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L’immersion au coeur du Sénégal est entreprise par le prisme des réseaux de transport dans leur diversité, leurs implications, leurs particularités, leurs contenus, sans omettre les réalités colorées de ce pays de l’Afrique de l’Ouest par l’intermédiaire de témoignages. Directeur de recherche à l’Institut de recherche du développement (IRD), Jérôme Lombard propose un ouvrage, préfacé par Benjamin Steck de l’université du Havre, issu de son habilitation à diriger des recherches (HDR) soutenue en 2011. L’auteur nous accompagne, nous guide dans une découverte de la structuration territoriale, des territorialités, des dynamiques, des interfaces, des flux et de l’induction d’objets de nature géographique, tels que le corridor en réponse aux difficultés physiques et à la complexification des réseaux de transport au Sénégal.

Les cartes progressives, la cartographie liée aux évolutions du bassin arachidier et aux conquêtes territoriales par l’extension des réseaux, les schémas des flux et des tendances, les tableaux, les graphiques, les récits de témoins et les photographies jalonnent l’argumentaire proposé, sans omettre la richesse de la bibliographie qui permet au lecteur de saisir la multiplicité des sources. La diversité des supports apporte des éclairages, des mises en perspective et des modifications de lecture des faits au regard du terrain. Ces éléments sont propices à une distanciation nécessaire pour percevoir les multiples niveaux des interdépendances et les emboîtements territoriaux induits par l’expansion des réseaux de transport au Sénégal, que ce soit par les décisions étatiques ou par l’action locale d’intensification des échanges commerciaux.

L’introduction brosse un rapide historique de l’histoire récente du Sénégal jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Macky Sall, élu président, et des orientations prises au cours de la dernière décennie. Dans le même temps, des indications méthodologiques nous positionnent pour comprendre les systèmes de circulation, des niveaux étatiques ou individuels d’intervention, la diversification des flux, les imbrications, les adaptations, les mécanismes de concentration, ainsi que les mobilités au coeur des territoires, les dimensions, les élongations et les ramifications. Les réseaux de transport sont alors plus compréhensibles tout en prenant en considération des dimensions territoriales du local ayant des implications continentales et des temporalités des plus variables. La venue au monde des transports sénégalais constitue la première partie de l’ouvrage. Le volontarisme de l’État et le pragmatisme des acteurs décisionnels mettent en relief les phases initiales de l’expansion du réseau de transport. La planification nationaliste, les ajustements, la corrélation avec les intérêts étrangers, ainsi que la mobilité accrue des Sénégalais exposent une évolution avec ses antagonismes. Le décloisonnement par la maîtrise spatiale, la densification des infrastructures notamment routières au détriment du rail, permettent au Sénégal d’améliorer ses liens avec ses voisins. Un corridor se constitue tout en promouvant d’autres connexions pour intégrer un parc automobile en augmentation permanente.

La seconde partie insiste sur les acteurs du transport et l’espace transnational. Les interdépendances entre les transporteurs et la puissance publique sont complétées par la mobilité internationale des Sénégalais, tout en relevant l’importance des migrations dans les orientations structurantes des réseaux. La troisième partie aborde la métropolisation au Sénégal ou la domination de Dakar et, dans une moindre mesure, celle de Touba est exposée. La place des transports ruraux, la diversité et la densité des transports de marchandises avec les infrastructures convergentes et polarisées dessinent les emboîtements initiaux pour percevoir l’intégration dans la mondialisation à la mode sénégalaise. Les échanges transfrontaliers et les actions de connexion du local au mondial sont employés pour insister sur les lieux, les hiérarchies et les axes pour relier les zones rurales aux structures urbaines. La complexité des territoires du Sénégal en relation avec l’économie, le commerce, les flux des populations, les disparités sociétales qui participent à la production des réseaux des différents transports, devient plus explicite.

L’ouvrage de Jérôme Lombard limite les points de critique ou les incomplétudes pouvant être produites à titre personnel. Les imbrications entre l’économie, l’aménagement du territoire, les politiques, les implantations et, sous certains traits, l’évolution historique du Sénégal auraient mérité que soit intégrée la notion de transdisciplinarité afin de gagner en profondeur d’analyse et en potentialité d’utilisation. Par ailleurs, le concept de géographicité aurait trouvé sans aucune difficulté une place dans les démonstrations effectuées, car les territoires, les territorialités, les dynamiques qui induisent les territorialisations par l’implantation de réseaux routiers ou de points de convergence et d’échange annoncent sans détour la pertinence de son emploi. Ainsi, la nature d’un rapport au territoire de vie nous semble plus imagée et accessible. Nous notons la volonté de prendre en considération les progrès et les évolutions dans les tableaux proposés depuis la soutenance de l’habilitation, en utilisant des données plus récentes tout en étant éloignées de la date de parution de l’ouvrage. Ce décalage est inhérent à ce type de travaux, mais des chiffres plus proches de la publication auraient probablement permis de mettre en avant la confirmation de certaines dynamiques, voire de relever des émergences liées aux événements en cours.

L’étudiant en géographie ou en sciences humaines, ou bien toute personne curieuse de l’évolution des territoires de l’Afrique de l’Ouest et plus spécifiquement du monde des transports au Sénégal, trouvera dans ces pages des éléments à même de satisfaire ses attentes au coeur de la mondialisation contemporaine. Les imbrications, les interdépendances, les dynamiques structurantes, les orientations privilégiées par les intervenants, la position dominante de Dakar et, dans une moindre mesure celle de Touba jusqu’à Tambacounda, donnent à l’auteur la matière pour produire des analyses de niveau multiscalaire, biscalaire et uniscalaire. Lombard met en exergue l’importance des trafics transfrontaliers ainsi que l’effervescence urbaine et rurale dans l’expansion des réseaux de transport au Sénégal, sans omettre les fortes disparités de développement où la vétusté et l’isolement des infrastructures s’avèrent criants. L’auteur invite les lecteurs à tendre en direction d’axes d’approche pour lesquels les orientations d’investissement, les projets d’aménagement et les volontés politiques prendraient en considération les parties oubliées du Sénégal pour que toutes les populations bénéficient de réseaux de transport efficaces.