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Lors de sa campagne pour l’investiture républicaine, le président Trump arguait sur les ondes de CNN en faveur de l’acquisition de la force nucléaire par la Corée du Sud et le Japon[1]. Une fois élu, l’un de ses tout premiers mémorandums présidentiels annonce le renforcement de la puissance nucléaire étatsunienne[2]. Face à ces allégations, plusieurs experts et expertes du droit international du désarmement[3] s’inquiètent quant au respect des obligations des États parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) engageant les États non nucléarisés à ne pas se prévaloir de l’arme nucléaire[4] et les États nucléarisés à cesser la course aux armements nucléaires[5]. C’est au croisement de cet ébranlement du droit international du désarmement que l’ouvrage monographique Disarmement Under International Law (ci-après Disarmament) résonne en importance. L’auteur John Kierulf procède à un examen méthodique du cadre légal du désarmement international tout en plaidant pour de plus fortes contraintes juridiques régulant l’arme la plus inhumaine et meurtrière qui soit[6].

John Kierulf est un ancien diplomate danois fort de quarante ans d’expérience au sein des instances de négociations internationales pour le désarmement. Il rédige Disarmament inquiété par l’annexion de la Crimée et le développement des tensions russo-étatsuniennes, le couple de puissances dépositaires de 93 % de la force nucléaire mondiale[7]. La nouvelle publication de Disarmament chez McGill-Queen’s University Press traduite du danois par l’auteur lui-même est une version bonifiée de l’ouvrage publié antérieurement chez Djøf Publishing. L’ensemble de l’oeuvre se veut une introduction limpide du thème pourtant complexe que représente le contrôle des armes[8] en droit international. Grâce à un vocabulaire accessible, l’ouvrage interpelle les chercheurs et chercheuses académiques, les fonctionnaires gouvernementaux ou toute personne préoccupée par le désarmement international. Dismarmement s’articule en trois parties : d’abord se présente une contextualisation historique et juridique, ensuite le corps de l’ouvrage analyse les traités internationaux encadrant les armes de destruction massive (ADM) ainsi que les armes conventionnelles et finalement, l’auteur émet une série de recommandations personnelles dans le but d’un processus de désarmement international plus efficace

La première partie expose le développement historique du cadre légal du désarmement international ainsi que les enjeux juridiques qui sous-tendent la stagnation de son processus. Le droit du désarmement est un phénomène remontant aux premiers conflits armés de l’humanité. Au XXe siècle, la course aux armements menée sous le théâtre de la guerre froide motive les États à désamorcer leur dilemme de sécurité par le biais d’instances multilatérales chapeautées par les Nations unies telles que l’Assemblé générale, la Commission du désarmement des Nations unies (établie en 1952) et la Conférence du Comité sur le désarmement (établie en 1959). À partir des années soixante-dix, les conventions multilatérales sont apparues pour les États en tant qu’outils de prédilection de normalisation juridique du désarmement international. Or, la rédaction de ces conventions souvent par des non experts en la matière a fait montre de plusieurs lacunes importantes quant à leur précision[9]. La « constructive ambiguity[10] » des traités internationaux, c’est-à-dire le caractère élusif de ces derniers, témoigne de la détermination des États à sauvegarder leur souveraineté, première barrière à l’implantation d’un système de désarmement contraignant. Kierulf met l’accent sur l’implantation de mécanismes de vérification du respect des obligations des États membres de traités sur le contrôle des armes. Le manque de volonté politique envers un renforcement des traités sur le contrôle des armes par des mécanismes de vérification s’inscrit dans le paradigme volontariste des États. Le principe de pacta sunt servanda se doit d’être consolidé par des mécanismes de régulation effectifs[11] afin de forger une confiance internationale et d’éviter l’éclatement de conflits[12].

La deuxième partie de Disarmament est la plus substantielle. L’auteur effectue un survol des conventions régissant le désarmement international et situe les ADM au premier plan des préoccupations de l’ouvrage. Il plaide que les ADM enfreignent plusieurs principes généraux du droit humanitaire tels que la protection des civils et la protection des combattants contre des souffrances inutiles[13]. Dès 1961, la Déclaration sur l’interdiction de l’emploi des armes nucléaires et thermonucléaires a déterminé qu’il n’existe aucune situation dans laquelle le déploiement de l’arme nucléaire peut être effectué en conformité aux principes généraux des Nations unies et du droit international humanitaire[14]. Un vide juridique émerge du fait que bien que l’utilisation des armes nucléaires ne pourrait se conformer au droit international, elles ne sont pas interdites en soi[15]. La grande majorité des États partagent l'opinion que les armes nucléaires devraient être abolies par un traité contraignant, tandis que les États nucléarisés s’accordent avec l’avis consultatif du 8 juillet 1996 de la Cour internationale de justice selon lequel le déploiement de l’arme nucléaire n’est pas inéluctablement incompatible avec le droit international[16]. Une opposition systémique entre une poignée d’États nucléarisés et les États non nucléarisés se réfléchit dans les schémas de votes aux instances internationales. La stagnation des négociations pour des mesures effectives de désarmement relève encore grandement des politiques de défenses occidentales. Les États-Unis en alliance avec l’OTAN entretiennent des politiques de défenses encore largement basées sur la dissuasion[17]. Les armes nucléaires étatsuniennes stationnées en Europe agissent en violation de l’esprit même du TNP[18] dont l’article premier interdit aux États nucléarisés de transférer des armes nucléaires à des États n’en possèdent pas[19]. Cette stratégie militaire altère le climat géopolitique mondial en créant un stress sécuritaire pour la Russie[20].

La troisième partie fait office de dénouement. Kierfulf y étaye une série de recommandations dans l’objectif de faire progresser le désarmement international. Sur le plan général, une plus grande adhésion aux conventions internationales existantes participerait à universaliser le régime des traités en la matière. Le respect des obligations des États envers les traités sur le contrôle des armes se doit d’être assuré par des mécanismes de vérification aptes à exposer rapidement les violations des conventions et à sanctionner les États violateurs. De manière plus ciblée, Kierulf propose une coopération technique et politique entre les cinq États reconnus par le TNP[21] pour l’élimination complète des réserves d’armes nucléaires. Désamorcer la capacité d’action des forces nucléaires russes et étatsuniennes actuellement en mode d’opérationnalité maximale, établir des zones dénucléarisées au Moyen-Orient et en Asie du Sud puis conscientiser les futures générations aux dangers des ADM sont quelques propositions clés de l’auteur.

Disarmament offre un efficace premier abord au droit international du désarmement. L’ouvrage trouve sa juste place dans la littérature sur le thème du contrôle des armes aux côtés d’oeuvres imminentes telle que Arms Control: The New Guide to Negotiations and Agreements de Jozeph Goldblat[22]. Un large spectre du droit international du désarmement y est abordé, mais l’attention est principalement dirigée vers les ADM, visiblement le plus grand domaine d’expertise de Kierulf. Des enjeux plus contemporains tels que les armes électroniques, les drones ou les dangers du terrorisme restent exposés de façon générale. Cela dit, Kierulf relève le défi de rendre accessible à un large public une branche du droit international pourtant hautement technique. La forme claire aux chapitres judicieusement divisés épouse l’objectif inhérent de l’ouvrage : éveiller la conscience populaire envers les dangers des ADM. L’épilogue particulièrement poignant parvient à se détacher de l’exposé technique pour nous expliquer un enjeu profondément humain. Au-delà du plaidoyer juridique, Disarmament est un appel à la moralité humaine.