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CONTEXTE

La terminologie « clientèle multiproblématique » est abondamment utilisée dans le langage populaire au sein du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS). Toutefois, elle s’avère très peu utilisée dans la littérature. Par ailleurs, lorsqu’elle est utilisée, celle-ci n’a pas forcément la même signification d’un auteur à l’autre. Néanmoins, en 2009, le réseau régional de la santé et des services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec décrit cette clientèle comme étant « des personnes adultes qui forment un groupe hétérogène partageant des traits cliniques et comportementaux, dont le cumul, l’intensité et la gravité, constituent le profil général. ». Les défis à l’égard des services à offrir à cette clientèle étaient tels que ce réseau s’est alors doté d’orientations régionales témoignant d’une volonté collective à solutionner la problématique (ASSS MCQ, 2009). Dans le même esprit, en 2010, des travaux menés auprès d’un groupe d’experts cliniques[2] ont permis de proposer une définition d’une clientèle dite « multiproblématique », soit :

Une clientèle qui ne trouve pas de réponse ajustée à ses besoins dans le réseau des services publics et qui se caractérise par une symptomatologie pouvant être associée ou non à d’autres pathologies se traduisant par le cumul, l’intensité et la gravité de comportements jugés problématiques, puisqu’ils s’écartent des normes sociales considérées comme étant acceptables dans leurs contextes.

Moreau et Léveillée, 2018

Plus récemment, des ajustements sont proposés à la terminologie du concept et à sa définition par Moreau et Ndengeyingoma (2018). En effet, les travaux menés depuis quelques années mettent en évidence certains aspects liés à la clientèle, mais aussi certains aspects liés au contexte organisationnel du réseau dans sa capacité d’accueil à l’égard de celle-ci. Conséquemment, l’étiquette de « clientèle multiproblématique » requiert certaines nuances. En effet, la clientèle présente des problématiques multiples, certes, mais le contexte du RSSS contribue parfois à des « situations multiproblématiques » à l’égard de cette clientèle, de sorte que la terminologie de clientèle à profil « multiproblématique » dans un contexte d’organisation de service du RSSS est privilégiée. Puisque la littérature était très peu abondante sur le sujet, ces mêmes auteurs se sont tournés vers trois sources de données permettant de recueillir l’information dans le but de raffiner la définition du concept de clientèle à profil « multiproblématique ». Ainsi, la première source de données est issue de la littérature scientifique, la deuxième émerge des données issues de l’expérience clinique des acteurs de la santé et des services sociaux et de l’expérience du proche aidant, et finalement, la troisième et dernière source de données provient du contexte organisationnel des établissements du RSSS. Ainsi, la définition d’une clientèle à profil « multiproblématique » dans un contexte d’organisation de service du RSSS proposée par ce collectif d’auteurs est :

Une clientèle de tout âge présentant de multiples problématiques d’ordre développemental, physiologique, psychologique, social, environnemental ou leurs combinaisons. Elle se caractérise par l’adoption de comportements pouvant nuire à son traitement, à sa réadaptation et à son rétablissement. Elle est aussi reconnue comme étant une grande utilisatrice des services, éprouvant des défis à trouver une réponse ajustée à ses besoins au sein du RSSS. Cette clientèle est identifiée comme ayant un profil « multiproblématique » au moment où elle devient, à la fois, tributaire d’impasses cliniques ET d’impasses organisationnelles quant à sa prestation de service.

Moreau et Ndengeyingoma, 2018

Par ailleurs, afin de mieux comprendre la problématique, une étude récente de Moreau et Léveillée (2018) met en évidence les principales caractéristiques présentes chez cette clientèle, permettant ainsi de dégager trois grands constats relatifs aux défis du RSSS quant à sa capacité d’accueil à son égard. Le premier constat a trait à une organisation de services réactive dans la desserte de cette clientèle, le deuxième concerne l’intensité des services que celle-ci requière et le troisième témoigne des facteurs de risque de violence prédominant chez celle-ci. À l’instar de ces constats, le but de la présente étude consiste à proposer une classification par sous-groupes de personnes présentant des problématiques multiples et un risque accru de comportements violents, mais pour lesquelles l’origine de ces problématiques serait différente. L’idée étant de mieux comprendre qui est cette clientèle pour mieux la desservir. Ainsi, l’appartenance à l’un de ces sous-groupes facilitera l’orientation vers des services adaptés aux besoins particuliers de cette clientèle au sein du RSSS de même que l’adoption de stratégies cliniques ajustées à leurs spécificités.

RECENSION DES ÉCRITS

La recension des écrits est orientée selon trois axes. Le premier a trait aux concepts souvent associés à la clientèle à profil multiproblématique, soit les concepts d’agressivité, de violence et de dangerosité. En effet, la distinction entre ces concepts s’avère importante, puisque comme le soulève l’ASSS MCQ (2009), la sensibilité de chacun face à des comportements problématiques peut susciter une perception et une interprétation différentes de ceux-ci. Le deuxième s’oriente vers les typologies associées aux comportements violents et le troisième fait état des principales composantes caractérisant la clientèle à profil multiproblématique à partir desquelles la présente étude prend assise.

Les concepts d’agressivité, de violence et de dangerosité

Certains auteurs proposent une clarification des concepts d’agressivité, de violence et de dangerosité. Ainsi, le concept d’agressivité renvoie à l’expression de l’affect pour laquelle le contrôle de la personne est relativement indéterminé. Quant à lui, le concept de violence correspond aux actes réels posés par la personne, pouvant porter atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d’autrui ou d’elle-même. Enfin, le concept de dangerosité évoque un état dans lequel une personne est susceptible de commettre un acte violent (Dumais, 2012; Millaud, 2009; Millaud, Roy, Gendron, et Aubut, 1992).

