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L’intérêt de s’interroger sur le Brexit au regard des droits des traités et des organisations internationales est certainement dû à une certaine originalité, parce que les angles d’études classiques sont le droit de l’Union européenne (UE) et le droit du Royaume-Uni avec leurs impacts sur l'économie, les institutions et sur le système de dévolution britannique à l'aune du Brexit[1]. D’ailleurs, les aspects internationaux du Brexit n’ont pas été pris en compte lors des premières phases de négociations entre le Royaume-Uni et l’UE achevées en décembre 2017[2], ni lors de la réunion extraordinaire du Conseil européen du 25 novembre 2018 qui a approuvé l’accord sur le retrait du Royaume-Uni et la déclaration politique sur les futures relations entre l’UE et le Royaume-Uni[3].

Dans cette contribution, le concept d’ordre juridique, défini comme un « ensemble de règles de droit, constituant un système régissant une société ou un groupement donné[4] », sera primordial. Ainsi, l’ordre juridique international constitue la pierre angulaire, c’est-à-dire la base. Pour autant cet ordre juridique n’est pas cloisonné par rapport à l’ordre juridique de l’UE, qui fait office de pierre de touche au sens d’étalon de mesure et l’ordre juridique du Royaume-Uni, qui joue le rôle de pierre d’achoppement, formant un obstacle certain à l’application des droits européen et international. Cependant, le phénomène de circulation des normes, bien illustré par le professeur Bergé[5], est prégnant dans la sortie du Royaume-Uni de l’UE parce que le Brexit se situe aux confins de ces trois ordres juridiques complémentaires et/ou contradictoires en fonction des situations[6]. Peut-on alors concevoir un Brexit heureux[7]?

Les thématiques des droits des traités et des organisations internationales, à l’aune du Brexit, impliquent sur le fond d’étudier l’application du droit des traités, située dans un cadre institutionnel, celui de l’UE et des organisations tiers, qui conditionne à son tour la participation britannique et de l’UE aux organisations internationales, qui a elle-même des effets sur le droit des traités.

À ce stade préliminaire de notre réflexion, quelques précisions terminologiques s’imposent : par organisation internationale, nous entendons organisation intergouvernementale et par Brexit nous nous référons au retrait du Royaume-Uni de l’UE, régi par l’article 50 du Traité sur l’Union européenne (TUE)[8]. Ainsi, cet écrit ne traitera pas des conséquences du Brexit sur les agences européennes, caractérisées par leur absence de personnalité juridique internationale, qui au surplus répondent à une problématique spécifique[9]. Cet article ne prendra pas non plus en compte le retrait britannique d’Euratom, même si ce retrait est « juridiquement joint » en vertu de l’article 106 bis du traité Euratom qui prévoit l’application de l’article 50 du TUE au présent traité[10]. L’accord de retrait du 25 novembre 2018, négocié par l’UE et le Royaume-Uni, qui organise le retrait de l’UE et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA)[11], se réfère à un « retrait ordonné[12] », qui a valeur de voeu pieux en l’état, a fortiori quant à ses aspects internationaux.

Le champ de cette étude revêt quatre dimensions : ratione personae d’abord, avec comme sujets le Royaume-Uni, l’UE et ses États membres, ainsi que les tiers que sont les États et les organisations internationales; ratione materiae ensuite, avec comme cadres complémentaires d’un côté le droit des traités internationaux et européens et, d’un autre côté, les organisations internationales, l’UE et celles à laquelle le Royaume-Uni et l’UE prennent part; ratione loci au surplus avec la question de l’application territoriale de ces traités et ratione temporis enfin, le Brexit étant symptomatique du droit transitoire, temps à géométrie variable par excellence. Il convient de constater que le Brexit forme une équation à beaucoup d’inconnues, constituant assurément un objet juridique et politique non identifié.

La méthode qui nous a paru être la plus appropriée pour appréhender le Brexit, au regard des droits des traités et des organisations internationales, est celle de la politique juridique[13]. Dans cette optique, le droit représente à la fois un instrument et un enjeu de la politique britannique élaborée à l’intérieur de cet État et projetée vers l’extérieur, en l’occurrence les traités et les organisations internationales, face à la politique juridique de l’UE. Cette approche est combinée avec un raisonnement prospectif, la lex ferenda se trouvant entremêlée à la lex lata, parce que le Bexit est au milieu du gué.

