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Introduction

Depuis plusieurs années, on assiste à une augmentation du nombre d’élèves handicapé·e·s ou d’élèves en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation dès le primaire. Face à cette situation, le ministère de l’Éducation du Québec (1997) a réorganisé la progression des études à l’école primaire en trois cycles d’apprentissage de deux ans pour favoriser la réussite de tous les élèves (Lafortune, Cyr et Massé, 2004). Pour être efficace, la nouvelle organisation du cursus scolaire nécessite une plus grande collaboration institutionnelle professionnelle et pédagogique (Fullan et Quinn, 2018 ; Teddlie et Reynolds, 2000). Cette collaboration dite formelle nécessite des changements d’envergure dans la culture professionnelle des enseignant·e·s. D’autre part, l’hétérogénéité des élèves nécessite des transformations des pratiques enseignantes. Lorsqu’on les interroge, une majorité des enseignant·e·s croit que le fait de collaborer entre eux·elles favorise une plus grande réussite des élèves du primaire (Armi et Pagnossin, 2012 ; Landry-Cuerrier et Lemerise, 2007). Dans les faits, cette collaboration entre enseignant·e·s s’avère restreinte et se manifeste surtout dans des contextes informels (Barrère, 2002 ; Tardif et Lessard, 1999). Néanmoins, Fullan et Quinn (2018) ont montré que ce mode de communication constitue un préalable à la collaboration formelle. En contexte de recherche, il est nécessaire de distinguer différentes notions liées à la collaboration en milieu scolaire.

2. Clarification des notions de collégialité, coopération et collaboration

Dans les écrits scientifiques sur le milieu scolaire, plusieurs termes ou expressions sont utilisés pour désigner le phénomène de la « collaboration » : « partenariat », « concertation », « collégialité », « coopération », etc. Des nuances s’imposent. Selon St-Arnaud (2003) ainsi que Schutz (2006) la notion de coopération correspond aux initiatives des membres de l’équipe pour l’atteinte du changement désiré. La coopération associée à l’organisation en cycles d’apprentissage est considérée comme un dispositif puissant pour contribuer à la réussite des élèves. Cependant, à notre connaissance, aucune étude à ce jour n’a pu le démontrer. En outre, les conditions de ce type de coopération n’existent pas dans la plupart des milieux scolaires (St-Arnaud, 2003). Pour leur part, Portelance, Martineau et Caron (2014) présentent une conception de la collaboration dans laquelle l’engagement favorise la construction des compétences des acteur·rice·s dans la production d’une oeuvre commune. Quant à Boies et Portelance (2014), elles présentent un continuum interprété selon les écrits de McEwan (1997) en fonction de l’intensité des interactions et de l’interactivité des membres de l’équipe qui se déploie ainsi : « Isolement, Coordination, Collégialité, Coopération et Collaboration ». La collégialité que nous associons au soutien réciproque informel devient synonyme de convivialité dans un climat d’acceptation, de respect, de confiance nécessaire à l’engagement dans la coopération (Mérini, Jourdan, Victor, Berger et de Peretti, 2004).

Par nature, la collaboration est volontaire, mais elle peut être parfois utilisée pour contrôler les processus de décision (de Gaulejac, 2009). Cette éventualité met en évidence le rôle indéniable du style de direction dans les établissements scolaires où la gestion participative est recommandée (Mathey et Mérillou, 2009). En ce qui concerne la notion de partenariat, elle peut être assimilée à la coordination de partenaires qui ne se côtoient pas au quotidien. Enfin, on peut appréhender la notion de concertation comme le processus décisionnel qui fait partie intégrante de la collaboration formelle. Celle-ci renvoie précisément à la collaboration formalisée au sein des équipes-école et des équipes-cycle.

Alors que tous les acteur·rice·s du milieu scolaire reconnaissent la pertinence de la collaboration en général, des études rapportent un écart entre ce consensus apparent et les difficultés de sa mise en oeuvre formelle au sein des équipes-cycle (Dupriez, 2010 ; Portelance, Borges et Pharand, 2011). Afin de mieux comprendre la nature de cet écart, nous examinons tout d’abord la prégnance des références à la notion de collaboration dans les textes officiels du ministère de l’Éducation du Québec. Nous étudions par la suite la manière dont la pertinence de la collaboration en milieu scolaire est abordée dans les écrits scientifiques. Globalement, nous proposons une synthèse des conditions nécessaires et des obstacles recensés concernant le développement de la collaboration en équipe-cycle au primaire.

3. Cadre et approche théorique

Lorsqu’on s’intéresse aux conditions nécessaires aux changements culturels, en particulier aux processus émergents, il devient incontournable de prendre appui sur une logique qui inclut l’incertitude et le paradoxe (Curchod-Ruedi et Doudin, 2015). Pour cette raison, nous privilégions l’examen de l’interaction entre les aspects psychologiques et sociologiques de la réalité à l’étude (Barus-Michel et Enriquez, 2013).

