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1. Introduction et problématique

L’étude d’une situation d’enseignement-apprentissage en classe est un objet de recherche complexe (Clanet, 2012). Cette complexité est liée à la nature de la situation d’enseignement-apprentissage, qui met ensemble enseignant·e et élèves en activité, dans un même espace et pendant une certaine durée (Jonnaert et Vander Borght, 1999). Faire des recherches en conditions écologiques doit permettre de prendre en compte cette complexité (Wang et Hannafin, 2005), sans pour autant la simplifier (Morin, 1990), afin d’appréhender véritablement la réalité de la situation d’enseignement-apprentissage. Pour cela, même s’il semble vain de pouvoir prétendre tout prendre en compte de la complexité d’une situation d’enseignement-apprentissage, néanmoins, comme le soulignent Sanchez et Monod-Ansaldi (2015), on peut prétendre à identifier leurs différentes entités, à caractériser leurs relations, afin d’établir des modèles permettant de mieux comprendre les situations d’enseignement-apprentissage en classe. Car comprendre comment et pourquoi le ou les processus qui se déroulent au sein de la situation d’enseignement-apprentissage fonctionnent, et identifier leur réelle nature permet d’appréhender les conditions de leur efficacité (Ginestié et Tricot, 2013). Il s’agit de favoriser les études compréhensives afin de mettre en évidence ce qui fonctionne du point de vue de l’apprentissage des élèves et de comprendre pourquoi cela fonctionne et de déterminer à quelles conditions cela fonctionne.

Pour Pastré (2008), aller sur le terrain, observer ce que font les acteur·rice·s d’une situation, c’est analyser l’activité produite par ces acteur·rice·s. Analyser l’activité de l’enseignant·e passe par une identification des savoirs enseignés, par une caractérisation des stratégies mises en oeuvre, par l’identification et l’étude des ajustements effectués par l’enseignant·e en classe entre tâches prévues et tâches effectuées, par l’identification et l’étude des éléments de régulation des apprentissages que l’enseignant·e met en oeuvre pour aider l’élève à apprendre. Analyser l’activité de l’élève, en classe, doit permettre de comprendre comment il utilise ses connaissances pour réaliser la tâche prescrite par son enseignant·e, de bien comprendre les fondamentaux des démarches d’apprentissage des élèves en classe (Bastien et Bastien-Toniazzo, 2004). Cela nécessite de recueillir des données sur l’interprétation de la tâche par l’élève, sur sa façon d’organiser son activité pour réaliser la tâche, sur les choix qu’il est amené à faire dans ses actions (Ginestié et Tricot, 2013).

Mais étudier comment ces deux registres d’activité interagissent pose un certain nombre de problèmes, notamment d’ordre méthodologique. Ginestié et Tricot (2013) recensent différentes propositions d’études : décrire les deux registres d’activité, celui de l’enseignant·e (ce qui avait été prévu d’être fait en comparaison avec l’activité effective de l’enseignant·e) et celui des élèves (ce que devait faire l’élève et ce qu’il fait réellement) ; rendre compte d’un agir commun entre activité de l’enseignant·e et activité des élèves en s’appuyant sur la théorie de l’action conjointe en didactique (Sensevy, 2007 ; Venturini, 2012) ; neutraliser un des deux registres d’activité, celui de l’enseignant·e ou celui de l’élève.

C’est cette idée de neutralisation que nous reprenons dans notre proposition de modélisation de la situation d’enseignement-apprentissage, et pour nous, cela sera une neutralisation des effets de certaines relations entre entités de la situation d’enseignement-apprentissage par réduction de l’objet étudié, ce sans véritablement le dénaturer.

Par le passé, pour l’étude et la compréhension de la situation d’enseignement-apprentissage, différentes propositions de modélisation ont été effectuées, comme le modèle de Dunkin et Biddle (1974) ou le modèle de Gage (1978) ; puis ont été développés des modèles articulant plusieurs types de variables concernant à la fois l’enseignant·e, l’apprenant·e et la situation (Altet et Guibert, 2014), modèles qui mettent l’accent sur les interactions afin de mieux comprendre les processus interactifs en jeu (Altet, 2014). C’est cette dernière perspective que nous avons retenue pour l’étude de cet objet de recherche qu’est la situation d’enseignement-apprentissage.

Mais, on peut faire le constat que peu de travaux récents ont abordé le problème de la modélisation de la situation d’enseignement-apprentissage. On peut, par exemple, citer la proposition de Derobertmasure et Dehon (2012) avec un modèle centré sur les relations et les interactions entre l’enseignant·e et les élèves dans le contexte de la classe, mais qui est, en fait, plus un modèle d’enseignement, les auteur·rice·s le désignant, parfois, comme modèle de la pratique d’enseignement/apprentissage. On trouve également des propositions de modélisation en didactique (voir, par exemple, Sensevy et Vigot [2016] pour une modélisation de l’action didactique). Sinon, la plupart des propositions concernent, en fait, essentiellement le processus d’enseignement, quelquefois le processus d’apprentissage, rarement les deux, très souvent avec un point de vue centré sur l’enseignant·e, pour un enseignement donné, ou encore pour des situations données comme celles, par exemple, mettant en oeuvre le numérique.

Nous faisons alors la proposition d’une modélisation de la situation d’enseignement-apprentissage dans une perspective systémique, prenant en compte, de ce fait, les différentes entités de la situation (approche structurelle), ainsi que les interactions entre ces différentes entités, et l’aspect dynamique de la situation (approche fonctionnelle). Pour nous, il s’agira alors de s’intéresser aux interactions en situation d’enseignement-apprentissage en s’appuyant sur la dimension séquentielle de cette dernière, ce qui permet ainsi une neutralisation de certaines interactions par le choix approprié d’un instant et de la séquence d’enseignement.