De plus, une catégorisation dichotomique est largement abordée dans la littérature au regard du concept d’agressivité, soit l’agressivité impulsive et l’agressivité instrumentale (McGuire, 2009; Siever, 2008). La composante impulsive renvoie à un comportement réactif par une faible capacité de régulation de la pulsion agressive, tandis que la composante instrumentale réfère à un comportement prémédité se caractérisant par un comportement planifié et coercitif (Siever, 2008).

Dans le même ordre d’idées, certains auteurs font une distinction entre la dangerosité dite « criminologique » et la dangerosité dite « psychiatrique ». Contrairement à la dangerosité psychiatrique qui se définit comme une manifestation de symptômes directement liés aux troubles mentaux (Voyer, Senon, Paillard, et Jaafari, 2009), la dangerosité criminologique, quant à elle, renvoie à un phénomène psychosocial caractérisé par des indices de probabilité à passer à l’acte de manière violente et transgressive (Bourgeois et Bénézech, 2001).

Les principales typologies associées aux comportements violents

Bien que la clientèle à l’étude ne possède pas nécessairement de diagnostic de l’ordre des troubles mentaux graves (TMG), tels des troubles psychotiques du spectre de la schizophrénie, les indices de vulnérabilité et les facteurs de risque de comportements violents chez ce type de patients sont bien documentés dans la littérature, particulièrement dans le domaine de la psychiatrie légale. Bien que dans le cadre de la présente les aspects de la psychiatrie légale ne font pas l’objet de l’étude, il n’en demeure pas moins que les indices de vulnérabilité et les facteurs de risque de comportements violents méritent d’être explorés. Plusieurs auteurs proposent une catégorisation de profils types d’individus présentant des TMG étant susceptibles de commettre des actes de violence.

Entre autres, sur la base de recherches exhaustives de la littérature scientifique dans le domaine, Dubreucq, Joyal et Millaud (2005) ainsi que Joyal, Dubreucq, Gendron et Millaud (2007) procèdent à une mise à jour critique des principaux troubles mentaux à risque de violence en proposant une catégorisation en trois groupes distincts. Le premier groupe, répertorié par ce collectif d’auteurs, intègre des personnes présentant une schizophrénie et de multiples comorbidités, tel l’abus de substances (alcool ou drogues) associé à un trouble de la personnalité antisociale (TPA). Les auteurs évoquent que pour ce groupe, les comportements violents sont de type impulsif, étant de ce fait non planifiés. Cette catégorisation abonde dans le même sens que les travaux soutenus par Elbogen, Swanson, Swartz et Van Dorn (2005) quant à l’origine multifactorielle du risque de violence. De plus, la considération d’une agressivité impulsive est également appuyée par plusieurs auteurs (Hodgins, Cree, Alderton, et Mak, 2007; Monahan et al., 2001; Senon, Jonas, et Voyer, 2013; Voyer et al., 2009).

Le deuxième groupe proposé par Dubreucq et al. (2005) ainsi que par Joyal et al. (2007) est composé de personnes présentant une schizophrénie sévère et persistante de type indifférencié, combinée à des signes neurologiques et neuropsychologiques marqués par un manque d’inhibition. Les comportements violents sont souvent en réaction à une frustration étant, de ce fait, non dirigés. Par ailleurs, les auteurs rapportent que les personnes de ce groupe n’auraient pas d’histoire de comportements violents avant l’émission du diagnostic de schizophrénie. Ce groupe s’apparente à un profil type décrit par Hodgins (2008).

Le troisième et dernier groupe proposé par Dubreucq et al. (2005) ainsi que par Joyal et al. (2007) réunit des personnes atteintes de schizophrénie de type paranoïde, dont les comportements violents s’inscrivent dans un délire de persécution. Ainsi, l’acte de violence est généralement dirigé (souvent vers un membre de la famille). Pour ce groupe, les antécédents de violence sont plutôt rares, tout comme le taux de récidive.

Voyer et al. (2009) ainsi que Senon et al. (2013) proposent également une classification en trois sous-groupes de patients à risque de présenter des comportements violents. Pour ce collectif d’auteurs, le premier sous-groupe réunit des personnes présentant des troubles neurologiques associés à des TMG. Il est rapporté que pour ce sous-groupe, les comportements violents sont souvent en réaction à une frustration et, par conséquent, non dirigés et non planifiés. Par ailleurs, il est soutenu que la récidive pour ce sous-groupe de personnes est fréquente. Ce premier sous-groupe peut s’apparenter sur certains aspects au deuxième groupe de Dubreucq et al. (2005) et de Joyal et al. (2007). En effet, il y a consensus principalement sur deux composantes, soit la présence de problématiques neurologiques et le caractère impulsif et réactionnel des comportements de violence.

Le deuxième sous-groupe proposé par Voyer et al. (2009) ainsi que par Senon et al. (2013) est semblable au troisième groupe proposé par Dubreucq et al. (2005) et Joyal et al. (2007). Ainsi, ce sous-groupe réunit des personnes présentant un délire de persécution dont l’acte de violence est généralement dirigé vers un membre de la famille. Pour ce sous-groupe, les auteurs estiment le risque de récidive comme étant plutôt rare. Cependant, Dumais (2012) rapporte que ce sous-groupe est sujet au débat. En effet, une étude menée par Elbogen et Johnson (2009) démontre qu’un TMG à lui seul ne peut être considéré comme un facteur de risque indépendant. Ainsi, l’amalgame de facteurs tant biologiques, psychologiques, développementaux, sociaux qu’environnementaux est davantage important à considérer quant au risque de violence que la relation directe à un trouble psychiatrique (Dumais, 2012).

Le troisième et dernier sous-groupe proposé par Voyer et al. (2009) et Senon et al. (2013) est composé de personnes présentant un trouble de la personnalité associé. Pour ce sous-groupe, les comportements violents sont de type impulsif et souvent en lien avec l’utilisation d’une substance (alcool ou drogues). Par ailleurs, dans le contexte où la personne présente des antécédents de violence avant la tombée du diagnostic psychiatrique, le potentiel de récidive s’avère important. Ce sous-groupe est en quelque sorte un amalgame du premier et du deuxième groupe proposé par Dubreucq et al. (2005) et Joyal et al. (2007).

