancée : la présence influence positivement la satisfaction vis-à-vis de l’expérience.

Ebrahim Mazaheri, Marie-Odile Richard et Michel Laroche (2012) montrent par ailleurs le rôle des émotions dans l’expérience en ligne et spécifiquement dans l’attitude, la satisfaction qui se forme envers le site Internet. Savvas Papagiannidis, Eleonora Pantano, Eric See-To et Michael Bourlakis (2013), qui s’intéressent à ces émotions dans le contexte des vidéos sur téléphone portable, confirment que cette joie influence la satisfaction de l’utilisateur lors du choix de produit dans un magasin virtuel en 3D. L’hypothèse H3 propose ainsi : les émotions positives influencent positivement la satisfaction vis-à-vis de l’expérience.

Rôle de l’imagerie mentale

L’ illustration 3 synthétise les influences de l’imagerie sur la présence et les réponses émotionnelles de l’individu dans un contexte de visualisation 2D/3D.

Illustration 3

Le rôle de l’imagerie mentale dans la présence et les états affectifs

Le rôle de l’imagerie mentale dans la présence et les états affectifs
Réalisation : Lao, Martin et Jeanpert (2019)

-> Voir la liste des figures

Imagerie mentale et présence

Deux catégories de recherches associent l’imagerie mentale et la présence. La première opérationnalise l’imagerie comme trait de l’individu et analyse son rôle dans les sensations de présence (Weibel et al. , 2011). La seconde, plus récente, suggère que l’imagerie favorise directement cette présence. Inma Rodriguez-Ardura et Francisco Martinez-López (2014) adoptent à cet effet une approche qui prône le rôle de la cognition, de l’imagerie mentale sur la formation de la présence. Selon eux, il est fort probable, lors d’expériences avec des médias numériques, que certaines dimensions de l’imagerie soient des éléments qui favorisent les phénomènes de présence. Pour Jayesh Pillai, Colin Schmidt et Simon Richir (2013), la présence n’est pas seulement la sensation « d’être là », c’est une combinaison de multiples sensations et le résultat d’une « expérience de la réalité ». Ils démontrent que la présence est éprouvée dans la réalité virtuelle, mais aussi dans les espaces d’imagerie mentale. Un des aspects clés de l’immersion dans un monde imaginaire est la vivacité des images mentales du monde fictif (Lee, 2012). La facilité à susciter ces images contribue sans doute aussi à cette « expérience de réalité ». L’hypothèse H4a propose donc : l’imagerie mentale (vivacité, facilité) influence positivement la présence.

Les caractéristiques de la 3D, facilitateurs d’imagerie mentale, devraient également renforcer l’effet positif d’imagerie sur la présence. En effet, lorsque comparée à la 2D, la compréhension accrue de l’environnement 3D basée sur ses caractéristiques intrinsèques (Kaplan et al. , 1998 ; Li , et al. , 2002) est étroitement liée à la présence dans l’environnement. Cette meilleure appréhension de l’espace apportée par les caractéristiques 3D devrait favoriser la présence grâce à un effet plus important de l’imagerie mentale. Soit l’hypothèse H4b qui avance : l’influence de l’imagerie mentale (vivacité, facilité) sur la présence est plus importante pour des plans visualisés en 3D (versus 2D).

Imagerie mentale et réponses émotionnelles

Associés aux processus cognitifs, les états affectifs, notamment les émotions provoquées par des facteurs exogènes à l’individu lors de l’expérience de consommation, sont à prendre en compte. La littérature parle de l’influence significative des images mentales sur les états émotionnels de l’individu, notamment pour la dimension « imagerie mentale de soi » (Lao, 2013). Toutefois, il existe peu de travaux mettant en relation les deux dimensions étudiées de l’imagerie mentale (vivacité et facilité) et les réactions affectives. Aurély Lao (2010 ; 2013) précise que les émotions positives sont favorisées par la vivacité et la facilité des images mentales. Si la vivacité et la facilité d’apparition des images mentales sont fortes, le plaisir est renforcé. L’hypothèse H5a propose donc : l ’imagerie mentale (vivacité, facilité) influence positivement les émotions positives. Ces effets devraient être accentués si le format de présentation du produit est nouveau, environnement 3D versus 2D ; soit l’hypothèse H5b : l ’influence de l’imagerie mentale (vivacité, facilité) sur les émotions positives est plus importante pour des plans visualisés en 3D (versus 2D).

