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Quelle belle publication qu’est Lumières sous la ville : quand l’archéologie raconte Montréal. Je le dis tout de suite : malgré des critiques parfois assez sévères à l’endroit de travaux en archéologie commerciale aussi appelée archéologie appliquée, ce livre rend compte de la pertinence de cette pratique grâce aux résultats obtenus tels qu’exposés dans cet ouvrage dont environ 80 % proviennent d’interventions en archéologie commerciale. Toutefois, j’en profite pour corriger une erreur d’interprétation de ce qu’est l’archéologie préventive, terme faussement utilisé au début de ce livre. L’approche en archéologie préventive, selon ce que j’ai constaté depuis 22 ans de recherche en territoire français, procède par une évaluation du potentiel archéologique de l’endroit qui sera affecté par les travaux d’aménagement. S’ensuit un inventaire sur le terrain de ce qu’a révélé l’analyse de potentiel, suivi de l’analyse des résultats de l’inventaire et du dépôt d’un rapport au ministère de la Culture et des Communications du Québec. L’évaluation du rapport sera effectuée par un comité indépendant constitué de personnes qualifiées qui prescrira ou non si des travaux supplémentaires seront nécessaires avant toute construction. Ce monde idéal tel que nous le connaissons en Europe est malheureusement absent au Québec, faute d’une loi suffisamment cohérente pour empêcher la destruction de nombreux sites archéologiques d’importance se trouvant malheureusement à l’extérieur des zones historiques où les sites archéologiques sont protégés par la loi.

Lumières sous la ville compte 33 textes regroupés en six sections. Financée par l’Entente sur le développement culturel de la ville de Montréal, un programme du ministère de la Culture et des Communications, cette publication très alléchante a été préparée dans les bureaux de Recherches amérindiennes au Québec. Les directeurs de l’ouvrage ont réussi un tour de force en réussissant à distribuer 308 pages à une quarantaine d’auteurs. La table est mise par feu Claire Mousseau qui a littéralement posé les premiers jalons de l’archéologie urbaine à Montréal. L’introduction à l’archéologie 101 de cette gestionnaire et archéologue de terrain aguerrie guide le lecteur dans le jargon administratif de l’archéologie avec ses définitions de ce que sont l’étude de potentiel, l’inventaire, la fouille préventive, etc.

Viennent ensuite trois sections constituant le coeur de ce volume avec des titres à saveur historico-culturelle : « Montréal l’amérindienne », « Montréal, la française » et « Montréal, la britannique et l’industrielle ». « L’amérindienne » traite de certains thèmes chers à l’étude de la préhistoire, soit les matières premières que l’on retrouve sur le mont Royal et qui ont servi à la fabrication d’outils préhistoriques, les sépultures amérindiennes qui ont révélé, notamment, une occupation de l’île de Montréal à une période aussi ancienne que 4000 ans avant aujourd’hui. Dans la construction du discours archéologique, cette période se nomme archaïque et est donc bien antérieure à la présence iroquoïenne. Cette section se termine par une analyse du paysage et notamment une superbe étude de tout le réseau hydrographique qui se trouve sous nos rues.

Comme on peut s’y attendre, la section « Montréal, la française » couvre plus du tiers de la publication. La richesse de la documentation et la diversité du bâti sous le Régime français sont imposantes ; que ce soit le patrimoine religieux, le patrimoine identitaire de la culture française en Amérique ou encore les fortifications qui ont été érigées pour la protéger. Ce chapitre couvre également la culture matérielle, les habitudes alimentaires et certains aspects du commerce dont l’importante traite des fourrures. En association avec les éléments de la culture française, nous retrouvons régulièrement les traces de la présence autochtone, que l’on observe toujours sur le territoire. Parmi les faits notoires, soulignons la découverte du lieu de fondation de Montréal : le fort de Ville-Marie. Ce lieu mythique souvent cité dans nos petits livres d’Histoire a finalement été identifié sans équivoque par l’archéologie. Cette découverte parmi tant d’autres démontre toute l’importance de l’utilisation des sources documentaires qui, souvent, guident notre démarche de recherche sur la période moderne.

« Montréal, la britannique et l’industrielle » nous fait prendre conscience de tout l’intérêt que revêt le XIXe siècle. Cette lecture nous apprend les fondements mêmes de l’urbanisation et de l’industrialisation de Montréal. Les grands travaux ont modelé la trame urbaine actuelle, tout en gardant un certain nombre de traces de l’époque antérieure. L’archéologue fait des incursions dans des familles, des commerces et la vie de tous les jours que nous découvrons dans les quartiers ouvriers, contenu qui sera davantage accessible au lecteur non initié. Après l’industrie, c’est la vie militaire et politique qui marque le paysage où siégeait le parlement du Canada-Uni entre 1844 et 1849. Les résultats des fouilles nous font revivre la tension palpable entre ceux qui furent qualifiés de deux peuples fondateurs. Enfin, grâce aux développements de la navigation qui viendra faciliter le commerce outre-Atlantique et avec les Antilles, on devine la naissance d’une ville de plus en plus cosmopolite.

Les deux dernières sections, « L’archéologie science d’avenir » et « Épilogue », démontrent toute l’importance des travaux scientifiques sur lesquels repose une telle publication. La Réserve des collections de la Ville de Montréal contient la richesse de la diversité culturelle de la cité. À cela s’ajoute une courte description de certains moyens scientifiques mis en oeuvre pour interroger les objets retrouvés ainsi que les sédiments dans lesquels ces témoins du passé sont enfouis. En épilogue, on nous présente la genèse du paysage laurentien. Cette analyse, préparée par Pierre J. H. Richard, géographe chevronné, est fascinante parce qu’elle est adaptée au lectorat avide du raisonnement essentiel au travail de l’archéologue. Mon seul reproche est que cet épilogue ne soit pas un prologue ! En réalité, j’aurais placé cette belle leçon de paléogéographie en début de l’ouvrage afin d’aider le lecteur à cerner le cadre environnemental dans lequel les Premières Nations sont arrivées dans la région de Montréal. Libre au lecteur de faire comme moi et de commencer sa lecture par l’épilogue. Ensemble, ces deux sections démontrent toute l’importance du travail interdisciplinaire dont dépend l’archéologie. D’ailleurs, je renommerais ces deux sections Pour faire aimer l’archéologie… en référence à un livre d’Histoire qui vient de sortir.

J’ai été ravi par la lecture de cette publication qui s’adresse à un lectorat passionné d’archéologie tout comme au spécialiste qui aimerait en apprendre davantage sur l’archéologie du territoire de la Ville de Montréal. Sans hésiter, je recommande la lecture de cet ouvrage de vulgarisation scientifique de grande qualité, généreusement illustré de cartes localisant les sites archéologiques cités, de plans, de cartes anciennes et d’un grand nombre de photographies.