Corps de l’article

La tendance au recours accru à des travailleurs temporaires dans les pays du Nord n’a pas échappé au Canada qui, en fait, est devenu un élève modèle de cette approche néolibérale plaçant l’immigration au service du marché du travail. Le développement des programmes de travail temporaire, qui s’est accéléré au début des années 2000, culminait en 2006 alors que le nombre de résidents temporaires admis au pays dépassait le nombre de résidents permanents présents sur le territoire (Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] 2015). Le Canada figurant historiquement parmi les pays d’immigration les plus grands, cette bifurcation témoigne d’un changement d’idéologie régissant la politique migratoire canadienne (Alboim et Cohl 2012 ; Foster 2012 ; Piché 2012). Selon plusieurs observateurs, ce recours de plus en plus marqué aux travailleurs temporaires augmenterait fortement les inégalités entre les migrants et les citoyens, et entre les migrants eux-mêmes, à savoir entre les immigrants permanents et les temporaires (Fudge et MacPhail 2009 ; Gayet 2010 ; Goldring 2010 ; Marsden 2011 ; McLaughlin et Hennebry 2013 ; Nakache et Kinoshita 2010 ; Noiseux 2012 ; Piché 2012 ; Ruhs et Martin 2008). Parmi les avantages dont jouissent les immigrants économiques disposant d’un même niveau de qualification que ceux ayant un visa temporaire, on compte, entre autres, l’accès généralisé à des services financiers, de santé, d’éducation et d’intégration. De plus, les immigrants permanents ne sont pas contraints d’effectuer périodiquement le renouvellement de leur statut et jouissent tous d’une liberté de mouvement sur le marché du travail.

Quant aux travailleurs résidents temporaires, ils disposent de droits différents selon le niveau de qualification de leur emploi, une situation qui défavorise nettement les migrants occupant des emplois peu qualifiés. La situation et l’expérience des migrants des secteurs agricoles et de l’aide domestique ont, à ce titre, généré un grand nombre de travaux de recherche (Amar et Roberge 2009 ; Basok 2004 ; Bélanger et Candiz 2015, 2014 ; Bernhard et al. 2009 ; Binford 2009 ; Hennebry 2012 ; McLaughlin 2009 ; Perry 2012 ; Preibisch 2014, 2010 ; Read et al. 2013 ; Roberge 2008 ; Splitzer et al. 2008 ; Tungohan et al. 2015 ; Vosko 2013). Un consensus se dégage de ce corpus : les travailleurs temporaires qui occupent des emplois exigeant un faible niveau de qualification vivent des situations de précarité créées par la nature même des programmes, qui les rendent vulnérables. Le lien fixe avec l’employeur, l’impossibilité de faire appel en cas de renvoi et une faible mobilité géographique ne sont que quelques exemples de conditions structurelles qui rendent précaire la situation de ces travailleurs.

Ainsi, en dépit d’une littérature abondante sur les travailleurs étrangers, les analyses sur l’expérience des travailleurs résidents temporaires qui occupent des emplois qualifiés sont quasi inexistantes. Les quelques études s’y étant intéressées insistent principalement sur la prévalence de régimes de droits différenciés en fonction du niveau de qualification que requiert l’emploi occupé. Nakache et Kinoshita (2010) constataient, en ce sens, la possibilité pour les travailleurs occupant des emplois qualifiés d’effectuer une transition vers la résidence permanente ainsi que, dans certains cas, la délivrance de permis de travail ouverts permettant de changer d’employeur librement. En revanche, les travailleurs en poste dans des emplois non qualifiés n’ont pratiquement aucune possibilité d’accès à un statut permanent[1]. Mentionnons toutefois que ce processus d’immigration en deux étapes (temporaire puis permanent) se développe en dépit de la fonction originale des programmes temporaires visant à pallier les pénuries de main-d’oeuvre temporaires sur le territoire canadien (Hennebry 2010 ; Nakache et Dixon-Perera 2015). On remarque en effet qu’au cours des dix dernières années, parallèlement au recrutement accru de travailleurs temporaires étrangers, le gouvernement fédéral a procédé à la création de nouveaux programmes facilitant l’accès à la résidence permanente pour certaines catégories de résidents temporaires. Entre 2004 et 2014, la proportion de nouveaux résidents permanents ayant acquis ce statut après avoir été résidents temporaires est passée de 12,4 % à 29,5 % (notre calcul à partir des données de CIC 2015).

