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1. Introduction et problématique

Valeur démocratique à part entière, le respect de la diversité est reconnu par les instances internationales (Conseil de l’Europe, 2011 ; Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, 2001) comme un droit universel à conserver et à assumer à tout âge. À l’école française, la diversité devient une préoccupation de plus en plus importante. Le respect et la valorisation de la diversité, qu’elle soit liée à la culture, à la religion ou au handicap, se trouvent au centre des courants éducatifs actuels tels que l’éducation inclusive, l’éducation à la citoyenneté et l’éducation interculturelle. Quelle qu’en soit l’appellation, les enjeux sont similaires et concernent le rôle et la formation des acteur·rice·s ainsi que les pratiques employées.

Des recherches menées en Europe ont montré que, même si l’enseignement des valeurs comme le respect de la diversité est prévu, en réalité, les pratiques qui sont souvent employées le sont sous forme d’injonctions (Audigier, 2012). Rébarbatives, prescriptives et moralisatrices, elles ne sont pas reliées à des enjeux de société et à des situations concrètes. Toutefois, les valeurs ne sont pas défendues quand elles sont dictées et prescrites, sans réflexion de la part de l’apprenant·e·et sans lien avec les questions socialement vives, comme les appellent Legardez et Simonneaux (2006). De plus, la variété des publics, les appartenances sociales et historiques multiples et la coexistence d’identités différentes au sein de l’école rendent sa mission difficile.

Dans ce contexte, la collaboration de l’ensemble des acteur·rice·s de la communauté éducative semble pertinente. Cette nécessité conduit les chercheur·se·s et les parties prenantes à l’extérieur des murs de l’école à la recherche des voies non formelles d’éducation (c’est-à-dire associations, musées) qui contribueraient au respect de la diversité en permettant à tous les élèves d’y participer. Dans cet article, nous nous concentrerons sur le rôle du musée dans le respect de la diversité. Pour ce faire, nous empruntons le concept de l’éducation à la citoyenneté qui, selon Bäckman et Trafford (2008), n’englobe pas seulement la valorisation de la diversité, mais aussi le respect des droits de la personne et la participation active. Pour certain·e·s auteur·rice·s, l’éducation muséale, si tant qu’elle est non formelle, se présente comme un dispositif de promotion de la citoyenneté et de l’interaction avec autrui (Buffet, 2003 ; Cardin, Éthier et Meunier, 2010). Les deux institutions peuvent avoir des missions complémentaires, étant donné qu’elles visent toutes les deux à l’éducation du public.

En France, le musée du quai Branly est une institution parisienne qui propose un grand nombre d’activités destinées au public scolaire, allant de visites guidées à des ateliers. Il s’agit d’un établissement public qui accueille des collections d’oeuvres représentatives des arts et des civilisations d’Afrique, des Amériques, d’Asie et d’Océanie sous un angle à la fois artistique-esthétique et anthropologique. Son contenu et son slogan, Là où dialoguent les cultures, témoignent d’une volonté politique en faveur de la diversité, en l’occurrence, culturelle. Dans le discours officiel, l’un des objectifs du musée du quai Branly est de « reconnaître la place qu’occupent les expressions artistiques des quatre continents » exposées ainsi que la « richesse culturelle des sociétés non occidentales » (Musée du quai Branly, 2008, p. 4). Jean-Pierre Mohen, directeur du département du patrimoine et des collections en 2006, avait présenté le musée du quai Branly comme un lieu de témoignage de la diversité et de la pluralité de l’art. Ses propos soutiennent la promotion de la diversité artistique et culturelle. Cela étant dit, nous avons voulu décrire et comprendre comment cette volonté de respect et de valorisation de la diversité se reflète dans l’action éducative du musée. Quelles stratégies pédagogiques sont mobilisées dans ce sens ?

Cet article propose une analyse de l’action éducative muséale telle qu’elle est perçue par les acteur·rice·s, voire les professionnel·le·s du musée du quai Branly et les enseignant·e·s qui y amènent leurs élèves. Par action éducative muséale, nous comprenons « un ensemble d’interventions menées en contexte muséal afin d’établir des ponts entre ce qui est exposé (le voir) et les significations que ces objets et sites peuvent revêtir (le savoir) » (Montpetit, 2011, p. 216). Sur le plan empirique, nous avons réalisé une étude de cas au musée du quai Branly, afin d’analyser, non seulement les objectifs des activités et les pratiques pédagogiques du guide qui les anime, mais aussi les appropriations qu’en font les enseignant·e·s-visiteur·se·s.

2. Contexte théorique

2.1 La diversité comme composante de l’éducation à la citoyenneté

La nécessité pour les individus de voisiner des gens qui proviennent du monde entier sans avoir des liens de sang ni partager le même passé a conduit à l’émergence d’une citoyenneté étendue qui exige un nouveau modèle pour analyser le vivre ensemble. Selon Janner-Raimondi, Nicolas et Joutet (2014), la citoyenneté touche aux idées d’égalité, de diversité et d’équité. Ce modèle de citoyenneté a comme prémisse le respect de l’autre et sa reconnaissance en tant que membre égal de la société (Tarrow, 1995), la mise en valeur des droits à la différence identitaire (Cornwall et Gaventa, 2001), la collaboration, la compréhension et l’acceptation des différences et le refus des préjugés en lien avec la diversité.

L’éducation à la citoyenneté connait aussi un renouveau notable depuis trente ans avec la mondialisation et la crise des États-nations (Xypas, 2003). Dans cet article, nous considérons l’éducation à la citoyenneté en tant qu’ensemble conceptuel. Selon le Conseil de l’Europe (2011) :

L’éducation à la citoyenneté démocratique couvre l’éducation, la formation, la sensibilisation, l’information, les pratiques et les activités qui visent, en apportant aux apprenants des connaissances, des compétences et une compréhension, et en développant leurs attitudes et leurs comportements, à leur donner les moyens d’exercer et de défendre leurs droits et leurs responsabilités démocratiques dans la société, d’apprécier la diversité et de jouer un rôle actif dans la vie démocratique

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La notion de citoyenneté est liée à la diversité par de nombreux curriculums d’enseignement (Schnapper et Bachelier, 2011). Elle met essentiellement l’accent sur le respect de la diversité ainsi que sur les savoirs, savoir-faire et savoir-être (Audigier, 2005) qui lui sont rattachés. Les partisan·e·s des courants d’éducation qui visent à valoriser la diversité voient la citoyenneté comme une richesse, comme une source d’échanges, d’innovation et de créativité (Abdallah-Pretceille, 1996 ; Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, 2001). Le défi de l’éducation à la citoyenneté est de préparer les jeunes à faire face à la différence de manière informée, raisonnable, tolérante et morale, à prendre conscience de la valeur de la diversité et à instaurer un respect mutuel pour la dignité humaine (Conseil de l’Europe, 2003). Elle vise au respect des particularités des élèves et à la protection du droit de chacun à la différence pour améliorer la qualité de vie des membres d’une collectivité en s’employant à éliminer les causes de division (O’Shea, 2003). Respecter la diversité, qu’elle soit culturelle, religieuse, biologique, sociale ou sexuelle se traduit comme suit :

  1. apercevoir les différences en tant que source d’enrichissement pour la personne et la société ;

  2. ne pas rejeter la différence culturelle, sociale, physique ;

  3. voir les élèves comme égaux·ales entre eux·elles ;

  4. ne pas imposer de dominations entre les personnes ou les groupes ;

  5. être tolérant·e envers celui·celle qui est différent·e ;

  6. reconnaitre la dignité de la personne qui est différente (Abdallah-Pretceille, 1996).

Dans la pratique éducative, il s’agit d’apprendre aux élèves à travailler en équipe, à dialoguer et à cohabiter avec des personnes différentes. La diversité d’intérêts, de besoins, d’attentes, de croyances, de profils, mais aussi la diversité des savoirs − puisque les savoirs sont instables − est au coeur des pratiques en faveur de la diversité (Audigier, 2005). L’idée est d’inclure les personnes qui présentent des différences, biologiques ou socioculturellement construites, par rapport aux normes du système général d’éducation (Zay, 2012). De plus, nous ne parlons plus d’élèves avec des besoins spécifiques, mais de tou·te·s les élèves parce que tous nécessitent la mise en oeuvre de stratégies pédagogiques et de supports qui leur permettent de réussir (Ebersold, 2009). Dans cet article, nous appliquons le terme de stratégie pédagogique pour désigner « un ensemble de méthodes, de démarches et de techniques qui visent l’atteinte de buts éducationnels » (Legendre, 2005, p. 1263).

2.2 La prise en compte de la diversité dans l’éducation muséale

Nous considérons le musée comme une institution non formelle d’éducation à la citoyenneté pouvant coopérer avec l’école (formelle) pour promouvoir la citoyenneté et la diversité. Ici, nous n’avons pas l’intention de mener une analyse exhaustive des recherches sur le concept de la citoyenneté dans le musée, mais plutôt de présenter, à titre d’illustration, les recherches qui prennent en compte la diversité dans l’éducation muséale. Nous comprenons par éducation muséale, « la mobilisation des savoirs, issus du musée, visant au développement et à l’épanouissement des individus, notamment par l’intégration de ces savoirs, le développement de nouvelles sensibilités et la réalisation de nouvelles expériences » (Chaumier, 2011, p. 87). Il s’agit du musée qui est caractérisé par des modes d’interactivité (visiteur·se-objet exposé, visiteur·se-guide, visiteur·se-visiteur·se), le développement du sens critique, la reconnaissance de la diversité des points de vue, la mise en questionnement et la transdisciplinarité (Chaumier, 2011). Dans ce musée, les théories d’apprentissage constructivistes et sociocognitives trouvent leur place et les besoins des différents groupes de visiteur·se·s sont identifiés, afin d’adapter la médiation au public accueilli (Kalesopoulou, 1999). Cette approche est susceptible d’offrir à chaque visiteur·se des opportunités pour apprendre au sein d’une communauté inclusive.

Des musées dans le monde ont mis en valeur la diversité, souvent culturelle, de la société dans laquelle ils sont implantés pour élaborer des expositions (Boumankhar, 2011 ; Orlando, 2012). En France, le Musée de l’Homme fut le premier à axer sa recherche sur la diversité. Selon Desai et Thomas (1998), le musée tend à promouvoir le respect mutuel et l’harmonie au sein de la société. C’est un lieu qui donne l’opportunité aux jeunes de mieux comprendre la diversité et la tolérance en leur permettant de trouver leur place dans la société (Henson, 2008). Pour Henson, le musée est susceptible de jouer un rôle important dans le développement d’une citoyenneté active chez les jeunes. Au Brésil, Chiovatto et Aidar (2014) ont proposé un projet d’éducation inclusive dans les musées. Ces auteurs se basent sur la Déclaration universelle des droits de la personne, entre autres sur l’idée que tout individu a droit à l’identité culturelle et à la diversité culturelle.

Cependant, ces travaux ne se focalisent pas explicitement sur l’action éducative muséale. Le travail de Valle Flórez (2008) est une exception qui démontre l’importance de mener des pratiques pédagogiques en accord avec l’éducation interculturelle, et ce, en se basant sur le droit à la reconnaissance de la diversité culturelle de toutes les communautés présentes en Espagne. La deuxième exception concerne la chercheure danoise Lundgaard (2015). Elle aussi voit le musée comme un cadre idéal pour la promotion de la diversité, notamment à travers des activités pédagogiques. Certes, les activités du musée doivent être accessibles à tou·te·s sans discrimination afin de respecter la diversité. Cela étant dit, notre travail est original puisqu’en France, il n’existe pas, à notre connaissance, de recherche qui étudie comment le respect et la valorisation de la diversité font l’objet de l’action éducative muséale.

3. Méthodologie

Cette étude s’inscrit à la fois dans un paradigme de type descriptif et compréhensif (Pourtois, 2001). D’une part, l’utilisation d’un paradigme descriptif nous permettra de décrire l’expérience éducative muséale. D’autre part, le paradigme compréhensif est appliqué, car nous cherchons à « appréhender les phénomènes de conscience vécus qui sont des constructions humaines » (Pourtois, 2001, p. 32), c’est-à-dire les vécus des parties prenantes dans le contexte muséal.

3.1 L’étude de cas

Nous avons appliqué la méthode de l’étude de cas. Celle-ci permet l’analyse en profondeur d’un phénomène sans exclure l’usage d’autres méthodes en parallèle. Notre recherche s’intéresse au cas spécifique du musée du quai Branly. Ce musée a été choisi pour deux raisons : d’abord, il propose une grande gamme d’activités pédagogiques pour le public scolaire ; ensuite, les documents administratifs et communicationnels expriment la volonté de faire découvrir aux visiteur·se·s la diversité des cultures.

Pour la cueillette des données et dans un effort de triangulation méthodologique, nous avons employé trois méthodes propres à l’approche qualitative qui font ressortir différentes facettes du phénomène étudié : l’étude des documents (supports des musées), l’entrevue semi-directive (avec les professionnel·le·s du musée et les enseignant·e·s) et l’observation non participante (des activités pédagogiques muséales). Ces multiples méthodes s’avèrent nécessaires pour s’assurer que les résultats soient valides, crédibles et fiables.

Au musée du quai Branly, nous avons mené sept entrevues, quatre avec des professionnelles du musée (responsables du service de médiation Enseignants et Scolaires et guides) et trois avec des enseignant·e·s. Nous avons aussi effectué dix-huit observations des activités pédagogiques. Les professionnelles du musée interviewées, échantillon uniquement féminin (30 à 50 ans), possédaient une bonne expérience muséale (trois à sept ans). Elles ont fait des études supérieures en sciences humaines et sociales (histoire de l’art, muséologie) et sont titulaires de la licence professionnelle de guide-conférencier. Leurs pratiques reflètent la politique du musée. Trois enseignant·e·s, un homme et deux femmes, ont été interviewé·e·s : une documentaliste, un mathématicien et une professeure de philosophie, tous travaillant dans des lycées en Île-de-France.

Les visites observées couvraient une grande tranche d’âge, du primaire au lycée, et les groupes scolaires provenaient de différentes régions, de Paris et de la province. Les groupes comportaient sept à vingt-sept élèves accompagné·e·s de deux à trois enseignant·e·s. Il s’agissait des visites guidées et d’ateliers. Les premières se déroulent dans les collections du musée du quai Branly, tandis que les dernières sont divisées, d’une part dans les collections et, d’autre part, dans une salle d’atelier. Dès le départ, nous n’avions aucune intention de généraliser les résultats. Les résultats obtenus ne s’appliquent qu’au musée d’où ils proviennent.

3.2 Instrumentation

Nous avons choisi l’entrevue semi-directive composée d’un ensemble de questions d’ordre aléatoire qui permet flexibilité et liberté (Cohen et Manion, 1997). Un guide d’entrevue nous a permis de saisir les opinions des personnes interrogées concernant la diversité. Ce guide comportait cinq axes : profil de la personne interrogée, contenu de l’activité muséale, objectifs de l’activité selon la personne interrogée, stratégies pédagogiques utilisées par la professionnelle et résultats escomptés auprès des élèves suite à la visite. Nos entrevues se sont déroulées en tête-à-tête et sont individuelles. Chacune a duré en moyenne trente minutes.

L’observation nous a ensuite permis d’analyser la dynamique interne d’une visite scolaire au musée, autrement nommé par Kohn et Nègre (1991) l’ici maintenant de cet échange. Notre observation est directe, mais non participante. Pour appréhender la situation, l’observation directe a comme support une grille construite à partir d’indicateurs prévus (Kohn et Nègre, 1991). La grille cible les comportements à observer. Elle a favorisé un meilleur enregistrement de toutes les informations significatives de l’unité sociale étudiée, c’est-à-dire de l’activité muséale. La grille d’observation correspond au concept de la diversité et regroupe les indicateurs observables de nos thèmes d’analyse. Nous y retrouvons les axes suivants : caractéristiques de l’activité et du public observés (type d’activité, profil du professionnel du musée, effectifs et profils des élèves-visiteur·se·s et des enseignant·e·s-accompagnateur·rice·s), objectifs de l’activité muséale en lien avec la diversité, discours (savoirs, savoir-faire, savoir-être transmis) et stratégies pédagogiques dans ce sens.

Enfin, pour compléter la cueillette des données, l’étude des documents officiels du musée est considérée comme essentielle. L’annonce et l’argumentaire des politiques et des actions du musée constituent ces documents. Nous avons ainsi ciblé tous les textes administratifs publics (décret, règlement du musée, rapports annuels d’activité) et les documents de communication également publics (brochures, site Internet, articles de presse) édités par le musée du quai Branly en lien avec la politique de médiation et d’accueil du public scolaire et en situation de handicap.

3.3 Déroulement

D’abord, nous avons étudié le discours officiel du musée du quai Branly par l’intermédiaire de son site Internet et de la revue de presse afin de repérer des indicateurs d’une politique axée sur le respect et la valorisation de la diversité. Ensuite, nous avons rencontré la responsable de médiation. Ce premier rendez-vous visait à nous familiariser avec le service et les activités proposées ainsi qu’à baliser le terrain. Les observations des pratiques des guides et des animatrices du musée (uniquement des femmes) ont suivi cette étape. À l’issue de la visite, nous avons effectué les entrevues avec les professionnelles et les enseignant·e·s accompagnant les classes observées. La période de cueillette des données a duré cinq mois au cours de l’année 2015.

3.4 Méthode d’analyse des données

Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique. Pour mieux organiser les données (documents, transcriptions d’entrevues, notes d’observations) en thèmes, nous avons utilisé le logiciel de traitement des données qualitatives MAXQDA. D’après les modes de construction des données de Kohn et Nègre (1991), nous avons choisi d’adopter l’arborescence descendante en partant du concept de l’éducation à la citoyenneté, des faits observables en passant par les indicateurs liés à la diversité. Nous avons élaboré des indicateurs qui nous permettraient de répondre à nos questions de recherche : Comment la volonté de valoriser la diversité se reflète dans l’action éducative du musée ? et Quelles stratégies sont mises en place pour le respect et la valorisation de la diversité dans l’action éducative muséale ? Les indicateurs qui correspondent à la première question sont les suivants : a) activités axées sur la connaissance et la reconnaissance de la diversité (savoirs, savoir-faire, savoir-être) ainsi que le respect de la différence, b) prise en compte de la diversité du public et c) exercice d’une politique fondée sur l’inclusion. L’inclusion consiste à « fournir les réponses appropriées au spectre le plus large des besoins d’apprentissage dans des dispositifs éducatifs formels et informels » (Zay, 2012, p. 12). Ces indicateurs sont identifiés dans les propos des personnes interrogées lors des entrevues, dans la pratique des professionnelles du musée - lors des observations - et dans les textes officiels du musée. Nous pourrons dire que la diversité est respectée, reconnue et valorisée dans l’action éducative du musée du quai Branly à partir du moment où l’on identifie ces indicateurs dans le travail prescrit, dit et réel. La figure 1, ci-dessous, présente les trois piliers de la cueillette des données qui nous ont servi également à l’analyse des données :

Figure 1

Les trois piliers de l’analyse (inspiré par Bandura, 1980)

Les trois piliers de l’analyse (inspiré par Bandura, 1980)

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Ces trois piliers renvoient aux trois sphères du modèle de réciprocité causale triadique de Bandura (1980), lequel nous a inspirée pour l’organisation de notre analyse. Premièrement, la sphère des contextes qui comprend les dimensions historiques, sociopolitiques, idéologiques et institutionnelles et qui correspond à notre pilier de la prescription, autrement dit le travail prescrit rencontré dans les documents. Deuxièmement, la sphère personnelle ou sociocognitive, c’est-à-dire qui considère les caractéristiques de la personne. Elle correspond à notre pilier des facteurs sociaux, voire le travail dit, qui provient du discours des parties prenantes (responsable, guides, enseignant·e·s). Enfin, la sphère de l’activité qui est composée des éléments internes constitutifs des pratiques qui correspond au pilier de l’application, c’est-à-dire le travail réel. Ces trois piliers interagissent et créent un système qui nous est essentiel pour l’analyse, car nous avons croisé les données collectées à partir de ces trois piliers.

3.5 Considérations éthiques

Cette recherche a obtenu le consentement de tou·te·s les participant·e·s. Le courriel d’invitation pour participer à la recherche expliquait les objectifs de l’étude, garantissait l’anonymat des participants ainsi que la confidentialité des données. Pour assurer l’anonymat dans la présentation des résultats, nous avons utilisé des codes : G1-G7 pour les guides et E1-E3 pour les enseignant·e·s interviewé·e·s. Nos séances observées sont indiquées par O1-O18.

4. Résultats

L’analyse des données nous a permis de décrire et de comprendre comment la volonté du musée du quai Branly de promouvoir le respect de la diversité se reflète dans l’action éducative qu’il propose. Dans ce musée, nous pouvons parler du respect de la diversité à deux niveaux. Premièrement, de la diversité telle qu’elle existe dans les savoirs, savoir-faire et savoir-être transmis à travers l’action éducative du musée. Deuxièmement, de la diversité (physique, culturelle, sociale et religieuse) du public accueilli lors d’une activité pédagogique, une visite guidée ou un atelier.

4.1 La diversité omniprésente dans l’action éducative muséale

Dans le discours des professionnelles qui animent les visites guidées et les ateliers, la reconnaissance de la diversité occupe une place importante : « Aborder cette notion de diversité, je pense que c’est important pour les futur·e·s adultes avec qui nous sommes en contact et les futur·e·s citoyen·ne·s » (G2). Cette guide justifie sa volonté en exposant la raison pour laquelle promouvoir la diversité culturelle en France est d’importance majeure : « On va pouvoir découvrir cette diversité. Je pense que c’est un regard qu’on a sur nos sociétés, d’avoir de la diversité, plutôt dans l’ouverture que dans la fermeture […]. Ce cosmopolitisme, ce partage culturel, est une richesse » (G2). Elle insiste sur la mission du musée du quai Branly de permettre aux jeunes de se confronter à cette diversité culturelle par le truchement d’oeuvres d’art. Son objectif est de se rendre compte de la richesse et de la créativité vers laquelle peut conduire la diversité. Elle explique comment les rencontres entre les arts ont fait évoluer l’art occidental en donnant comme exemple l’oeuvre de Picasso qui a été influencée décisivement par l’art africain.

Une autre guide évoque l’objectif principal du musée du quai Branly qui définit la ligne directrice de l’action éducative muséale : « Dialogue des cultures, c’est le sous-titre du musée. C’est ce qu’on est censé montrer chaque fois » (G4). Au musée du quai Branly, la rencontre avec la diversité culturelle est l’objectif de toutes les activités pédagogiques : « C’est vrai que c’est un peu partout parce que c’est l’objectif. Si on arrive à faire cela, on est content » (G4). En visitant ce musée, les élèves vont, non seulement, connaitre les cultures de quatre continents, mais aussi dialoguer avec elles : « Le dialogue des cultures se fait aussi parce que […] ils vont faire des comparaisons de ce qu’ils connaissent et ce qu’on leur met sous les yeux » (G4).

Plusieurs visites guidées proposent aux élèves d’aborder un sujet (c’est-à-dire la différence, la beauté, le mariage) en passant par les quatre continents (O1, O3, O5, O7-8, O11-14, O17-18). Ceci amène les guides à « aborder cette notion de diversité culturelle et de subjectivité à partir d’une même notion » (G2). Par exemple, pour la visite Visions du beau, le but est « d’aller à la rencontre d’objets qui sont considérés comme beaux dans leur culture et d’expliquer […] comment s’exprime la beauté » (G3). Aussi, lors de la visite Différences, qui aborde les représentations sur la différence (sociale, religieuse, physique, sexuelle) dans les cultures du monde, il suffit que la guide parle « des Inuits qui peuvent changer de genre » (G3) pour que les élèves se rendent compte que le sexe peut être une construction culturelle (O1, O7). Les guides se disent aussi respectueuses de la différence, notamment quand elles parlent de cette visite :

L’idée c’était de mettre en avant justement c’est quoi la différence, donc différences sociales, psychiques, physiques et différences culturelles […] pour, au final, leur faire comprendre qu’on est toujours différent de quelqu’un

G3

Faire comprendre qu’il y a toujours quelqu’un qui est différent que nous et, qu’en fait, la place qu’on fait à l’autre dépend d’abord de soi. C’est l’objectif de la visite

G4

Pour leur collègue, « l’idée ce n’est pas de confronter nous et l’autre systématiquement, mais aussi de montrer la diversité qu’il y a dans l’altérité » (G1). Cette professionnelle insiste sur l’objectif de mettre en avant la question de la découverte de la diversité, afin de se dire : « Je suis porteur d’altérité » et faire comprendre aux élèves qu’« ils ne sont pas tous pareils, les gens qui ne sont pas comme nous » (G1). Plusieurs guides du musée du quai Branly considèrent qu’un jeune a besoin de se mettre en relation avec l’autre pour mieux se connaitre soi-même :

De se construire aussi eux-mêmes en tant que personnes, en tant qu’individus, de leur faire découvrir leurs propres gouts […]. Finalement que toutes ces façons de vivre et ces différences nous permettent aussi à chacun de choisir celle qui lui convient le mieux

G2

J’ai besoin de l’altérité pour connaitre mon identité

G3

Le respect et la reconnaissance de la diversité sont aussi reflétés dans la pratique (O1-18). Par exemple, lors de la visite Différences, les guides font en sorte que les élèves réalisent la diversité qui existe entre les façons de définir la différence selon la culture (O1, O7).

Quant aux enseignant·e·s qui ont suivi des visites guidées au musée du quai Branly, ils·elles souhaitaient que leurs élèves découvrent des cultures et des sociétés diverses. Concernant la visite Différences, une enseignante est satisfaite de la découverte faite par ses élèves au musée : « Il y a des peuples où un enfant handicapé, on lui attribue la plus haute place dans la société ou la place du chamane » (E3). Son objectif à travers la visite au musée a été : « Comprendre comment une culture différente de la sienne s’envisage. Pour la première fois, [les élèves] ils ont dit : ‟Notre culture, notre mode à nous, nos habitudes, nos façons de faire, nos moeurs, etc. ne sont pas des moeurs universelles” » (E3). Un deuxième enseignant interviewé a aussi exprimé son attachement à la valorisation de la diversité culturelle et sociale :

Ça lui permet de parler de l’organisation de la société que ça soit en Afrique noire, en Asie du Sud-Est, en Amérique du Sud. Et on se rend compte […] de la diversité des relations sociales

E1

Au musée, on leur montre des pièces qui viennent d’ailleurs. Les élèves qui sont en train de rejeter la culture française […], ils se rendent compte qu’ils sont très formatés et très français et tout ce qu’ils voient c’est très loin de leur vie à eux

E1

L’ouverture d’esprit en lien avec la diversité est encore un objectif des enseignant·e·s :

L’ouverture d’esprit. C’est ça qui compte le plus. C’est d’ouvrir ses oeillères qu’on peut tous avoir, de considérer la tolérance, de se dire que l’autre dans sa différence a des choses à nous apporter et que notre modèle à nous n’est pas forcément le seul et non pas forcément le meilleur. Derrière la visite Différences c’était tout ça

E3

4.2 La valorisation de la diversité du public

La mission du service de médiation du musée du quai Branly est de former les guides sur « comment mieux écouter le visiteur et comment mettre en valeur la diversité qui compose le groupe qu’on a face à soi » (G1). Le public diverge en âge, milieu social, origine culturelle, langue maternelle, capacités physiques (handicap), etc. D’ailleurs, le but de l’action éducative est « de s’assurer que les contenus [des activités proposées] soient conformes à ce qu’on sait de ces visiteurs » (G1). Une guide explique que, puisque chaque oeuvre peut être abordée de manière différente selon le·la visiteur·se-récepteur·rice, elle s’appuie sur l’aspect qui, à chaque fois, intéresse son public :

La façon dont ils regardent l’oeuvre, ce qui va les intéresser, ce qui va les interpeller, ça permet de se focaliser plus sur un thème ou plus sur un autre qui sont les plus adaptés au groupe ou, en tout cas, à ceux qui y participent

G2

Par exemple, les guides choisissent de poser des questions ouvertes aux élèves les plus âgé·e·s : « À votre avis, qui pourraient être des Big Men dans la société française ? » (O1, O7). Alors qu’avec les plus jeunes, elles préfèrent leur faire observer et décrire les oeuvres d’art : « De quel matériel, est-elle faite, la statue ? » (O1, O7). Une guide explique cette approche : « Je pose beaucoup de questions. Après, ça dépend de leur âge. […] Les petits, je les fais beaucoup regarder, je les fais beaucoup décrire. Et plus ils grandissent plus je leur pose des questions » (G4). Les professionnelles utilisent l’observation pour pousser les élèves à donner leur interprétation sur les objets exposés, comme les figures du théâtre d’ombres indien ou les peintures aborigènes (O2-3, O8, O13-18). Même la présentation des règles du musée par les guides est adaptée à l’âge du public :

[Quand on s’adresse aux petits], on ne peut pas dire « On ne crie pas, on ne court pas, on ne touche pas », parce que ce que l’enfant retient c’est « Courir, toucher ». Donc, on dit « On marche doucement dans un musée, on parle doucement ». On essaie de trouver des formules positives pour s’adresser à eux. [Aux adolescents], on leur dit de ne pas toucher, mais on peut le raisonner. Avec les tout-petits, on ne peut pas donc, on a pris ce parti-là. D’avoir en face de nous du matériel pour pouvoir les faire toucher

G4

Cette guide évoque la pédagogie montessorienne pour justifier ce choix d’éviter la négation quand elle rappelle aux petit·e s visiteur·se s les règles du musée. Dans l’atelier Le sens en éveil, proposé aux enfants de trois à cinq ans, les guides leur donnent des répliques d’oeuvres à toucher. La négation « Ne pas toucher » devient « On peut toucher », ce qui donne la possibilité aux élèves de s’approprier le musée autrement.

Les stratégies qui activent les sens du toucher, de l’odorat et de l’ouïe plaisent aux enseignant·e·s (E1-3). Une enseignante qui accompagne des lycéens d’une banlieue parisienne dit à propos des guides :

C’est vraiment des professionnels qui savent très vite se mettre au niveau du public […]. Ils ont une faculté d’adaptation. Tout de suite, ils comprennent à quel type d’élèves ils ont à faire et à leur niveau d’habitude, de fréquentation de la culture »

E3

Les stratégies de la guide repérées par cette enseignante lors de la visite Différences sont : « présentation claire, vocabulaire adapté, les inviter à répondre à des questions, déambuler et ne pas rester trop longtemps devant la même vitrine » (E3). Pour elle, ces stratégies permettent de capter l’attention des élèves qui n’ont pas l’habitude de fréquenter des musées et qui « ont une capacité de concentration, d’attention assez réduite » (E3).

Dans la pratique, la diversité des opinions du public est un élément-moteur de l’action éducative du musée du quai Branly. Au début de la visite Différences, par exemple, la guide pose des questions ouvertes, telles que « Pour vous, c’est quoi la différence ? », pour solliciter les idées des élèves (O1, O7). Elle construit la visite en fonction des connaissances et des représentations du public : « Je leur demande : C’est quoi les Mayas pour vous ? Après, je pars de ce qu’ils me disent […] pour entrainer la discussion ». À un autre moment de la visite, elle leur propose un temps d’échanges sous forme de dialogue (O1). Les enseignant·e·s appuient cette pratique (E1-3). Une enseignante atteste qu’elle trouve important que les élèves puissent s’exprimer à la fin de la visite : « Ça donne du mieux à un débat, ça donne du mieux à des désaccords, des accords » (E3).

De plus, cette guide respecte la diversité de croyances du public. Lors de l’atelier Marionnettes, quand un élève lui a demandé s’il existe des démons, la guide a répondu :

Il y a des personnes qui croient aux démons. Ils ont le droit. On respecte leurs croyances. On ne les critique pas. Ils sont libres d’y croire. Il n’y a pas de vrai ou de pas vrai. En ce qui concerne la religion et les dieux, chacun peut décider pour soi »

O18

Quand un autre élève lui a dit : « Je pense qu’ils existent les démons », sa réaction a été : « Très bien ! Tu as le droit ! ». Ces séquences font preuve de l’acceptation de la part de la guide de la diversité religieuse.

Les guides valorisent également l’expression de la diversité au sein du groupe scolaire qui visite le musée. Lors d’une visite, la professionnelle donne la parole aux élèves qui souhaitent raconter une expérience personnelle liée à un objet exposé (O1, O3). Quand l’élève dit : « Je sais exactement ce que c’est [cet objet] et je vais vous raconter » (O3), la guide lui laisse la parole pour en parler : « Les élèves qui commencent à me dire : Moi je viens de là, moi je viens de là. Dans la mesure du possible, on va faire un petit tour par les endroits. D’un seul coup, ça les investit, ils sont concernés, ils sont contents » (G2).

Enfin, la politique des publics du musée semble être fondée sur l’inclusion. Le rôle du service de médiation pour l’intégration des publics, tel qu’il est présenté par une professionnelle, est de « concevoir l’adaptation, la spécificité de comment prendre en charge, comment s’adresser à eux [aux personnes en situation de handicap, aux élèves allophones], quels objets mettre en priorité, etc., en fonction de leur capacité physique » (G1). Les guides prennent en compte les besoins particuliers et créent des conditions spéciales pour l’accueil des enfants en situation de handicap au musée. Par exemple, une des guides a exprimé son intention de commencer sa visite par l’espace tactile de la collection permanente où le·la visiteur·se a le droit de toucher l’installation (G2). Lors des ateliers, les élèves peuvent toucher des objets ou sentir du chocolat et du beurre de karité (O13). Une autre guide reconnait que les élèves ont tou·te·s les capacités de comprendre et d’interpréter une oeuvre. Elle explique comment elle conçoit sa mission : « Je suis juste là pour donner une cohérence, pour construire. Mais je n’ai rien à leur dire. Tout est déjà là. Et ils ont tous les capacités pour voir » (G3). Il semble que les professionnelles du musée du quai Branly considèrent comme important le droit à la différence des élèves-visiteur·se·s et futur·e·s citoyen·ne·s, lors de leur venue au musée. La visite Différences, qui a été créée pour les personnes en situation de handicap, incarne le droit pour tous à la connaissance et à la culture, car même les personnes en difficulté sont invitées à y participer activement et à toucher les oeuvres (O7).

Néanmoins, dans la pratique, cette visite ne se fait pas en touchant les oeuvres, pour des raisons pratiques : manque de temps, trop grands effectifs de groupe, conséquences sur les oeuvres (G4). Les observations ont également montré que certaines guides n’accordent pas au public accueilli un rôle actif. Trois visites sur les dix-huit observées ont été passives ou magistrales sans interactions entre les visiteur·se·s et la guide (O4-5, O10).

5. Discussion des résultats

Rappelons que notre recherche a pour but de cerner la place qu’occupent le respect et la valorisation de la diversité dans l’action éducative du musée du quai Branly. Les résultats indiquent que ce musée cherche à promouvoir la diversité à travers l’action éducative destinée au public scolaire. De même, il apparait que les professionnelles qui animent les activités pédagogiques expriment cette intention. Elles adaptent les thèmes de la visite, le vocabulaire, la manière dont elles présentent les règles du musée et les stratégies pédagogiques aux caractéristiques du public (âge, milieu social, origine culturelle, langue maternelle, capacités physiques, intérêts et attentes). Le dialogue, les réactions entre la guide et les élèves autour des oeuvres exposées, ainsi qu’entre les élèves eux·elles-mêmes, les jeux de rôle, l’activation de plusieurs sens, la production (d’un masque, d’une pièce de musique, d’une exposition photographique), la description des oeuvres et les questions ouvertes sont quelques stratégies pédagogiques observées qui illustrent l’intérêt des guides à faire participer tous les élèves sans discrimination.

Pourtant, les observations ont montré que des guides dans ce musée mènent des visites magistrales et passives. Pas toutes n’appliquent des stratégies inclusives ni ne visaient à la valorisation de la diversité présente au sein du groupe d’élèves par manque de temps, d’organisation ou de formation. Certain·e·s enseignant·e·s interrogé·e·s ont également signalé cette faiblesse. Ces enseignant·e·s qui amènent leurs élèves au musée du quai Branly se montrent favorables aux pratiques des guides qui renvoient au respect et à la valorisation de la diversité de l’ensemble des élèves du groupe qu’elles accueillent. Ils·elles s’attendaient à ce que la visite soit plus interactive, afin que les élèves puissent s’investir dans un débat. Dans le cas des visites où les élèves restent passif·ve·s, nous ne pouvons pas dire que la guide ne respecte pas la diversité du public, mais plutôt qu’elle ne la laisse pas s’exprimer ni ne la valorise.

Par conséquent, au musée du quai Branly, le travail réel ne s’accorde pas toujours avec le travail prescrit et dit (figure 1). Autrement exposé par Perrenoud (1993), il existe une distance entre le curriculum formel et le curriculum réel. Ce manque de continuité entre ces trois piliers renvoie à des études qui ont démontré des divergences entre les politiques adoptées et les pratiques réelles au regard de l’éducation à la citoyenneté en Europe (Bîrzéa, 2005 ; Karakatsani, 2008). Nos résultats corroborent, par exemple, ceux de Karakatsani (2008) qui avait repéré que, dans plusieurs pays européens, il existait une divergence entre la théorie et la pratique des enseignant·e·s qui visaient à la promotion de la citoyenneté active chez les jeunes. Pourtant, selon Mortimore (1999), la cohérence entre les objectifs, les activités, les méthodes mobilisées et les résultats escomptés dans les pratiques d’enseignement est très importante. Cette divergence entre la théorie et la pratique est visible au sein du musée du quai Branly, même si cette institution muséale fait des efforts pour appliquer des pratiques inclusives et respectives de la diversité.