Pagès (2013) nous invite à nous inscrire dans une épistémologie concrète de la complexité en suivant la voie ouverte par Morin (2015). Celle-ci consiste à relier des ensembles clairement distincts, en précisant les contours de chacun, dans un même mouvement dialectique. Dans cet esprit, nous accordons une valeur incontournable à la nature de l’expérience des acteur·rice·s et à leur pratique réflexive (Letor, 2009 ; Perrenoud, 2010). Dans le contexte de l’éducation scolaire, la démarche de recherche se traduit par l’initiation d’un processus de coconstruction des représentations de la réalité avec le discours de différents acteur·rice·s.

La collaboration relève d’une alchimie complexe, fondée entre autres sur une confiance réciproque entre enseignant·e·s (Letor et Périsset Bagnoud, 2010), sur un sentiment d’efficacité personnelle et collective élevé (Bandura, 2003) et sur la préoccupation partagée d’une amélioration du travail pédagogique (Lessard, Kamanzi et Larochelle, 2009). Bref, l’investissement personnel des différents acteur·rices dans la collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique déterminerait la réussite ou l’échec des démarches entreprises (Letor et Périsset Bagnoud, 2010). Dans un premier mouvement, portons un regard sur ce qui a précédé la prescription de la collaboration entre enseignant·e·s dans les textes officiels.

3.1 L’évolution de la conception de la collaboration dans les textes du Ministère

Le terme « collaboration » apparait pour la première fois dans les textes du ministère de l’Éducation du Québec avec le « rapport Parent » (Ministère de l’Éducation, 1964). Celui-ci vise essentiellement à démocratiser l’école et affirme que les enseignant·e·s ont un devoir de solidarité les uns à l’endroit des autres. Le Ministère demande aux enseignant·es d’échanger leurs observations et leurs conclusions, ainsi que d’élaborer entre eux·elles la pédagogie et la discipline de l’école (Ministère de l’Éducation, 1964).

Par la suite, un « Livre orange » (Ministère de l’Éducation, 1979) intitulé L’école québécoise : Énoncé de politique et plan d’action, introduit au Québec la notion de projet éducatif et met en avant la collaboration entre les enseignant·e·s. Selon Lenoir, Larose et Lessard (2005), si le Ministère s’ouvre à l’idée d’un partenariat dans chaque établissement scolaire, au début des années 1980, le Conseil supérieur de l’éducation (1991) va plus loin en considérant que les enseignant·e·s ne peuvent plus être vu·es comme de simples individus exécutant des décisions prises par les autorités. En outre, leur capacité d’autonomie est considérée comme essentielle. Plus tard, le Conseil supérieur de l’éducation (1993) estime que, depuis la fin des années 1970, le système de gestion pédagogique hautement centralisé mis en place a contribué à limiter la responsabilité professionnelle des enseignant·e·s. Dans le même document, les représentant·e·s de cet organisme prennent position en faveur de la concertation et de la mobilisation de l’ensemble des acteur·rice·s concernés.

En 1996, à la suite de la « Commission des états généraux sur l’éducation » deux autres documents sont publiés par le Ministère. Le premier définit les orientations d’une réforme. Le second définit la mission de l’école et balise l’élaboration des nouveaux programmes d’études. La triple mission de l’école québécoise est énoncée ainsi : « instruire, socialiser et qualifier ». Peu de temps après, en 1999, la « Politique de l’adaptation scolaire » mise sur la collaboration entre différents intervenant·e·s scolaires pour favoriser la réussite des élèves handicapé·e·s et des élèves en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation en milieu dit régulier. Il s’agit d’une transformation institutionnelle qui nécessite la collaboration de tous les acteur·rice·s. La direction d’école, dans une gestion participative et avec l’appui de la commission scolaire, est invitée à prendre les moyens nécessaires pour favoriser le partage d’expertise entre enseignant·e·s, le travail d’équipe et les activités de perfectionnement (Ministère de l’Éducation, 1999).

Presque simultanément, parmi l’énoncé des douze compétences professionnelles en enseignement (Ministère de l’Éducation, 2001), trois font appel à la collaboration formelle. Il s’agit 1) de coopérer à l’atteinte des objectifs éducatifs de l’équipe-école, avec les collègues, les parents, les élèves et différents partenaires sociaux ; 2) de collaborer avec l’équipe pédagogique au développement et à l’évaluation des compétences visées par le programme de formation ; et 3) d’être engagé·e dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel.

Élaborée à partir d’une approche par compétences, cette réforme est désignée par la suite sous le vocable « Renouveau pédagogique ». Elle repose en bonne partie sur la participation et la collaboration du personnel scolaire et, en particulier, sur l’engagement des enseignant·e·s dans la collaboration formelle (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008). De fait en 2002, l’instauration des cycles d’apprentissage de deux ans au primaire mène à la formation d’équipes-cycle et attribue une coresponsabilité des enseignant·e·s à l’égard de la réussite éducative de tous les élèves d’un même cycle (Conseil supérieur de l’éducation, 2002). On constate ici le passage d’une conception plutôt informelle de la collaboration à une conception plus institutionnelle qui exige des enseignant·e·s une implication accrue dans des pratiques collectives. Pour y voir plus clair, il convient d’apporter des précisions sur ce qui distingue la collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique.