Le fil directeur de cette contribution consiste à examiner l’impact du Brexit sur les rapports entre l’ordre juridique international, l’ordre juridique de l’UE et l’ordre juridique du Royaume-Uni, et de manière sous-jacente la dialectique du singulier et du rassemblé, plus large que la dialectique du relationnel – les États – et de l’institutionnel – les organisations internationales[14] – puisque le singulier prend en compte la situation particulière du Royaume-Uni et le rassemblé comprend à la fois le droit des traités et des organisations internationales. Quid des interactions entre le droit des traités et celui des organisations internationales à la lumière de cette dialectique ? Pour le moins, la complexité les caractérise.

Dans ces conditions, l’objet de nos propos vise à mesurer les effets du processus du Brexit sur le droit des traités et la participation britannique aux organisations internationales, à l’aune des rapports entre les ordres juridiques international, de l’UE et du Royaume-Uni, rejetant les hypothèses du « no deal[15] » et de la révocation unilatérale par le Royaume-Uni de sa notification de l’intention de se retirer de cette organisation[16], qui modifieraient les données si elles étaient appliquées.

Un triple mouvement spatio-temporel est alors perçu : l’application consacrée du droit des traités au regard des organisations internationales par le Brexit (I) a des répercussions sur la participation du Royaume-Uni aux organisations internationales impactée par le droit des traités (II), qui elle-même entraîne une application modifiée du droit des traités au regard des organisations internationales après le Brexit (III).

I. L’application consacrée du droit des traités au regard des organisations internationales par le Brexit

Le dispositif conventionnel pertinent comprend le droit de l’UE et le droit international général, appliqué au Brexit dans un environnement institutionnel, celui de l’UE et des organisations internationales tiers. L’ordre juridique de l’UE est prépondérant par rapport aux ordres juridiques international et du Royaume-Uni, tant en ce qui concerne la situation du Royaume-Uni vis-à-vis de ces traités (A), que la position de l’UE à l’égard de ce dispositif conventionnel (B).

A. La prépondérance de l’ordre juridique de l’UE sur les ordres juridiques international et britannique dans l’application par le Royaume-Uni du droit des traités pendant le Brexit

Le Brexit a remis au goût du jour l’application des principes de la lex specialis et de la lex posterior. En effet, le retrait en cours du Royaume-Uni de l’UE est régi par l’article 50 paragraphe 2 du TUE[17] – entré en vigueur le 1er janvier 2009 – disposant que

[l]’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. Cet accord est négocié conformément à l’article 218, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen[18]

et non par l’article 56 de la Convention de Vienne sur le droit des traités[19] de 1969 intitulé « Dénonciation ou retrait dans le cas d’un traité ne contenant pas de dispositions relatives à l’extinction, à la dénonciation ou au retrait[20] ».

Au surplus, le Brexit a permis la mise en oeuvre de l’article 4 paragraphe 3 du TUE disposant qu’« en vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités ». Ce principe de coopération loyale provient lui-même du principe de bonne foi, d’origine coutumière, que l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, « Pacta sunt servenda », reprend dans une disposition conventionnelle qui prévoit que « [t]out traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». Enfin, la règle générale d’interprétation d’un traité prévue par l’article 31 de la Convention de Vienne de 1969, selon laquelle « un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but », a fait l’objet d’une réappropriation par la Cour de justice de l’UE (CJUE)[21], qui met en oeuvre, le cas échéant, ses propres principes d’interprétation de l’article 50 du TUE et de l’article 218 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)[22], régissant les accords externes de l’UE : la méthode systématique qui consiste à interpréter une disposition d’un traité par rapport au contexte général du traité et la méthode téléologique qui consiste à interpréter une disposition du traité à la lumière de son objet et de son but. Mais la Cour peut aussi utiliser la méthode d’interprétation de l’effet utile du traité qui consiste à examiner une disposition d’un traité en s’attachant à ses effets potentiels dans le cadre général du traité. Si ces effets sont conformes au cadre général du traité, cette disposition sera jugée conforme au traité.

