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INTRODUCTION

L’utilisation des pesticides conventionnels en agriculture est de plus en plus critiquée en raison de leurs nombreux impacts négatifs sur l’environnement (Guérin 2013; Hayes et al. 2006; Pimentel et al. 1992), la santé animale et la santé humaine (Alavanja et al. 2004; van der Werf 1996). Qui plus est, les pesticides disponibles sur le marché sont souvent inefficaces contre de nombreux agents phytopathogènes responsables de pertes économiques importantes, notamment contre plusieurs bactéries phytopathogènes. Il devient donc urgent de développer des produits efficaces de remplacement des pesticides conventionnels pour lutter contre les maladies affectant les plantes cultivées.

Parmi les différentes approches proposées pour réduire l’utilisation des pesticides conventionnels, l’exploitation à des fins phytosanitaires de résidus végétaux, souvent peu valorisés, soulève un intérêt grandissant auprès des scientifiques, des phytopathologistes et des différents intervenants du secteur agricole (Pino et al. 2013; Rguez et al. 2018). Les plantes représentent en effet une vaste source de molécules de différentes natures chimiques ayant des propriétés anti-microbiennes (Ncube et al. 2008), notamment des alcaloïdes, des composés phénoliques et des terpènes (Bennett et Wallsgrove 1994).

Dans cette étude, différents extraits à base de résidus d’espèces horticoles et d’essences forestières ont été testés in vitro afin d’estimer leur activité antibactérienne envers Xanthomonas campestris pv. vitians et Pseudomonas cichorii, bactéries phytopathogènes affectant la laitue (Lactuca sativa L.), utilisées comme bactéries modèles.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

X. campestris pv. vitians et P. cichorii

Les souches virulentes B07-007 de X. campestris pv. vitians et B08-183 de P. cichorii de la collection de la Dre Vicky Toussaint (Agriculture et Agroalimentaire Canada, Saint-Jean-sur-Richelieu, QC, Canada) ont été utilisées. Les souches ont été conservées à -85 °C dans une solution de glycérol 15 % (m/v) (VWR International, West Chester, PA, USA). Xanthomonas campestris pv. vitians a été cultivée à 28 °C durant 48 h sur des géloses à base d’extrait de levures, de dextrose et de carbonate de calcium [YDC; 10 g L-1 d’extrait de levures (Becton, Dickinson and Company, Sparks, MD, USA), 20 g L-1 de dextrose (Sigma-Aldrich Inc., St. Louis, MO, USA), 20 g L-1 de carbonate de calcium (Sigma-Aldrich Inc.) et 15 g L-1 d’agar-agar granulé (EM Science, Gibbstown, NJ, USA)]. Pseudomonas cichorii a été cultivée à 28 °C durant 48 h sur des géloses Pseudomonas Agar F (PAF; Becton, Dickinson and Company) enrichies de glycérol (10 g L-1). Des suspensions bactériennes [1 × 108 unités formatrices de colonies (ufc) ml-1] ont été préparées dans une solution saline d’eau physiologique (0,5 % NaCl) selon la procédure décrite par Delisle-Houde et al. (2018) à partir des cultures sur géloses YDC (X. campestris pv. vitians) et PAF (P. cichorii).

Extraits végétaux

Différentes structures (aiguille, bulbe, écorce, feuille, fleuret, fruit, rameau et tige) d’espèces horticoles (Tableau 1) et d’essences forestières (Tableau 2) ont été broyées mécani-quement et macérées (10-15 %, m/v) sous agitation dans un mélange eau:éthanol (1:1, v:v) durant 2 h à température pièce. Chacune des suspensions d’extraction a été évaporée à sec sous vacuum à une température n’excédant pas 60 °C avec un évaporateur rotatif (Sigma-Aldrich Inc.). La poudre obtenue a été lyophilisée et conservée (obscurité) à température pièce dans des pots Mason.