3.2 La collaboration institutionnelle

Pour montrer la nécessité de mobiliser tous les intervenant·e·s scolaires autour du projet éducatif, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport fait appel à des notions telles que « organisation apprenante » en 2006, puis dans les années subséquentes, « communauté d’apprentissage professionnelle ». Selon Marcel, Dupriez et Périsset Bagnoud (2007), la collaboration institutionnelle se définit par l’interdépendance quant au partage de l’espace, d’un temps de travail et des ressources entre professionnel·le·s. Ce partage se réalise selon la culture de l’équipe-école et comporte des dimensions symboliques variables d’un·e professionnel·le à l’autre, même si tou·te·s sont appelé·e·s à collaborer.

3.3 La collaboration professionnelle

La collaboration professionnelle est associée au projet éducatif de l’école et à son climat organisationnel. Les équipes-cycle ont la responsabilité de lutter contre l’échec scolaire et de favoriser la réussite éducative de tous les élèves et la réussite scolaire du plus grand nombre (Perrenoud, 2002, 2014). Il est demandé aux enseignant·e·s de partager leur expertise pédagogique et de découvrir de nouvelles structures de fonctionnement susceptibles de maximiser les effets de leurs interventions. Nous désignons la collaboration professionnelle à l’école comme étant l’engagement et la persévérance de professionnel·le·s, dans un processus collectif de réflexion, de discussion, de décision, d’action et d’évaluation, notamment en matière éducative.

3.4 La collaboration pédagogique

La collaboration pédagogique en équipe-cycle constitue davantage une demande de modification des formes de l’action éducative dans la classe. Les approches pédagogiques et les points de vue différents doivent être accueillis sans discrimination (Schutz, 2006). Considérant le temps dont les enseignante·s disposent pour ce travail d’équipe, une partie seulement des tâches peut être mise en commun. Les équipes-cycle peuvent bénéficier d’un certain pouvoir de décision, par exemple lorsqu’il s’agit de remettre en question la répartition des élèves dans la formation des groupes. Elles peuvent aussi recevoir des mandats en lien avec la conception, la planification, la préparation, la réalisation et l’évaluation d’activités d’enseignement et d’apprentissage. La collaboration pédagogique adoptée dans ce texte fait donc référence à l’engagement et à la persévérance de différents intervenant·e·s scolaires, et plus particulièrement les enseignante·s, dans un esprit d’entraide et d’influence mutuelle qui porte sur des activités efficientes visant l’enseignement et l’apprentissage des élèves. Cet exercice de collaboration pédagogique exige des connaissances et des compétences de haut niveau qui supposent que les enseignant·es se sentent en confiance pour partager leurs questionnements. Par ailleurs, les équipes-cycle doivent disposer des conditions nécessaires pour réaliser ce travail collaboratif. Il convient donc de se demander si cette nouvelle forme d’organisation justifie un tel investissement.

4. La pertinence de la collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique pour la réussite éducative et scolaire

Dans l’organisation en groupes-classe, sans nier les fondements de l’action didactique, ce sont les élèves qui déterminent en premier lieu les pratiques des enseignant·e·s (Houlfort et Sauvé, 2010). Néanmoins le pouvoir des enseignant·e·s est limité, parfois même complètement inopérant en raison de la faible motivation scolaire de certain·e·s élèves (Mendel, 2002). La demande d’intensification de la collaboration formelle est conçue pour atténuer cette difficulté. Dans différents pays, des recherches sur l’efficience des écoles montrent que celle-ci est caractérisée par la collaboration entre les intervenant·e·s scolaires (Bandura, 2003 ; Fullan et Quinn, 2018 ; Teddlie et Reynolds, 2000). Malgré cette demande d’intensification de la collaboration, le taux d’élèves en difficulté dans le secteur public est en croissance depuis plusieurs années.

4.1 Le taux élevé d’élèves en difficulté

Selon des données statistiques, le pourcentage d’élèves en difficulté au primaire est passé de 13,3 % en 2002-2003 à 17,9 % en 2009-2010 pour atteindre les 20 % en 2016 (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2016). À l’école primaire, lorsque des jeunes accumulent plusieurs échecs, leur estime de soi et leur sentiment d’efficacité personnelle à l’école sont affectés, ce qui accentue les difficultés d’obtention d’un diplôme (Ministère de l’Éducation, 1999). Depuis le Rapport Copex (Ministère de l’Éducation, 1976), des efforts sont fournis pour assurer aux enfants en difficulté le droit de grandir dans le cadre le plus « normal » possible pour favoriser leur réussite scolaire et leur insertion sociale. Or, Vienneau (2002) rapporte que le mouvement d’inclusion des élèves handicapé·e·s ou d’élèves en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation qui fait l’objet de discussion, entre autres depuis les années 1990, est loin de faire l’unanimité.

4.2 L’inclusion de tou·te·s les élèves

Pour promouvoir l’inclusion, Vienneau (2002) se réfère aux trois mouvements identifiés par Kauffman, Gottlieb, Agard et Kubic (1975) lesquels ont contribué à l’intégration des élèves en difficulté aux États-Unis. Le premier mouvement est relié à la remise en question de la pertinence des classes spéciales, puisque cette structure n’a pas produit les résultats escomptés pour la formation des élèves. Le deuxième mouvement se rapporte à la discrimination positive. Le troisième mouvement dit de normalisation (Wolfensberger, 1972) a pour objectif de préparer l’individu ayant un ou plusieurs handicaps à vivre et à travailler au sein de sa communauté dans des contextes les plus normaux possible.