B. La prépondérance de l’ordre juridique de l’UE sur les ordres juridiques international et britannique dans l’application des accords internationaux pendant le Brexit

L’UE n’est pas partie à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 entre États, ne pouvant bien sûr pas y accéder en raison de sa nature non étatique, ni à celle de 1986 sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales, ne voulant pas y adhérer en raison de son attachement à l’autonomie de son propre système en ce domaine. L’on peut alors s’interroger sur la valeur coutumière de la Convention de Vienne sur le droit des traités conclus entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales de 1986. La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), dans un arrêt du 16 juin 1998, l’affaire Racke GmbH, a affirmé la valeur coutumière de certaines dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 entre États et leur application aux institutions communautaires, en son paragraphe 46 : « Il s’ensuit que les règles du droit coutumier international portant sur la cessation et la suspension des relations conventionnelles en raison d’un changement fondamental de circonstances lient les institutions de la Communauté et font partie de l’ordre juridique communautaire[23] ». Mais la Cour de justice ne s’est pas prononcée sur la valeur juridique de la Convention de Vienne de 1986 sur les traités entre organisations internationales et États ou entre organisations internationales, en raison sans doute de l’absence d’opinio juris sur la valeur juridique coutumière obligatoire de cette convention internationale. A fortiori, la primauté de la Convention de Vienne de 1969 sur celle de 1986 est prévue par l’article 73 de cette convention en ces termes : « Pour ce qui est des États parties à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, leurs relations dans le cadre d’un traité conclu entre deux États ou plus et une ou plusieurs organisations seront régies par ladite Convention[24] ». Quoi qu’il en soit, ces deux conventions internationales ne sont pas adaptées à la nature juridique spécifique de l’UE qui ne les appliquera pas dans le cadre du Brexit, si la question de l’application d’un accord international est posée.

De même, il n’y aura pas d’incidences pour les parties, en ce qui concerne des accords conclus par l’UE seule, dans la mesure où le retrait d’un État membre de l’UE rend inapplicables sur son territoire les dispositions des accords conclus par UE seule[25], à moins d’envisager le cas bien hypothétique de la renégociation.

La question saillante posée par le Brexit quant aux accords internationaux est celle de la pratique des accords mixtes conclus par l’UE et de ses États membres avec des tiers. Il n’existe pas de précédent en la matière, mais schématiquement une distinction peut être faite entre les accords conclus par le Royaume-Uni en tant que membre de l’UE, par exemple les accords de l’UE avec les États Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP), et ceux conclus conjointement avec l’UE, mais qui auraient pu l’être par le Royaume-Uni seul, tel que l’Accord de Paris sur le climat[26]. Dans cette dernière hypothèse, aucune clause de ces accords multilatéraux ne s’oppose à ce que le Royaume-Uni continue de les appliquer. En revanche, pour les traités conclus par cet État en tant que membre de l’UE, les difficultés sont nombreuses parce que le Royaume-Uni est partie contractante à ces accords qui cesseront de s’appliquer au territoire britannique, à partir du retrait définitif de l’UE, selon la clause d’application territoriale, à condition toutefois qu’il en existe une[27]! S’agissant de ces accords internationaux, l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’UE du 25 novembre 2018 prévoit dans son article 129 paragraphe 1 que « […] pendant la période de transition, le Royaume-Uni est lié par les obligations découlant des accords internationaux conclus par l’Union, par les États membres agissant en son nom ou par l’Union et ses États membres agissant conjointement […] » et dans son article 129 paragraphe 4 que « […] pendant la période de transition, le Royaume-Uni peut négocier, signer et ratifier des accords internationaux conclus en sa propre capacité dans les domaines de compétence exclusive de l’Union, à condition que ces accords n’entrent pas en vigueur ou ne s’appliquent pas pendant la période de transition, sauf autorisation de l’Union ». Il s’agit, en l’occurrence, de l’application du « Guernsey model », sur le modèle de la clause juridique appliquée aux dépendances de la Couronne britannique[28], qui ne différencie pas pendant la période de transition le Royaume-Uni des vingt-sept autres États membres, quant aux accords internationaux conclus avec des États tiers. Durant cette période de transition, la participation de cet État aux organisations internationales sera aussi affectée par le droit des traités.