Concentrations minimales létales (CMLs) des extraits végétaux

Les CMLs ont été déterminées sous conditions stériles à l’aide de microplaques de 96 puits (Sarstedt AG & Co., Nümbrecht, Allemagne) selon le protocole décrit par Delisle-Houde et al. (2018). Les bactéries (X. campestris pv. vitians ou P. cichorii) ont été mises en suspension (5 × 105 ufc) dans 100 µl de bouillon nutritif de type King B [10 g L-1 de BactoTM Protéose Peptone No. 3 (Becton, Dickinson and Company), 0,75 g L-1 de phosphate de sodium dibasique (EM Science) et 5 g L-1 de glycérol] contenant différentes concentrations de chaque extrait végétal (0 mg ml-1; 0,39 mg ml-1; 0,78 mg ml-1; 1,56 mg ml-1; 3,13 mg ml-1; 6,25 mg ml-1; 12,5 mg ml-1; 25 mg ml-1; 50 mg ml-1). Les micro-plaques ont été incubées à 28 °C pour une période de 24 h. Le contenu (100 µl) de chacun des puits a ensuite été étalé sur gélose YDC (X. campestris pv. vitians) ou PAF (P. cichorii). Les géloses ont par la suite été incubées à 28 °C. Après 48 h d’incubation, elles ont été examinées pour la présence/absence de croissance bactérienne. Pour chaque extrait végétal, la concentration la plus faible à laquelle aucune croissance bactérienne n’a été observée correspondait à la CML. Chaque concentration a été testée en triplicat. Pour chacun des extraits, la CML a été déterminée à deux reprises (essais 1 et 2).

RÉSULTATS

Les CMLs des extraits à base d’espèces horticoles obtenues au cours de l’essai 1 sont présentées au Tableau 1. Les CMLs les plus faibles (6,25 mg ml-1) envers les deux bactéries à l’étude ont été obtenues avec l’extrait à base de fruits de canneberge (extrait #3). L’extrait de bulbes d’oignon affiche une CML de 25 mg ml-1 pour X. campestris pv. vitians et de 12,5 mg ml-1 pour P. cichorii; tandis que l’extrait de fruits de houblon et l’extrait de fruits de bleuet (extrait #1) présentent une CML de 25 mg ml-1 pour respectivement X. campestris pv. vitians et P. cichorii. Les autres extraits à base d’espèces horticoles accusent des CMLs ≥ 50 mg ml-1 pour les deux bactéries. Les résultats obtenus au cours de l’essai 2 sont en tous points identiques à ceux de l’essai 1.

Les CMLs des extraits à base d’espèces forestières déterminées au cours de l’essai 1 sont présentées au Tableau 2. Les CMLs les plus faibles envers X. campestris pv. vitians ont été obtenues avec les extraits à base de fruits d’aulne rugueux (1,56 mg ml-1), de rameaux de sapin baumier (1,56 mg ml-1), d’aiguilles vertes (1,56 mg ml-1) et jaunes (3,13 mg ml-1) de mélèze laricin, d’écorce de bouleau blanc (3,13 mg ml-1), d’écorce de chêne blanc (3,13 mg ml-1), d’aiguilles (6,25 mg ml-1) et de rameaux (6,25 mg ml-1) d’épinette blanche, d’écorce de chêne rouge (6,25 mg ml-1), d’écorce d’érable rouge (6,25 mg ml-1) et d’écorce de pin gris (6,25 mg ml-1). Parmi ces extraits, les extraits à base de fruits d’aulne rugueux (3,13 mg ml-1), d’écorce de chêne rouge (6,25 mg ml-1), d’écorce d’érable rouge (6,25 mg ml-1) et de rameaux de sapin baumier (6,25 mg ml-1) présentent également de faibles CMLs pour P. cichorii. Avec des CMLs ≥ 50 mg mL-1, les extraits d’écorce de pin blanc, d’écorce d’érable à sucre et d’écorce de sapin baumier affichent des CMLs parmi les plus élevées, et ce, pour les deux bactéries à l’étude. Les résultats obtenus au cours de l’essai 2 sont en tous points identiques à ceux de l’essai 1.

Tableau 1

Concentration minimale létale (CML) pour Xanthomonas campestris pv. vitians et Pseudomonas cichorii de différents extraits à base d’espèces horticoles (essai 1)

Concentration minimale létale (CML) pour Xanthomonas campestris pv. vitians et Pseudomonas cichorii de différents extraits à base d’espèces horticoles (essai 1)

a Le matériel végétal a été macéré dans un mélange eau:éthanol (1:1, v:v).

b, c, d Réplicat 1, 2, 3.