Dans une école inclusive, les élèves en difficulté ne quittent pas leur école de quartier ni la classe ordinaire pour avoir accès à des services particuliers. Selon plusieurs chercheur·se·s (Prud’homme, Vienneau, Ramel et Rousseau, 2011 ; Vienneau, 2002), une école inclusive accueille et célèbre la différence, la diversité, celle-ci étant reconnue comme un ingrédient clé d’une culture où chacun a le droit d’exister. Dans le modèle d’intégration scolaire, adopté dans la politique d’intégration des élèves en difficulté au Québec (Ministère de l’Éducation, 1999) et réaffirmé par le Conseil supérieur de l’éducation (2010), la majorité des élèves en difficulté demeurent dans un groupe dit régulier tout en recevant un soutien spécifique en dehors de la classe. Cependant, certain·e·s élèves en difficulté se retrouvent dans une classe spéciale, nommée aujourd’hui « classe à effectif réduit ». Cette politique soutient ainsi que certain·e·s élèves ne sont pas intégrables puisque les risques sont trop grands que leurs difficultés contreviennent aux droits des autres élèves et qu’ils génèrent des contraintes excessives. Toutefois, le Conseil supérieur de l’éducation (2017) prend le virage de l’inclusion tout en reconnaissant que les conditions d’exercice ont affaibli les visées inclusives.

De fait, la mise en oeuvre d’une pédagogie de l’inclusion et même celle de la politique d’intégration (Ministère de l’Éducation, 1999) créent des défis considérés comme insurmontables par bien des enseignant·e·s (Cardin, Falardeau et Bidjang, 2013). Il est question d’hétérogénéité croissante des groupes-classe, le développement de la pédagogie différenciée et les transformations du rôle central des pratiques des enseignant·e·s considérant les besoins diversifiés des élèves.

4.3 Des groupes-classe de plus en plus hétérogènes

L’augmentation du taux d’élèves en difficulté intégrés en classe ordinaire accroit l’hétérogénéité dans un même groupe-classe. Ce phénomène, associé à l’exode de bonne·s élèves dans les écoles privées et dans les programmes d’enrichissement, produit une augmentation d’élèves en difficulté dans les groupes-classe du secteur public. Le fait que le système éducatif confie à une équipe-cycle un ensemble plus vaste d’élèves est en contradiction avec la demande des enseignant·e·s de diminuer le nombre d’élèves en difficulté, en présence simultanée, dans les activités d’enseignement et d’apprentissage (Cardin et coll., 2013). En outre, les directives des autorités scolaires mettent l’accent sur l’amélioration de l’acte d’apprentissage cognitif, c’est-à-dire les capacités des élèves d’apprendre et de comprendre de nouvelles informations. Or, dans plusieurs cas, un travail en profondeur et urgent doit être réalisé dans le domaine social (Barrère, 2007). En effet, certains problèmes de comportement peuvent entraver de façon sérieuse la qualité des activités d’enseignement et d’apprentissage, remettant en question les compétences des enseignant·e·s. Dans ce contexte, la capacité d’adaptation des enseignant·e·s est constamment sollicitée (Kahn, 2010). Le Conseil supérieur de l’éducation (2017) reconnait que certains milieux scolaires sont au bord du point de rupture. Ils ont épuisé leurs ressources et se questionnent sur leurs capacités de réaliser leur mission première. La complexité des situations qu’ils peuvent rencontrer dans la réalisation des activités d’enseignement et d’apprentissage en contexte d’hétérogénéité nécessite le développement de nouvelles compétences. La pédagogie différenciée a été proposée pour répondre aux besoins diversifiés d’apprentissage des élèves.

4.4 Le développement de la pédagogie différenciée

Il n’existe pas de définition du concept de différenciation qui fasse l’unanimité. Il existe cependant un certain consensus selon lequel il s’agit de tentatives de réponses à la complexité engendrée par l’hétérogénéité culturelle et cognitive des élèves dans un contexte de groupe-classe. De nombreux·ses pédagogues et chercheur·se·s (Perrenoud, 2010, 2014 ; Prud’homme et coll., 2011) se préoccupent notamment de l’égalité des chances de réussite en s’intéressant à la pratique de la pédagogie différenciée. Cette dernière peut être développée en équipe-cycle, mais il s’avère qu’elle est difficile à mettre en oeuvre (Prud’homme et coll., 2011). Dans leur méta-analyse, Jobin et Gauthier (2008) ont montré que la pédagogie différenciée obtient peu d’appuis. Selon Kahn (2010) les espoirs et les enjeux que porte la pédagogie différenciée reflètent les nombreux problèmes de notre système éducatif, ainsi que la manière dont nos sociétés traitent les différences. Kahn et Rey (2008) ont montré que les pratiques de pédagogie différenciée les plus efficientes sont celles dans lesquelles l’élève n’est jamais isolé·e et qui envoient des messages porteurs à la fois d’exigence et de confiance. Selon Duru-Bellat et van Zanten (2012), il faut également privilégier les interventions en petits groupes en focalisant sur les savoirs essentiels.