II. La participation du Royaume-Uni aux organisations internationales impactée par le droit des traités à l’aune du Brexit

Sur le plan politique, la présence au sein des organisations internationales d’une UE à vingt-sept États membres, d’un côté, et du Royaume-Uni, de l’autre permettra d’expérimenter les rapports de force pouvant s’établir entre cette organisation et son ancien membre, tout en mesurant le poids de la puissance diplomatique de l’UE. Sur le plan juridique, le dispositif des organisations internationales tiers à l’UE sera forcément impacté par le Brexit, à cause de la participation d’une l’UE amputée d’un État membre à ces institutions[29]. Deux phases doivent être distinguées, quant à la participation du Royaume-Uni aux organisations internationales. Durant la période dite de transition, s’étalant en principe entre le 12 avril 2019 et le 31 décembre 2020, mais pouvant être prorogée, le Royaume-Uni étant encore membre de l’UE, l’ordre juridique de cette organisation composera avec l’ordre juridique britannique (A). Après le Brexit, cet État devenant tiers à l’UE, l’ordre juridique international composera avec l’ordre juridique du Royaume-Uni (B).

A. L’ordre juridique de l’UE compose avec l’ordre juridique du Royaume-Uni pendant la période de transition du Brexit

Peu de dispositions sont consacrées directement ou indirectement à la participation du Royaume-Uni aux organisations internationales, par l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’UE du 25 novembre 2018, durant la période de transition[30]. Plus précisément, deux articles traitent de cette question. D’abord, l’article 129 intitulé « Dispositions spécifiques relatives à l’action extérieure de l’Union » prévoit dans son paragraphe 2 qu’il n’y aura pas de participation des représentants du Royaume-Uni aux travaux des organisations internationales à laquelle l’UE et ses États membres sont présents, à moins que cet État participe de son propre droit ou qu’il soit invité par l’UE, si tel est son intérêt, par exemple pour les nécessités de la coordination. Le paragraphe 3 de cet article 129 réaffirme d’ailleurs le respect des principes de coopération loyale et de compétence exclusive de l’UE, quand elle est effective, durant cette période de transition[31]. Toutefois, l’article 130 paragraphe 1 de cet accord de retrait, dénommé « Régime spécifique relatif aux possibilités de pêche », prévoit une dérogation en matière de pêche, domaine très sensible pour le Royaume-Uni puisque les pêcheurs britanniques ont voté dans leur grande majorité pour le retrait britannique de l’UE[32], en raison de leur désapprobation de la politique commune de la pêche (PCP) de l’UE[33]. Cet article a prévu que le Royaume-Uni devra être consulté pour les questions relatives à la pêche y compris dans les consultations et négociations internationales. En particulier, la possibilité est offerte à l’UE d’inviter le Royaume-Uni comme partie de sa délégation à prendre part à ces débats internationaux[34].

L’ordre juridique de l’UE compose donc avec celui du Royaume-Uni durant cette période de transition du Brexit, qui pourrait être prolongée si un accord définitif n’est pas signé entre ces deux parties. La sortie effective de cet État de l’organisation européenne marquera alors une nouvelle phase, se traduisant notamment par la composition de l’ordre juridique du Royaume-Uni avec l’ordre juridique international.

B. L’ordre juridique du Royaume-Uni compose avec l’ordre juridique international après le Brexit

De manière certes un peu schématique, deux situations sont possibles. En premier lieu, un accord peut être conclu par l’UE seule avec une ou plusieurs organisations internationales, sur la base de l’article 216 du TFUE disposant que

1. L’Union peut conclure un accord avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales lorsque les traités le prévoient ou lorsque la conclusion d’un accord, soit est nécessaire pour réaliser, dans le cadre des politiques de l’Union, l’un des objectifs visés par les traités, soit est prévue dans un acte juridique contraignant de l’Union, soit encore est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée.