Bien que les travailleurs qualifiés jouissent de droits tels que celui de migrer avec les membres de leur famille et, surtout, d’accéder à la résidence permanente après quelques années de séjour (Fudge et MacPhail 2009), nous ne savons que peu de choses sur les parcours et expériences propres aux détenteurs de ce statut. Malgré tout, la dichotomie souvent présentée entre travailleurs peu qualifiés et qualifiés tend à présumer une situation beaucoup plus favorable chez les derniers. Cet article présente des résultats provenant d’une étude qualitative menée auprès de 26 personnes ayant eu le statut de travailleur qualifié temporaire au Québec au cours de la période allant de 2008 à 2016. L’argument principal qui se dégage de l’analyse est que le statut de temporaire, indépendamment de la qualification et des droits différenciés qui y sont associés, est une source de précarité pour les participants rencontrés. Ainsi, nos résultats soulignent certains effets négatifs d’un régime migratoire accordant une place croissante aux travailleurs temporaires.

Le cadre conceptuel

La popularité croissante des programmes de migration temporaire et la précarité associée au statut de certains des travailleurs transitant par ces programmes ont attiré l’attention de plusieurs chercheurs au Canada. Parmi eux, Goldring et al. (2009) se sont intéressées au rôle de l’État dans la mise en place de conditions de séjour et d’accès aux droits qui rendent précaire la situation des migrants. Remettant en question les dichotomies basées sur les différents statuts pour structurer l’analyse de la précarité migratoire (temporaire vs permanent, citoyens vs non-citoyens), ces auteures proposent une approche prenant en compte une gradation des statuts migratoires en fonction du niveau de précarité leur étant associé et de la possibilité de mouvements entre eux. Pour ce faire, elles s’appuient sur quatre critères, soit le droit au travail, le droit à la résidence permanente, la liberté de mouvement sur le marché du travail et le droit à la citoyenneté sociale. Par la suite, cette gradation de la précarité est appliquée aux différents statuts possibles au Canada : citoyen, résident permanent, temporaire qualifié, temporaire peu qualifié, et sans statut. Cette approche s’insère dans la lignée des études citées précédemment ayant mis au jour la précarité des travailleurs temporaires peu qualifiés.

De leur côté, Dauvergne et Marsden (2014) abordent dans leurs travaux le fonctionnement idéologique des programmes de migration temporaire. Elles tentent de comprendre pourquoi, en dépit des nombreuses critiques formulées à l’endroit de ces programmes, aucun changement structurel qui améliorerait les droits des travailleurs n’est effectué. S’appuyant sur les travaux de Purvis et Hunt (1993), les auteures s’intéressent plus particulièrement à la directionnalité de l’idéologie, et donc, à sa façon d’agir toujours de sorte à favoriser les classes dominantes au profit des classes dominées. En ce sens, le tour de force du concept d’idéologie serait sa capacité à présenter les relations sociales existantes comme naturelles et inévitables et, dans le cas des travailleurs temporaires, comme mutuellement bénéfiques (gagnante-gagnante-gagnante). Selon elles, trois concepts sont appelés à converger pour former l’idéologie de la migration temporaire, à savoir, la temporairité (ici le fait d’employer des travailleurs temporaires), le marché du travail et les droits. Ces éléments fonctionneraient idéologiquement, en ce sens qu’ils empêcheraient l’innovation et l’avancement des programmes de migration temporaire et limiteraient, par la même occasion, les chances de pallier les erreurs du passé. Ainsi, l’analyse proposée du fonctionnement idéologique du concept de temporairité démontre qu’au sein des programmes de migration temporaire, les régimes de droit différenciés auxquels sont soumis les travailleurs temporaires sont présentés comme naturels et inévitables afin d’assurer le départ des travailleurs étrangers à la fin de leur contrat.

Toutefois, l’étiquette « temporaire » qui sert de motif aux politiques est illusoire, et ce, sur deux plans. D’une part, les emplois offerts dans le cadre de ces programmes sont en majorité permanents, et d’autre part, une grande partie des travailleurs temporaires arrivent à rester sur le territoire de façon permanente, avec ou sans permission légale, étant donné que la demande des employeurs se poursuit au-delà de la durée de leur visa. Selon Dauvergne et Marsden (2014), l’accent mis sur cette restriction appropriée des droits détourne l’attention de l’inégalité entre les régimes de droits des travailleurs qualifiés et ceux des travailleurs faiblement qualifiés ; la hausse du nombre de travailleurs temporaires n’étant possible, selon la logique présentée par les États, qu’en vertu de cette diminution de droits pour les travailleurs peu qualifiés. Ainsi la directionnalité de la temporairité s’opère de façon à limiter l’accès aux droits des travailleurs temporaires peu qualifiés et à renforcer le pouvoir d’expulsion et de contrôle de l’État.

Selon nous, le fonctionnement idéologique de la temporairité recouvre une troisième dimension, soit le fait de supposer la non-précarité des travailleurs occupant des emplois qualifiés. Ainsi, en appliquant le gradient de précarité présenté par Goldring et al. (2009) au statut de temporaire qualifié, nous souhaitons démontrer l’existence d’une gradation au sein même du statut de travailleur temporaire « qualifié ». De même, en étendant le fonctionnement idéologique de la migration temporaire aux migrants occupant des emplois exigeant un niveau de qualification élevé, nous entendons démontrer l’impossibilité de dissocier la précarité du fait d’avoir un statut temporaire en tant que résident et travailleur, situation que nous appelons la temporairité.