4.5 Le rôle central des pratiques des enseignant·e·s

Les écrits scientifiques concernant la réussite éducative et scolaire des élèves ciblent surtout la qualité des pratiques enseignantes (Duru-Bellat et van Zanten, 2012 ; Lefebvre, 2003). À l’instar de Talbot (2012) nous définissons ces pratiques par les caractéristiques de l’action, plus ou moins consciente de l’enseignant·e, dans les contextes de son activité professionnelle, notamment face à un groupe d’élèves, au sein de différentes situations didactiques et pédagogiques.

Perrenoud (2010) ainsi que Talbot (2012) relèvent que l’on ne trouve aucun consensus fort sur ce que sont les bonnes pratiques enseignantes. Il s’agit d’une question complexe au sujet de réalités mouvantes. L’enseignement explicite et direct serait plus efficient pour l’acquisition de connaissances déclaratives et procédurales, tandis que des approches socioconstructivistes le seraient davantage pour le développement de compétences complexes (Talbot, 2012). C’est pourquoi le ministère de l’Éducation du Québec (1997) demande que les enseignant·e·s passent d’une pédagogie principalement centrée sur la transmission des connaissances à un enseignement fondé sur la construction des savoirs. En fait, c’est au cours des interactions avec les élèves que la pertinence des interventions de l’enseignant·e se révèle (Kahn et Rey, 2008). Le développement de ses compétences passerait entre autres par une intensification de la collaboration formelle en équipe-école et en équipes-cycle (Ministère de l’Éducation, 1997).

5. L’écart entre les intentions des concepteurs et la mise en oeuvre effective de la collaboration formelle en équipe-cycle

Dupriez (2010) ainsi que Pharand (2011) constatent à quel point la transition entre la prescription de la collaboration entre enseignant·e·s et les pratiques quotidiennes dans l’ensemble des écoles est loin d’être tangible. Deux enquêtes ont été réalisées au Québec sur les effets de la dernière réforme éducative (Ministère de l’Éducation, 1997). La première (Deniger, Kamanzi, Chabot, Fiset et Hébert, 2004) est en lien avec l’organisation en cycles d’apprentissage. Elle montre que 66,9 % des 525 répondant· e·s voient des possibilités d’amélioration de la collaboration entre tou·te·s les acteur·rice·s de l’école, ainsi que des possibilités d’accroitre le niveau de socialisation des élèves grâce à la collaboration formelle. Dans la seconde enquête (Cardin et coll., 2013), 48,8 % des enseignant·e·s du primaire disent ne pas avoir amélioré leurs relations avec leurs collègues alors que la collégialité est nécessaire à la collaboration formelle. Pour leur part, les travaux de Barthassat (2007) et de Barrère (2007) montrent que la responsabilité et l’investissement des enseignant·e·s sont avant tout concentrés sur la réussite des élèves au sein du groupe-classe. Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur l’importance que les enseignant·e·s accordent à la collaboration entre différent·e·s intervenant·e·s scolaires.

5.1 L’importance que les enseignant·e·s du primaire accordent à la collaboration

Landry-Cuerrier et Lemerise (2007) ont réalisé une enquête auprès d’enseignant·e·s d’une quarantaine d’écoles primaires de la région de Montréal. Leur objectif principal était d’étudier les perceptions et les pratiques des enseignant·e·s du primaire à l’égard de leurs activités de collaboration. Ces chercheuses rapportent que 99 % des enseignant·e·s confirment l’importance de la collaboration entre les enseignant·e·s pour assurer des apprentissages chez les élèves. Selon l’enquête de Cardin et coll. (2013) au Québec, 83,6 % des enseignantes et 90,1 % des enseignants du primaire sont motivés par le travail d’équipe, mais qui n’est pas nécessairement réalisé au sein d’une structure formelle.

Traditionnellement, la collaboration offre un cadre de travail commun dans lequel chacun garde sa marge de manoeuvre quant aux activités d’enseignement et d’apprentissage en classe (Tardif et Lessard, 1999). Par ailleurs, la majorité des enseignant·e·s qui travaillent en collaboration font partie du même degré d’apprentissage qui correspond au regroupement des élèves pour une année scolaire (Gather Thurler et Maulini, 2007). D’habitude, la collaboration entre enseignant·e·s s‘effectue surtout dans le cadre de la planification et de la préparation des tâches qui leur sont confiées. La collaboration se matérialise sous la forme de partage d’informations, de discussion et de prise de décisions, de choix et d’échange de matériel, de résolution de problèmes et de soutien mutuel. Elle se réalise surtout en dehors du temps de présence des élèves (Tardif et Lessard, 1999). Au fil des circonstances, les enseignant·e·s privilégieraient plutôt les pratiques collaboratives informelles (Lafortune, 2007 ; Tardif et Lessard, 1999).