Ainsi, dans un premier temps, un recensement des différentes entités de la situation a été effectué (formalisation de la structure). Puis, à la suite des descriptions du fonctionnement de ces différentes entités, les interactions ont été précisées (aspect fonctionnel).

Nous présentons, ensuite, quelques éléments d’approche méthodologique en établissant des phases précises de séquence d’enseignement et en décrivant l’état correspondant du modèle afin de montrer comment certaines interactions se neutralisent.

Enfin, nous illustrerons ces éléments méthodologiques par les premiers résultats de travaux.

L’objectif est donc, en reprenant les propos de Rey (2014), de pouvoir disposer de données de recherche pertinentes qui correspondent véritablement aux situations d’enseignement-apprentissage ordinaires et non à des situations relevant de situations à caractère expérimental, en privilégiant une approche combinant différents points de vue pour la compréhension de ce système qu’est la situation d’enseignement-apprentissage.

2. Contexte théorique

2.1 Notion de situation d’enseignement-apprentissage

En classe, un élève, pour apprendre le savoir enseigné, est amené à réaliser des tâches d’apprentissage prescrites par son enseignant·e. Ces tâches sont censées être porteuses du savoir enseigné et sont soutenues par un ou plusieurs dispositifs didactiques. Dans la salle de classe, un·e élève n’est pas seul·e, il·elle est parmi d’autres élèves. L’ensemble de ces conditions de réalisation de la tâche par l’élève correspond au contexte de la tâche d’apprentissage (Bastien et Bastien-Toniazzo, 2004), et en reprenant la proposition de Musial, Pradère et Tricot (2011), ce contexte de mise en oeuvre de la tâche d’apprentissage élaborée par l’enseignant·e correspond à la situation d’enseignement-apprentissage.

Ainsi, une situation d’enseignement-apprentissage est un ensemble d’acteur·rice·s, un·e enseignant·e et des élèves, dans une salle de classe, mais est aussi un ensemble conjoint de contraintes et de ressources (Tupin et Dolz, 2008). Une situation d’enseignement-apprentissage sera toujours singulière, évènementielle, expérientielle (Pastré, 2011). C’est une entité en soi, dynamique, changeante, qui permet de rendre compte des conditions et des processus dans et avec lesquels l’activité de l’enseignante et l’activité des élèves sont en interaction (Bru et Clanet, 2011). Dans une situation d’enseignement-apprentissage, l’enseignant·e met en oeuvre une séance d’enseignement, cette séance ayant son existence de par le fait que l’enseignant·e a défini, à partir des textes prescriptifs, programmes ou référentiels, un ou plusieurs savoirs à enseigner. Dans la situation d’enseignement-apprentissage, le ou les savoirs à faire acquérir sont des savoirs enseignés. Pour faire apprendre à ses élèves les connaissances associées à ce, ou ces, savoir(s), l’enseignant·e met en oeuvre des tâches d’apprentissage pour ses élèves. Les conditions de mise en oeuvre de ces tâches ne sont pas du libre choix de l’enseignant·e qui doit donc composer avec un certain nombre de contraintes (Musial, et coll., 2011) : planification du temps, gestion de l’espace, de la classe, choix du lieu de l’apprentissage, organisation des tâches d’apprentissage (classe entière, élèves travaillant seul·e·s, en binômes, en groupes), choix des supports et des matériels pour faciliter l’apprentissage. En classe, les élèves interagissent entre eux, pour collaborer dans leurs activités, pour échanger. Les bénéfices de ces interactions pour collaborer à la mise en oeuvre de la tâche prescrite se traduisent en termes d’efforts consentis par les élèves et d’engagement dans la tâche (Fenouillet, 2016 ; Reeve, 2017). Au cours d’une séance d’enseignement, l’activité des élèves est soutenue par un ou plusieurs outils didactiques : documents papier, outils informatiques, instruments de laboratoire, etc. Enfin, l’élève, dans son apprentissage en classe, est aussi en forte interaction avec un environnement complexe (complexe, car constitué de multiples et diverses variables) qui influe sur ses performances cognitives. En effet, un élève réalise la tâche prescrite par son enseignante dans une classe où sous-tendent de nombreuses sources d’influence provenant bien évidemment, d’éléments propres au contexte de la tâche d’apprentissage (comme l’agencement matériel de la salle de classe choisi par l’enseignant·e), donc propres à la situation d’enseignement-apprentissage, mais aussi provenant d’autres sources d’influence relevant du contexte de la situation d’enseignement-apprentissage (organisation sociale, institutions, etc.).

2.2 Quelle modélisation possible de la situation d’enseignement-apprentissage ?

Classiquement, la situation d’enseignement-apprentissage, au sein de laquelle le processus d’enseignement-apprentissage se déroule, est décrite par la relation triangulaire qui s’établit entre l’enseignant·e, le savoir à enseigner et une élève qui est alors pris au sens générique du terme (Joshua et Dupin, 1993).