Méthodologie

Notre analyse porte sur 26 entretiens qualitatifs semi-dirigés d’une durée de 60 à 120 minutes, menés à Québec, à Montréal et dans la région de Charlevoix entre février et août 2016. Les participants retenus avaient en commun d’avoir été, pendant une période, des travailleurs temporaires[2]. De plus, ils faisaient tous partie de la catégorie des travailleurs temporaires qualifiés, étant donné leur niveau de compétence correspondant à 0, A ou B relativement à la Classification nationale des professions, niveaux de compétence permettant de déposer une demande de résidence permanente après quelques années de travail temporaire. Les thèmes abordés lors des entretiens portaient sur : le travail et l’expérience migratoire initiale ; l’expérience générale du travail temporaire ; la transition vers la résidence permanente et, le cas échéant, le parcours et l’expérience depuis l’obtention de la résidence. Pendant l’entretien, nous avons recueilli des informations détaillées sur leurs statuts migratoires subséquents et sur leur parcours de travail afin de mieux saisir leur expérience de la période pendant laquelle ils ont été résidents travailleurs temporaires. La présente analyse se concentre sur leur expérience en tant que travailleurs pendant cette phase du parcours[3].

Parmi les participants, certains étaient d’abord arrivés au Canada à titre d’étudiants étrangers ou de travailleurs étrangers. Au moment de l’entretien, 18 avaient terminé le processus de transition alors que 8 étaient toujours travailleurs temporaires et avaient effectué la demande de résidence. Le tableau 1 en annexe montre les caractéristiques des participants. Nous avons effectué une analyse thématique à l’aide du logiciel SONAL sur l’ensemble du corpus. Notre analyse des parcours s’est structurée autour des thèmes suivants : motivation de départ, accès à l’information, stratégie migratoire, condition et expérience de travail, famille, représentation du modèle et attentes vs expérience. Les résultats émergeant de cette classification sont présentés en trois parties : l’expérience du statut, l’expérience au travail et l’interprétation du parcours du point de vue des migrants.

Les personnes rencontrées ont participé à quatre programmes distincts leur ayant octroyé des permis de travail divers (voir tableau 2 en annexe). D’abord, nommons le programme de l’Expérience internationale Canada (EIC), destiné aux jeunes souhaitant voyager et travailler au Canada. Ce programme dispense trois types de permis de travail : 1) le programme Vacances Travail (PVT), permettant d’alterner entre des périodes de travail et des périodes de vacances ; 2) le permis Jeunes professionnels, permettant d’acquérir une expérience de travail au Canada dans une optique de perfectionnement professionnel ; et 3) le permis Stage coop international, permettant au candidat d’acquérir de l’expérience professionnelle à l’étranger en lien avec son domaine d’étude. Le second programme est celui des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Ce programme fédéral accorde aux employeurs canadiens le droit d’embaucher des travailleurs étrangers pour pourvoir des postes que n’occupent pas les citoyens ou les résidents permanents canadiens. Il compte cinq catégories (réforme de 2014), soit : 1) rémunération élevée (travailleurs qualifiés) ; 2) rémunération peu élevée ; 3) volet agricole ; 4) à forte demande, les mieux rémunérés ou de courtes durées ; et 5) programme des aides familiaux résidents. Le troisième programme est celui des permis de travail postdiplôme (PTPD), permettant aux étudiants étrangers fraîchement diplômés d’un établissement postsecondaire canadien participant d’acquérir une expérience de travail au Canada. La dernière catégorie est celle de la mobilité internationale, qui regroupe plusieurs catégories, dont celle des époux ou conjoints de fait des travailleurs qualifiés. Certaines caractéristiques de ces programmes figurent dans le tableau 1 en annexe. Les spécificités de chacun des programmes et le pays d’origine des participants modulent les droits de ces migrants. Certains avaient la couverture de l’assurance-maladie alors que d’autres devaient souscrire une assurance privée ; certains avaient un permis de travail fermé (lié à un seul employeur) alors que d’autres avaient un permis de travail ouvert (leur permettant de changer d’employeur).

