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Guerre commerciale internationale. Faillite du multilatéralisme et de l’Organisation mondiale du Commerce. Renégociations de l’Accord de Libre-Échange d’Amérique de Nord[1]. Face à face Chine – États-Unis. La parution en 2018 de Génération TAFTA – Les nouveaux partenariats de la mondialisation reflète l’époque de tourments commerciaux qui occupent chaque jour la une. Sous la direction de Christian Deblock[2] et Joël Lebullenger[3], cet ouvrage se lit comme la suite attendue du précédent : Un Nouveau Pont sur l’Atlantique, paru en 2015[4]. Alors que ce dernier ouvrage traitait exclusivement de l’Accord économique et commercial global Canada-Europe (AECG), c’est cette fois sous une loupe globale que sont examinés les changements propres à la nouvelle génération d’accords de libre-échange.

L’ouvrage, qui fait office d’actes du colloque international ayant eu lieu à Montréal et Québec en octobre 2016, offre une vision interdisciplinaire des changements de la mondialisation des accords commerciaux, en présentant, dans une première partie, les reconfigurations géopolitiques, et dans une seconde, les interconnexions normatives. Dans un contexte de prolifération et d’enchevêtrements des accords récemment négociés, même les chercheurs les plus assidus risquent de faire l’impasse sur les derniers développements. Génération TAFTA pallie à ce risque en livrant un ouvrage précis et complet sur les récents accords de libre-échange. Les directeurs de l’ouvrage brossent, en guise d’introduction, le portrait des derniers développements en matière de négociations commerciales internationales. Illustrant ainsi les « Reconfigurations géopolitiques, coopération règlementaire et défis démocratiques » auxquels les acteurs de la mondialisation doivent actuellement faire face, les professeurs Deblock et Lebullenger remettent en contexte les évolutions récentes et les faits saillants liés aux négociations du TAFTA, de l’AECG, et du PTPGP[5].

La première partie du livre présente les reconfigurations géopolitiques causées par la crise du multilatéralisme, l’essor du régionalisme, et la dynamique des régions et des différents blocs de négociations. Jean Baptiste-Velut[6] offre une entrée en matière appropriée en présentant la « Naissance, déclin et rémanence du nouveau régionalisme », par le biais de l’analyse du transrégionalisme émanent de la panoplie de méga-accords régionaux signés dans les dernières années. Définissant le transrégionalisme par un poids économique et une envergure géographique des accords, une diversité sans précédent des domaines couverts ainsi que leur caractère évolutif (comme pour la coopération règlementaire), il pose les bases de ce nouvel aspect géopolitique dans le cadre actuel du retour vers le protectionnisme américain. La multiplication des interconnexions commerciales interrégionales et leurs implications politiques pour l’Union européenne sont abordées dans le chapitre suivant comme suite logique. Présenté par le professeur Mario Telò[7], les mutations de l’interrégionalisme post-libéral et les ambigüités du PTP, du RCEP et du PTCI sont mises en exergue. Retraçant les moments marquants depuis 2003 et l’enlisement des négociations à l’OMC dans le cadre de Doha, le professeur Telò démontre que l’interrégionalisme signale une nouvelle époque commerciale, qui permettra de mieux faire face tant aux poussées protectionnistes qu’aux controverses portant sur la légitimité des nouveaux accords. Enfin, il évoque quatre scénarios possibles pour la décennie à venir, tenant compte et évoquant (1) un déclin de la puissance américaine dans le cadre multilatéral, objectif avoué de Donald Trump, (2) d’un aboutissement d’un agenda commercial européen par un renforcement de la politique démocratique des relations commerciales, économiques et diplomatiques régionales et interrégionales, (3) un néo-mercantilisme commercial compétitif au « service de la politique de puissance de grands États »[8], ou enfin (4) une évolution de l’interrégionalisme et de la gouvernance mondiale permettant de contrer « la fragmentation nationaliste »[9]. En fin d’analyse, le professeur Telò plaide pour un nouveau cadre multilatéral et une gouvernance mondiale permettant d’inclure les alternatives évoquées ainsi que les points de divergences, reconnaissant ainsi une chance unique pour un rôle renouvelé de l’Union européenne.

Il demeure toutefois difficile de déterminer « Qui mène le bal ? », question abordée au chapitre suivant pour offrir un tableau des « nouvelles négociations économiques internationales à l’ère de la reconfiguration des espaces transatlantique et transpacifique »[10]. Les professeurs de l’université Laval Yan Cimon[11], Erick Duchesne[12], et Richard Ouellet[13] s’emploient à éclaircir les acteurs, leur rôle, et les stratégies propres à chacun dans le contexte actuel. Le lecteur obtient ainsi un tracé clair de la carte des négociations internationales, et peut démêler le fil des tractations complexes propres au contexte actuel.

Le « rôle de la diplomatie européenne face à la reconfiguration des échanges commerciaux dans la zone géographique Asie-Pacifique » est ensuite présenté par le professeur Lebullenger. Le rôle de l’Union européenne en Asie est en effet crucial, tant dans l’agenda commercial européen, que pour contrer la montée de la puissance de la Chine et le protectionnisme accru des États-Unis. Le PTPGP avait d’ailleurs été développé dans le but avoué pour les États-Unis de contrer la Chine, qui n’avait pas été invitée aux négociations. Cette dernière, par ailleurs, doit être prise au sérieux dans ses aspirations à supplanter les États-Unis comme hégémon, notamment par le biais de son initiative de la nouvelle route de la soie[14]. Ce projet de près de 8 billions, visant à inclure jusqu’à 68 pays pour 62 % du PIB mondial et devant être complété d’ici 2049, consiste en une stratégie commerciale créant une gigantesque infrastructure sur le tracé de l’ancienne route de la soie, qui devrait avoir pour effet de consacrer la Chine comme puissance économique mondiale suprême. Éric Mottet[15] examine par la suite, au chapitre 5, le Traité de libre-échange transpacifique vu de l’Asie du Sud-Est, ainsi que le rôle des États-Unis. La place de l’Inde, ainsi que le projet d’accord régional qu’est le Partenariat économique régional global[16], est ensuite présenté par Serge Granger[17]. Le RCEP, dont les négociations ont débuté en 2012, est un projet d’accord commercial presque aussi ambitieux que celui de la Chine avec la nouvelle route de la soie, visant principalement la réduction des droits de douane entre les 10 pays membres de l’ASEAN (Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam) ainsi que l’Australie, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande.

