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La destination est un construit complexe qui se nourrit de différentes expériences de la vie et qui diffère d’une personne à l’autre. Michel Onfray (2007) souligne cependant qu’il y a des lieux de prédilection qu’on ne choisit pas, voire qu’on est requis par eux (p. 20). Le jour où l’on commence à rêver d’un voyage, un mot, un nom, un lieu ou un endroit lisible sur la carte retient alors l’attention (p. 21). Pour d’autres destinations, souvent le choix est influencé par les images transformées et captées à travers les différents supports auxquels on est exposé. Néanmoins, pour le touriste, la vraie image sera celle qu’il va lui-même concevoir à partir de ses recherches, mais surtout à partir de l’événement du voyage.

Cette construction complexe de l’image de la destination est visible aussi lorsque vient le temps de définir cette dernière. Dans un article publié dans Téoros en 2011, Boulem Kadri, Mohamed Reda Khomsi et Maria Bondarenko révélaient la variété sémantique que reflète la large utilisation du concept de destination aussi bien auprès des chercheurs que des professionnels. Au terme de cet article, les trois chercheurs reconnaissaient que « [l]’ambigüité inhérente peut être reconnue comme une caractéristique principale du fonctionnement » du concept de destination. Dobrica Z. Jovicic (2016) abonde dans le même sens et souligne que bien que la dimension géographique reste importante dans la circonscription du concept de destination, il n’en demeure pas moins que les dynamiques de construction des destinations observées dans les dernières années témoignent d’une complexité de plus en plus importante. Ce constat est soutenu aussi par Ioana Maria Tripon et Smaranda Adina Cosma (2018) qui remarquent qu’il sera en effet de plus en plus difficile de cerner le concept si l’on tient compte de l’émergence de nouvelles destinations, de l’intégration des nouvelles technologies et de l’évolution du comportement du consommateur.

La difficulté de conceptualisation de la notion de destination n’est pas sans conséquences sur les pratiques managériales. Seyhmus Baloglu et Ken W. McCleary (1999) donnent l’exemple des acteurs d’une destination qui doivent d’abord définir les contours de cette dernière avant de la promouvoir. La même situation se pose quand vient le moment d’évaluer les retombées économiques de l’activité touristique sur une destination. À ce titre, Saila Saraniemi et Mika Kylänen (2011) se demandent comment délimiter le territoire d’une destination pour évaluer ces retombées, sachant que les flux de mobilité des touristes ne correspondent pas souvent au découpage territorial administratif. Ces auteurs soulèvent aussi le cas des traits culturels qui caractérisent une destination, et plus particulièrement celles métropolitaines. Comment concilier la volonté de différenciation d’une destination en misant sur ses traits vernaculaires et en même temps la volonté de s’inscrire dans un modèle de destinations mondiales proposant les mêmes expériences ?

Dans cet ordre d’idées, ce numéro spécial de la revue Téoros tente, à travers les cinq articles qui le composent, d’apporter quelques éléments de réponses aux problématiques soulevées ci-dessus. Tout d’abord, et par le biais d’une posture méthodologique et analytique principalement historique, Julie Manfredini analyse la création, l’évolution et l’affirmation des marques touristiques en France. Celle-ci démontre, par le biais de sources et de données très variées, que ces marques, notamment urbaines, sont présentes depuis le XIXe siècle et sont passées de symboles de modernité à des formes d’ancrage identitaire élaborées par les destinations pour tenter de se distinguer d’autres destinations plus ou moins proches spatialement. À travers également une étude de cas de la marque « Only Lyon », l’auteure illustre de façon éloquente les liens prégnants entre la formation de ces marques et les concepts plus fondamentaux d’image, de représentation, d’identité ou encore d’appartenance. De son côté, Luciana De Araujo Aguiar s’intéresse spécifiquement à la région française de la Bretagne comme destination touristique distinctive. Par le biais d’une démarche ethnologique, elle tente d’analyser à la fois la place de la culture traditionnelle bretonne dans la construction et l’affirmation de cette destination et l’importance de certains symboles et autres images dans ces mécanismes touristiques mais aussi identitaires. L’auteure en arrive à la conclusion que la présence d’un patrimoine culturel immatériel riche et diversifié contribue à l’affirmation touristique de ce territoire breton, à sa préservation, ainsi qu’à certaines formes de réappropriation sociale et territoriale. L’article de Thomas Jammet et Audrey Linder quant à lui traite de la « marque-pays » de la Suisse. Leur étude de cas très fouillée interroge les mécanismes et autres outils numériques élaborés par les acteurs du milieu afin notamment de proposer une expérience pré-visite à des touristes potentiels. Ces auteurs démontrent à quel point l’accent est désormais mis sur l’usage de dispositifs marketing expérientiels et relationnels visant à créer une réelle vitrine territoriale frappée de certains symboles culturels et naturels pouvant devenir rapidement de réels clichés. Leur article permet aussi de distinguer les limites de ces stratégies et la nécessité de maintenir un arrimage tangible et réel avec différentes réalités locales. Le texte de Clothilde Sabre est une autre étude de cas centrée cette fois-ci sur le quartier d’Akihabara à Tokyo. Ce dernier peut être vu et analysé comme un emblème territorial de l’image de marque du Japon et d’une de ses composantes culturelles qualifiée de « pop culture ». En mobilisant un corpus théorique et conceptuel issu principalement des études urbaines, l’auteure analyse ce cas suivant une approche mixte et démontre à quel point ce quartier a été et est encore utilisé comme marque, voire marqueur touristique. Toutefois, une telle valorisation urbaine exacerbe dans certains cas des clivages sociaux entre des acteurs originels et des promoteurs, questionnant de facto le sens du lieu offert aux touristes. Finalement, Anne-Marie Lebrun et Roxane Corbel s’intéressent aux éléments et stratégies de communication relatifs à l’affirmation et à l’évolution d’une destination urbaine en mobilisant entre autres la théorie des représentations sociales. Leurs réflexions et analyses portent principalement sur le cas de la ville française de Dijon et permettent de mettre en avant le fait qu’il existe des différences plus ou moins marquées entre les représentations que se font les résidents de cette ville et les touristes. Ces auteures font notamment ressortir, à la lumière de leurs résultats, le besoin de cohérence et d’authenticité dans ces campagnes de communication, tout en prenant en compte le fait que ces dernières sont mises en place dans un secteur touristique très mouvant.