5.2 La préférence des enseignant·e·s pour la collaboration informelle

Le niveau d’engagement élevé dans la collaboration entre enseignant·e·s pour favoriser l’épanouissement et la réussite scolaire des élèves n’a en général été observé que dans des sous-groupes informels dont les membres s’étaient mutuellement choisis (Hargreaves, 1994). Ces collaborations sont développées sur la base d’affinités, elles sont guidées par la recherche de mieux être et de mieux faire au travail, mais aussi parfois par la résistance à l’égard de certaines directives institutionnelles (Barrère, 2017 ; Brunet et Savoie, 2003). Or, l’organisation en cycles d’apprentissage impose la formation d’équipes-cycle, qui peuvent regrouper des enseignant·e·s qui adoptent des approches pédagogiques diamétralement opposées. Ces observations montrent la pertinence de recenser les conditions nécessaires pour actualiser la collaboration formelle en milieu scolaire.

5.3 La nécessité de réunir simultanément un ensemble de conditions pour assurer la faisabilité d’une collaboration formelle effective

La figure 1 présente une synthèse des conditions personnelles et structurelles nécessaires à la collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique dans les études consultées. Cette compilation issue de différentes approches théoriques, surtout psychosociologique et constructiviste, ne prétend pas être exhaustive, mais elle offre la possibilité de brosser un portrait des caractéristiques qui influencent la collaboration formelle en milieu scolaire.

Figure 1

Conditions personnelles et structurelles en interaction nécessaires à la collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique pour l’épanouissement et la réussite scolaire des élèves

Conditions personnelles et structurelles en interaction nécessaires à la collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique pour l’épanouissement et la réussite scolaire des élèves

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En ce qui concerne les conditions personnelles, plusieurs sont requises pour la collaboration en équipe-cycle. 1) Une posture éthique de tous les membres de l’équipe selon laquelle l’exclusion d’un membre, dans sa participation ou dans le regard porté sur ses capacités à contribuer aux pratiques collaboratives, ne peut être cautionnée (Meirieu, 2012). 2) Une part essentielle d’autonomie des enseignant·e·s doit être reconnue (Letor Bonami et Garant 2006 ; Tardif et Lessard, 1999). 3) Le respect de leurs affinités (Barrère, 2002), ainsi que 4) le recours à différentes approches pédagogiques ne peuvent être niés. 5) Un climat de confiance entre les intervenant·e·s scolaires (Portelance et coll., 2011 ; Schutz, 2006) sans éviter la confrontation de points de vue selon 6) une communication respectueuse sont nécessaires (Barus-Michel et Enriquez, 2013 ; Lessard et Portelance, 2005). 7) Un sentiment d’efficacité personnelle et collective (Bandura, 2003), ainsi 8) qu’un libre choix de s’engager dans des réflexions et des actions collectives s’avèrent également essentiels (Mérini et coll., 2004).

En ce qui concerne les conditions structurelles, la collaboration formelle en équipe-cycle suppose 1) d’exclure la prescription de solutions (Lessard, 2005 ; Letor et Périsset Bagnoud, 2010) et 2) d’adopter un style de gestion participative (Perrenoud, 2002). 3) La disponibilité de ressources (Letor, 2009) et 4) la possibilité d’une forme d’accompagnement sont nécessaires (Archambault, 2008). 5) Cibler des problèmes spécifiques (Lessard et Portelance, 2005 ; Letor, 2009) tout en construisant 6) une vision partagée (Letor, et coll., 2006) qui produira 7) des bénéfices concrets (Letor, 2009). 8) Reconnaitre l’importance de chaque personne et les savoirs expérientiels des enseignant·e·s constituent une base pour l’action (St-Arnaud, 2003).

Cependant, ces conditions favorables à la collaboration formelle sont souvent peu présentes (Barrère, 2002, 2017 ; Lafortune et coll., 2004 ; Tardif et Lessard, 1999;). Le lieu principal d’apprentissage des enseignant·e·s reste la classe et, selon les observations de Wittorski et Briquet-Duhazé (2008), le soutien mutuel ne se réalise à peu près jamais dans un cadre collectif, mais plutôt dans des rencontres en dyade de façon informelle. On constate donc un écart important entre la valeur positive accordée à la collaboration dans le discours des enseignant·e·s et la difficulté de sa mise en oeuvre formelle (Borges et Lessard, 2007). Il est donc nécessaire de s’arrêter plus avant sur ce qui fait obstacle à la formalisation de la collaboration en équipe-cycle en ayant choisi comme unité d’analyse les acteurs en contexte.

6. Obstacles à la mise en oeuvre de la collaboration formelle

Face à l’intensification des demandes de collaboration formelle, les enseignant·e·s manifestent leurs réticences. Les principaux arguments évoqués pour les justifier sont : 1) leur besoin d’autonomie, 2) la primauté de leur responsabilité auprès des élèves, 3) le manque d’affinités entre les collègues (Letor, 2009 ; Tardif et Lessard, 1999). Au-delà de ces éléments psychologiques, dans quelle mesure les contextes nuisent-ils à l’engagement dans la collaboration en équipe-cycle ? L’analyse de la documentation scientifique conduit à recenser cinq principaux obstacles : 1) la surcharge de travail des enseignant·e·s du primaire, 2) la structure des groupes-classe en degré annuel, 3) l’absence de temps dédié officiellement à la collaboration formelle, 4) la complexité de la tâche des enseignant·e·s et 5) les dimensions compétitives dans la vie groupale.