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DISCUSSION

L’exploitation des propriétés antimicrobiennes des molécules végétales pour lutter contre les bactéries pathogènes affectant l’homme ou les plantes cultivées soulève de plus en plus d’intérêt au sein de la communauté scientifique. Parmi les raisons expliquant cet intérêt grandissant figurent les effets indésirables de certains antibiotiques, agents de conservation ou autres composés antibactériens sur la santé humaine ou l’environnement, l’absence de composés efficaces contre plusieurs bactéries pathogènes et la perte d’efficacité (en raison de l’émergence de souches résistantes) de nombreux antibiotiques communément utilisés (Mostafa et al. 2018; Niamsa et Sittiwet 2009; O’Gara et al. 2000). La présente étude s’inscrit dans ce contexte. Elle avait pour objectif d’évaluer l’activité antibactérienne, via la détermination in vitro des CMLs, de différents extraits à base d’espèces horticoles ou forestières envers les bactéries phytopathogènes à Gram négatif P. cichorii et X. campestris pv. vitians.

Parmi les 37 extraits évalués dans cette étude, 17 étaient à base d’espèces horticoles alors que 20 étaient à base d’essences forestières. Des 17 extraits d’espèces horticoles, 13 extraits affichent une CML ≥ 50 mg ml-1 envers X. campestris pv. vitians et P. cichorii (Tableau 1). En contre-partie, trois des 20 extraits à base d’espèces forestières affichent une CML ≥ 50 mg ml-1 envers les deux bactéries (Tableau 2). Sur la base des CMLs et des espèces sélectionnées dans la présente étude, les extraits à base d’essences forestières présentent une plus forte activité bactéricide. Cette dernière pourrait être en partie expliquée par les fortes teneurs en tannins retrouvées généralement chez les espèces forestières (Kraus et al. 2003) puisque ces composés ont un fort pouvoir antimicrobien (Scalbert 1991).

L’activité antibactérienne varie non seulement selon l’espèce horticole ou forestière, mais également selon la structure considérée, et ce, pour l’une ou l’autre des bactéries. Les extraits à base de fruits et d’écorce d’aulne rugueux présentent des CMLs très différentes envers les deux bactéries (Tableau 2). De même, l’activité antibactérienne peut pour un même extrait varier d’un lot à l’autre, et ce, bien que le procédé de préparation des extraits ait été le même. Par exemple, l’extrait #2 et l’extrait #3 de fruits de canneberge présentent respectivement une CML ≥ 50 mg ml-1 et 6,25 mg ml-1 (Tableau 1). Ceci suggère que les composés à l’origine de l’activité antibactérienne ou leurs concentrations peuvent varier non seulement selon l’espèce et la structure considérées, mais également selon le lot considéré d’un extrait. Considérant que les propriétés antibactériennes de la canneberge sont en grande partie attribuables à leur teneur élevée en composés phénoliques et en anthocyanes (Côté et al. 2011; Nohynek et al. 2006), on peut supposer que l’extrait #2 de fruits de canneberge présentait une teneur inférieure en composés phénoliques et en anthocyanes.

Tableau 2

Concentration minimale létale (CML) pour Xanthomonas campestris pv. vitians et Pseudomonascichorii de différents extraits à base d’espèces forestières (essai 1)

Concentration minimale létale (CML) pour Xanthomonas campestris pv. vitians et Pseudomonascichorii de différents extraits à base d’espèces forestières (essai 1)

a Le matériel végétal a été macéré dans un mélange eau:éthanol (1:1, v:v).

b, c, d Réplicat 1, 2, 3.

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L’extrait #3 à base de fruits de canneberge avec une CML de 6,25 mg ml-1 envers les deux bactéries testées et l’extrait à base de bulbes d’oignon avec une CML de 25 mg ml-1 envers X. campestris pv. vitians et de 12,5 mg ml-1 envers P. cichorii sont les deux extraits d’espèces horticoles montrant la plus forte activité antibactérienne. Plusieurs études rapportent l’activité antibactérienne des extraits de canneberge et d’oignon. À titre d’exemples, la canneberge est rapportée pour son activité antibactérienne envers Listeria monocytogenes, Salmonella Typhimurium (Wu et al. 2008), Streptococcus mutans (Yoo et al. 2011), Pseudomonas aeruginosa (Côté et al. 2011), Escherichia coli (Pérez-López et al. 2009) et Staphylococcus aureus (Su et al. 2012) et l’oignon envers Bacillus subtilis (Ye et al. 2013), E. coli, Streptococcus pneumoniae (Benmeddour et al. 2015), Helicobacter pylori (Ramos et al. 2006), Bacillus cereus, Micrococcus luteus, L. monocytogenes (Santas et al. 2010), Salmonella Enteritidis (Benkeblia 2004) et S. aureus (Benkeblia 2004; Benmeddour et al. 2015; Santas et al. 2010; Ye et al. 2013).