2. Les accords conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres.

Ce cas de figure ne posera pas de problème particulier, le Royaume-Uni étant tiers à cet accord, et son statut ne sera pas modifié au sein des organisations internationales auxquelles il participe. En revanche, la deuxième hypothèse est plus problématique, c’est-à-dire lorsqu’un accord mixte – l’UE et ses États membres – est conclu avec des organisations internationales, concernant la participation au sein de ces organisations sur la base de l’article 218 du TFUE qui organise la procédure de conclusion des accords entre l’UE et les organisations internationales[35], et pas une simple coopération avec des organisations internationales sur le fondement de l’article 220 du TFUE qui dispose « 1. L’Union établit toute coopération utile avec les organes des Nations unies et de leurs institutions spécialisées, le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l’Organisation de coopération et de développement économiques. L’Union assure, en outre, les liaisons opportunes avec d’autres organisations internationales ». Seule cette coopération « substantielle », distinguée de la coopération « fonctionnelle[36] » permet l’acquisition d’un statut par l’UE au sein de ces organisations internationales.

La logique voudrait qu’en présence d’un accord mixte le statut acquis par l’UE dans cette organisation dépende de la nature de la compétence exercée par l’UE dans le champ d’action de ladite organisation. Suivant ce précepte, l’UE devrait avoir un statut de membre substitutif au sein des institutions internationales dont les compétences correspondent à ses compétences exclusives et un statut de membre cumulatif au sein des organisations dont les compétences correspondent à ses compétences partagées ou de coordination. Mais cette règle est loin d’être systématique, puisque le statut de membre substitutif est uniquement détenu par l’UE dans les organisations régionales de pêche (ORP), exerçant des compétences exclusives en la matière. En sortant de l’UE, le Royaume-Uni retrouvera sa compétence perdue en matière de pêche[37], mais en contrepartie la position de l’UE défendue par la Commission au sein de ces ORP ne prendra plus en compte ses intérêts, ne bénéficiant plus des possibilités de pêche accordées à l’UE en tant que membre[38]. Le Brexit implique donc pour le Royaume-Uni, s’il veut devenir ou redevenir membre des ORP concernées, qu’il refasse des démarches d’adhésion en ce sens. Cet État a d’ailleurs déjà annoncé, le 2 juillet 2017, son intention de se retirer de la Convention de Londres sur la pêche en 2019[39], portant sur les droits de pêche dans les eaux côtières des États parties à la Convention.

En revanche, dans les organisations où l’UE bénéficie d’un statut de membre cumulatif, c’est-à-dire avec ses États membres, comme à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’UE comme le Royaume-Uni conserveront, en principe, chacun leur statut de membre. Cet État ne devrait donc pas solliciter une nouvelle adhésion dans ces organisations. Mais, pour être fidèle à l’intégralité des engagements découlant de sa qualité de membre, le Royaume-Uni devra reprendre l’acquis de l’organisation qui relève de la compétence de l’UE et a donné lieu à des actes de mise en oeuvre, de sa part. Quant à l’UE, elle devra vider ses textes de toute éventuelle référence au Royaume-Uni.

L’exemple de l’impact du Brexit sur l’OMC et sur la participation de l’UE à cette organisation est le plus représentatif des cas où l’UE bénéficie d’un statut de membre cumulatif avec ses États membres, en raison de l’importance de cette organisation dans la société internationale[40]. Pour le Royaume-Uni, qui est membre fondateur de l’OMC, il n’a pas en principe besoin d’y accéder de nouveau. Sa législation commerciale est réputée conforme aux règles pertinentes de l’OMC, à condition que la « grande loi d’abrogation » (Great Repeal Bill)[41], intitulée officiellement The European Union Withdrawal Bill, reprenne l’acquis communautaire. Les engagements britanniques d’accès au marché (schedule of commitments) ont aussi été adoptés collectivement par l’UE et, donc, pour redevenir membre autonome de l’OMC, le Royaume-Uni devra formuler sa propre offre individuelle, qui entrera en vigueur le jour de son retrait de l’UE. On ne peut donc présumer de la durée des négociations que cet État devra conduire à l’OMC, la renégociation des concessions, des quotas et des tarifs devant prendre du temps, dans la mesure où les termes de la discussion se feront sur la base d’une UE à vingt-sept membres, le Royaume-Uni ne pouvant plus profiter des avantages offerts par sa qualité de membre de cette organisation européenne, a fortiori si la version hard du Brexit est appliquée[42]. Les négociations battant leur plein, le Royaume-Uni a déjà fait part, le 3 décembre 2018, de ses projets d’engagements relatifs aux services post-Brexit[43]. Et surtout, les parties à l’Accord sur les marchés publics (AMP) ont approuvé, le 27 février 2019, l’accession de cet État, à titre individuel à cet accord, alors que le Royaume-Uni pouvait perdre toutes les concessions accordées au titre de l’AMP, cet État n’étant pas une partie autonome de cet accord plurilatéral, contrairement aux accords multilatéraux de l’OMC, dont il est une partie à part entière[44].