Nous avons recruté les participants avec une méthode boule de neige et avons eu recours à différents réseaux. Étant donné que nous mettions l’accent sur l’expérience d’un statut migratoire, notre échantillon n’a pas été limité à une origine nationale, à un secteur d’emploi précis ou à une catégorie d’immigration initiale lors de l’entrée sur le territoire (voir tableau 2 en annexe). Par ailleurs, notre échantillon se restreint à des travailleurs temporaires restés au pays et, donc, ayant fort probablement développé la volonté d’y demeurer. L’inclusion de participants ayant quitté le pays avant l’obtention de la résidence permanente, par choix ou étant donné un refus de leur demande, aurait apporté une autre perspective. Dans certains cas, les participants ont relaté le parcours d’amis et de connaissances ayant vécu ces expériences[4]. Notre groupe de participants consiste donc, en quelque sorte, en un groupe de « survivants » du régime méritocratique migratoire (voir Analyse), le discours relatif à ce régime étant sans doute plus accentué chez ce groupe que chez d’autres ayant expérimenté un parcours différent. Malgré ces limites, l’approche choisie est originale, car elle permet d’élargir la recherche sur les migrants temporaires à ceux occupant des emplois qualifiés, tout en abordant ce groupe sans restriction quant à des critères qui circonscrivent souvent les études, notamment le secteur d’emploi ou l’origine nationale.

Analyse

L’entrée dans la temporairité

Malgré leur hétérogénéité sociale et nationale, les participants ont pour point commun de valoriser la mobilité internationale. Tantôt utilisée pour fuir des contextes nationaux contraignants, tantôt pour découvrir le monde, cette mobilité demeure au centre des stratégies personnelles et professionnelles qu’ils mettent en place. Toutefois, en dépit de cet ancrage migratoire commun, certaines disparités générationnelles sont observables quant au trajet parcouru pour atteindre le statut de travailleur temporaire au Canada.

Ainsi, deux groupes se dessinent. Le premier groupe est constitué de migrants souvent assez jeunes, qui avaient peu d’expérience de travail et étaient récemment diplômés ou en voie d’entreprendre de nouvelles études ; ils étaient sans enfants et pour eux, les relations personnelles étaient à la fois une cause ou une suite de la migration. Pour ce groupe, un séjour au Canada à titre de travailleur temporaire représentait une manière de découvrir le monde, « d’internationaliser » sa trajectoire de vie, de se doter d’une expérience de travail ou, par effet d’entraînement, de suivre un ami ou un conjoint déjà en migration. Ce goût de la découverte ne doit cependant pas obscurcir l’importance des facteurs économiques. Les jeunes participants à notre recherche ont vécu la crise de 2008 en Europe et ont connu un contexte très peu favorable à leur insertion sur le marché du travail. Ces exemples de migrations nord-nord font écho, dans une certaine mesure, aux logiques économiques de la migration sud-nord, en ce sens que ces jeunes Européens, frappés de plein fouet par la crise de 2008, deviennent des travailleurs mobiles à la recherche d’occasions autres au-delà des frontières européennes. Les liens que tissent les jeunes pendant leur période d’exploration et d’insertion économique jouent aussi un rôle déterminant sur leur trajectoire migratoire et se conjuguent aux autres processus. Pour ces jeunes, l’immigration directe en tant que résidents permanents n’aurait pas été possible étant donné leur manque d’expérience de travail et, dans le cas de certains, leur domaine de spécialisation[5]. L’intention initiale lors de la première entrée au Canada varie : pour certains, le projet d’établissement se dessine au fil du processus alors que pour d’autres, il était déjà prévu en amont.

Le second groupe, pour sa part, est composé de professionnels déjà en emploi. Plusieurs étaient mariés et certains sont venus avec des enfants. Ils étaient donc à une étape de leur parcours de vie où la migration à l’étranger s’avérait une décision complexe et éventuellement lourde de conséquences, en cas de difficultés. Tout comme pour les plus jeunes, la crise économique et les transformations du marché du travail ont pu inciter certains professionnels à chercher une opportunité de travail à l’étranger afin d’élargir leurs perspectives. Le choix de la migration à titre de travailleur temporaire, plutôt qu’à titre de résident permanent, était motivé par la vitesse du processus et par la volonté de mettre à l’essai la vie au Québec avant de s’y établir de façon permanente.

Enfin, ce qui caractérise l’ensemble de nos participants au début de leur migration, c’est un sentiment de confiance dans leurs acquis, leurs expériences et leurs possibilités au Canada. Ceux qui ont été recrutés directement par un employeur ou par un intermédiaire dans leur pays d’origine se sont senti « appelés » et étaient ainsi empreints d’une grande confiance. Quant à ceux qui sont arrivés avec un permis ouvert à titre de jeunes professionnels ou de conjoints d’un travailleur temporaire, ils disposaient de perspectives d’emploi moins claires, mais partageaient néanmoins ce sentiment de partir pour un pays leur offrant de nombreuses possibilités. En dépit de profils variés et du stade différent de leurs parcours de vie, l’ensemble de ces migrants ayant été travailleurs temporaires partage certaines expériences de précarité en ce qui a trait à leur emploi et au maintien de leur statut au Canada.

Les limites du statut de temporaire

L’expérience des participants est vécue comme une désillusion, voire un choc pour la plupart d’entre eux. Dans un premier temps, la réalité du statut de résident temporaire se traduit, sur place, par un véritable parcours du combattant pour accéder aux droits sociaux incluant, pour certains, l’accès à l’assurance-maladie, aux services financiers, à l’éducation et à la liberté sur le marché du travail et sur le territoire. Les démarches et le stress permanent inhérents au maintien du statut lors des renouvellements de permis de travail et de séjour occupaient une large part des récits[6] au cours desquels les participants décrivaient leur vie comme une bataille administrative requérant un énorme investissement en temps, en argent et en énergie.