Mais, comme le font remarquer Jonnaert et Vander Borght (1999), l’analyse didactique de la situation d’enseignement-apprentissage exige plus que cela. En effet, si ces trois éléments que sont l’enseignant·e, le savoir à enseigner et l’élève définissent un triangle dans cette description symbolique de la situation d’enseignement-apprentissage, ces auteur·rice·s mettent en avant le fait que l’analyse didactique s’intéresse bien plus aux rapports entretenus entre ces éléments qu’à l’un d’entre eux pris isolément, et que, de ce fait, le triangle didactique symbolise plus une surface d’interactions entre trois catégories de variables (celles relatives à l’enseignant·e, celles relatives au savoir à enseigner, celles relatives à l’élève). De ce fait, une relation didactique est en fait déterminée non seulement par les différentes composantes de cette relation, mais également, voire essentiellement, par les interactions présentes au sein de cette relation.

Cette description de la relation didactique est-elle suffisante pour comprendre pleinement ce qui se déroule au sein de la situation d’enseignement-apprentissage ?

Ainsi, Dumont et Istance (2010) mettent en avant la dynamique et les interactions entre quatre dimensions que sont l’apprenant·e, l’enseignant·e, le contenu (le ou les savoir[s] à enseigner) et les équipements ; chacune de ces dimensions pouvant répondre aux questions, qui apprend, et avec qui, quoi apprendre, et avec quoi. Dans une situation d’enseignement-apprentissage, en classe, les équipements utilisés dans la situation d’enseignement-apprentissage sont de nature diverse : documents papier, outils informatiques (ordinateur, vidéoprojecteur, tableau blanc interactif, etc.), matériel de mesure, dispositifs de travaux pratiques, etc. Ces équipements constituent le matériel didactique mis en oeuvre par l’enseignant·e au sein de son dispositif de situation d’enseignement-apprentissage, les ressources didactiques de l’enseignant·e.

Par ailleurs, pour Amade-Escot et Venturini (2009), l’ensemble des éléments qui agit sur l’élève (et éventuellement, l’ensemble des éléments sur lequel l’élève agit) peut être situationnel, historico-culturel, matériel et comporter également des aspects sociaux, voire sémiotiques.

De même, pour Anderson, Simon et Reder (1996), la connaissance (ce qui correspond, pour ces auteur·rice·s, ce qui est appris par l’apprenant·e, donc ce qui est en mémoire de l’apprenant·e) est fortement liée au contexte de son acquisition ; l’apprentissage est donc situé, c’est-à-dire ce qui est appris par un sujet est fortement lié à la situation dans laquelle l’apprentissage s’est effectué. Une situation d’enseignement-apprentissage est également caractérisée un environnement dans lequel vont s’insérer différents actes (Rey, 2005).

2.3 Élaboration d’un modèle de la situation d’enseignement-apprentissage

2.3.1 Les différentes entités

De nombreuses recherches montrent que l’enseignement doit être centré sur l’élève afin de véritablement pouvoir répondre à ses besoins en termes d’apprentissage (Watson et Reigeluth, 2008). Cette perspective est aussi défendue par des auteurs comme Mayer (2010), ou encore, pour les francophones, par Bastien et Bastien-Toniazzo (2004) par exemple, pour qui il est nécessaire de comprendre les fondamentaux des démarches d’apprentissage des élèves afin de permettre de rendre plus efficace le processus d’enseignement-apprentissage. L’élève peut être ainsi caractérisé par son profil cognitif, à savoir l’état de ses connaissances à un instant donné du processus qui se déroule au sein de la situation d’enseignement-apprentissage. Si pendant de nombreuses années, l’étude du fonctionnement d’un apprenant en situation d’enseignement-apprentissage s’est limitée à l’étude des connaissances activées par l’apprenant·e, aux processus cognitifs mobilisés lors de la mise en oeuvre de la tâche prescrite, aujourd’hui, il est difficile de nier le rôle joué par les émotions sur le fonctionnement cognitif du sujet (Fiedler et Beier, 2014 ; Sander et Scherer, 2014). Ainsi, au profil cognitif de l’élève, il est nécessaire (Bellec, 2015), pour une meilleure compréhension des fondamentaux de ses démarches d’apprentissage, de lui adjoindre un profil affectif (composantes relevant du plaisir, du stress et/ou de l’anxiété …) et un profil conatif qui regroupe les composantes relevant de la motivation, de l’estime de soi, de la propension à un engagement dans la tâche (Bandura, 1993 ; Fenouillet, 2016 ; Reeve, 2017).

Dans notre proposition de modélisation, nous considérons la situation d’enseignement-apprentissage au niveau classe, terme synthétique qui implique des groupes plus importants que l’apprenant·e unique (Dumont et Istance, 2010). Or, apprendre en classe, c’est aussi apprendre en groupe, c’est-à-dire en interaction avec d’autres élèves. À travers cette interaction, l’élève, parmi les autres élèves de la classe, va se construire une perception de lui·elle-même par comparaison avec les autres élèves. Monteil et Huguet (2013), dans une synthèse de leurs travaux, ont montré que les représentations de soi, chez les élèves, à la suite de ces comparaisons, influençaient fortement leurs productions cognitives. En fait, il semble maintenant bien établi que les productions cognitives des élèves en classe sont largement dépendantes de facteurs d’ordre psychosocial qui peuvent contribuer soit à produire des différences entre les élèves, soit à favoriser l’apprentissage suivant les conditions de réalisation des tâches (caractéristiques de la tâche, composition du groupe d’élèves, etc.), et qu’il est donc nécessaire de pouvoir caractériser plus précisément ces interactions afin de pas limiter la compréhension de la situation d’enseignement-apprentissage uniquement sous l’angle des productions cognitives des élèves (Dutrévis, Toczek et Buchs, 2015).