Méthodologie de la recherche

Ce travail est mené en partenariat avec une entreprise spécialisée en images de synthèse 3D pour l’architecture et un promoteur immobilier qui propose des appartements neufs (en cours de construction) ou des biens immobiliers à but touristique. L’outil d’aide à la vente considéré repose sur la présentation de plans en 2D et 3D d’appartements sur une tablette tactile, ce type de bien pouvant toucher tous les consommateurs. La visualisation en 2D ou 3D est attribuée de manière aléatoire. Pour les plans en 3D, le déplacement sur la tablette est contrôlé par un double clic. L’individu sondé peut ainsi naviguer dans un environnement entièrement virtuel réalisé uniquement d’images de synthèse. La visite du lieu et le parcours effectué sont déterminés par le répondant lui-même. Afin de ne pas intégrer un biais au sein même de l’échantillon 3D, seuls les répondants déclarant que l’utilisation d’une tablette leur est familière sont conservés. La bonne connaissance de la technologie dans ce contexte relève d’une expérience antérieure ou d’un apprentissage spécifique à cette activité (Gefen, 2000). Cette familiarité d’usage d’une tablette évite les effets de découverte du système, voire les malaises (Vidal, 2002). Des recherches antérieures (Saunders et al. , 2011 : 1086, 1084) estiment, lorsque les utilisateurs se familiarisent avec le toucher, que cela facilite leur immersion, d’une part, et qu’ils ont une meilleure connaissance de l’espace et l’apprécient davantage, d’autre part. Ainsi, ne conserver que des individus qui connaissent bien la technologie nous permet aussi de contrôler les effets probables sur les émotions positives étudiées, car, dans les contextes virtuels, la familiarité accroît également le sentiment de joie (Brafman et Brafman, 2010 ; Dogruel et al. , 2015). Il est à remarquer que la visualisation des plans 3D a pris en moyenne deux fois plus de temps que celle des plans 2D .

Après la visualisation, un questionnaire identique 2D/3D est administré aux participants. Au total, 300 questionnaires sont traités (N 2D  = 150 ; N 3D  = 150). La répartition des répondants ( tableau 2 ) selon le sexe est quasiment identique et il n’y a pas de différence d’âge significative (p <0,05). Le réalisme de la visite (Van der Land et al. , 2013) est mesuré à partir de trois items de l’échelle Naturalness de Witmer et Singer (1998). Il est perçu comme significativement plus important en 3D (moy. = 5,68) qu’en 2D (moy. = 4,79) et vérifie la validité des conditions expérimentales. Les échelles de mesure des concepts étudiés sont présentées en annexe.

Tableau 2

Descriptif de l’échantillon de l’étude

Descriptif de l’échantillon de l’étude
Réalisation : Lao, Martin et Jeanpert (2019)

-> Voir la liste des figures

Les variables de cette étude sont évaluées sur des échelles de Likert à sept échelons. La richesse ainsi que la rapidité de l’outil 3D sont évaluées par deux items tirés de l’étude de Jamel-Eddine Gharbi, Saïd Ettiss et Mohamed Slim Ben Mimoun (2002), adaptés à la visite de plans en 3D. Trois items sont considérés pour appréhender le contrôle perçu par l’utilisateur. Ils sont issus de l’échelle de contrôle de Bob Witmer et Michael Singer (1998) et relèvent de l’efficacité interne, soit un contrôle sur le lieu où se situent les utilisateurs et un contrôle sur leur destination. La vivacité ainsi que la facilité des images mentales sont mesurées à partir de deux items issus des travaux d’Agnès Helme-Guizon (1997) et d’Aurély Lao (2010). La présence est mesurée par trois items de l’échelle de Lisa Klein (2003), traduite dans un contexte français par Debbabi et ses collègues (2013). Concernant les émotions positives, les items sont issus de l’échelle de Lao (2013). Cette mesure de l’affect prend en compte le fait que celui-ci n’est pas qu’immédiat et automatique, mais peut être plus réfléchi et lent. Cette mesure, proche de la notion d’autoconscience (Giner-Sorolla, 2001), est bien adaptée au protocole de ce travail et à l’analyse de la représentation mentale de ce stimulus. Enfin, la satisfaction vis-à-vis de l’expérience est mesurée par trois items de l’échelle de Claes Fornell, Michael Johnson, Eugene Anderson, Jaesung Cha et Barbara Everitt Bryant (1996).