La question de l’accès aux droits sociaux est au coeur des récits, même si l’ampleur et le nombre d’obstacles varient chez les participants. Le dénominateur commun des expériences demeure toutefois la difficulté à obtenir des informations sur ses droits et la prise de conscience concernant l’impossibilité d’accéder à certains d’entre eux. En outre, la rencontre de flous administratifs ainsi que le sentiment d’être confronté au pouvoir discrétionnaire de certains fonctionnaires s’avèrent une source de stress et d’incertitude supplémentaire. La question de l’accès à l’assurance-maladie illustre bien ces situations anxiogènes. Ana, par exemple, une travailleuse sociale originaire d’Espagne et ayant transité par les programmes Vacances Travail (PVT) et Jeunes professionnels, se vit refuser, en début de parcours, l’accès à la carte d’assurance-maladie en raison, supposément, de son type de statut. Elle apprendra plus tard, lors d’une hospitalisation d’urgence, que son statut lui permettait en fait d’être couverte. Par ailleurs, certains seront confrontés à une recherche d’emploi difficile et réaliseront avec amertume que leur permis de travail ouvert implique des restrictions quant à la poursuite de leurs études. Sabine, par exemple, occupait un poste d’enseignante au primaire en France et ignorait à son arrivée que son permis lui interdirait de travailler avec des enfants au Canada. Devant cet échec, elle entreprit de reprendre des études, mais fut confrontée à l’impossibilité de poursuivre une formation excédant un total de six mois. Parallèlement, l’accès aux services financiers s’avère lui aussi parfois limité, certains se voyant refuser l’obtention d’une carte de crédit ou encore d’un prêt pour l’achat d’une voiture, et ce, en dépit de leur contrat de travail et de leur échelle de rémunération. Les blocages de l’accès aux services financiers empêchaient certains participants d’obtenir une carte de crédit, un obstacle important pour la vie quotidienne au Québec qui empêchait même un de nos participants d’avoir accès au stationnement de son propre immeuble ! Enfin, pour les non-francophones (8/26), l’impossibilité de s’inscrire à des cours de francisation subventionnés a largement limité leurs possibilités d’interaction avec le milieu.

Par ailleurs, tous les participants ont eu de la difficulté à accéder à l’information sur les modalités de renouvellement de permis de travail ou pour faire de nouvelles demandes. Les travailleurs temporaires désirant demeurer au Canada au-delà de leur premier visa consultent les sites Internet des gouvernements provinciaux et fédéraux avec assiduité (de façon quotidienne dans bien des cas). Ils craignent aussi les changements de politiques (demandes de documents, demande de test de français, coût de la démarche, etc.) pouvant retarder leurs démarches ou les mettre en péril. Les parcours sont ainsi caractérisés par une incessante lutte administrative visant à conserver son statut et à faire valoir ses droits et ainsi éviter les discontinuités. La crainte d’une perte de statut est compensée par l’acquisition d’une expertise sur les procédures et par la « surpréparation » des dossiers afin d’anticiper tout possible retour ou blocage. Ces stratégies se déploient par le biais d’une hyper vigilance administrative. Le travail servant à assurer le maintien du statut devient ainsi une part importante de la vie de ces « temporaires », experts et survivants d’un système administratif qu’ils décrivent comme étant opaque, changeant, anonyme et capricieux. À ce sujet, Florence nous dit : « Tu checkes le site souvent, là… et tu suis le site avec passion ! Tous les matins au lieu de regarder La Presse, tu regardes Immigration Canada. Ouais, ça, c’est vraiment important. »

Dans certains cas, l’impossibilité d’accéder à l’information entraîne le recours à des services privés. Trois mois avant la fin de son permis initial, Ana entama des démarches pour passer d’un PVT au programme Jeunes professionnels, une possibilité pour les migrants espagnols. Ne disposant pas de toutes les informations nécessaires, elle passa des heures d’attente au téléphone, cherchant à joindre les autorités provinciale et fédérale. À bout d’énergie et de temps, elle décida finalement de faire appel à un avocat, qui lui fournit les renseignements recherchés moyennant des frais de 250 $. La complexité du système est telle que certains migrants multiplient les stratégies afin de s’assurer de conserver un statut légal au Canada. Certains se retrouvent ainsi avec plusieurs permis de séjour à la fois. C’est le cas de Maria, qui accumulera, un an après son arrivée, trois statuts différents : fiche de visiteur, permis de travail (non étudiant) et permis d’études.