L’action éducative du musée du quai Branly vise à proposer des savoirs, des savoir-faire et des valeurs en lien avec la diversité du public accueilli. Malgré quelques points faibles, le musée met au coeur de son action éducative la valorisation de la diversité des élèves-visiteur·se·s. Les professionnelles du musée sont respectueuses de la diversité culturelle, sociale, physique, religieuse et sexuelle. Elles voient la diversité comme une source d’enrichissement et de créativité. Selon Abdallah-Pretceille (1996), les valeurs du respect de la différence et de l’ouverture à la diversité sont primordiales pour que l’élève puisse exercer son rôle de citoyen·ne. Les professionnelles le comprennent bien, mais la réalité muséale est moins inclusive. Les pratiques des professionnelles dépendent de leur idéologie pédagogique (Marchive, 2008), c’est-à-dire de l’ensemble des croyances et des idées pédagogiques dont elles sont porteuses, la conception qu’elles ont de leur mission professionnelle, leurs présupposés quant à l’efficacité des méthodes, etc. En effet, chaque guide est libre d’appliquer les méthodes qu’elle juge appropriées afin d’atteindre les objectifs qu’elle se fixe, tout en respectant la politique du musée. Au musée du quai Branly, les guides sont des intervenant·e·s extérieur·e·s dont la formation n’est pas assurée par le service de médiation du musée. Durant l’année de réalisation de cette recherche, les guides n’ont eu droit qu’à un séminaire destiné aux guides qui portait sur la pédagogie montessorienne.

Enfin, nos résultats vont dans le sens des travaux de Valle Flórez (2008) et Lundgaard (2015) qui avaient repéré l’importance de la prise en compte de la diversité culturelle dans les activités pédagogiques des musées. Par contre, à travers notre recherche, nous avons fait le choix de ne pas étudier uniquement la notion de diversité culturelle, mais la diversité physique, religieuse, sociale dans l’action éducative du musée.

6. Conclusion

Dans un cadre social et éducatif marqué par une forte diversité, nous avons essayé de décrire et de comprendre l’importance de la diversité culturelle, sociale et religieuse dans l’action éducative du musée du quai Branly. Pour ce faire, nous avons emprunté la notion de l’éducation à la citoyenneté qui englobe le respect et la valorisation de la diversité et nous l’avons transférée dans une institution muséale pour marquer l’importance d’une collaboration entre l’éducation formelle et non formelle. Dans l’action éducative du musée du quai Branly, les professionnelles soutiennent l’interactivité entre différents points de vue, le questionnement autour de la diversité des cultures et la reconnaissance de la diversité (Chaumier, 2011). Il s’avère que l’action éducative du musée est susceptible d’accompagner l’école à sa mission de connaissance et de valorisation de la diversité si la formation des guides est plus investie.

Là où souvent les élèves reprochent à l’école d’être un lieu de non-droits, un lieu d’obligations et de contraintes (Audigier, 2005), l’éducation non formelle, complément de l’apprentissage formel, peut faire preuve de l’inverse (Conseil de l’Europe, 2003). De plus en plus, des musées aujourd’hui permettent aux élèves de toucher et de sentir les objets exposés, de s’exprimer librement à l’oral ou par le biais de l’art, de communiquer avec les oeuvres et les autres visiteur·se·s autour d’une exposition, d’apprendre, même en jouant. Ainsi, le musée qui repose sur l’activation des sens et de la pensée du·de la visiteur·se devient un vecteur des droits (droit à l’expression, etc.).

La quête des pratiques inclusives pour une communauté éducative pour tous, le besoin d’un tissage de partenariats entre les acteur·rice·s d’éducation et la nécessité d’explorer de grandes questions sociales ont motivé notre travail. Puisqu’il manque, en France, de recherches scientifiques spécifiquement axées sur l’action éducative des musées pour le public scolaire dans le but de promouvoir la diversité, nous avons essayé d’apporter de nouveaux savoirs dans ce domaine. Ce travail ne se veut pas une analyse exhaustive de la réalité en termes de représentativité, mais vise davantage à repérer des logiques qui peuvent être mises en oeuvre autour de l’éducation à la citoyenneté dans le contexte muséal. En outre, cette recherche nous a fourni de la matière théorique et empirique pour l’analyse de la place de la diversité dans des pratiques professionnelles non formelles. De futures recherches en éducation non formelle pourront s’emparer de notre méthode qui ouvre la voie à de nouvelles pistes d’éducation à la citoyenneté notamment concernant les possibilités de coordination entre l’école et le musée pour la promotion de la diversité. Il serait également intéressant de poursuivre la recherche dans d’autres musées en France qui se disent respectueux de la diversité afin de mieux saisir la réalité du terrain national.

En conclusion, il est fondamental de mettre en avant l’importance d’une collaboration entre l’éducation formelle et les institutions d’éducation non formelle afin de développer des citoyen·ne·s qui respectent la diversité. Cela participerait à ce que la communauté inclusive soit créée pour contrer l’exclusion sociale à condition de développer une réalité éducative qui promeut les droits de tou·te·s les élèves, respecte leur diversité et permet leur participation active.