Deux variables de contrôle susceptibles d’exercer une influence sur le modèle sont évaluées avant la visualisation des plans. La première est « l’innovativité » de l’individu (Midgley et Dowling, 1978), une prédisposition qui désigne la capacité de l’individu à innover et à utiliser les nouvelles technologies. Celle-ci est évaluée à partir de cinq items (Jeanpert et Salerno, 2013). Pour Elizabeth Hirschman (1980), ce trait de personnalité incite le consommateur à rechercher davantage d’informations et des expériences nouvelles. Il s’avère ainsi intéressant à étudier pour le contexte 2D/3D, compte tenu de son rôle prépondérant dans l’adoption et la diffusion de produits ou de services nouveaux et innovants (Kaushik et Rahman, 2014). La seconde variable de contrôle est l’implication durable envers le choix du lieu touristique qui est appréciée à partir de la mesure unidimensionnelle de Cécile Cristau et Alain Strazzieri (1996) à trois composantes (pertinence, intérêt et attirance). Les tests de comparaison de moyennes 2D/3D ne présentent pas de différence significative pour ces variables. Les analyses multigroupes ne montrent pas non plus d’influence modératrice de ces variables sur les relations posées dans le modèle.

Résultats

Ajustement, fiabilité et validité du modèle de mesures

Les analyses factorielles confirmatoires et la modélisation par équations structurelles sont réalisées avec le logiciel AMOS 22.0. La matrice de variances–covariances et l’algorithme du « maximum de vraisemblance » sont utilisés et adaptés à notre échantillon. L’utilisation de ces méthodes nécessite une distribution normale pour les variables manifestes qui est respectée pour les coefficients de symétrie et d’aplatissement et pour le coefficient d’aplatissement multivarié de (Kantilal) Mardia. Le modèle de mesure de nature réflective présente de bons indicateurs : χ 2 / DDL = 2,179 <3 ; GFI = 0,934 et AGFI = 0,896 ; RMSEA = 0,063 ; CFI = 0,976 [1] . Les coefficients standardisés (λ i ) des items sur les variables latentes sont tous significatifs (p <0,01) et supérieurs à 0,7. Les rhô de cohérence interne de (Karl G.) Jöreskog (ρ n ) variant entre 0,82 et 0,93 indiquent une bonne fiabilité des mesures ( tableau 3 ). Les validités convergente et discriminante des mesures sont vérifiées puisque les valeurs de variance moyenne extraite (ρ vc ) se situent entre 0,70 et 0,81, et la plus forte corrélation inter-construits (0,794 entre les émotions et la satisfaction) est inférieure à la racine de la variance extraite minimale (0,87 pour ces deux construits).

Tableau 3

Corrélations entre construits, validité convergente et discriminante

Corrélations entre construits, validité convergente et discriminante
Réalisation : Lao, Martin et Jeanpert (2019)

-> Voir la liste des figures

Mesures des dimensions 3D et interrelations avec l’imagerie mentale

Les indicateurs de fiabilité et de validité des mesures de l’expérience 3D sont satisfaisantes ( tableau 4 ). Afin de vérifier les interrelations, les régressions linéaires multiples valident les influences positives et significatives (p <0,01) du contrôle sur la vivacité (bêta = 0,212) et la facilité (bêta = 0,312). Elles confirment l’influence importante de la richesse de l’expérience sur la vivacité perçue (bêta = 0,419 ; p <0,01) et montrent que la rapidité favorise la facilité des images mentales (bêta = 0,303 ; p <0,01).