Au sein de la situation d’enseignement-apprentissage, l’enseignant·e est le·la médiateur·rice du savoir à enseigner, objet de la situation d’enseignement-apprentissage. De ces contraintes institutionnelles, qui vont fortement induire la façon et la manière dont l’enseignant·e va enseigner le ou les savoir(s) porté(s) par la situation d’enseignement-apprentissage, l’enseignant·e va déterminer quelles activités ilelle va proposer aux élèves, quelles tâches il·elle va pouvoir prescrire à ses élèves afin qu’ils·elles puissent réaliser les activités plus ou moins suggérées par les documents institutionnels d’accompagnement (Ginestié, 2008). L’enseignant·e est donc amené·e à concevoir des tâches pour que les élèves puissent mettre en oeuvre des apprentissages afin de construire des connaissances nouvelles à partir du, ou des, savoirs enseignés (Musial et coll., 2011). L’enseignant·e est donc un·e organisateur·trice des conditions d’apprentissage de ses élèves (Talbot, 2012), et c’est suivant la façon dont l’élève va traiter le savoir enseigné par l’enseignant·e qui fera que l’élève apprendra ou n’apprendra pas. Pour Altet (2009), l’enseignant·e assure une double fonction : pédagogique, par une médiation entre le savoir et l’élève, par sa gestion de la classe ; didactique, par sa gestion des apprentissages, ceci dans un contexte particulier, la classe, qui lui est contraint et dynamique de par la nature des relations au sein de la situation d’enseignement-apprentissage. Et, pour ce même auteur, la spécificité du travail de l’enseignant·e s’analyse à partir des interactions avec les élèves afin de pouvoir mettre en évidence ce qui fonctionne, ce qui fait apprendre les élèves, grâce au type de médiation retenu par l’enseignant·e, mais aussi grâce au choix des adaptations, des compromis mis en oeuvre par l’enseignant·e (Altet, 2002). Il y a donc des interactions entre le savoir à enseigner et l’élève, mais aussi des interactions avec l’élève et les autres élèves de la classe (notion de gestion de la classe), et des interactions avec un environnement (ce qu’Altet appelle contexte singulier).

À la suite des travaux de Verret (1975) en enseignement de la philosophie, Chevallard (1985/1991) décrit le processus de transformation, pour les mathématiques, du savoir dit « savant », savoir produit par une communauté scientifique clairement identifiée et reconnue, au savoir dit « enseigné » (ou objet d’enseignement), qui est le savoir porté par l’enseignant·e au sein de la situation d’enseignement-apprentissage et qui découle du savoir dit « à enseigner » qui correspond, lui, au savoir défini par les textes prescripteurs. Si la transposition didactique est née de la didactique des mathématiques, son utilisation dans les diverses didactiques des disciplines a, bien évidemment, largement été effectuée (Perrenoud, 1998).

Le savoir à enseigner est caractérisé par son histoire, sa place dans un cursus de formation (Johsua et Dupin, 1993). Le savoir enseigné relève fortement de l’interprétation du savoir à enseigner par l’enseignant·e, de ses connaissances, de ses croyances, des contraintes de mise en oeuvre de son enseignement en classe (organisation matérielle de la classe, possibilités ou non d’avoir recours aux technologies numériques de la communication, nature des activités-élèves possibles, organisation dans le temps, etc.).

La mise en oeuvre de tout enseignement de savoirs s’appuie sur un certain nombre de ressources didactiques, diverses et variées, de nature différente, notamment depuis le développement de l’usage du numérique en classe. Les interactions entre l’élève et ses ressources didactiques peuvent s’avérer complexes à étudier, notamment avec l’utilisation des technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement en classe, utilisation qui se développe fortement et se généralise. Ainsi, l’étude et l’analyse de l’interaction élève-ressource(s) didactique(s) nécessitent de mettre en oeuvre des cadres théoriques qui peuvent être pluridisciplinaires, car fortement corrélés à la nature de la ressource didactique utilisée par l’enseignant·e au sein de la situation, ressource, par essence, de nature très diverse (Hérold et Ginestié, 2017).

Nous reprenons également la proposition de Dumont et Istance (2010) qui considère comme environnement, le contexte immédiat de toute situation d’apprentissage. Ainsi, pour nous, l’environnement est une entité qui prend en compte non seulement les cadres physiques ou technologiques, les organisations topologiques de la classe, la vie sociale de la classe, mais aussi les influences sociales, culturelles, familiales, communautaires, institutionnelles qui interagissent sur l’élève ou l’enseignant·e (Dumont et Istance, 2010) et vont, de ce fait, conditionner l’apprentissage de l’élève en classe. L’environnement induit des limites et impose une entité d’interface, représentative de ces liens entre la situation d’enseignement-apprentissage et les différents acteur·rice·s qui influent sur l’apprentissage des élèves : système éducatif ; environnement immédiat (classe, établissement scolaire) ; environnement socioéconomique ; environnement culturel ; environnement familial ; etc. (Jonnaert et Vander Borght,1999 ; Joshua et Dupin, 1993).