De manière plus générale, une plus grande cohésion et cohérence des positions de l’UE dans le cadre des organisations internationales où l’institution européenne possède le statut de membre, à l’OMC en particulier, découleront peut-être du Brexit.

Le Brexit offrira aussi l’occasion tant attendue de rationaliser les modes de participation de l’UE aux organisations internationales, du fait de l’absence de corrélation entre le statut acquis par l’UE et la nature des compétences exercées. Ainsi, l’UE a un statut inférieur à celui de membre dans certaines organisations, alors qu’elle possède des compétences exclusives ou partagées dans les domaines d’activités exercés par ces institutions internationales[45]. À titre d’exemple, l’UE a la qualité d’observateur à l’Organisation maritime internationale (OMI) alors qu’elle a des compétences exclusives dans un grand nombre d’activités maritimes, et un statut d’invité ponctuel au Conseil de sécurité des Nations Unies, alors qu’elle exerce des compétences en matière de paix et de sécurité internationale, en vertu de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Il faut espérer que le Brexit permettra à l’UE d’obtenir un statut davantage institutionnalisé à l’ONU et, plus généralement, de bénéficier d’un rehaussement de son statut dans les organisations internationales auxquelles elle participe. L’après-Brexit entraînera également, en toute vraisemblance, une application modifiée du droit des traités au regard des organisations internationales.

III. L’application modifiée du droit des traités au regard des organisations internationales après le Brexit

Une fois que le Royaume-Uni deviendra un État tiers à l’UE, l’ordre juridique international sera prépondérant par rapport aux ordres juridiques de l’UE et du Royaume-Uni, entraînant une modification de l’application du droit des traités internationaux. En effet, le droit international conventionnel s’appliquera aussi bien dans les rapports entre le Royaume-Uni et le droit des traités (A), que dans les relations triangulaires entre l’UE, le Royaume-Uni et les partenaires déjà tiers à cette organisation (B).

A. La prépondérance de l’ordre juridique international dans les rapports entre le Royaume-Uni et le droit des traités

Dans l’hypothèse d’un Brexit dur, défendu au début des négociations par Madame May et la Chambre des Communes britanniques et impliquant une sortie du Royaume-Uni du marché intérieur européen et de l’Union douanière[46], le futur accord conclu entre cet État et l’UE, à la fin de la période de transition, prévue en principe le 31 décembre 2020, sera un accord similaire à ceux conclus avec le Canada et la Corée du Sud, qui établissent des zones de libre-échange[47].

Dès lors, le principe d’effet relatif des traités s’appliquera au Royaume-Uni vis-à-vis de l’article 50 du TUE – organisant le retrait de cet État de l’UE – et n’aura pas d’impact sur les liens conventionnels créés par un accord mixte[48]. Ce sera la fin pour cet État du statut de partie contractante aux accords conclus conjointement avec l’UE, mais sur le plan du droit international, le Royaume-Uni sera toujours lié par ces liens conventionnels, d’où la nécessité de leur dénonciation, selon l’article 56 paragraphe 1 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités[49]. Le problème consiste à savoir qui doit dénoncer cet accord, l’UE, car il y a une modification du champ d’application territoriale de cet accord mixte, ou le Royaume-Uni, en tant qu’État mettant fin à cette relation tripartite propre à un accord mixte ? La question de la juridiction compétente en cas de différend ne manquera pas non plus d’être posée.

Au surplus, l’article 62 de la Convention de Vienne de 1969, portant sur le changement fondamental de circonstances qui s’est produit par rapport à celles qui existaient au moment de la conclusion d’un traité[50], pourrait être invoqué par les autres parties contractantes que l’UE, même si ses conditions d’admission sont très restrictives. L’obligation de coopération loyale après la mise en oeuvre de l’article 50 du TUE ne sera plus opposable au Royaume-Uni, mais le respect du principe de bonne foi, qui a valeur à la fois conventionnelle et coutumière s’imposera, confortant la prédominance de l’ordre juridique international sur l’ordre juridique européen.