Tableau 4

Influence des dimensions 3D sur l’imagerie mentale

Influence des dimensions 3D sur l’imagerie mentale
Réalisation : Lao, Martin et Jeanpert (2019)

-> Voir la liste des figures

Modèle d’équations structurelles

Les résultats des équations structurelles sur l’ensemble de l’échantillon montrent que les relations posées s’avèrent significatives et positives ( tableau 5 ). La présence a une influence quasiment identique (p <0,01) sur les émotions (H1a) et la satisfaction vis-à-vis de l’expérience (H2), les émotions renforçant également cette satisfaction (H3). Les dimensions d’imagerie mentale ont bien des influences significatives sur la présence (p = 0,01 – H4a) et sur les émotions positives (p = 0,05 – H5a). On peut souligner un lien important : l’effet de la vivacité sur la présence (γ = 0,590 ; p <0,01) qui est d’ailleurs significativement supérieur (p <0,01) à l’effet de la vivacité sur les émotions (γ = 0,218 ; p <0,01) [2] . Les indicateurs d’ajustement du modèle ( tableau 6 ) respectent les conditions exigées (χ 2 / DDL = 2,594 ; GFI = 0,924 ; AGFI = 0,885 ; RMSEA = 0,073 ; CFI = 0,969) [3] .

Tableau 5

Modèle structurel et test de l’effet modérateur du type de plan

Modèle structurel et test de l’effet modérateur du type de plan
Réalisation : Lao, Martin et Jeanpert (2019)

-> Voir la liste des figures

Modélisation multigroupe 2D/3D

Afin de tester l’effet modérateur du type de plan sur les relations du modèle structurel, une analyse multigroupe est réalisée en partant du modèle non contraint dont les indicateurs de qualité d’ajustement sont présentés dans le tableau 6. L’invariance des mesures est vérifiée, suivie de l’analyse de l’invariance des liens structurels. Lorsque les mesures sont contraintes à être égales dans les deux types de plan visualisés (2D versus 3D), la différence de χ 2 n’est pas significative (Δχ 2 [9] = 14,172 ; p = 0,116). Comme attendu, les items utilisés en 2D sont par conséquent invariants en 3D.

Par contre, lorsque l’égalité de l’ensemble des paramètres structurels est imposée, le modèle présente une variation de χ 2 significative (p = 0,005). Le type de plan a donc bien un effet modérateur. Pour identifier les liens sur lesquels le type de visualisation (2D/3D) a des effets modérateurs, huit tests sont effectués (tableau 5) et révèlent des impacts sur trois relations : les effets de la facilité sur : 1) la présence (H4b validée pour la dimension « facilité » uniquement), 2) les émotions positives (H5b validée pour la dimension « facilité » uniquement) ; ainsi que la relation entre ces deux variables : 3) l’effet de la présence sur les émotions positives (H1b validée).

Tableau 6

Qualité d’ajustement des modèles et analyses multigroupes

Qualité d’ajustement des modèles et analyses multigroupes
Réalisation : Lao, Martin et Jeanpert (2019)

-> Voir la liste des figures

Ces trois relations diminuent et deviennent toutes non significatives pour la visualisation en 2D (versus 3D). La vivacité devient ainsi en 2D la seule dimension d’imagerie mentale qui influence la présence et les émotions positives. La facilité est donc une dimension d’imagerie importante uniquement dans un contexte 3D. Ce n’est qu’à l’exposition d’un plan 3D que les émotions positives sont renforcées par la sensation d’être là (présence) [4] . Enfin, le modèle final est aussi bon que le modèle d’invariance de mesure (Δχ 2 [ 4] = 2,750 ; p = 0,600) et significativement meilleur que le modèle contraint (Δχ 2 [ 3] = 17,669 ; p = 0,001). L’ illustration 4 synthétise et schématise nos résultats.

Pour compléter ces résultats, les tests t de comparaison des moyennes entre les plans 2D et 3D révèlent des différences significatives pour l’ensemble des variables du modèle (voir tableau 3), suggérant que le type de plan influence directement tous les construits étudiés. Les moyennes en 3D sont significativement supérieures à celles des plans 2D. En 2D, des scores inférieurs à la moyenne théorique de l’échelle (= 4) sont également constatés, suggérant que ce type de plan n’engendre pas de présence (2,82), peu de satisfaction vis-à-vis de l’expérience (3,73) et peu d’émotions positives (3,86). Seules les dimensions d’imagerie mentale sont supérieures à 4 pour la 2D (vivacité = 4,60 ; facilité = 4,44), alors que tous les construits le sont pour les plans 3D. Ces résultats incitent à approfondir l’analyse comparative du type de plan 3D/2D en privilégiant la dimension vivacité, puisque, premièrement, les effets sur la présence sont significatifs et, deuxièmement, compte tenu des effets directs du type de plan, cette dimension d’imagerie mentale est susceptible d’exercer un rôle médiateur entre différentes caractéristiques des images 3D/2D et la sensation de présence.

