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Sous la direction de Stéphane Paquin, Social-démocratie 2.1 : Le Québec comparé aux pays scandinaves propose une analyse exhaustive des politiques sociales qui caractérisent les social-démocraties scandinaves dans une perspective comparative avec le Québec. Tout au long de ses vingt chapitres, l’ouvrage tente d’identifier les leçons que peut tirer la belle province du modèle socioéconomique de ces pays qui ont su allier performances économiques et politiques sociales progressistes. Ceux-ci garantissent des droits sociaux importants à l’ensemble des individus sans pour autant rejeter l’économie du marché et font preuve d’une grande capacité d’adaptation face à la mondialisation (chap. 1).

Ainsi, malgré une fiscalité et une syndicalisation des plus élevées, la compétitivité des pays scandinaves ne s’est jamais démentie. L’exemple en est leur grande attractivité des investissements directs étrangers (chap. 2). Leur secret ? La recherche du compromis qui a toujours caractérisé la gestion des relations industrielles entre syndicats et patronats (chap. 4). Au coeur de ce « néocorporatisme » suédois se trouvent trois principes : l’égalité salariale entre les secteurs économiques, l’acceptation de la disparition des entreprises non rentables ou non compétitives et des politiques publiques favorisant la réintégration rapide au marché de l’emploi pour les personnes qui le perdent. Certes, ce modèle a pu être remis en question à partir des années 1980 dans un contexte de crise économique, d’affaiblissement de l’unité syndicale et de consentement des employés du secteur public à lier leur rémunération à la performance. Néanmoins, l’attachement des Scandinaves à leur modèle social reste très fort (chap. 6). Au Québec, sans qu’elle ne soit totalement absente, la culture de concertation dans la gestion des relations industrielles ne semble pas avoir produit d’aussi bons résultats, notamment en matière de lutte contre les inégalités, et ce, en raison de la faible institutionnalisation des mécanismes gouvernant les relations industrielles dans la province (chap. 5). En effet, si le Québec affiche des performances économiques assez proches des pays scandinaves en ce qui concerne la croissance et l’emploi, les inégalités socioéconomiques y demeurent plus élevées (chap. 3).

Ce retard du Québec s’explique par au moins deux éléments. Premièrement, les compétences civiques qui reflètent « la capacité des citoyens à comprendre la réalité politique ainsi qu’identifier les alternatives en matière de partis et de politiques publiques proposées » (p. 161). Plus élevées, elles nécessitent une participation accrue des citoyens, notamment les plus défavorisés qui y gagnent en influence sur les décideurs politiques. Or, en moyenne, les compétences civiques des Québécois s’avèrent moins élevées que celles des Scandinaves (chap. 7). Deuxièmement, la structure inadaptée de la fiscalité québécoise : fortement axée sur la taxation des revenus, celle-ci ne favoriserait pas la compétitivité du Québec. En effet, les social-démocraties nordiques ont opté pour la taxation de la consommation afin de financer leurs programmes sociaux coûteux et préserver la compétitivité de leurs entreprises. L’illustration parfaite en est le Danemark et sa « TVA sociale » (chap. 8 et 9). En Norvège, l’État dispose également d’importants revenus provenant des hydrocarbures. Cependant, il y a peu de chances que le Québec s’inspire de ce pays vu les logiques originelles totalement différentes qui y ont gouverné l’exploitation pétrolière. D’un côté, la prise de risque liée à l’exploration par l’État québécois conduira à l’échec de l’industrie dès les années 1980. De l’autre côté, l’industrie pétrolière sera initialement développée par le privé. Ce n’est qu’une fois sa rentabilité avérée que l’État norvégien s’imposera dans le secteur grâce à une société publique qui lui assura d’imposantes ressources financières (chap. 10).

En matière d’éducation, les pays scandinaves affichent également des résultats enviables à plusieurs égards. Leurs universités publiques sont très bien représentées dans le palmarès des cent meilleures universités mondiales. La recette ? Une gouvernance performante décentralisée, un système de financement modulé et une forte internationalisation (chap. 12). En Suède, ces principes furent introduits en 1993 dans le cadre d’une grande réforme qui a obtenu le consensus de tous les acteurs concernés en préservant la gratuité (chap. 13).

Le tableau n’est pas totalement noir au Québec, à tout le moins quand il s’agit des résultats des jeunes Québécois de quinze ans en matière d’apprentissage. Toutefois, cela ne devrait pas cacher les problèmes auxquels fait face le Québec en matière de diplomation au secondaire et de décrochage scolaire des garçons (chap. 14). Le bilan québécois est également positif en matière de retraite. Le modèle québécois/canadien alliant public et privé produit des résultats assez proches du régime suédois public et universel pour ce qui est de la diminution de la pauvreté des aînés. Cependant, devant le défi que constitue le vieillissement de la population, la Suède est mieux préparée, en raison des réformes systémiques de son régime de rentes, là où le Québec et le Canada ont privilégié des réformes comptables (chap. 11).

Le Québec rejoint aussi les pays scandinaves sur le plan des garanties légales très élevées offertes aux personnes de la communauté LGBT (lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre). Ces acquis cachent néanmoins une réalité qui est loin d’être idéale. Encore aujourd’hui, aussi bien au Québec que dans les pays scandinaves, les politiques concernant les minorités sexuelles sont largement dominées par un discours hétéronormatif (chap. 18).

Par ailleurs, s’il y avait un doute sur les mauvaises performances du système de santé québécois en matière d’inflation des coûts et des temps d’attente, l’ouvrage vient le rappeler. Le Québec a tout intérêt à s’inspirer de la Suède dont le système de santé se distingue par une forte décentralisation, le développement des centres de santé de proximité et des soins à domicile et le rôle central qu’y occupent les infirmier·ère·s (chap. 14). La Suède est aussi un cas d’école pour ce qui est des politiques familiales. Dans ce pays, ces politiques furent dès le départ guidées par la conviction que l’investissement social est un impératif du développement économique, par la mise en avant de l’intérêt de l’enfant et la centralité de l’égalité homme-femme (chap. 16). Pas étonnant dès lors que les sociétés sociales-démocrates nordiques se présentent comme extrêmement soucieuses des droits des femmes. Cela se reflète notamment par une représentation parlementaire plus élevée qu’au Québec. Ce retard québécois est essentiellement lié à des facteurs de nature politique, comme le système électoral uninominal à un tour utilisé pour les élections provinciales (chap. 17). Certes au Québec la mise en place des services de garderie à partir de 1998 et la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale de 2002 ont eu un impact positif sur la situation socioéconomique des femmes. Cependant, ces politiques semblent avoir principalement profité aux familles biparentales, alors que leur portée semble avoir été très limitée pour les familles monoparentales (chap. 19).

Cet ouvrage se présente comme un véritable plaidoyer en faveur de la social-démocratie. Une de ses utilités est de questionner la tendance qu’ont certains à présenter le Québec comme un modèle en matière de politiques sociales. Cependant, l’image un peu idyllique des pays scandinaves aurait gagné à être un peu plus nuancée. Comme l’évoque le chapitre final, les partis d’extrême droite sont très fortement implantés dans le paysage politique dans ces pays. Non seulement ces partis ont gagné du terrain, mais ils ont eu un impact important sur leurs politiques migratoires jadis très accueillantes. Par exemple, le Danemark a mis en place les politiques les plus restrictives en la matière en Europe. Dès lors, il nous paraît qu’un chapitre consacré à l’analyse comparative des politiques d’accueil et d’intégration des immigrants aurait été un choix très judicieux.

L’approche comparative favorisée dans cet ouvrage est incontestablement instructive. Son plus grand mérite est qu’elle offre un repère pour ceux qui rejettent les choix néolibéraux qui ont gouverné nombre de politiques publiques au Québec durant les deux dernières décennies et qui ont souvent été cadrés comme les seuls économiquement viables. Toutefois, cette approche comporte deux principales limites. D’abord, comme le soulèvent certaines contributions, sans pour autant y apporter une réponse satisfaisante, comparer des États souverains bien établis disposant de l’ensemble des leviers de leurs politiques publiques avec une entité fédérée est questionnable. Cela n’est pas anecdotique, notamment pour ce qui est de la fiscalité. Ensuite, la place donnée au Québec dans la comparaison varie grandement à travers les chapitres. Si, dans certains, celui-ci est au centre de l’analyse, dans d’autres, le Québec apparaît de façon résiduelle, donnant parfois l’impression que la comparaison est forcée, et non pas un élément constitutif de l’analyse. Cela dit, si l’on approche Social-démocratie 2.1 de façon globale, la pertinence scientifique et sociale de cette seconde édition est incontestable, aussi bien pour le spécialiste que pour le lecteur novice.