Enfin, le problème de la divisibilité d’un accord, régi par l’article 44 de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui prévoit, dans son paragraphe 1, « [l]e droit pour une partie, prévu dans un traité ou résultant de l’article 56, de dénoncer le traité, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application ne peut être exercé qu’à l’égard de l’ensemble du traité, à moins que ce dernier n’en dispose ou que les parties n’en conviennent autrement » pourrait se poser dans le cas de certains accords mixtes établissant la complémentarité de la participation conjointe[51], une étude au cas par cas étant cependant nécessaire.

B. La prépondérance de l’ordre juridique international dans les rapports entre l’UE et les tiers au regard du droit des traités

Pour les partenaires tiers à l’UE, mais liés à elle par un accord externe, le retrait du Royaume-Uni entraînera une modification de son champ d’application territoriale, visant le territoire d’application du TUE et du TFUE. Or, selon l’article 52 du TUE qui dispose que ces traités s’appliquent sur le territoire des vingt-huit États membres[52], son champ d’application sera amendé, suite au Brexit, les traités ne s’appliquant plus désormais au Royaume-Uni, mais seulement aux vingt-sept États membres de l’UE.

En vertu des principes de coopération loyale et de sécurité juridique, l’UE devra informer tous ses partenaires du retrait du Royaume-Uni, de sa date de prise d’effet et de la modification en découlant sur-le-champ d’application territorial des accords[53]. Pour de nombreux accords externes, la modification de leur champ d’application territoriale n’aura pas de conséquences négatives pour les partenaires de l’UE et pourrait même avoir des aspects bénéfiques, si un accord impose des contraintes mal acceptées par le partenaire, comme les accords de réadmission par exemple.

Les réactions des États tiers ne sauraient être écartées quand les accords externes contiennent des concessions substantielles, comme en matière de pêche, de transports aériens et en matière commerciale et qu’existe la possibilité d’une perte d’avantages pour les partenaires de l’UE, dont les intérêts sont très liés à ceux du Royaume-Uni. Ainsi, des craintes de la part des partenaires préférentiels de l’UE se manifestent, comme les États ACP anglophones, puisque ces pays seront privés de leur accès préférentiel au marché britannique. Inversement, un État tiers pourrait se servir du retrait de cet État pour chercher à renégocier un accord et obtenir des avantages supplémentaires.

Toutefois, les moyens juridiques à la disposition des tiers face à cette modification de l’équilibre initial sont limités, puisque ces accords ne contiennent pas de dispositions spécifiques relatives au retrait, contrairement à ce qui est prévu en matière d’élargissement. Par conséquent, il faudra recourir aux clauses générales des accords concernant la révision, la modification ou la dénonciation et appliquer les dispositions pertinentes de la Convention de Vienne sur le droit des traités, en l’occurrence l’article 56 de cette convention intitulé « Dénonciation, ou retrait dans le cas d’un traité ne contenant pas de dispositions relatives à l’extinction, à la dénonciation ou au retrait », ce qui sous-entend l’application du principe de bonne foi, comme l’a d’ailleurs rappelé la Cour internationale de justice (CIJ) dans son avis Accord OMS – Égypte de 1980[54].

Cette disparition des liens noués par un accord international n’est pas forcément dans l’intérêt du partenaire ou des parties, mais peut toujours être utilisée comme une menace pour obtenir une renégociation de l’accord avec l’UE. De manière plus consensuelle, il leur sera possible de recourir aux organes mixtes des accords, c’est-à-dire un cadre institutionnalisé, pour rechercher une solution de compromis[55].

En l’état des négociations entre le Royaume-Uni et l’UE qui s’enlisent, tout en se prolongeant, la seule certitude de l’impact du Brexit sur le droit des traités et sur la participation britannique et de l’UE aux organisations internationales, c’est l’incertitude due principalement à l’application d’un droit transitoire aux contours imprécis et au contenu évolutif. Toujours est-il qu’au moins une des vertus du Brexit consiste en la réactivation du droit des traités, dans le cadre européen d’abord avec l’application des dispositions idoines du TUE et du TFUE, mais aussi dans le cadre international avec la mise en oeuvre programmée des articles appropriés de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités.