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Introduction

Il est reconnu que l’immigration joue un rôle démographique et économique important au Canada, et ce, depuis ses origines. En 2015, le Canada a accueilli 271 847 nouveaux résidents (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, 2017). Pour sa part, le Québec a accueilli, en 2015, 49 024 immigrants dont 49,2 % étaient des hommes et 50,7 % des femmes (Ministère de l’Immigration, 2015).

L’Abitibi-Témiscamingue est une région relativement jeune. Ce n’est qu’en 1898 qu’elle a été rattachée au reste du Québec. Cette région éloignée des grands centres a comme moteur du développement économique des activités liées aux secteurs minier, forestier et agroforestier (Desjardins Études économiques, 2015). En 2015, l’Abitibi-Témiscamingue a reçu 146 nouveaux immigrants, ce qui représente 0,3 % du total admis en sol québécois. Les principales raisons pour lesquelles les gens ont immigré en Abitibi-Témiscamingue sont liées au travail et au regroupement familial (Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, 2015). Bien que l'objectif de la régionalisation de l’immigration mise sur la rétention des immigrants en région, seuls 9 % d'entre eux choisissent de s’installer dans des régions éloignées comme l’Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord, le Nord-du-Québec, la Gaspésie-Îles-de-la Madeleine (Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, 2016).

Le processus d’immigration des femmes affecte deux grandes dimensions de leur vie, sociale et économique, et cela a des répercussions sur leur intégration socioéconomique. C’est dans cette perspective que nous souhaitons approfondir notre compréhension de l’insertion socioéconomique des femmes immigrantes en nous intéressant aux facteurs sociaux et économiques qui facilitent ou entravent cette insertion en région nordique au Québec.

Revue de la littérature

L’intégration socioéconomique est définie ici comme la possibilité qu’a la femme en contexte d’immigration de se développer individuellement, socialement et financièrement à travers ses interactions avec son milieu, à l’intérieur de réseaux sociaux dont font partie le milieu familial et le milieu social (Chicha et Charest, 2008 ; Chicha et Deraedt, 2009 ; Pierre, 2005)

La dimension sociale du processus d’intégration peut notamment comprendre la discrimination, la perte de statut, la non-reconnaissance des diplômes, la perte du sentiment de contrôle et la pauvreté (Benhadj, 2005 ; Cardu, 2007 ; Cardu et Sanschagrin, 2002 ; Grenier et Xue, 2011). Les problèmes de solitude et d’isolement sont incontournables pour celles qui doivent reconstruire lentement leurs réseaux. Ces femmes se retrouvent toutes seules, sans réseau formel et sans le soutien de leur famille et de leurs amis. Le manque d’information et l’isolement favorisent le stress et la dépression (Watkins, Razee et Richters, 2012 ; Zhu et Helly, 2013). Ces femmes se sentent amputées de tous les côtés (Couton et Gaudet, 2008 ; Serrokh, 2009 ; McCoy et Masuch, 2007 ; Pierre, 2005). En ce sens, George et Chaze (2009) indiquent que les réseaux d’amis et de parenté sont une source importante d’information pour les immigrantes. Or, l’état de leurs réseaux sociaux peut varier selon certaines caractéristiques telles que leur catégorie d’immigration, leur pays natal, leur identité ethnique, religieuse ou culturelle (Bergeron et Potter, 2006).

Plusieurs recherches soulignent que la langue est souvent le premier obstacle que vivent les immigrantes (Bilge et Roy, 2010 ; Boulet, 2012 ; Gontero, 2006 ; Gratton, 2009 ; Phaneuf, 2013 ; Bélanger, Sabourin et Lachapelle, 2011 ; Drolet et Mohamoud, 2010 ; Fontaine, 2010 ; Gauthier, Lacroix, Liguori, Martinez et Ngoc, 2010 ; Hyppolite, 2012). Pour Cardu et Sanschagrin (2002), les immigrantes, à cause de leur accent, sont fréquemment confrontées à l’incompréhension et à la méfiance. Des comportements de méfiance, de discrimination et de racisme peuvent miner les efforts d’intégration des femmes immigrantes (Pierre, 2005). Par contre, ces obstacles ne les empêcheraient pas de se scolariser davantage dans le pays d’accueil pour se conformer aux exigences de ce dernier (Rojas-Viger, 2006).