Illustration 4

Synthèse des résultats

Synthèse des résultats
Réalisation : Lao, Martin et Jeanpert (2019)

-> Voir la liste des figures

Discussion – Conclusion

Cette recherche souligne l’intérêt réel pour une entreprise d’investir dans la technologie 3D plutôt que dans les outils d’aide à la vente traditionnels 2D. Quel que soit l’outil utilisé, nous constatons que la satisfaction envers l’expérience est toujours associée aux émotions positives suscitées par la visualisation de plans et dépend du degré de présence ressenti par l’individu dans le lieu. Ce qui différencie les deux types de visualisation (illustration 4) se situe principalement en amont des deux facteurs de satisfaction. Pour l’échantillon total, nous résultats correspondent à ceux des recherches sur l’imagerie mentale (Lee, 2012 ; Choi et Taylor, 2014 ) et soulignent le rôle majeur de la dimension « vivacité » de l’imagerie lors de la visualisation de plans. Ainsi, le détail et le réalisme des images qui viennent à l’esprit de l’individu renforcent à la fois son enthousiasme et sa sensation de présence. Cet effet sur la présence est important pour la visualisation en 3D, mais se retrouve toutefois également en 2D.

Pour les plans 2D, nos résultats montrent que les émotions ressenties proviennent uniquement de la vivacité des images mentales. Le degré de complexité et de cohérence apporté par les caractéristiques d’un plan 2D (Kaplan et al. , 1998) semble être un facilitateur de vivacité qui permet à l’individu de se projeter dans le lieu et d’en retirer du plaisir. Les émotions ressenties sont néanmoins moins fortes et moins bien expliquées en 2D qu’en 3D. En 2D, les images mentales viennent moins facilement à l’esprit des individus, ce qui se révèle un frein à la sensation de présence. Le peu de présence ressentie en 2D ne permet donc pas de générer d’émotions favorables.

En conséquence, pour la 2D, l’individu se projette plus facilement dans un lieu lorsque le plan suscite une représentation mentale détaillée et réaliste (dimension de vivacité). Si une société fait le choix de ne pas investir dans les technologies 3D pour promouvoir ses projets ou produits/services, elle devra veiller à établir des plans de visites qui facilitent la vivacité de l’imagerie mentale. En transposant les résultats obtenus en 3D concernant les facilitateurs d’imagerie et pour compenser la lenteur d’appropriation du lieu, il convient pour ces acteurs de ne pas négliger la qualité et le réalisme des supports 2D utilisés. L’identification en 2D des dimensions d’imagerie mentale qui ne permettent pas de susciter présence et émotions incite à intensifier cette réflexion sur les stratégies alternatives visant à accroître la vivacité de l’imagerie. Facilité par les réseaux sociaux visuels, l’apport de photos, d’illustrations, d’ambiances ou de vidéos aux plans 2D est susceptible de contribuer à la projection dans le lieu visé.

Les relations validées en 3D entre la rapidité de l’outil, le contrôle des déplacements et la facilité d’imagerie permettent ensuite de comprendre comment les environnements 3D qui maximisent cette « lisibilité » aident à appréhender facilement et rapidement le lieu. Accroître la sensation d’espace pour améliorer sa compréhension, en utilisant par exemple des repères, une très fine résolution de l’image ou un espace non surchargé, est une piste de recherche particulièrement intéressante à investiguer pour ces environnements 3D.

La sensation de présence est au cœur des différences constatées entre les modélisations 2D et 3D. Le peu de présence perçue en 2D combiné à une faible facilité d’imagerie mentale semble avoir annihilé une voie intéressante génératrice d’émotions positives : Facilité – Présence – Émotions. À l’inverse, en 3D, le degré de rapidité et de contrôle de la navigation qui caractérise cet environnement renforce la facilité de l’imagerie qui rejaillit sur l’ensemble de l’expérience 3D (présence, émotions) et conduit à une satisfaction importante. Une visite d’un lieu en 3D favorise donc le comportement cognitif et affectif des individus. La mise en évidence de cette séquence expérientielle qui débouche au final sur des réactions affectives fortes en 3D pourrait être approfondie dans de futures recherches. Deux pistes sont suggérées : le cercle itératif « émotions – présence – émotions », proposé par Patrice Bouvier (2009) et Erik Geslin (2013), serait intéressant à tester empiriquement dans ce contexte de la visite virtuelle ; l’introduction dans la séquence expérientielle de l’état affectif de curiosité, et par conséquent de la dimension « mystère » liée à l’exploration de l’environnement 3D de Stephen Kaplan (1978), semble également être un angle prometteur à approfondir.