6.1 La surcharge de travail des enseignant·e·s du primaire

Les enseignant·e·s du primaire sont en situation de surcharge au Québec (Houlfort et Sauvé, 2010 ; Tardif et Lessard, 1999). La politique d’intégration des élèves handicapé·e·s ou d’élèves en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation (Ministère de l’Éducation, 1999) associée à la dernière réforme éducative (Ministère de l’Éducation, 1997) a renforcé l’augmentation notable de cette charge de travail. Dans un tel contexte de changements multiples et simultanés (Gather Thurler et Maulini, 2007), la collaboration en équipe-cycle peut difficilement être une priorité (Archambault, Chouinard et Richer, 2007). En outre, il peut arriver que le manque d’affinités et la faible qualité des interactions dans les relations interpersonnelles ne contribuent pas ou peu à relever les défis que présente cette collaboration (Fullan et Quinn, 2018). Enfin, la transition de l’organisation en groupes-classe de degré annuel à une structure en cycles d’apprentissage de deux ans, dans laquelle les enseignant·e·s sont confronté·e·s à des nouveaux modèles de rôles, est perçue comme un changement prescrit, radical et peu soutenu par les responsables (Archambault, 2008).

6.2 La structure des groupes-classe en degré annuel

L’organisation en cycles d’apprentissage de deux ans au Québec remet en question la structure en groupes-classe de degré annuel. Or, cette organisation traditionnelle s’appuie sur quelques centaines d’années d’histoire et fait partie de la culture professionnelle (Gather Thurler et Maulini, 2007 ; Lessard, 2005). En fin d’année scolaire, les postes sont attribués selon l’organisation en groupes-classe et en degré annuel. Dupriez (2010) rapporte que l’isolement des enseignant·e·s traverse l’histoire des systèmes éducatifs, à la fois en ce qui concerne le découpage de la tâche globale que leur confinement entre les murs de la classe. Cette organisation des tâches de l’enseignante favorise le maintien d’un espace de travail « privé », perçu comme une protection vis-à-vis des craintes (Gather Thurler, 2000) entre autres d’être jugé·e, déstabilisé·e, surchargé·e par un processus de collaboration formelle (Lafortune, 2007). En outre, celle-ci nécessite du temps de concertation, de travail collaboratif.

6.3 L’absence de temps dédié officiellement à la collaboration en équipe-cycle

La collaboration en équipe-cycle nécessite des aménagements de l’emploi du temps des enseignant·e·s (Letor, 2009 ; Pharand, 2011). Cependant, au Québec, au contraire de certains pays, la tâche conventionnée des enseignant·e·s ne prévoit aucun temps dédié à la collaboration en équipe-cycle alors qu’elle impose du temps de concertation (Kahn et Rey, 2008). De surcroit, les attentes des concepteur·rice·s des réformes en matière d’innovations et de changements significatifs du curriculum dans les écoles du Québec se heurtent à une standardisation très rigide des tâches d’enseignement minutées dans les conventions collectives (Brunet et Savoie, 2003). Par ailleurs, les enseignant·e·s préfèrent passer à l’action plutôt que d’accorder beaucoup de temps à des discussions (Lafortune et coll., 2004) alors qu’elles sont incontournables dans l’instauration de la collaboration formelle en équipe-cycle. Au premier abord, cette prescription ne simplifie pas la tâche.

6.4 La complexité de la tâche des enseignant·e·s

Les directives reliées à l’organisation de la tâche des enseignant·e·s, théoriquement cohérentes, sont souvent déconnectées des contraintes et des conditions réelles qui caractérisent les contextes du travail enseignant dans les classes et les écoles (Borges et Lessard, 2007). La tâche des enseignant·e·s ne peut être définie dans le détail ; elle comporte un certain degré d’imprévisibilité et d’incertitude au quotidien. Spécifiquement face aux élèves en difficulté, l’activité enseignante est très exigeante du point de vue émotionnel. Par exemple, Barrère (2007) a montré, en gestion de classe, que les enseignant·e·s conçoivent différemment les situations difficiles que vivent certains jeunes et la manière d’y répondre. Ces divergences provoquent parfois des fractures qui empêchent très souvent la communication professionnelle. Pour différentes raisons, la collaboration formelle peut être considérée comme un facteur de pénibilité supplémentaire en raison du surcroit de disponibilité qu’elle exige et des conflits, des jeux de pouvoir, qu’elle peut parfois entrainer (Barthassat, 2007).