2.3.2 Les interactions entre les différentes entités

Dans le cas d’une situation d’enseignement-apprentissage, les interactions sont de nature très variée, et sont porteuses de flux informationnels de nature diverse. Ainsi, par exemple, Dessus (2008) met en avant, dans l’activité d’enseignement, une activité relationnelle de coopération impliquant l’enseignant·e et un (ou des) élève(s), une activité de communication entre l’enseignante et un (ou des) élève(s). Ces interactions peuvent être unidirectionnelles ou bidirectionnelles. De même, Altet (2002), qui, dans son approche du processus enseignement-apprentissage retient un point de vue centré sur l’enseignant·e, met l’accent sur les interactions entre l’enseignant·e et les élèves, et les caractérise par leur nature diverse : pédagogique, didactique, psychologique, sociale. Il y a aussi les interactions entre l’élève et le dispositif didactique retenu par l’enseignante : suivant la nature de ce dispositif, la nature de l’interaction sera différente ; le flux informationnel porté par cette interaction ne peut alors être analysé de façon identique s’il s’agit d’un travail écrit à faire par l’élève ou s’il s’agit d’une tâche prescrite dans un environnement informatique. Plus globalement, on peut établir que, dans le cas d’une situation d’enseignement-apprentissage, pour une interaction donnée, on peut avoir des flux d’informations de nature différente, de sens différent, en mode bidirectionnel, à l’alternat ou non. En outre, une même interaction peut être porteuse de plusieurs flux d’informations (comme l’interaction élève-environnement d’apprentissage, par exemple). La prise en compte de ces informations permet alors d’analyser les processus en cours dans la situation d’enseignement-apprentissage, c’est-à-dire d’analyser la suite des évènements, le processus représentant un aspect dynamique du système.

De plus, un système évolue dans le temps : des évènements se produisent et en modifient l’organisation ; un système se définit ainsi également par sa relation au temps (Jonnaert et Vander Borght, 1999).

3. Hypothèse

Il s’agit de déterminer quelle forme de modèle permet effectivement de relever des données de recherche en conditions écologiques et d’apporter des éléments de compréhension suffisamment pertinents du fonctionnement de la situation d’enseignement-apprentissage, avec un point de vue centré sur l’activité de l’élève en classe, sans pour cela dénaturer la situation par excès de simplification ou la rendre difficilement compréhensible par excès d’informations.

Nous avons retenu un modèle mixte, en reprenant la classification proposée par Tiberghien (1988), c’est-à-dire un modèle permettant de rendre compte du fonctionnement de cet objet complexe qu’est la situation d’enseignement-apprentissage, et aussi permettant d’en formaliser la structure.

Dans la perspective d’une meilleure compréhension de cet ensemble complexe qu’est la situation d’enseignement-apprentissage, nous faisons l’hypothèse qu’un modèle, élaboré via une approche systémique, permet, dans le cadre de recherches écologiques, de mieux tenir compte de cette complexité ; et si l’aspect dynamique de la situation est pris en compte, cette complexité peut être modélisée, mais non réduite, car la modélisation effectuée doit permettre de ne pas dénaturer la situation modélisée (Clanet, 2012). L’idée retenue est de s’inspirer de l’approche systémique de par le fait que cette approche permet d’appréhender la situation d’enseignement-apprentissage, contexte de la tâche d’apprentissage réalisée par l’élève, comme un système complexe d’entités en interaction, c’est-à-dire un ensemble d’entités, organisé, qui possède une dynamique temporelle en évoluant dans le temps (Berbaum, 1982). Nous faisons alors l’hypothèse que cette approche permet effectivement d’identifier plus facilement les entités concernées par l’instant t de la séquence, instant retenu pour l’étude, et de pouvoir ainsi, par la suite, analyser les processus réellement en cours à cet instant, à partir de l’étude des interactions existantes.

L’enjeu, ici, est, comme le souligne Rey (2014), de pouvoir travailler sur des données issues de situations d’enseignement-apprentissage ordinaires, de situations vraies, et non de situations à caractère expérimental, afin de pouvoir soutenir, par les résultats de la recherche, la réflexion que doit développer l’enseignant·e dans sa pratique.

4. Méthodologie

Dans notre approche de la situation d’enseignement-apprentissage, l’élève est au centre du système. Le point de vue adopté sur la situation d’enseignement se fait à l’instant t ; il s’agit donc d’un élève parmi les élèves de la classe. À l’instant t+1, le système se modifie. Il peut, par exemple, s’agir alors d’un autre élève de la classe. La prise en compte de cette modification se fait par l’approche structurelle qui va permettre de redéfinir le système à cet instant t+1. De ce fait, puisque la nature des processus en jeu dépend du contexte de la tâche réalisée par l’élève, donc de la nature de la situation d’enseignement-apprentissage à cet instant, l’approche fonctionnelle permet alors d’analyser les processus présents à cet instant, tels qu’ils sont et non pas comme ils sont censés être.

Une vision globale du modèle de la situation d’enseignement-apprentissage est présentée figure 1 :

Figure 1

Le modèle de la situation d’enseignement-apprentissage

Le modèle de la situation d’enseignement-apprentissage

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Une prise en compte de la globalité du modèle correspond, par exemple, aux instants où un·e enseignant·e, en position frontale, fait cours (modèle transmissif), et, à un instant t, un·e élève sollicite son enseignant·e pour avoir un supplément d’explications. Il y a donc interaction, bien évidemment entre un·e élève et l’enseignant·e. L’élève est confronté·e au savoir enseigné (flux porté par l’interaction entre l’élève et le savoir à enseigner) par l’action de l’enseignant·e sur le savoir à enseigner. L’élève est en interaction avec la ressource didactique retenue par l’enseignant·e pour mettre en oeuvre sa séance d’enseignement (qui peut être le tableau, une vidéoprojection, etc.). L’élève, en classe, est également en interaction avec les autres élèves de la classe : il pose une question devant les autres élèves. Enfin, l’élève est en interaction avec l’environnement.

On peut aussi s’appuyer sur cette forme du modèle si l’instant retenu correspond, par exemple, à une phase de débat organisé par l’enseignant·e. À l’instant t, le modèle met l’accent sur un·e élève (avec son profil) ; à l’instant t+1, c’est une autre élève qui prend la parole (et cet·te élève a, bien évidemment, un profil différent).

Avec le modèle pris dans sa globalité, on peut faire le constat que l’analyse du fonctionnement de la situation d’enseignement-apprentissage et sa compréhension, s’avèrent difficiles à effectuer par l’importance des interactions, leur diversité et leur variété.

En s’appuyant sur le postulat énoncé précédemment, à savoir prendre en compte la dynamique du système en retenant des phases où un certain nombre d’interactions sont inhibées de par la nature de l’activité qui est mise en oeuvre, à ces instants, au sein de la situation d’enseignement-apprentissage, on peut rendre plus accessible l’analyse du fonctionnement par simplification du modèle sans pour cela dénaturer la situation d’enseignement-apprentissage étudiée, comme le montre l’exemple d’utilisation du modèle proposé en figure 2. Il ne s’agit pas d’ignorer certaines interactions, mais de mettre en évidence celle(s) qui joue(nt) un rôle prépondérant dans l’instant retenu, comme celles à un autre instant de la séquence où l’élève peut solliciter son enseignant·e.

Figure 2

Une activité d’élève avec une intervention de l’enseignant·e

Une activité d’élève avec une intervention de l’enseignant·e

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Comme le souligne Clanet (2007), il est possible de repérer des régularités dans les pratiques d’enseignement qui ont des formes organisées, mais qui sont en lien avec les caractéristiques des apprenant·e·s et des situations. De ce fait, si les situations d’enseignement-apprentissage, de par leur complexité, sont difficilement appréhendables, néanmoins, il demeure envisageable, de par ces régularités, d’étudier certaines dimensions sans pour cela dénaturer complètement le système étudié.

5. Mises en oeuvre du modèle : premiers résultats

5.1 Un instant avec peu d’interactions

Un instant t avec peu d’interactions correspond, dans cet exemple de travaux (Hérold, 2014), à un contrôle de connaissances avec un document écrit. L’élève travaille seul puisqu’il s’agit d’un contrôle de connaissances, sans intervention de l’enseignant, sans interaction avec un ou d’autres élèves (contrôlé par observation non participante directe). On peut également admettre que, pour cette phase d’activité, l’interaction entre l’élève et l’environnement est quasi nulle. La seule interaction qui demeure est donc celle entre l’élève et la ressource didactique (le document écrit), comme le montre la figure 3 :

Figure 3

Un instant t de la situation avec peu d’interactions

Un instant t de la situation avec peu d’interactions

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À cet instant, l’élève répond aux questions établies par son enseignant·e, fait les exercices proposés.

Dans cette étude, l’analyse de l’activité de l’élève a donc été effectuée en différé avec une analyse de ses traces écrites, lors de résolution d’exercices prescrits par leur enseignant·e de mathématiques. Cette analyse de l’activité des élèves (élèves de grade 7) a mis en évidence les processus cognitifs mobilisés par les élèves, les connaissances activées et les effets de charge cognitive. Les résultats obtenus ont permis une catégorisation du niveau d’apprentissage des élèves par rapport au savoir enseigné, à savoir le traitement arithmétique des entiers relatifs : connaissances procédurales adéquates activées correctement, connaissances procédurales relevant d’une autre situation activées pour certains exercices, connaissances procédurales relevant d’une autre situation activées à un certain moment de la résolution du problème (effet de surcharge cognitive, voir Barrouillet, Bernardin et Camos, 2004). Ces travaux ont permis de déterminer des profils d’apprentissage à partir d’une grille d’analyse de leurs réponses, justes ou fausses.

Ici, il s’agit donc d’analyser l’activité de l’élève par une compréhension de son fonctionnement cognitif (connaissances mobilisées, processus activés), ce qui correspond à l’étude de l’interaction entre la ressource didactique et un élève avec son profil cognitif.

5.2 Cas où la ressource didactique est un outil numérique

Dans ce cas, la situation d’enseignement-apprentissage correspond à une utilisation du modèle correspondant au schéma de la figure 4 :

Figure 4

Une activité d’élève(s) avec un outil informatique

Une activité d’élève(s) avec un outil informatique

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Si les instants d’observation de la situation d’enseignement-apprentissage retenus ont permis effectivement d’établir qu’il est possible de s’affranchir de l’interaction de l’enseignant·e (il·elle s’abstient d’intervenir durant l’activité de l’élève) ainsi que de l’interaction avec les autres élèves (les élèves ne communiquent pas entre eux·elles), alors il est possible de retenir cette mise en oeuvre du modèle pour la situation proposée (Hérold et Montuori, 2018). Cette fois-ci, il est nécessaire de prendre en compte l’interaction avec l’entité environnement du système : d’une part, l’usage des outils informatiques n’est pas neutre socialement, et d’autre part, l’utilisation d’outils informatiques en classe induit sur l’organisation spatiale et matérielle de la classe ; par ailleurs, les outils informatiques sont aussi des supports véhiculant un apprentissage implicite : l’élève a donc construit des connaissances, en dehors de l’école, soit sur l’utilisation de l’outil informatique retenu par l’enseignant·e pour la mise en oeuvre de sa séquence d’enseignement (parce que l’élève a déjà eu l’occasion de travailler avec cet outil à l’école ou en dehors de l’école), soit sur le dispositif informatique lui-même (connaissances des règles de mise en oeuvre de l’environnement informatique imposées par la nature du système de la machine utilisée). Dans le cas de cette étude, l’analyse de l’activité de l’élève s’est faite à partir de l’analyse des traces numériques, des comportements de l’élève avec l’outil (enregistrement vidéo des captures d’écran), reflets des stratégies retenues par le système cognitif de l’élève. Des entretiens individuels ont complété les observations indirectes de la situation analysée, ce qui a permis une triangulation des données recueillies. L’activité analysée correspondait à un test de connaissances à la suite d’une séquence d’enseignement consacrée à l’utilisation et à la mise en oeuvre des fonctionnalités du tableur. Les résultats mettent en évidence certains comportements d’élèves qui peuvent servir d’indicateurs à l’enseignant pour réguler son enseignement en temps réel (et non pas attendre les résultats de son évaluation pour apporter aux élèves une aide appropriée), par exemple l’élève qui se trouve dans une impasse, ou l’élève qui utilise une connaissance inappropriée (car, relevant d’une autre situation) pour réaliser la tâche, ou encore l’élève qui ne peut interpréter correctement l’aide du logiciel (qui, par définition, s’adresse à un expert du domaine).

5.3 Travail de groupe

En classe, l’élève ne travaille pas toujours seul·e. Bien évidemment, les travaux de groupe sont souvent mis en place par l’enseignant·e, comme, par exemple, dans la démarche de projet. Dans ce cas de situation, la mise en oeuvre du modèle correspond à la proposition de la figure 5.

Figure 5

Une activité d’élève(s) en démarche de projet

Une activité d’élève(s) en démarche de projet

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Dans cette étude (Ndiaye, Hérold et Laisney, 2016), l’instant t retenu correspond à l’activité d’un·e élève au sein d’un groupe d’élèves en démarche de projet qui correspond à une activité de conception prototypage qui s’appuie sur l’impression 3D. On retient un instant où l’enseignant·e ne fait pas d’intervention. Ces travaux portent sur l’analyse du processus de conception créative soutenu par un modeleur 3D dans le cadre d’un projet de conception d’objet.

Les élèves (de grade 11) dans leur activité en démarche de projet sont principalement en phase d’activation de connaissances : ils·elles mobilisent des connaissances pour réaliser la tâche prescrite. Le recueil de données pour cette situation comporte : 1) un recueil par observation indirecte non participante si l’instant retenu correspond à des échanges verbaux entre l’élève et les autres élèves (interaction élève-autre(s) élève(s) où l’élève est un·e élève du groupe à un instant t et sera un·e autre élève à un autre instant) ; 2) une analyse de l’activité des élèves effectuée à partir des traces écrites et numériques produites par les élèves en classe (interaction élève-ressource didactique avec prise en compte de l’interaction avec l’environnement, comme précédemment) ; 3) un questionnaire des élèves pour comprendre les effets d’apprentissage (triangulation).

Les résultats montrent que l’impression 3D peut être une aide importante à l’interprétation de la tâche prescrite par les élèves pour ceux·celles qui l’utilisent comme outil de validation, mais que pour un tiers d’entre eux·elles, l’imprimante 3D demeure un outil de production. Ces résultats s’expliquent, d’une part, par la nature des ressources didactiques, l’outil de conception assistée par ordinateur et l’imprimante 3D, qui sont vus par ces élèves comme deux entités, mais sans pour cela voir en eux des outils leur permettant d’être plus efficaces dans leur tâche de conception (ils·elles les traitent séquentiellement, l’imprimante étant donc utilisée en fin de processus), et, d’autre part, par la configuration matérielle de la salle de classe (rôle de l’entité environnement du modèle) qui, pour ces élèves, n’était pas adaptée à leurs besoins (une seule imprimante pour plusieurs groupes, configuration des paramètres de l’imprimante…). Par contre, l’analyse de l’interaction entre l’élève et l’outil de conception assistée par ordinateur montre que, même si l’activité de conception mobilise des processus complexes, en particulier le processus d’interprétation de la tâche prescrite, cette activité est, dans ce cas, largement portée par les interactions avec les autres élèves du groupe de projet, notamment pour les activités de recherche documentaire et par les réponses à certaines difficultés de mise en oeuvre de l’outil.

Si l’instant t retenu comprend une intervention de l’enseignant·e, alors que les élèves sont toujours en démarche de projet, le modèle se modifie en intégrant une entité supplémentaire, celle de l’enseignant·e. L’étude n’est alors plus la même et porte également sur l’analyse des interactions enseignant·e-élèves (voir Bernard, Boulc’h et Arganini (2013) pour un exemple de travaux).

6. Discussion

L’analyse du fonctionnement de la situation d’enseignement-apprentissage en classe couvre un champ d’observables de natures très diverses. Les interactions, suivant l’instant d’observation retenu, peuvent être nombreuses et sont porteuses, dans certains cas, de flux de nature variée dont l’analyse peut nécessiter de mobiliser des registres théoriques, voire méthodologiques, spécifiques. Des approches trop disciplinaires risquent d’entrainer un réductionnisme épistémologique qui va amener le travail de recherche à répondre à des questions qui n’apportent pas suffisamment d’explications sur la situation analysée et sa complexité. Une première réponse à ce problème peut être l’approche pluridisciplinaire, dans laquelle chaque discipline porte son regard sur la situation ; mais, souvent menées de manière indépendante, les approches pluridisciplinaires risquent d’occasionner des approches qui, finalement, appauvrissent fortement les possibles en termes de résultats de recherche (Rey, 2014). Pour aller au-delà de cette simple juxtaposition d’approches disciplinaires, certains travaux de recherche s’appuient sur une analyse plurielle de la situation d’enseignement-apprentissage. Cette analyse plurielle confronte des cadres théoriques différents (didactique, psychologie, sociologie, psychopédagogie, etc.) pour analyser des situations d’enseignement-apprentissage en classe (Altet, 2002, 2009 ; Rogalski et Robert, 2015), cette analyse se faisant par plusieurs chercheur·se·s en sciences de l’éducation issu·e·s de disciplines différentes afin, en reprenant les propos de Altet (2002), de s’affranchir de l’impossibilité constatée sur le terrain d’une approche multiréférentielle effectuée par un·e seul·e chercheur·se.