Les principales composantes caractérisant la clientèle à profil multiproblématique

Swanson et ses collaborateurs (2006) rapportent que plusieurs études documentent bien les facteurs de risque de violence chez la clientèle présentant des TMG dans un contexte de psychiatrie légale. Il en est de même pour les indices de vulnérabilité d’une clientèle ayant une déficience intellectuelle à risque de présenter des crises comportementales et un trouble grave du comportement (TGC) (CIUSSS MCQ, 2015; Lunsky, Balogh, et Cairney, 2012; Lunsky, et Elserafi, 2011). En contrepartie, ce n’est guère le cas pour la clientèle à profil multiproblématique dans un contexte d’organisation des services du RSSS (ASSS MCQ, 2009).

En effet, bien que la littérature actuelle témoigne de l’importance de mieux comprendre l’influence et l’interaction de différents facteurs outre un diagnostic en évaluation du risque de violence chez un individu (Hodgins et al., 2011), peu d’études vont en ce sens. Par ailleurs, bien que Dumais (2012) mette en évidence l’apport de la spécificité clinique au-delà du diagnostic de TMG, il importe de souligner que la littérature ne dispose d’aucune autre étude à cet égard portant spécifiquement sur une clientèle à profil multiproblématique.

Une étude récente, dans le cadre d’une thèse doctorale[3], fait état des principales caractéristiques présentes chez la clientèle à profil multiproblématique au sein du RSSS en répertoriant des variables sous cinq dimensions (sociodémographique, historique, psychosociale et situationnelle, contextuelle, et clinique) (Moreau, 2017). Les résultats de cette étude démontrent que la clientèle à profil multiproblématique est composée majoritairement d’homme (66,4 %) dont le niveau de scolarité est relativement faible. Par ailleurs, la majorité de celle-ci est prestataire d’un programme gouvernemental d’aide financière (95,3 %) et d’un régime de protection publique (40,8 %), ce qui signifie, sur un plan juridique, que ces personnes requièrent une protection dans l’exercice de leurs droits civils. Ainsi, malgré la propension de cette clientèle à adopter des comportements violents, celle-ci est néanmoins considérée comme étant vulnérable.

Sous la dimension historique (variables liées à l’enfance et à la jeunesse) de cette même étude, la majorité de cette clientèle a vécu au sein d’une dynamique familiale complexe (75 %), fut victime de mauvais traitements (55,6 %), dont la moitié a vécu au moins un placement au cours de l’enfance ou de la jeunesse (49,5 %). Les résultats de cette même étude démontrent que la clientèle à profil multiproblématique présentait déjà des comportements problématiques au courant de la jeunesse (88,9 %), des indices de difficultés d’adaptation sociale ou scolaire (81,7 %), et des antécédents d’activités criminelles (37,3 %) dont une augmentation de la proportion à majorité (46,8 %). Par ailleurs, certaines personnes de l’échantillon figurent sur le registre national des délinquants sexuels (8 %).

Sous la dimension clinique, les résultats de cette même étude démontrent que les principaux diagnostics répertoriés sont des troubles ou des atteintes neurologiques (57,3 %), une lenteur intellectuelle (37,5 %), un trouble de l’adaptation (25 %) et un trouble de l’attachement (22,5 %). L’état de stress post-traumatique (ESPT) est aussi répertorié (19,5 %), des troubles psychotiques (16,7 %) et des troubles dépressifs (10,2 %), une DI (12,6 %) et des TSA (7,9 %). Par ailleurs, cette même étude met en évidence des impressions cliniques, des symptômes ou des traits cliniques[4] documentés au dossier de la clientèle sans nécessairement être diagnostiqués. Ainsi, 36,7 % présentent des symptômes associés au trouble lié à l’utilisation d’alcool. Toutefois, uniquement 27,3 % ont le diagnostic. Par ailleurs, 22,7 % présentent des symptômes associés au trouble lié à l’utilisation de drogues. Toutefois, seulement 14,8 % ont le diagnostic. Dans le même ordre d’idées, 43 % présentent une symptomatologie associée au trouble de la personnalité limite (TPL), mais uniquement 19,5 % possèdent le diagnostic. De plus, 35,9 % présentent une symptomatologie associée au trouble de la personnalité antisociale (TPA). Toutefois, uniquement 14,1 % possèdent le diagnostic.

De plus, cette même étude met en évidence la propension de la clientèle à profil multiproblématique à utiliser plus fréquemment les services d’urgence et d’hospitalisation que la population générale. Autre fait intéressant dégagé de cette étude, cette clientèle est majoritairement tributaire de situations litigieuses entre les partenaires du réseau quant à leur prestation de services (69,5 %). Les responsabilités cliniques, administratives et financières sont les principales sources de différends évoquées (Moreau et Léveillée, 2018).

OBJECTIF DE LA PRÉSENTE RECHERCHE

L’objectif principal de la présente étude consiste à proposer une classification par sous-groupes de personnes, dégageant ainsi des profils distincts de la clientèle à profil multiproblématique dans un contexte d’organisation de service du RSSS. De surcroit, ces regroupements de clientèles présentant des comportements problématiques et violents permettraient aux RSSS de prévoir des stratégies cliniques ajustées à leurs spécificités.

MÉTHODE

La présente s’inscrit dans la continuité de l’étude « Analyse des composantes caractérisant la clientèle dite multiproblématique dans un contexte d’organisation des services au sein du réseau de la santé et des services sociaux » et se veut exploratoire sur la base d’un devis quantitatif. À ce stade de la recherche, l’analyse typologique sert d’outil d’exploration d’une masse de données complexes tirée d’une population d’apparence hétérogène. En somme, l’analyse typologique permet de séparer les individus se distinguant clairement les uns des autres, et de regrouper ceux qui partagent des attributs communs permettant de ce fait le dégagement de sous-groupes de clientèle à profil multiproblématique. Le traitement statistique des données fut réalisé à partir du logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS), version 23.