La dimension économique, quant à elle, désigne non seulement les inégalités salariales en emploi, la pauvreté et le chômage, mais peut aussi parfois comprendre des pratiques illégales comme l’exploitation ou le travail forcé, ce qui rend difficiles les conditions de vie des femmes (Bahi et Piquemal, 2013 ; Boulet, 2016 ; Gauthier, 2016 ; Mulatris, 2010 ; Okrainec, Booth, Hollands et Bell, 2017 ; Pierre, 2005). Plusieurs écrits démontrent que le marché du travail est sujet à la discrimination selon le sexe, l’âge et l’ethnie de sorte que les femmes immigrantes sont particulièrement à risque d’être affectées (Bilge et Roy, 2010 ; Boudarbat et Grenier, 2014 ; Cardu, 2007 ; Couton et Gaudet, 2008 ; McCoy et Masuch, 2007 ; Chicha et Charest, 2008 ; Nahkaie, 2007 ; Boulet, 2012). Un rapport de l’Institut canadien de recherche sur les femmes qui traite du racisme mentionne que les femmes immigrantes sont souvent jugées selon la couleur de leur peau et sont sujettes à des préjugés concernant leurs compétences, leurs aptitudes, leurs capacités d’intégration, et ce, même lorsqu’il s’agit d’emplois où elles sont surqualifiées (Bilge et Roy, 2010 ; Cardu, 2007 ; Chicha, 2012 ; Nakhaie, 2007 ; Pierre, 2005). Dans ce contexte, les femmes natives du Canada seraient mieux rémunérées que les immigrantes (Boudarbat et Boulet, 2010 ; Cardu et Sanschagrin, 2002 ; Gontero, 2006) et la différence serait encore plus importante lorsqu’il est question de minorités visibles, la différence salariale atteignant alors 67 %. De plus, les femmes sont plus souvent surexploitées sur le marché du travail, ce qui engendre des difficultés supplémentaires de conciliation entre le travail et la vie familiale (Chicha, 2009 ; Houle, 2003).

Cardu et Sanschagrin (2002) séparent les femmes immigrantes en deux sous-groupes : celui des femmes très scolarisées et celui des femmes possédant un niveau de scolarité moins élevé. Selon ces auteures, les premières seraient plus fortement touchées par les difficultés d’intégration sur le marché du travail alors que les secondes, principalement des immigrantes provenant d’Asie et du Moyen-Orient, ne seraient pas soumises à une déqualification aussi importante.

Cadre conceptuel

La présente étude s’inspire du modèle interculturel systémique de Cohen-Emerique (2000), lequel a été enrichi de la perspective systémique écologique de Heffernan, Shuttlesworth, Ambrosino et Ambrosino (1988) et de Lacroix (1990), afin de mieux comprendre l’intégration socioéconomique des femmes immigrantes à Rouyn-Noranda. Précisons que, dans le cadre de cette étude, l’intervention interculturelle sera définie comme « une interaction entre deux identités qui se donnent mutuellement un sens dans un contexte à définir chaque fois » (Abdallah-Pretceille, 1985 : 31).

Le modèle interculturel systémique met en lumière plusieurs systèmes dans lesquels évolue l'individu, qui constituent son environnement et qui présentent différents niveaux de proximité avec celui-ci. Ainsi, l’ontosystème désigne le système personnel des femmes immigrantes. Le microsystème, soit les réseaux primaires, se compose de la famille et de la parenté transnationale, des amis, des voisins et connaissances des femmes participant à l’étude. La connaissance de ces réseaux aide à cibler les possibilités d’entraide et de soutien dans la vie quotidienne des femmes immigrantes. Le mésosystème fait référence aux interactions entre les microsystèmes, c’est-à-dire entre les réseaux primaires. L’exosystème se compose des réseaux secondaires « constitués de l’ensemble des personnes réunies autour d’une même fonction dans un cadre institutionnalisé » (Lacroix, 1990 : 79), par exemple le monde du travail ainsi que l’organisation des services sociaux, communautaires et éducatifs. Le macrosystème regroupe différents facteurs sociétaux tels que les attitudes culturelles, les normes et valeurs qui ont cours dans la société d’accueil, les chartes et les croyances religieuses.

Le modèle interculturel systémique et les différents systèmes qui le composent ont été mis à contribution dans la compréhension et l’analyse globale du processus d’intégration socioéconomique des femmes immigrantes participant à l’étude. Ce modèle propose une vision large et intégrée permettant de structurer l’analyse des facteurs pouvant faciliter ou entraver l’intégration socioéconomique des femmes immigrantes. De plus, le modèle interculturel permet de considérer les dimensions subjective, relationnelle, objective et contextuelle que comporte l’intégration des femmes immigrantes, sans perdre de vue les rapports majorité-minorité ni l’importance de l’histoire des femmes qui ont participé à cette étude. Le modèle interculturel est particulièrement bien adapté pour examiner ce qui frappe les acteurs aux premiers abords de la relation, à savoir la variabilité des pratiques et des coutumes telles qu’elles s’expriment dans les événements de la quotidienneté.

Le modèle interculturel systémique est utile dans le sens où la rencontre avec l’autre ne consiste plus à le réduire à son appartenance culturelle (entendre « elle est africaine ou latine… alors, c’est normal qu’elle réagisse de cette façon »), par une sorte de déterminisme culturel, mais plutôt à considérer toute rencontre comme une rencontre de l’hétérogénéité.

Méthodologie

L’étude dont fait état cet article vise à analyser les facteurs qui favorisent ou entravent l’intégration socioéconomique des femmes immigrantes en région nordique. Pour cela, une recherche exploratoire qualitative fondée sur le modèle interculturel a été effectuée auprès de 13 femmes immigrantes de Rouyn-Noranda, au Québec. À propos de l’approche qualitative, Mayer, Ouellet, Saint-Jacques et Turcotte (2000) indiquent :

La recherche qualitative est généralement utilisée pour décrire une situation sociale, un événement, un groupe ou un processus, et parvenir à une compréhension plus approfondie. L’accent est placé sur les perceptions et les expériences des personnes ; leurs croyances, leurs émotions et leurs explications des événements sont considérées comme autant de réalités significatives. Le chercheur part du postulat que les personnes construisent leur réalité à partir du sens qu’elles donnent aux situations (p. 75).

La méthode qualitative donne aussi un mode d’interprétation, d’appréciation et d’analyse qui permet d’étudier en profondeur l’intégration socioéconomique des femmes immigrantes. Elle fournit un lieu d’expression à cette population à l’étude.

La population de cette étude est constituée de femmes ayant à la fois vécu le processus d’immigration et demeurant en Abitibi. Le recrutement a été effectué à l’aide des techniques d’échantillonnage volontaire et par réseau (ou « boule de neige »). De façon plus précise, des affiches installées au Centre Entre-femmes de la ville de Rouyn-Noranda ont permis de recruter un certain nombre de participantes. D’autres se sont ensuite ajoutées après avoir été recommandées par les premières femmes interviewées. Au total, 13 femmes ont participé à l’étude. Les critères d’inclusion étaient : être une femme, avoir le statut officiel d’immigrante, demeurer à Rouyn-Noranda ou ses environs depuis au moins 1 an, et avoir entre 18 et 65 ans.

Des entrevues semi-structurées individuelles ont été effectuées. Une fois retranscrites, celles-ci ont fait l’objet d’une analyse de contenu. Dans un premier temps, des lectures préliminaires ont permis de recenser une liste d’énoncés. Dans un deuxième temps, nous avons procédé au choix et à la définition des unités de sens. Un troisième temps a été celui du processus de catégorisation et de classification. Enfin, un dernier temps a consisté en l’interprétation des résultats.

Cette étude comporte certaines limites qu’il faut préciser. Elles sont principalement reliées au type de recherche et d’échantillonnage, à la taille de l’échantillon et au type de données recueillies. Il s’agit d’une recherche exploratoire dont l’échantillon est de type non probabiliste et non représentatif. Dans ce sens, même si les entrevues ont permis de recueillir une quantité importante de données sur l’intégration socioéconomique des femmes immigrantes dans la ville de Rouyn-Noranda, le nombre de récits et les modalités d’échantillonnage ne permettent pas une généralisation à l’ensemble de la population des femmes immigrantes. L’étude demeure donc spécifique au milieu visé, mais elle pourra contribuer à des études similaires dans d’autres villes ou régions du Québec et d’ailleurs.