En ce qui a trait aux extraits d’essences forestières, quatre extraits (extraits de fruits d’aulne rugueux, d’écorce de chêne rouge, d’écorce d’érable rouge et de rameaux de sapin baumier) présentent une forte (CML ≤ 6,25 mg ml-1) activité antibactérienne envers les deux bactéries. Sept extraits (extraits d’écorce de bouleau blanc, d’écorce de chêne blanc, d’écorce de pin gris, d’aiguilles jaunes et vertes de mélèze laricin, d’aiguilles et de rameaux d’épinette blanche) ont montré une forte activité antibactérienne envers X. campestris pv. vitians. Les travaux de Cellini et al. (1996), réalisés avec 19 souches de la bactérie H. pylori, ont montré que les CMLs envers H. pylori d’extraits aqueux de bulbes d’ail sont de l’ordre de 2,5 à 5 mg ml-1. Considérant d’une part, que l’ail est reconnu pour ses propriétés antimicrobiennes (Bakri et Douglas 2005; O’Gara et al. 2000) et d’autre part, qu’il constitue l’ingrédient actif de plusieurs biopesticides homologués au Canada (Santé Canada 2019), il est intéressant de constater que plusieurs extraits forestiers montrent une activité bactéricide comparable à celles obtenues par Cellini et al. (1996) pour des extraits d’ail.

Les extraits d’essences forestières se sont en général montrés plus toxiques envers la bactérie X. campestris pv. vitians. Plusieurs des plantes ligneuses susmentionnées sont rapportées pour avoir manifesté une activité antibactérienne. Omar et al. (2000) ont, au moyen d’un test de diffusion sur agar, observé l’activité antibactérienne d’extraits à base d’écorce d’érable rouge, de bouleau blanc et de chêne rouge envers B. subtilis, Mycobacterium phlei et S. aureus. Au moyen de ce même test, Lindberg et al. (2004) ont observé la toxicité d’un extrait de pin gris envers Bacillus coagulans, Burkholderiamultivorans et Alcaligenes xylosoxidans. Des extraits de sapin baumier et de pin gris ont montré une activité antibactérienne (faible concentration minimale inhibitrice) envers S. aureus (Vandal et al. 2015). Les structures utilisées (aiguilles) par Vandal et al. (2015) pour préparer les extraits étaient toutefois différentes de celles utilisées dans la présente étude. Différents extraits d’aulne glutineux (Alnus glutinosa (L.) Gaertn.), une espèce très proche de l’aulne rugueux, sont rapportés dans la littérature pour leur activité antibactérienne (Abedini et al. 2016; Middleton et al. 2005). Les extraits à base de semences ont inhibé plusieurs bactéries dont Citrobacter freundii, E. coli, P. aeruginosa et S. aureus (Middleton et al. 2005) et ceux à base d’écorce une multitude d’espèces à Gram positif et à Gram négatif (Abedini et al. 2016).

Plusieurs extraits d’espèces horticoles ou forestières testés dans le cadre de cette étude montrent une forte activité antibactérienne envers X. campestris pv. vitians et P. cichorii, bactéries respectivement responsables de la tache bactérienne et de la maladie des taches et des nervures noires de la laitue (Toussaint 2008). Toutefois, pour être exploités à des fins phytosanitaires, les extraits végétaux doivent exercer une activité antibactérienne in planta. Les extraits présentant une forte activité antibactérienne seront donc testés au cours de travaux futurs afin d’évaluer leur efficacité à limiter le développement des populations de X. campestris pv. vitians et P. cichorii sur les plants de laitue et à réprimer le dévelop-pement de la tache bactérienne et de la maladie des taches et des nervures noires. Des travaux additionnels seront également réalisés avec une large gamme de bactéries afin d’estimer l’étendue du spectre antibactérien des extraits ayant montré une forte toxicité envers X. campestris pv. vitians et P. cichorii.