Participants

L’échantillon de la population à l’étude est composé de 128 dossiers d’usagers âgés entre 18 et 65 ans considérés comme étant une clientèle à profil « multiproblématique »[5] par le RSSS de la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec (MCQ) et référée par les établissements de cette dernière.

Opérationnalisation des variables

Les caractéristiques de la clientèle à profil multiproblématique sont répertoriées à partir de la Grille d’analyse multidimensionnelle de la clientèle dite multiproblématique (GAMM) (Moreau et Léveillée, 2011).[6] Cette grille compte 430 items (principalement dichotomiques) regroupés sous cinq dimensions (sociodémographique, historique, contextuelle, psychosociale et situationnelle, et clinique).

Afin de réduire le nombre de variables tout en conservant un maximum d’informations, des analyses en composantes principales (ACP) selon une approche exploratoire sont effectuées, permettant de retenir 14 facteurs. Mais avant d’énumérer les 14 facteurs utilisés comme variables internes pour constituer les sous-groupes, notons qu’un postulat voulant qu’aucune donnée ne soit manquante réduit le nombre de variables pouvant servir à l’ACP (Husson, Josse, et Pagès, 2010), de sorte que chacun des 14 facteurs est opérationnalisé par les scores obtenus de 121 participants de l’échantillon initial de 128 dossiers.[7] Conséquemment, ces facteurs sont[8] : (1) Contexte d’activités criminelles et de judiciarisation; (2) Contexte d’absence de diagnostic consensuel ou multiples diagnostics; (3) Contexte d’encadrement et d’hébergement complexe; (4) Situation d’assistance continue par mesure de sécurité; (5) Situation d’utilisation des services hospitaliers; (6) Situation associée au soutien familial et social; (7) Traits cliniques et symptômes tels : traits de personnalité limite, traits dépressifs et traits anxieux (sans diagnostic); (8) Traits cliniques et symptômes liés à l’abus de substances (alcool et drogues) et conduites addictives (sans diagnostic); (9) Traits cliniques et symptômes liés aux troubles sexuels et du contrôle des impulsions (sans diagnostic); (10) Diagnostics : troubles neurologiques, trouble de l’attachement, TPA et lenteur intellectuelle; (11) Diagnostics : TPL et trouble de l’adaptation; (12) Diagnostics : ESPT et troubles de l’humeur; (13) Comportements problématiques autodirigés; et (14) Comportements problématiques hétérodirigés.

Afin de témoigner de la pertinence de la typologie obtenue, une toute dernière étape de validation s’avère nécessaire. Cette étape s’effectue à partir des variables externes mises en lien avec chacun des sous-groupes (Kos et Psenicka, 2000). Ainsi les variables externes utilisées sont : (1) Âge; (2) Sexe; (3) Scolarité; (4) Hébergement; (5) Régime de protection; (6) Bénéficiaire du RSSS durant la jeunesse; (7) Indices d’inadaptation durant la jeunesse; (8) Comportements problématiques durant la jeunesse; (9) Antécédents d’activités criminelles durant la jeunesse; (10) Victimes de mauvais traitements durant la jeunesse, (11) Placements durant la jeunesse; (12) Registre national des délinquants sexuels; (13) Prise d’antipsychotique; (14) Prise d’antidépresseur; (15) Prise de psychostimulant; (16) Diagnostics de troubles psychotiques du spectre de la schizophrénie; et (17) Diagnostics de DI.

Analyses statistiques et choix des techniques

La méthode d’analyse statistique retenue est la classification hiérarchique. Il est à noter que l’utilisation de l’ACP en amont de la classification hiérarchique permet la transformation des variables qualitatives en variables continues, optimisant ainsi le rendement de la méthode pressentie (Husson et al., 2010). Conséquemment, les scores standardisés des facteurs des ACP permettent l’utilisation du carré de la distance euclidienne comme mesure de distance entre les individus, et la méthode d’agrégation de Ward comme technique d’agglomération, minimisant ainsi la variance intragroupe. Cette mesure de similarité ainsi que cette méthode d’agrégation sont largement utilisées et reconnues dans bon nombre d’études en sciences humaines (Everitt, Landau, Leese, et Stalh, 2011).

Il est à noter que les analyses de variance effectuées sur les variables internes à l’aide d’ANOVAs dont le seuil de signification préétabli est de p < 0,05, aident au choix du nombre de classes à retenir dans la solution finale de la classification. Par ailleurs, la validation de la pertinence de la classification s’effectue à partir des variables externes mises en lien avec chacun des groupes de la solution de la classification hiérarchique. Comme pour les variables internes, ces comparaisons s’effectuent aussi à l’aide d’ANOVAs et le seuil de signification préétabli est de p <0,05 (Everitt et al., 2011)

RÉSULTATS

À la suite du traitement des données par la réalisation d’une classification hiérarchique, une solution à trois groupes est retenue. L’établissement de trois groupes s’explique, d’une part, par une taille relativement homogène de ceux-ci : groupe 1 (n = 38), groupe 2 (n = 52), groupe 3 (n = 31) et, d’autre part, par des analyses de variance effectuées sur les variables internes. Par ailleurs, la pertinence clinique du profilage de chacun des groupes se voit soutenue et validée par les variables externes énumérées précédemment par une comparaison de celles-ci sur chacun des groupes à l’aide d’ANOVAs.