Résultats

Ainsi qu’on peut le constater au tableau 1, l’échantillon de cette étude est constitué de 13 femmes immigrantes d'âge actif qui, pour la plupart, habitent dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue depuis plusieurs années. À l’exception de la tranche d’âge 18-24 ans, toutes les tranches d’âge sont représentées dans l’étude. En effet, 3 d’entre elles sont âgées de 25 à 35 ans, 4 ont de 36 à 45 ans, 4 ont de 46 à 55 ans et 2 ont de 56 à 65 ans. La moyenne d’âge est de 44 ans. Concernant l’état civil, la grande majorité d’entre elles sont en couple, 7 étant mariées et 3 en union de fait, alors que 3 sont divorcées. En ce qui concerne leur pays d’origine, la grande majorité des femmes proviennent des Amériques avec 5 femmes provenant d’Amérique du Sud et 5 d’Amérique du Nord ; 2 femmes viennent d’Europe et 1 d’Afrique. Sur le plan scolaire, la majorité possèdent un diplôme de niveau postsecondaire, 6 détenant un diplôme d’études universitaires et 2 ayant terminé des études collégiales, et 5 possèdent un diplôme d’études secondaires. La grande majorité ont des enfants. En effet, 4 participantes ont 3 ou 4 enfants, 7 en ont 1 ou 2, alors que seulement 2 n’en ont pas.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des répondantes

Caractéristiques sociodémographiques des répondantes

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Facteurs facilitant l’intégration des femmes

Les facteurs qui facilitent l’intégration socioéconomique des femmes interrogées sont regroupés en six groupes : le fait de suivre des cours de langue, la validation de leurs diplômes, le fait d’être en couple, la présence d’un réseau d’amis, l’intégration des enfants et la sécurité économique procurée par leur conjoint.

Suivre des cours de français

Les femmes interviewées pour qui le français est une langue seconde ont rapporté qu’un des premiers moyens pour s’intégrer dans la société d’accueil est d’apprendre le français et, plus particulièrement, de suivre des cours de langue.

Ce qui a facilité mon intégration, ici à Rouyn, c’est [après de longs efforts autodidactes] d’aller à l’école [prendre des cours de français pour francophones]. Je pense que c’était pour moi, dans une certaine mesure, de m’ouvrir et de me faire comprendre par les gens d’ici. Je ne voulais pas manquer l’école, car je voulais m’intégrer à la société québécoise.

Andrea

Validation des diplômes

La demande de validation des diplômes apparaît comme une démarche importante à réaliser, une fois que l’on est installée en région. C’est la situation des trois femmes les plus scolarisées qui ont participé à l’étude : « Le travail que j’ai aujourd’hui, je ne l’aurais pas eu si je n’avais pas fait ma [demande de] validation de titres et de tout ce que j’ai étudié chez moi avant de venir m’installer ici. »

Paula

Ces femmes considèrent que cette démarche leur a permis de faire reconnaître leurs compétences et ensuite de faire une mise à jour pour trouver un travail correspondant à leur niveau de formation.

Vivre en couple

Pour 10 des 13 répondantes, le fait d’avoir leur partenaire à leurs côtés les rassure et leur permet aussi de bénéficier d’un réseau déjà existant. C’est par exemple ce qu’exprime cette répondante :

Moi, le facteur qui a facilité l’intégration, c’était que mon mari était sur place parce que lui connaît comment marchent les choses ici. Il a des amis, il a des contacts, alors j’ai eu son réseau qui était disponible pour moi par le fait d’être sa conjointe, et cela m’a aidée à me sentir intégrée et à connaître cette région.

Laura

Disposer d’un réseau social

De façon plus générale, disposer d’un réseau d’amis, d’un réseau social, est un facteur qui émerge du discours des répondantes au moment de recenser les éléments qui ont facilité leur intégration. Ce réseau doit être composé autant par des gens de la culture d’accueil que par des gens de la culture d’origine.

Je crois que mon intégration ici a été grandement facilitée par mes amies. Je te dirai que nous, les Latinos, nous nous aidons beaucoup. Quand on sait qu’une nouvelle arrivante vient s’installer ici, on la prend dans notre groupe, on lui suggère quoi faire et quoi ne pas faire […]. Ainsi, je peux te dire que ce qui a aidé beaucoup à mon intégration, à passer à travers la souffrance de laisser ma famille chez moi, ce sont mes amies parce qu’on parle la même langue, notre culture, nos valeurs, et pour moi, c’est très important cela.

Ximena

Intégration des enfants

Les six répondantes qui avaient de jeunes enfants au moment de leur immigration disent qu’un des facteurs qui ont facilité leur processus d’intégration a été la tranquillité d’esprit apportée par le fait de voir leurs enfants bien s’adapter et se réaliser dans leur nouvelle vie à Rouyn-Noranda.