Ensuite, la perception des distances n’a pas été contrôlée dans notre recherche et constitue une limite. Dans un contexte de jeux vidéo, Mike Schmierbach, Anthony Limperos et Julia Woolley (2012) montrent que la présence de l’individu est renforcée par les phénomènes d’identification qui sont eux-mêmes accentués par la personnalisation de l’outil. De la même façon, il serait intéressant d’étudier si la projection mentale de soi est favorisée par des possibilités de particularisation de lieux ou de parcours, soit par le consommateur lors de la visite, soit en amont de celle-ci par des recommandations ou des parcours touristiques personnalisés. Enfin, les effets potentiels d’autres variables associées à l’imagerie mentale, comme la capacité individuelle d’imagerie (Vellera et Gavard-Perret, 2016) qui renforce la facilité et la vivacité (Lao, 2010), seraient intéressants à considérer. Les instructions à imaginer, aussi appelées « incitations directes », qui consistent à donner des consignes aux sujets afin qu’ils forment des images mentales en rapport avec le concept à retenir et facilitent ainsi le transport narratif (Gavard-Perret, 1993 ; Escalas, 2004 ; Lao, 2010 ; 2013), pourraient accroître les niveaux de présence perçue dans le lieu touristique. Puisque la présence et la faible facilité d’imagerie mentale ont annihilé en 2D une voie génératrice d’émotions positives, l’usage du traitement narratif qui persuade par un chemin plus affectif (Green et Brock, 2000 ; Escalas, 2004) pourrait être envisagé comme levier émotionnel, alternatif en 2D et complémentaire en 3D. L’analyse approfondie de la valence des images mentales (Helme-Guizon, 1997) permettrait de mieux appréhender les émotions ressenties pour les représentations 2D et 3D.

Pour les consommateurs encore réticents aux achats en ligne, la nouvelle génération d’outils 3D, comme les casques ou smartphones holographiques, va accroître l’illusion de réalité. Ces outils permettront de convaincre de nouveaux individus et pourront révolutionner les visites immersives, même au-delà du secteur touristique. Les résultats obtenus dans notre recherche mériteraient donc d’être confirmés et étendus à d’autres secteurs d’activité et pour toute une panoplie de produits et services, notamment des produits facilement évaluables par la vision (Klein, 2003).

Pour conclure, cette étude a permis de clarifier les étapes où la technologie 3D est susceptible d’influencer positivement l’expérience du consommateur lors d’une visite d’un lieu. À ce titre, la facilité d’imagerie mentale, renforcée par la rapidité et le contrôle perçu, ressort comme un vecteur supplémentaire d’émotions positives dans le contexte 3D comparativement à celui de la 2D. Cette facilité permet également d’accroître la sensation de présence dans le lieu et consolide les émotions ressenties. Par conséquent, les caractéristiques d’exploration et de compréhension des environnements 2D/3D et l’intégration dans la séquence expérientielle de l’imagerie mentale permettent de mieux appréhender les avantages expérientiels de la 3D. Cette recherche permet donc de mettre en avant les avantages de la technologie 3D (versus 2D) sur le comportement cognitif et affectif des individus lors de visites ou de projection de soi dans des lieux souhaités. L’adoption et le développement de nouvelles technologies par les sociétés qui souhaitent vendre un produit ou service sollicitant des visites peuvent par conséquent être envisagés pour avoir un avantage compétitif certain, et notamment une différenciation sur un marché toujours plus concurrentiel. Le secteur touristique doté de stimuli visuels à très forte attractivité ne serait que valorisé par la technologie 3D et permettrait aux consommateurs d’aller au-delà de leur propre imagination. Pour le consommateur, vivre virtuellement de façon anticipée le rêve d’un voyage futur serait une avancée technologique forte dans le processus de recherche d’informations.

Annexe

Figure

-> Voir la liste des figures