6.5 Les dimensions compétitives dans la vie groupale

La théorie relative au fonctionnement des groupes restreints (Leclerc, 2015) souligne la présence de dimensions compétitives dans toute vie groupale. Cette dimension donne lieu à des jeux de pouvoir, c’est-à-dire que différents acteur·rice·s essaient d’avoir une emprise ou une influence afin de gagner ou de garder le contrôle sur l’orientation et les processus du groupe (Archambault et coll., 2007), à plus forte raison dans un contexte de restrictions budgétaires. Bien que ce ne soit pas systématique, différentes études ont montré que les moments de collaboration entre les enseignant·e·s peuvent être source de tensions, de divergences et de frictions (Armi et Pagnossin, 2012 ; Barthassat, 2007 ; Gather Thurler, 2000). L’implantation d’un changement, tel que la collaboration formelle en équipes-cycle, serait fortement liée à la qualité du climat existant dans l’établissement scolaire, en particulier à la façon dont les enseignant·e·s et les élèves se sentent traité·e·s (Brunet et Savoie, 1999). Selon Schutz (2006), rares sont les équipes d’intervenant·e·s qui travaillent dans un réel climat de confiance pouvant amener les enseignant·e·s à s’engager dans des discussions approfondies sur les problèmes qu’ils rencontrent en matière de réussite des élèves.

7. Discussion

Il importe de reconnaitre la pertinence de la collaboration tant informelle que formelle pour la réussite des élèves tout en étant conscient de l’ampleur des changements demandés. Le Conseil supérieur de l’éducation (2002), ainsi que plusieurs chercheur·se·s (Archambault, 2008 ; Barrère, 2017 ; Lessard, 2005 ; Perrenoud, 2002, 2014) soulignent que le travail en collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique impose un changement de culture professionnelle non seulement aux enseignant·e·s, mais aussi aux directions d’école. À ce propos, Letor et coll. (2006) ont constaté que la direction est impliquée activement dans la gestion de la concertation entre enseignant·e·s. Selon Barus-Michel et Enriquez (2013), le leadeur formel dans la communauté doit permettre aux désaccords, voire aux conflits, de s’exprimer afin que des négociations et des compromis puissent s’élaborer en vue d’une solution, si possible novatrice, privilégiant le bien commun. Les directions d’école selon les moyens à leur disposition peuvent-elles conduire les changements qu’exige la collaboration formelle entre enseignant·e·s ?

Pour ces dernier·ère·s, la réforme éducative de 1997 exige de dépasser une culture basée sur la responsabilité individuelle qui s’appuie sur le fait que chaque enseignant·e titulaire de classe assume l’encadrement, l’enseignement et l’apprentissage d’un groupe-classe pendant une année scolaire. Il s’agit d’étendre la responsabilité individuelle à un élargissement des compétences collectives dans une culture de coopération dans l’équipe-école et au sein des équipes-cycle. Cependant, la grande hétérogénéité dans les groupes-classe et la persistance des difficultés de plusieurs élèves ont un effet direct sur le sentiment d’efficacité personnelle des enseignant·e·s au travail (Barthassat, 2007 ; Lessard, 2005 ; Tardif et Lessard, 1999). De surcroit, les transformations en profondeur demandées par la dernière réforme éducative génèrent du stress (Deniger et coll., 2004). Selon Dumay (2009) ainsi que Dupriez (2010), la collaboration formelle et l’implication des enseignant·e·s dans des actions collectives ne sont source de sentiment d’efficacité personnelle que dans la mesure où elles portent sur les pratiques des enseignant·e·s qui renforcent les apprentissages de tous les élèves. Or, l’engagement des enseignant·e·s dans leur développement professionnel « collectif » est faible (Portelance et coll., 2011) et le caractère persistant des difficultés de plusieurs élèves suscite chez les enseignante·s des sentiments de solitude, d’incompétence, parfois d’impuissance (Fullan et Quinn, 2018) faisant peser sur eux·elles une forte charge psychique et éthique (Barthassat, 2007 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2014 ; Curchod-Ruedi et Doudin, 2015).

8. Conclusion

Dans les professions caractérisées par l’interaction humaine tel l’enseignement, les savoirs issus de la recherche qui fondent l’action ne garantissent pas l’atteinte des objectifs de réussite de tou·te·s les élèves (Mendel, 2002). La complexité des situations caractérisées par l’incertitude ancrée dans l’action ne peut faire émerger des savoirs qu’avec la participation collective de différent·e·s intervenant·e·s scolaires, notamment celle des enseignant·e·s (Barrère, 2017 ; Fullan et Quinn, 2018).

À cette étape-ci, il importe de s’interroger sur la nature des conditions viables de la collaboration institutionnelle, professionnelle et pédagogique dans les écoles primaires et sur la manière de les réunir (Gather Thurler, 2000 ; Hargreaves, 1994 ; Letor, 2009). La prise en compte des savoirs expérientiels des enseignant·e·s est essentielle, notamment en pédagogie inclusive, pour laquelle la transformation de l’interprétation du phénomène d’hétérogénéité dans les groupes-classe n’est qu’à ses débuts. Ainsi, pour qu’un changement d’envergure comme la collaboration formelle puisse être implanté durablement, il importe qu’il soit constamment actualisé par les enseignant·e·s (Curchod-Ruedi et Doudin, 2015 ; Fullan, 2003). Or, nous ne connaissons pas la manière dont les enseignant·e·s conçoivent le changement relativement à la collaboration formelle. Nous nous proposons donc d’aller rencontrer des enseignant·e·s du primaire qui expérimentent la collaboration en équipes-cycle pour mieux comprendre l’écart entre la valeur qu’ils accordent explicitement à la collaboration en général et la difficulté de sa mise en oeuvre formelle au sein des équipes-cycles.