La tranquillité d’esprit de savoir que mes enfants vont grandir dans une ambiance saine, qu’ils se trouvent bien et sont contents. Ils vont être des professionnels sans aucun ennui économique. Ici, on vit tranquille et en sécurité, et ça, j’aime beaucoup, surtout pour les enfants. Parce que j’ai grandi dans une ville pas sécuritaire.

Lucia

Ces six femmes affirment qu’elles se sentent rassurées lorsque les enfants mènent une vie assez normale et que leur intégration à l’école se passe bien, malgré les difficultés linguistiques vécues à l’arrivée. Dans le même sens, deux répondantes mettent en valeur le fait que leurs enfants participaient aux activités sociales et culturelles offertes par la Ville, comme la danse et le sport : « Cela m’a permis de rencontrer les gens d’ici. Ça me permet de connaître des gens et de me faire connaître en même temps. » (Ximena)

Stabilité économique du conjoint

Il est également ressorti des entrevues que, pour certaines répondantes, la situation économique est un facteur important de leur intégration. C’est ainsi qu’une femme interviewée a affirmé se sentir bien du fait que son mari ait un emploi :

D’autres facilitateurs sont le travail, la stabilité économique que pouvait m’offrir mon partenaire. À cet égard, je n’avais pas de soucis ou des choses pareilles, car mon mari a un bon travail, il est géologue. Cela est pour moi une tranquillité d’esprit. Je pouvais de cette façon m’occuper de moi, étudier tranquillement la langue, etc.

Paula

Facteurs qui entravent l’intégration des femmes

En ce qui a trait aux facteurs qui entravent l’intégration socioéconomique des femmes interrogées, ceux-ci ont été regroupés en quatre groupes : la langue, la non-validation des diplômes, un manque d’offre de formation variée pour les femmes immigrantes en région et la non-disponibilité de certains services médicaux de troisième ligne.

La langue

Les difficultés relatives à la langue sont présentes chez les 10 répondantes dont la langue maternelle est autre que le français. C’est notamment le cas des femmes dont la langue maternelle est l’espagnol et qui sont venues au Québec, et plus précisément en Abitibi-Témiscamingue, pour s’installer avec un conjoint d’origine québécoise.

La difficulté la plus grande pour moi a été la langue parce que je suis une personne qui s’adapte assez facilement et je suis assez indépendante, capable de m’en sortir. Mais la langue a été très difficile pour moi.

Lucia

Sur les 10 répondantes qui ne parlaient pas initialement le français, 2 parlaient l’anglais à la maison, et 8 l’espagnol. Parmi ces dernières, quatre femmes proviennent de l’Amérique du Sud et quatre femmes de l’Amérique du Nord, plus précisément du Mexique. C’est à leur arrivée qu’elles ont véritablement réalisé l’importance de la langue dans le processus d’intégration. Quant au contexte dans lequel elles ont appris le français, trois des participantes l’ont appris à la maison. Voici le témoignage que nous livre une des répondantes : « J’ai [initialement] appris la langue par moi-même, surtout quand j’ai passé beaucoup de temps toute seule » (Andrea). Les sept autres participantes ont appris le français dans des organismes communautaires, des établissements publics ou avec des amis.

Des répondantes qualifient le français de langue difficile à maîtriser, qui donnerait beaucoup de difficultés aux hispanophones, comme l’exprime cette femme :

Le français est une langue difficile à apprendre. Il y a des différences entre l’écriture et la prononciation. Même, il y a des sons qui en espagnol n’existent pas et qu’on doit utiliser en français, comme le cas du e, é, b, v, etc. » (Arielle)

Non-reconnaissance des diplômes

Pour deux répondantes, les principales difficultés de leur intégration sont liées à la non-reconnaissance des diplômes de la part du gouvernement. À cet égard, elles dénoncent le discours qui est communiqué aux immigrantes pour les inciter à venir s’installer en région, par exemple, selon lequel de bonnes possibilités d’emploi leur seront offertes. Elles indiquent que cela ne correspond pas à la réalité. Voici à ce sujet le témoignage de Ximena :

Le Canada cherche des gens de l’extérieur du pays et après que les gens arrivent ici, ils ne sont pas capables de trouver un travail dans leur niveau de formation ou d’expertise, parce que leurs études ne sont pas reconnues ici. Au niveau travail, le Québec a besoin de main-d’oeuvre, mais quand on arrive, ils ne te donnent pas la chance parce que tes études ne sont pas d’ici. Beaucoup de bureaucratie.

Ximena

Manque d’offre de formation variée pour les femmes immigrantes en région

Une répondante déplore le manque de choix dans les formations qui s’offrent aux femmes dans la région, ce qui nuirait à leur intégration au marché du travail. Elle considère que les programmes de spécialisation concernent surtout certains domaines, les secteurs minier et forestier. En ce sens, elle souligne :

Les difficultés ici, pour moi, les plus compliquées, c’est que je ne peux pas travailler dans mon domaine. Il faut que je trouve un autre cheminement. Il y a beaucoup de choses que j’aimerais étudier, mais qui ne se donnent pas ici en région. Ceci est le facteur le plus compliqué pour moi.

Paula

Non-disponibilité des certains services médicaux de troisième ligne

Toujours au moment de parler des difficultés qui entravent l’intégration des immigrantes en région nordique, deux répondantes expriment un mécontentement à propos de la non-disponibilité de certains services médicaux de troisième ligne ou de spécialisation, ainsi que le fait qu’elles soient éloignées des grandes villes. Le témoignage suivant illustre bien cette préoccupation :

Une des choses qui m’inquiètent, c’est qu’on ne dispose pas de tous les services médicaux qu’on a besoin en termes de spécialisation. En cas de maladie, nous ne sommes pas si proches des services de troisième ligne, des services de spécialisation, et je ne te parle pas de la quantité d’heures qu’il faut attendre à l’urgence et de la difficulté de trouver un médecin de famille. Ça, c’est pire encore à mon avis !

Ève

Discussion

Cette étude vise à analyser les facteurs qui favorisent ou entravent l’intégration socioéconomique des femmes immigrantes en région nordique. La recherche permet de constater que si nous situons les propos des participantes en relation avec le modèle interculturel systémique proposé par Cohen-Emerique (2000), les principaux facteurs qui semblent faciliter l’intégration de ces femmes se trouvent très souvent aux niveaux de l’ontosystème et du microsystème. Rappelons que l’ontosystème désigne le système personnel des femmes. Pour sa part, le microsystème fait référence aux réseaux primaires, soit la famille, la parenté transnationale, les amis et les voisins. Ainsi, nous avons observé que chez de nombreuses participantes, l’ontosystème et le microsystème auraient joué un rôle clé, notamment dans leur investissement dans l’étude de la langue. En effet, pour plusieurs participantes, l’important soutien procuré par le fait d’être en couple aurait été déterminant pour cet apprentissage. Plusieurs ont également souligné à quel point l’accès aux réseaux de leur partenaire avait constitué un important facteur de facilitation dans leur intégration. On peut donc penser que la présence du conjoint québécois, du réseau de sa famille élargie, ou bien d’un conjoint venu d’ailleurs mais bien intégré sur le marché du travail et connaissant bien la région, peut contribuer à faciliter l’intégration des immigrantes. Ce constat corrobore d’ailleurs un constat relativement similaire fait par George et Chaze (2009).

À l’inverse, nous avons pu constater auprès de nos participantes que lorsque l’état de l’ontosystème et du microsystème était plus fragile et réunissait moins de ces facteurs de protection, on retrouvait aussi une plus grande présence de sentiments de mélancolie, de tristesse et de frustration. C’est également ce que soulignent Legault et Fronteau (2008).

Les participantes s’accordent sur le fait que la non-maîtrise de la langue constitue une contrainte importante pour leur intégration socioéconomique. Cela a été observé dans un grand nombre de recherches (Benhadj, 2005 ; Bilge et Roy, 2010 ; Boulet, 2012 ; Drolet et Mohamoud, 2010 ; Fontaine, 2010 ; Gauthier et al, 2010 ; Gontero, 2006 ; Gratton, 2009 ; Hersent, 2004 ; Houseaux et Tavan, 2005 ; Hyppolite, 2012 ; Phaneuf, 2013). Cet obstacle est souvent le premier vécu par les immigrantes. C’est le cas des huit participantes interviewées dont la langue maternelle est l’espagnol.

En ce qui concerne l’exosystème, les données collectées indiquent que la grande majorité des participantes non-francophones à l'étude n'ont pas eu accès, au moment de leur arrivée, à un programme de francisation intensif (i.e. quotidien), ce qui rendait plus difficile l’apprentissage oral et écrit de la langue française. Ainsi, les femmes ont mentionné vivre un sentiment de frustration puisqu’elles n’ont pas trouvé d’endroit dans la région pouvant les aider à atteindre cet objectif clé. Le manque de formations professionnelles perçues par certaines participantes comme étant davantage adaptées aux femmes constituerait un autre obstacle en lien avec l’offre de services éducatifs dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue.

Un autre élément associé à leur exosystème et évoqué lorsqu’il est question des obstacles à l’intégration relève de l’organisation de services publics et communautaires dans une région éloignée des grands centres. Les participantes soulignent en effet qu’elles y ont trouvé une offre restreinte de services médicaux de troisième ligne ou d’activités culturelles. De ce fait, plusieurs ne se sentent pas vraiment intégrées à la société du pays et envisageraient la possibilité de se rapprocher des centres urbains, si l’occasion s’en présentait. On ne retrouve pas ce constat dans les recherches existantes parce que peu de recherches scientifiques ont été effectuées concernant l’intégration socioéconomique de ces femmes en région nordique. La plupart de ces études ont en effet été menées dans de grandes villes ou des villes de taille moyenne.

En résumé, nous constatons des difficultés particulières au niveau de l’exosystème des femmes immigrantes en région, car leur accès aux services publics, communautaires et éducatifs est vécu comme étant extrêmement ardu ou ténu lors de leur arrivée en terre d’accueil. Dans un tel contexte, l’incapacité à communiquer avec les gens du pays dans leur langue a d’autant plus de conséquences et est souvent associée à un profond sentiment de solitude (Legault et Fronteau, 2008).

En ce qui a trait au macrosystème, qui se rapporte aux attitudes culturelles, normes et valeurs qui ont cours dans la société d’accueil (Cohen-Emerique, 2000), nous pouvons affirmer que la non-reconnaissance des diplômes apparaît comme un facteur nuisant de façon importante à l’intégration de plusieurs participantes. Ce constat recoupe ceux de plusieurs études existantes portant sur l’intégration de populations immigrantes (Boulet, 2012 ; Boyd et Pikkov, 2005 ; Houle, 2012 ; Houle, 2003). On y souligne plus précisément que cette non-reconnaissance est souvent associée chez les femmes immigrantes à une situation de sous-emploi et de déqualification (Cardu, 2007 ; Grenier et Xue, 2011 ; Man, 2004). Nos résultats révèlent qu’une validation de leurs diplômes a été possible pour seulement trois des participantes, celles qui étaient les plus scolarisées. Ces femmes considèrent que cela a fortement contribué à leur insertion socioéconomique.

Conclusion

Les résultats de cette étude révèlent que les facteurs qui ont facilité l’intégration socioéconomique des participantes sont : suivre des cours de langue, la validation de leurs diplômes, être en couple, avoir un réseau d’amis et l’intégration des enfants. Toutefois, le discours des femmes interviewées montre que les principaux obstacles liés à l’intégration socioéconomique en région nordique consistent en des barrières linguistiques, un manque d’offre de formations universitaires adaptées aux femmes et la non-disponibilité de certains services médicaux de troisième ligne. Il semble pertinent d’offrir aux nouveaux arrivants en région nordique un programme de francisation intensif et d’améliorer l’accès aux services.

Les connaissances issues de cette étude peuvent être utiles aux professionnels en travail social qui interviennent dans les suivis de femmes immigrantes de façon à les préparer efficacement à leur intégration à la société d’accueil. Il est nécessaire de sensibiliser ces intervenants et les professionnels de la santé qui devront travailler avec le modèle interculturel. Ceci leur permettra de mieux comprendre la réalité à laquelle ils peuvent faire face. Dans des recherches futures, il serait intéressant d’effectuer une comparaison entre les hommes immigrants et les femmes immigrantes, ou encore avec les femmes d’autres régions nordiques, en ce qui a trait à leur intégration socioéconomique. On pourrait aussi s’intéresser au point de vue des enfants. Il serait également pertinent, dans les recherches ultérieures, d’effectuer une comparaison entre les femmes immigrantes qui vivent en région et celles qui vivent dans de grands centres urbains. Ceci permettrait de mieux comprendre l’impact de l’expérience migratoire.