Analyses de variance sur les variables internes à la classification

Comme le Tableau 1 l’indique, les résultats obtenus démontrent que 13 facteurs sur 14 servants de variables internes à la classification à trois groupes sont significativement discriminants (p < 0,05). En effet, uniquement le facteur (2) Contexte d’absence de diagnostic consensuel ou multiples diagnostics s’avère non significatif. Par ailleurs, les résultats suggèrent que certains facteurs sont davantage discriminants tels que : (7) Traits cliniques et symptômes (traits de personnalité limite, traits dépressifs et traits anxieux sans diagnostic) [F(2, 118) = 120,44, p < 0,001]; (13) Comportements problématiques autodirigés [F(2, 118) = 99,1, p < 0,001]; et (1) Contexte d’activités criminelles et de judiciarisation [F(2, 118) = 34,1, p < 0,001]. Par la suite, dans l’ordre, (3) Contexte d’encadrement et d’hébergement complexe [F(2, 118) = 22,53, p < 0,001]; (9) Traits cliniques et symptômes liés aux troubles sexuels et du contrôle des impulsions (sans diagnostic) [F(2, 118) = 20,28, p < 0,001]; (10) Diagnostics : troubles neurologiques, trouble de l’attachement, TPA et lenteur intellectuelle [F(2, 118) = 18,39, p < 0,001]; (11) Diagnostics : TPL et trouble de l’adaptation [F(2, 118) = 18,03, p < 0,001]; (5) Situation d’utilisation des services hospitaliers [F(2, 118) = 16,97, p < 0,001]; (12) Diagnostics : ESPT et troubles de l’humeur [F(2, 118) = 15,15, p < 0,001]; (4) Situation d’assistance continue par mesure de sécurité [F(2, 118) = 15,14, p < 0,001]; (14) Comportements problématiques hétérodirigés [F(2, 118) = 6,67, p < 0,01]; (8) Traits cliniques et symptômes liés à l’abus de substances (alcool et drogues) et conduite addictive (sans diagnostic) [F(2, 118) = 4,05, p < 0,05]; et finalement (6) Situation associée au soutien familial et social [F(2, 118) = 3,66, p < 0,05].

Tableau 1

Distinction des groupes de clientèle dite « multiproblématique » sur les variables internes

Distinction des groupes de clientèle dite « multiproblématique » sur les variables internes

*p < 0,05. **p < 0,01. ***p < 0,001.

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Comparaison et interprétation des sous-groupes sur les variables internes

En comparant les moyennes des groupes entre eux[9], les résultats démontrent qu’il y a une différence significative entre les trois sous-groupes, principalement sur trois facteurs, soit : (1) Contexte d’activités criminelles et de judiciarisation entre les groupes 1 et 2 (p < 0,001), entre les groupes 1 et 3 (p < 0,001), et entre les groupes 2 et 3 (p < 0,001); (3) Contexte d’encadrement et d’hébergement complexe entre les groupes 1 et 2 (p < 0,01), entre les groupes 1 et 3 (p < 0,001) et entre les groupes 2 et 3 (p < 0,001); et (4) Situation d’assistance continue par mesure de sécurité entre les groupes 1 et 2 (p < 0,05), entre les groupes 1 et 3 (p < 0,001), et entre les groupes 2 et 3 (p < 0,01). Conséquemment, ces résultats suggèrent que chacun des sous-groupes possède un profil bien distinct les uns des autres quant au contexte d’activités criminelles et de judiciarisation, au contexte d’encadrement et d’hébergement complexe, et au besoin d’assistance continue par mesure de sécurité.

De plus, les résultats indiquent une différence significative sur cinq facteurs entre les groupes 1 et 2 et entre les groupes 1 et 3 sans qu’il y ait des différences significatives entre les groupes 2 et 3, soit : (5) Situation d’utilisation des services hospitaliers (p < 0,001); (7) Traits cliniques et symptômes tels : traits de personnalité limite, traits dépressifs et traits anxieux (sans diagnostic) (p < 0,001); (11) Diagnostics : TPL et trouble de l’adaptation (p < 0,001); (12) Diagnostics : ESPT et troubles de l’humeur (p < 0,001); et (13) Comportements problématiques autodirigés (p < 0,001). Par conséquent, ces résultats suggèrent que le groupe 1 se distingue particulièrement des groupes 2 et 3 quant à l’utilisation des services hospitaliers, aux traits de personnalité limite, traits dépressifs et traits anxieux, aux diagnostics de TPL, trouble de l’adaptation, ESPT, troubles de l’humeur, et aux comportements autodirigés.

Par ailleurs, les résultats démontrent une différence significative entre les groupes 2 et 3 sur le facteur (6) Situation associée au soutien familial et social (p < 0,05), ce qui n’est pas le cas entre les groupes 1 et 2 (n.s.) et entre les groupes 1 et 3 (n.s.), suggérant ainsi que le groupe 2 bénéficie davantage d’un soutien familial et social que les autres groupes. De plus, une différence significative est notée entre les groupes 1 et 2 sur le facteur (8) Traits cliniques et symptômes liés à l’abus de substances (alcool et drogues) et conduite addictive (sans diagnostic) (p < 0,05), ce qui n’est pas le cas entre les groupes 1 et 3 (n.s.) et les groupes 2 et 3 (n.s.), suggérant de ce fait que malgré la forte tendance du groupe 1 à l’abus de substances et aux conduites addictives, il n’y a pas de différence significative entre celui-ci et le groupe 3.

Enfin, les comparaisons des moyennes entre les sous-groupes font ressortir une différence significative entre les groupes 1 et 3 et les groupes 2 et 3 sur trois facteurs, soit : (9) Traits cliniques et symptômes liés aux troubles sexuels et du contrôle des impulsions (sans diagnostic) (p < 0,001), (10) Diagnostics : troubles neurologiques, trouble de l’attachement, TPA et lenteur intellectuelle (p < 0,001); et (14) Comportements problématiques hétérodirigés (p < 0,01). Conséquemment, ces résultats suggèrent que le groupe 3 se distingue particulièrement des groupes 1 et 2 par les traits et symptômes liés aux troubles sexuels et du contrôle des impulsions (sans diagnostic), et aux diagnostics de troubles neurologiques, trouble de l’attachement, TPA, lenteur intellectuelle, et aux comportements problématiques hétérodirigés (voir Tableau 1).

Validation des groupes

Les résultats ci-après viennent soutenir la pertinence clinique du profilage de chacun des sous-groupes, à partir de variables externes préalablement sélectionnées, par une comparaison de celles-ci sur chacun des sous-groupes et, par la suite, en comparant les sous-groupes entre eux sur chacune de ces variables. Ainsi, les analyses de variance effectuées sur les trois sous-groupes démontrent que les 17 variables externes sélectionnées sont significativement discriminantes à (p < 0,05). En effet, (1) Âge [F(2, 118) = 6,13, p < 0,01]; (2) Sexe [F(2, 118) = 18,53, p < 0,001]; (3) Scolarité [F(2, 118) = 13,88, p < 0,001]; (4) Hébergement [F(2, 118) = 10,76, p < 0,001]; (5) Régime de protection [F(2, 118) = 12,9, p < 0,001]; (6) Bénéficiaire du RSSS durant la jeunesse [F(2, 118) = 15,48, p < 0,001]; (7) Inadaptation durant la jeunesse [F(2, 118) = 9,83, p < 0,001]; (8) Comportements problématiques durant la jeunesse [F(2, 118) = 3,72, p < 0,05]; (9) Antécédents d’activités criminelles durant la jeunesse [F(2, 118) = 13,94, p < 0,001]; (10) Victimes de mauvais traitements durant la jeunesse [F(2, 118) = 10,67, p < 0,001]; (11) Placements durant la jeunesse [F(2, 118) = 20,31, p < 0,001]; (12) Registre national des délinquants sexuels [F(2, 118) = 20,9, p < 0,001]; (13) Prise d’antipsychotique [F(2, 118) = 3,79, p < 0,05]; (14) Prise d’antidépresseur [F(2, 118) = 28,61, p < 0,001]; (15) Prise de psychostimulant [F(2, 118) = 4,33, p < 0,05]; (16) Diagnostics de troubles psychotiques du spectre de la schizophrénie [F(2, 118) = 4,05, p < 0,05]; et (17) Diagnostics de DI [F(2, 118) = 4,27, p < 0,05].

Comparaison et bonification d’interprétation des sous-groupes sur les variables externes

En comparant les moyennes des sous-groupes entre elles, les résultats démontrent une différence significative entre les groupes 1 et 2 et les groupes 1 et 3, et ce, sur huit variables, soit : (1) Âge (p < 0,001); (3) Niveau de scolarité (p < 0,001); (4) Hébergement entre les groupes 1 et 2 (p < 0,001) et entre les groupes 1 et 3 (p < 0,01); (5) Régime de protection (p < 0,001); (6) Bénéficiaire de services sociaux durant la jeunesse (p < 0,001); (7) Indices d’inadaptation durant la jeunesse entre les groupes 1 et 2 (p < 0,05) et entre les groupes 1 et 3 (p < 0,001); (14) Prise d’antidépresseur (p < 0,001); et (15) Prise de psychostimulant entre les groupes 1 et 2 (p < 0,05) et entre les groupes 1 et 3 (p < 0,05). Conséquemment, ces résultats suggèrent une tendance à distinguer le groupe 1 des groupes 2 et 3. En effet, les tracés des moyennes indiquent que les personnes du groupe 1 sont plus âgées, qu’elles ont un niveau de scolarité plus élevé, qu’elles vivent majoritairement de façon autonome, qu’elles n’ont pas ou peu bénéficié des services du réseau durant la jeunesse et qu’elles sont portées à la prise d’antidépresseur.

Par ailleurs, une différence significative est observée entre les groupes 1 et 3 et les groupes 2 et 3, et ce, sur cinq variables, soit : (2) Sexe entre les groupes 1 et 3 (p < 0,01) et entre les groupes 2 et 3 (p < 0,05); (9) Antécédents d’activités criminelles (p < 0,001); (10) Victimes de mauvais traitements durant la jeunesse entre les groupes 1 et 3 (p < 0,05) et entre les groupes 2 et 3 (p < 0,001), (11) Placement durant la jeunesse (p < 0,001); et (12) Registre national des délinquants sexuels (p < 0,001). Ainsi, ces résultats démontrent que le groupe 3 se distingue particulièrement des groupes 1 et 2 quant aux variables d’antécédents d’activités criminelles, aux mauvais traitements durant la jeunesse, aux placements avant l’âge adulte et l’enregistrement au registre national des délinquants sexuels.

De plus, les résultats démontrent une différence significative sur deux variables, entre les groupes 1 et 3 sans que ce soit le cas entre les groupes 1 et 2 et entre les groupes 2 et 3, soit : (8) Comportements problématiques durant la jeunesse (p < 0,05); et (13) Prise d’antipsychotique (p < 0,05). Dans le même ordre d’idées, les résultats démontrent une différence significative entre les groupes 1 et 2 sur deux variables sans que ce soit le cas entre les groupes 1 et 3 et entre les groupes 2 et 3, soit : (16) Diagnostics de troubles psychotiques du spectre de la schizophrénie (p < 0,05); et (17) Diagnostics de DI (p < 0,05), suggérant que ces types de diagnostics sont davantage présents dans le groupe 2, mais peuvent aussi l’être dans le groupe 3 (voir Tableau 2).

DISCUSSION

Bien qu’exploratoire, cette étude se veut une première dans le RSSS, ce qui rend l’apport scientifique d’autant plus novateur. En effet, le RSSS se dit confronté à des limites importantes dans sa capacité d’accueil à l’égard d’une clientèle qui se trouve à la fois tributaire d’impasses cliniques et d’impasses organisationnelles quant à sa prestation de service.

Tableau 2

Validation des groupes sur les variables externes

Validation des groupes sur les variables externes

*p < 0,05. **p < 0,01. ***p < 0,001.