Une voie prometteuse semble être l’approche interdisciplinaire, à plusieurs chercheur·se·s. En orientant les travaux de recherche vers ce type d’approche, on peut espérer pouvoir étudier la situation d’enseignement-apprentissage qui demeure bien difficile à être complètement expliquée et comprise par une approche uniquement disciplinaire (Rey, 2014).

En outre, nous avons fait l’hypothèse qu’une étude s’inspirant de l’approche systémique de la situation d’enseignement-apprentissage peut permettre la construction d’un modèle suffisamment explicite, un modèle pour comprendre cette situation. Si, par le passé, il est vrai que la démarche systémique avait déjà été mise en oeuvre en éducation, bien souvent, il s’agissait d’actions de formation (Berbaum, 1982), correspondant de ce fait à des systèmes aux frontières qui allaient bien au-delà de la situation d’enseignement-apprentissage que nous avons retenue dans notre approche. Aussi, de notre point de vue, en délimitant un système trop vaste, on multiplie les composantes, on multiplie les interactions et leur diversité, ce qui rend l’analyse comportementale du système très difficile à appréhender, et ce qui peut expliquer le peu d’échos de ces approches dans le champ de l’éducation. En délimitant notre système à la situation d’enseignement-apprentissage, on réduit le système aux observables possibles. On peut alors favoriser les études explicatives et surtout compréhensives afin de permettre d’identifier ce qui fonctionne du point de vue de l’apprentissage des élèves et de comprendre pourquoi cela fonctionne et à quelles conditions cela fonctionne.

7. Conclusion

La situation d’enseignement-apprentissage en classe est un ensemble complexe à étudier et à analyser. La compréhension de cet ensemble aux différentes et diverses entités peut être soutenue par une modélisation qui prend en compte cette complexité, tout en permettant une utilisation facile, sans pour autant trop simplifier la réalité de la situation (Clanet, 2012). La nature complexe de la situation d’enseignement-apprentissage nous a amené à s’inspirer de l’approche systémique en considérant la situation comme un système, c’est-à-dire un ensemble dont les éléments sont en interaction dynamique (De Rosnay, 1975).

Nous avons montré qu’en choisissant les instants de la situation, il était possible de réduire le modèle par inhibition de certaines interactions, facilitant ainsi l’analyse et la compréhension de la situation par le modèle. Il devient alors envisageable de pouvoir capitaliser les résultats obtenus pour étudier des instants pour lesquels moins d’interactions sont inhibées, même s’il est vrai que les flux d’informations portés par les interactions ne sont pas forcément strictement identiques d’un instant à l’autre. Malgré tout, il est possible de réduire la complexité sans pour cela l’effacer, puisque le modèle est maintenu dans sa globalité : seules les interactions présentes dans l’instant retenu sont mises en évidence ; les interactions absentes ou très peu présentes dans la situation existent toujours dans le modèle, permettant ainsi de maintenir un degré de vigilance vis-à-vis des variables porteuses d’informations à propos de ces interactions. Cela rend alors possible le maintien d’une vision la plus précise possible de la situation d’enseignement-apprentissage par une prise de conscience réaliste des variables qui sont en jeu même s’il est vrai qu’il semble difficile, voire impossible, de pouvoir toutes les prendre en compte. Néanmoins, de notre point de vue, cela peut aider à mieux « penser » les outils méthodologiques à mettre en oeuvre, à contribuer à une meilleure analyse des données recueillies, par une vision plus écologique, plus réaliste, de la situation d’enseignement-apprentissage, en prenant en compte, à partir de l’analyse des traces de l’activité des différents acteurs, les processus tels qu’ils se sont effectivement produits et non pas comme ils sont censés être.

D’autre part, l’analyse des interactions entre les différentes entités du système ne peut fournir des données exploitables que si on dispose de modèles suffisamment robustes pour comprendre l’activité de l’élève en classe. C’est pourquoi nous avons élaboré un modèle de l’activité de l’élève en activation de connaissances en mémoire, modèle qui est en phase de validation. Ce modèle devrait permettre de pouvoir affiner l’interaction élève-ressource(s) didactique(s) notamment par une meilleure compréhension de l’activité de l’élève : nature de la connaissance mobilisée, comment et pourquoi il·elle abandonne une connaissance pour une autre, comment ses connaissances évoluent (Ginestié et Tricot, 2013), et, d’autre part, de faciliter l’analyse de l’interaction élève-enseignant, analyse toujours difficile à mener comme cela a été souligné dans l’introduction.

Certaines interactions sont porteuses de nombreuses informations, comme l’interaction avec l’environnement, ce qui rend l’analyse difficile. À ce sujet, il y a probablement nécessité de faire évoluer le modèle pour le rendre plus efficace du point de vue de son exploitation.