L’événement bureaucratique qui concrétise le renouvellement d’un statut est celui du « tour du poteau », expression consacrée par les participants dans ce contexte de migration temporaire. Tous décrivent avec agacement les moments du parcours où ils durent se rendre à un poste-frontière Canada-États-Unis (parfois une fois par année sur quatre ou cinq ans) pour « activer » un nouveau permis de séjour, étape inévitable permettant d’assurer le maintien et la continuité du statut. Le fait d’avoir à retraverser physiquement la frontière leur semblait absurde et anachronique, en plus de demander temps et argent et de s’ajouter aux nombreux désagréments bureaucratiques.

Lors de périodes d’attente entre la fin d’un permis de travail et la réception du suivant, certains participants se sont retrouvés sans statut légal, situation que le gouvernement canadien appelle le « statut implicite » (CIC 2016). Ce statut permet aux travailleurs de poursuivre leurs activités en cours sur le territoire jusqu’à la tombée de la décision. Pour les participants qui ont vécu cette situation, le plus difficile était, sans équivoque, l’assignation au territoire afin de conserver les conditions de résidence en sol canadien. Le sentiment vécu en statut implicite est décrit par certains comme le fait de vivre dans une prison à ciel ouvert ; ils vivent ainsi difficilement, en tant que personnes qualifiées et vivant dans la mobilité, le fait de se retrouver immobilisés d’un point de vue juridique, et ce, pour une durée inconnue et imprévisible. En somme, la menace de discontinuité du statut est un aspect central de la vie de ces travailleurs temporaires qualifiés que nous avons rencontrés. L’expérience vécue témoigne à la fois d’une précarité juridique et subjective. Cette précarité transforme l’expérience migratoire en une réalité bien plus difficile que celle qui a été anticipée lors de la migration initiale.

La précarité au travail

D’après les témoignages de nos participants, le statut de travailleur temporaire est déterminant dans les relations et dans les conditions de travail. Tout comme les travailleurs occupant un emploi peu qualifié, ceux ayant des emplois qualifiés et détenant un permis de travail fermé, qui les lie à un employeur, se retrouvent dépendants de ce dernier, car leur statut sur le territoire est lié à cet emploi. Ainsi, pour les travailleurs rencontrant un conflit ou dont les droits du travail sont bafoués, cette dépendance occasionne des situations difficiles. Les cas de Baptiste et de Mathilde montrent bien l’assujettissement du travailleur envers l’employeur.

Baptiste, un jeune Français de 25 ans, travaille depuis 2014 comme gérant dans un restaurant rapide dans la ville de Québec. Étant lié à son employeur par la nature de son permis de travail temporaire, Baptiste endure des conditions de travail abusives. Ne voulant pas déplaire à son patron, il accepte un faible salaire, de ne pas être rémunéré pour ses heures supplémentaires et d’assurer des quarts de travail achalandés avec un personnel réduit. L’accumulation de ces différents facteurs lui occasionne divers problèmes de santé, allant du stress aux réactions cutanées dues à l’utilisation quotidienne de produits nettoyants. Malgré l’exploitation dont il est victime à son travail, Baptiste, comme plusieurs autres, n’envisage pas la confrontation avec son patron, de qui il dépend pour obtenir la résidence permanente. Ne connaissant pas ses droits et ayant peur de nuire à ses démarches de résidence, Baptiste attend patiemment l’arrivée de son statut permanent pour chercher un milieu de travail plus sain. Il mentionnait lors de l’entretien :

Si l’employeur décide de se séparer de moi, je n’ai plus rien, je suis quasiment obligé de rentrer en France… Donc si tu veux, quand j’ai besoin de faire des heures ou quand ça se passe mal au travail, je me tais et j’attends que les deux ans se passent… J’ai pas envie d’être au bout de sa ligne de mire, et que dès que je fais une faute ou quoi, ça se passe mal, donc je fais comme il me dit de faire…

Mathilde, tout comme Baptiste, est originaire de France. Elle est arrivée au Québec au cours de l’année 2011 pour travailler comme pâtissière dans une petite boulangerie. Comme elle détient également une formation en commerce, son patron s’appuie beaucoup sur elle pour assurer le roulement de la boulangerie durant ses absences, une situation qui mènera bien vite à des abus de la part de l’employeur.

J’avais accumulé 300 heures supplémentaires qu’il ne m’a jamais payées. C’est dommage, le salaire était peu élevé par rapport au travail qu’on faisait, j’étais à 11 $ de l’heure. Je travaillais dix ou douze heures par jour, des horaires de nuit, de fin de semaine. Quand il ne se sentait pas bien, j’avais la responsabilité toute seule. Ce n’était vraiment pas glorieux de sa part.

En 2013, Mathilde décide de déménager en région pour suivre son conjoint. Après avoir terminé les démarches pour changer d’employeur sur son permis de travail, elle débutera comme pâtissière pour un hôtel de la région. Cette fois encore, Mathilde sera confrontée à des conditions de travail difficiles : « On m’avait dit un 40 heures, mais par la suite, en novembre et décembre, je travaillais un jour par semaine. Forcément, niveau financier, ça n’était pas possible parce que j’avais droit à rien à côté et j’avais 80 $ par semaine. Je pouvais plus payer mon loyer donc ils m’ont logée pour pouvoir attendre… » Enfin, outre les ennuis financiers causés par le non-respect des normes du contrat de son employeur, Mathilde sera confrontée, tout au long de cette période, à la peur de perdre son statut advenant la découverte de son irrégularité.

Je me disais : mince, si le gouvernement se rend compte que je ne travaille pas à temps plein, est-ce qu’ils vont me renvoyer ? Je ne savais pas trop ce qui allait m’arriver, et c’est ça, avec ce permis de travail temporaire, on est lié à un employeur. Je ne pouvais pas travailler pour quelqu’un d’autre sans faire de changements. On ne peut pas cumuler plusieurs emplois et avec la réalité économique de la région [peu d’heures l’hiver et beaucoup l’été], comment on fait pour compenser, on n’a pas le droit au chômage, je comprends… mais c’est pas un système qui est viable en région.

La plupart de nos participants soulignaient avoir eu des conditions de travail défavorables par rapport aux autres travailleurs immigrants permanents ou aux citoyens canadiens. Dans l’ensemble, la qualité de leur emploi (horaire, rémunération, tâches, etc.) était moindre et ils avaient conscience de ces inégalités. Même si certaines pratiques des employeurs ne respectaient pas les contrats de travail, les travailleurs n’osaient pas faire valoir leurs droits étant donné leur crainte de perdre leur statut.

Malheureusement, les employeurs au Québec, ils cherchent les immigrants pour les payer un peu moins cher qu’un Québécois […] moi, la différence de mon salaire, c’était 10 000, 15 000, je m’en suis rendu compte après […] il y a quelques batailles qu’il faut laisser tomber parce que tu peux te griller chez ton employeur et tu vas avoir des problèmes

Gabriel

Juan, ingénieur en informatique, fut victime d’une agence de sous-traitance qui l’avait recruté au Brésil. Il signa un contrat qui stipulait qu’il aurait des mandats de trois à six mois (généralement au sein de ministères du gouvernement du Québec) en continu. En cas de période d’interruption entre deux mandats, le contrat disait que son salaire serait maintenu. Or, après la fin d’un mandat, il se retrouva sans travail et l’agence cessa complètement de le payer pendant plusieurs mois. Il se retrouva dans une situation extrêmement difficile. Un de ses collègues qui vécut le même abus dut éventuellement rentrer au Brésil, car il se retrouva ruiné après six mois de non-emploi. Alors que Juan tentait de faire valoir ses droits, il réalisa qu’il était en quelque sorte un travailleur orphelin ne relevant d’aucun service public provincial. Ses tentatives de revendication de ses droits se soldèrent par un échec :

Donc à ce moment-là, je suis allé au ministère de l’Immigration pour savoir quels étaient mes droits, qu’est-ce que je pouvais faire. En arrivant, on m’a dit d’appeler un numéro pour raconter mon histoire. […] Quand j’ai commencé à parler, on m’a dit : « Ah non, ça touche le ministère du Travail… il faut appeler là-bas. » J’ai pris mon téléphone pour appeler et quand j’ai dit que j’étais résident temporaire, la dame m’a dit la même chose : « Ah, mais comme vous êtes TÉT, vous devez appeler l’immigration… » J’ai commencé à voir que ça allait faire du ping-pong, donc à ce moment-là, j’étais super découragé.

Finalement, Juan se trouva un autre emploi lui-même et se libéra de l’agence de sous-traitance qui abandonnait les travailleurs qu’elle recrutait. En somme, l’analyse du corpus révèle un sentiment fréquent de vulnérabilité vis-à-vis de l’employeur et des pouvoirs publics, malgré leur situation de travailleurs qualifiés.

Néanmoins, notre échantillon témoigne également de quelques expériences de travail beaucoup plus favorables. Ceci montre que les conditions de travail varient énormément au sein même de la catégorie des travailleurs temporaires ayant un emploi qualifié et pour laquelle l’employeur occupe une place centrale. On constate ainsi que certains de nos participants, ayant eu la chance d’être embauchés par des employeurs non abusifs, ont des conditions de travail favorables. C’est le cas d’Ayman, ingénieur informaticien, toujours en poste au sein d’une grande firme-conseil lors de l’entretien, qui traduisait son expérience de temporaire en des termes très positifs : « C’est une très bonne expérience de travail, j’ai les mêmes conditions de travail que les autres [permanents], le même salaire… »

La légitimité d’un régime migratoire méritocratique

À la suite des récits douloureux relatés au fil des entretiens, les participants procèdent à une interprétation de leur expérience. D’une part, ils s’expliquent les difficultés rencontrées comme un test imposé par l’État canadien, qui procéderait ainsi à une sorte de sélection naturelle selon laquelle seuls les plus forts survivraient à la bataille administrative et l’incertitude causées par le statut de temporaire. Ainsi, ces derniers sont convaincus qu’il s’agit d’une stratégie étatique visant à ne garder que les meilleurs, les plus déterminés et les plus méritants. Samuel dit : « Je pense que ça fait partie de la stratégie du gouvernement pour sélectionner les gens, savoir s’ils sont motivés. » Florence résume bien la pensée de nos participants : « D’un côté, des fois, je me dis, ils font exprès pour voir qui est vraiment motivé ! »

D’autre part, ils considèrent ce test étatique comme légitime étant donné la nécessité de bien choisir les immigrants. Ce régime de migration « choisie » est intériorisé par les participants qui peuvent ainsi donner un sens aux épreuves vécues. S’ils abordent les difficultés éprouvées sur le plan personnel, ils endossent les politiques qui les entraînent en adhérant à l’idéologie néolibérale d’autorégulation, d’autodiscipline, enfin de méritocratie, à laquelle ils participent en montrant leur résilience, leurs capacités et leur réussite. Carla exprime bien ce respect de l’approche canadienne :

Je pense qu’en général c’est bien fait, qu’il doit y avoir un contrôle et l’information sur les gens qui entrent au pays. Je suis d’accord avec ce qu’ils font toujours, je pense que c’est ce qu’il faut faire. En Espagne, par exemple, il devrait y avoir un contrôle des gens qui entrent au pays […] en général, tout ce que j’ai vécu, je pense qu’il faut le faire et je pense que c’est bon pour les Canadiens, je suis très positive.

Pour sa part, Yvan, qui attend encore une réponse pour la résidence permanente, démontre bien dans son discours l’ambiguïté existante entre son expérience subjective et l’exercice de légitimation du modèle : « C’est normal que pour les immigrants ça prenne le double d’effort, sauf que des fois, c’est un peu frustrant. »

Ainsi, pour empêcher les discontinuités, les participants terminent leur récit de manière spontanée avec une justification d’un point de vue sécuritaire et méritocratique. En effet, ils acceptent la précarité de la vie de résident et de travailleur temporaire comme un mal nécessaire. La désillusion, en partie causée par le manque d’information prémigratoire et par un système administratif qui semble insuffisant pour répondre aux besoins de cette population, est vite évacuée en fin de récit, surtout pour ceux et celles ayant obtenu la résidence permanente.

Conclusion

Les résultats de notre étude ont révélé les situations précaires associées à la condition de résident et de travailleur temporaire, qui sont un obstacle de taille à la pleine réalisation de l’expérience professionnelle recherchée initialement par nos participants. Le fossé entre la rhétorique gouvernementale vantant les mérites de la migration de travail temporaire et l’absence de services et d’interlocuteurs étatiques pour ces « temporaires » contribuent au statut ambigu et d’entre-deux vécu par ces travailleurs migrants. Ainsi, notre contribution démontre bien, dans le contexte québécois, les difficultés rencontrées par cette catégorie de travailleurs pourtant considérée comme non précaire. En réalité, pour la majorité de ces travailleurs migrants, le renouveau professionnel et personnel espéré grâce à la migration ne semble accessible qu’au terme d’un long et pénible parcours menant à l’obtention de la résidence permanente.

La contribution conceptuelle de cette analyse, en mettant au jour la précarité insoupçonnée de ce groupe de travailleurs, permet en définitive de dépasser la dichotomie qualifié-privilégié/peu qualifié-précarisé. En dépit de leur position légale favorable par rapport à celle des travailleurs occupant des postes peu qualifiés, ceux qui disposent d’emplois qualifiés sont tout de même confrontés à une restriction de leurs droits vis-à-vis des résidents permanents et des citoyens. De plus, au sein même de ce statut de temporaire « qualifié », on peut distinguer certaines disparités relatives à la précarité des individus en fonction de leur employeur. Ainsi, la précarité ne peut plus simplement être attribuée au type de statut ; elle se doit également de prendre en compte les diverses composantes susceptibles d’engendrer des disparités au sein d’une même catégorie de statut. Finalement, si l’on se rapporte à la rhétorique des programmes de migration temporaire qui, en dépit des inégalités exposées précédemment, arrive à présenter la temporairité comme une politique neutre, objective et profitable (Dauvergne et Marsden 2014), l’analyse du statut de qualifié, à la lumière des expériences de précarité vécues par les travailleurs qualifiés, montre bien, ici encore, le fonctionnement idéologique d’une distinction binaire prenant appui sur le niveau de qualification des emplois occupés par les travailleurs et réaffirme, en définitive, la critique essentialiste formulée par plusieurs avant nous (Piché 2012) à l’égard des programmes de migration temporaire tels qu’ils sont aujourd’hui proposés.