-> Voir la liste des tableaux

Conséquemment, l’objectif principal de la présente étude consiste à proposer une classification par sous-groupes de clientèle à profil multiproblématique au sein du RSSS en y dégageant des profils distincts dans le but de soutenir l’organisation des services à l’intention de cette clientèle.

Ainsi, la classification hiérarchique effectuée à partir d’un échantillon de 121 adultes considérés comme une clientèle à profil multiproblématique[10] a permis de dégager trois sous-groupes de personnes mettant au défi le RSSS dans sa capacité d’accueil à leurs égards. Par ailleurs, à l’instar des résultats statistiques obtenus de la classification hiérarchique, l’interprétation clinique s’avère tout aussi pertinente, permettant de suggérer une appellation de ces trois sous-groupes, soit : le groupe 1, Clientèle à profil multiproblématique « autodestructeur »; le groupe 2, Clientèle à profil multiproblématique « complexe »; et le groupe 3, Clientèle à profil multiproblématique « adversité sociale ».

Présentation des trois sous-groupes

Groupe 1 : Clientèle à profil multiproblématique « autodestructeur »

Le premier sous-groupe est le seul des trois sous-groupes qui soit composé majoritairement de femmes. Par ailleurs, ce sous-groupe est celui dont le niveau de scolarité est le plus élevé. Ce sous-groupe se caractérise également par une forte tendance à l’utilisation des services d’urgence et d’hospitalisation. Sous un angle clinique, les principaux diagnostics, traits ou symptômes présents chez ce sous-groupe sont associés au trouble de la personnalité limite, aux troubles de l’humeur et plus spécifiquement aux troubles dépressifs, aux troubles anxieux, aux troubles liés au traumatisme et au stress, et plus particulièrement à l’ESPT, au trouble de l’adaptation, et aux troubles liés à l’utilisation de substances (alcool et drogues). La principale médication prescrite pour les personnes de ce sous-groupe est de la famille des antidépresseurs. Bien que ce sous-groupe adopte parfois des comportements hétérodirigés, les comportements problématiques répertoriés sont pour la plupart autodirigés. Par ailleurs, à l’instar du troisième sous-groupe, des indices d’une dynamique familiale complexe au cours de la jeunesse sont notés dans bon nombre de dossiers. Toutefois, contrairement au troisième groupe, les personnes de ce sous-groupe disposent en bonne partie d’un soutien familial et social.

Groupe 2 : Clientèle à profil multiproblématique « complexe »

Tout comme pour le premier sous-groupe, les personnes du deuxième sous-groupe bénéficient en majorité du soutien, tant de leur famille que de leur environnement social. Le niveau de scolarité de ce sous-groupe est relativement faible et la majorité des personnes qui le constitue est sous un régime de protection publique. Les personnes du deuxième sous-groupe présentent en bonne partie des diagnostics précis, tels une DI ou des troubles psychotiques du spectre de la schizophrénie, mais pas forcément dans tous les cas. Par ailleurs, plusieurs déficits neurologiques sont présents dans ce sous-groupe. Par ailleurs, bien que ce sous-groupe représente pour le RSSS des défis cliniques au long cours par la présence de comportements problématiques depuis la jeunesse et des indices de difficultés d’adaptation depuis l’enfance, celui-ci bénéficie d’une prise en charge constante par le réseau, particulièrement en ce qui a trait à l’hébergement. La médication pour bon nombre des personnes de ce sous-groupe est principalement de la famille des antipsychotiques.

Groupe 3 : Clientèle à profil multiproblématique « adversité sociale »

Quant à lui, le troisième sous-groupe est presque exclusivement masculin et se voit le moins scolarisé des trois sous-groupes (niveau primaire et présecondaire). La dimension historique prend beaucoup de place chez ce sous-groupe, dont plusieurs facteurs de risque statiques[11] de violence. En effet, au cours de l’enfance et de la jeunesse des personnes de ce sous-groupe, bon nombre d’entre eux ont vécu au sein d’une dynamique familiale complexe dont plusieurs ont été victimes de mauvais traitements, nécessitant un ou plusieurs placements. Par ailleurs, des indices de difficultés d’adaptation sociale et scolaire, de même que la présence de comportements problématiques multiples au long cours dépeignent ce sous-groupe. De plus, des antécédents d’activités criminelles avant l’âge adulte sont répertoriés dans bon nombre de dossiers dont la proportion augmente à majorité. Par ailleurs, sous la dimension clinique, ce sous-groupe se caractérise par la présence de troubles neurologiques, par une lenteur intellectuelle et des traits associés au trouble de la personnalité antisociale, des traits du trouble du contrôle des impulsions ainsi que des traits du trouble sexuel. Dans le même ordre d’idées, l’ensemble des usagers figurant sur le registre national des délinquants sexuels de l’échantillon se retrouve dans ce sous-groupe. De surcroit, ce sous-groupe présente des traits associés aux troubles d’utilisation de substances (alcool et drogues). Les principales médications figurant aux dossiers des personnes de ce sous-groupe sont de la famille des antipsychotiques et des psychostimulants. Les comportements problématiques de ce sous-groupe sont principalement des comportements hétérodirigés. Par ailleurs, bon nombre des usagers de ce sous-groupe nécessitent une assistance continue par mesure de sécurité et bénéficient majoritairement d’un régime de protection publique.

Liens avec les typologies existantes

Les résultats obtenus mettent en évidence la contribution des caractéristiques, tant sociodémographiques, historiques, contextuelles, psychosociales que cliniques, dans la classification d’une clientèle présentant un risque accru de comportements problématiques et violents. Ces résultats vont par conséquent dans le sens des travaux de Elbogen et Johnson (2009) et de Dumais (2012) à l’effet qu’un TMG ne serait pas un facteur indépendant à la propension de comportements violents. En effet, les composantes autres qu’un diagnostic psychiatrique prennent toutes leur sens dans le cadre de la présente étude, puisque bon nombre de personnes de la clientèle à profil multiproblématique ne présentent pas forcément un TMG.

En ce sens, en faisant abstraction du TMG, le premier sous-groupe de clientèle à profil multiproblématique « autodestructeur » possède quelques similarités avec le troisième sous-groupe proposé par Voyer et al. (2009) ainsi que par Senon et al. (2013). En effet, les traits associés aux troubles de la personnalité souvent en lien avec l’utilisation d’une substance peuvent s’apparenter aux caractéristiques du groupe de la clientèle à profil « autodestructeur ». Toutefois, il serait tout aussi intéressant de savoir si ce groupe proposé par Voyer et al. (2009) ainsi que par Senon et al. (2013) possède le même profil sur l’ensemble des dimensions étudiées dans cette recherche.

Le deuxième sous-groupe « complexe », quant à lui, ne possède aucune similarité avec les typologies proposées tant par Dubreucq et al. (2005), Joyal et al. (2007), Voyer et al. (2009) ainsi que par Senon et al. (2013), et ce, malgré la propension de ce groupe à adopter des comportements violents. Ce constat pourrait s’expliquer par le fait que ce sous-groupe ne présente pas de composantes d’activités criminelles et de judiciarisation. En contrepartie et paradoxalement, le deuxième sous-groupe est celui dont la proportion de diagnostics de troubles psychotiques du spectre de la schizophrénie est le plus élevé des trois sous-groupes de clientèle à profil multiproblématique. Ces résultats viennent donc soutenir l’importance de mieux comprendre l’influence et l’interaction de différents facteurs outre un diagnostic de TMG en évaluation du risque de violence chez un individu.

En faisant abstraction du TMG, le troisième sous-groupe « adversité sociale » peut s’apparenter à certains égards au premier sous-groupe de Voyer et al. (2009) ainsi que de Senon et al. (2013) en raison des composantes neurologiques et du caractère impulsif. Il présente aussi quelques similitudes avec le premier groupe proposé par Dubreucq et al. (2005) ainsi que par Joyal et al. (2007) relativement aux traits associés au TPA et à l’utilisation d’une substance (alcool et drogues). Cependant, il serait intéressant de savoir si ces groupes proposés par ces collectifs d’auteurs possèdent les mêmes caractéristiques au long cours sur l’ensemble des dimensions étudiées que le sous-groupe « adversité sociale ».

Forces et limites de cette étude

La présente recherche contribue à l’avancement des connaissances par son apport scientifique relativement à une clientèle jusqu’alors peu étudiée. En contrepartie, bien que la méthode d’analyse ait été la meilleure avenue pour répondre aux objectifs de cette étude, et malgré la rigueur de la démarche, force est de constater que celle-ci se voit confrontée à certaines limites. En effet, l’analyse typologique ne possède pas les propriétés inférentielles permettant la généralisation des résultats. Toutefois, l’utilisation de variables externes afin de procéder à des tests de validation des groupes ajoute à la robustesse de la typologie. Par ailleurs, la généralisation de la typologie peut néanmoins être envisagée si on la compare à un échantillon d’une autre région, par exemple. De surcroit, il importe de souligner que certaines données ne figuraient pas aux dossiers des usagers, telles que l’intensité et la fréquence des comportements violents, de sorte qu’il n’a pas été possible d’objectiver le niveau de récidive des comportements violents. Par ailleurs, les données manquantes dans certains dossiers ont obligé l’exclusion de variables destinées à la classification hiérarchique, telles les variables de la dimension historique. En contrepartie, il fut néanmoins possible d’utiliser certaines de ces variables pour procéder à la validation des groupes à titre de variables externes, ce qui vient soutenir la qualité heuristique des résultats.

CONCLUSION

Sans conteste, cette recherche prend part à l’avancement des connaissances au regard d’une clientèle jusqu’alors peu étudiée. L’apport scientifique de cette recherche est d’autant plus intéressant puisqu’elle a permis d’étudier une clientèle d’apparence hétérogène, mettant au défi le RSSS quant à sa capacité d’accueil à son égard, en proposant une classification de celle-ci. Bien que l’ensemble de la population à l’étude présente des comportements problématiques et violents, sa classification permet d’identifier principalement trois profils différents, soit un premier sous-groupe : clientèle à profil multiproblématique autodestructeur; un deuxième sous-groupe : clientèle à profil multiproblématique complexe; et un troisième sous-groupe : clientèle à profil multiproblématique adversité sociale. Le premier sous-groupe se distingue par la récurrence d’utilisation des services d’urgence et d’hospitalisation. Le défi du réseau au regard de ce sous-groupe sera certainement de mettre en oeuvre une organisation de services préventive afin, d’une part, de répondre aux besoins particuliers de cette clientèle, et d’autre part, de limiter le phénomène de la porte tournante des services d’urgence. Malgré le fait que le deuxième sous-groupe soit considéré comme étant complexe et bien qu’il soit composé de personnes présentant des défis cliniques importants, celui-ci apparait comme le sous-groupe le mieux entouré et le mieux desservi par le RSSS. Le défi du réseau pour ce sous-groupe semble davantage au niveau des collaborations inter programmes en raison de la complexité clinique que présentent les personnes de ce sous-groupe (ASSS MCQ, 2009; CIUSSS MCQ, 2015). Le troisième sous-groupe, quant à lui, est tributaire d’adversité au long cours et se voit bien connu du RSSS depuis son enfance. Le défi du réseau au regard de ce sous-groupe converge vers une organisation préventive de services afin de limiter la chronicisation des problématiques et la judiciarisation. Pour conclure, les résultats de la présente recherche seront certainement d’une aide précieuse pour les cliniciens et les décideurs du réseau qui ont à adapter leurs services pour répondre aux besoins particuliers d’une clientèle à profil multiproblématique.