L’analyse géopolitique se poursuit enfin dans les trois chapitres suivants, qui traitent de la dimension sécuritaire de l’intégration régionale de l’Asie-Pacifique et de ses conséquences pour le Canada, par Ting-sheng Lin[18], de la possibilité d’un accord d’association de libre-échange interrégional UE/MERCOSUR, par Sebastian Santander[19] et enfin de l’intégration régionale en Afrique et la politique européenne de coopération au développement, par James Mouangue Kobila[20].

La seconde partie de l’ouvrage collectif présente les diverses interconnexions normatives émanant des accords de nouvelle génération, tant par le biais de perspectives plus larges que de commentaires sur des secteurs spécifiques. Le professeur Ouellet signe le chapitre 10, en ouverture de cette section, offrant une perspective plus générale sur un cadre théorique renouvelé, expliquant « la nouvelle génération de partenariats et accords économiques entre « like-minded countries » [comme] : une résurrection du concept de traité-contrat ». La professeur Flaesch-Mougin[21] explique au chapitre suivant le rôle de la Cour de Justice comme acteur de l’ombre des négociations commerciales internationales de l’Union européenne. L’institution européenne ayant vu ses pouvoirs considérablement étendus par le Traité de Lisbonne, la portée du rôle du Parlement apparaît encore parfois inconnue tant des acteurs institutionnels internationaux qu’européens.

Sont ensuite examinées deux questions spécifiques, soit la participation du public à l’élaboration de ces partenariats transatlantiques, par Cécile Rapoport[22], ainsi que les mécanismes canadiens permettant aux accords de se conjuguer par l’examen des clauses de survie présentent à l’AECG, au PTP ainsi que dans les traités bilatéraux d’investissements du Canada, par David Pavot[23]. Puis sont présentés trois thèmes abordés par plusieurs auteurs. Le volet numérique, d’abord, est examiné sous l’angle de la convergence numérique en opposition aux divergences normatives, sur la question de la culture dans les partenariats transrégionaux, par Antonios Vlassis[24]. Gaël Le Roux[25] analyse la convergence ou la concurrence des approches juridiques du volet numérique en comparant les approches de l’AECG, du PTP et du PTCI. Et, enfin, Annie Blandin[26] nous offre une lecture de la nouvelle donne numérique externe, entre l’ouverture des marchés et la souveraineté européenne. Ces trois chapitres brossent ainsi un portrait complet, précis et critique des grandes avancées dans le domaine numérique dans le cadre de la négociation de nouveaux accords de libre-échange.

Une présentation similaire est également faite pour les clauses sociales. Dans un premier temps, Frédérique Michéa[27] présente au chapitre 17 la façon dont sont modélisées les clauses sociales, à la lumière de leurs sources, dans les nouveaux accords commerciaux transatlantiques. Cette analyse des clauses sociales est ensuite complétée par une discussion de l’approche nord-américaine de la question dans les partenariats intercontinentaux, par Sylvain Zini[28].

Enfin, les questions relatives au commerce, à la concurrence et aux consommateurs sont abordées comme dernier thème de cette section. La professeur Charles-LeBihan[29] présente le commerce des ressources halieutiques dans les accords commerciaux transatlantiques. Les questions liées à la concurrence sont ensuite présentées de deux manières. Tout d’abord, le professeur Moyse[30] le présente dans son rapport avec la propriété intellectuelle, examinant le marché des immatériels et la concurrence des systèmes. Dans un second temps, la comparaison est faite des règles de concurrence dans les récents accords (PTP, AECG et PTCI), par François Souty. Et comme dernier chapitre, le rôle des consommateurs dans les accords de libre-échange est évalué par Thierry Bourgoignie[31], qui conclut que bien qu’ils aient été considérés, ils se retrouvent en fin de compte oubliés dans les textes des accords.

Génération TAFTA se lit comme un manuel de relations internationales, mêlant politique et juridique, mettant en exergue les jeux de diplomatie et de pouvoirs qui redéfinissent aujourd’hui la carte mondiale de la puissance économique et commerciale, dont le coeur est les traités commerciaux de nouvelle génération. On peut remercier les auteurs de s’être employés à expliquer l’échiquier complexe des négociations commerciales internationales, et les inviter à poursuivre leurs recherches afin de fournir aux universitaires, aux praticiens et aux négociateurs un suivi des plus récentes négociations. Il serait ainsi pertinent d’accueillir une telle recherche collective sur la conclusion des renégociations de l’ALENA, désormais l’AEUMC, ou encore sur les derniers développements entourant le TPP devenu PTPGP, ainsi que la mise en oeuvre de l’AECG. Qu’il s’agisse d’un nouveau cycle de conférences, ou encore de la préparation d’un prochain ouvrage, les spécialistes du domaine ne sauraient qu’accueillir avec enthousiasme une suite de Génération TAFTA.