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Mode de production essentiel dans l’histoire de l’humanité, avec la cueillette, la chasse a suscité de nombreux travaux, montrant la diversité des modalités de la chasse, des technologies et des formes de division du travail impliquées. Remettant en question les hypothèses biologisantes, portant sur les répercussions des caractéristiques physiques et des tâches maternelles (grossesse, allaitement et soins aux enfants) qui entravent leur mobilité pour expliquer le fait que les femmes ont souvent été écartées de cette activité, Tabet (1979) propose des explications socioculturelles liées aux contraintes technologiques. Bien qu’elles chassent, dans certains contextes, surtout des petits animaux, les femmes n’ont accès que rarement à des armes perfectionnées qui demeurent un privilège masculin. Cette situation les place dans une position d’infériorité au plan technologique, ce qui se retrouve dans le contexte contemporain, comme le montre une étude sur le fusil chez les chasseurs de Haute Provence (Govoroff, 2010). L’exclusion des femmes renverrait aussi à des raisons idéologiques liées aux tabous entourant le sang féminin lorsqu’il s’écoule (menstruations, accouchement), ce qui leur interdirait de répandre celui des animaux pour ne pas accumuler ce double flux, susceptible de provoquer des catastrophes (Testart, 2014, 1986).

Dans l’histoire de la chasse en Occident, la place des femmes reste minoritaire, mais elle varie selon les idéologies et les périodes, ce que mettent en relief les recherches sur les journaux et magazines cynégétiques, menées dans le contexte nord-américain. Celles-ci mettent en évidence une ambivalence certaine face à l’inclusion des femmes dans l’univers de la chasse, un positionnement qui se poursuit aujourd’hui, comme cet article tente de le montrer à partir d’une analyse de représentations médiatiques contemporaines.

Vers la fin du xxe siècle, les femmes contribuaient aux discussions sur la chasse et la protection de la faune par des articles publiés dans les magazines cynégétiques. Loisir de prédilection pour les hommes des classes supérieures, les femmes étaient néanmoins invitées à s’y impliquer. Dans les années 1920-1960, elles occupaient une place reconnue dans les magazines sur la chasse à l’arc, une arme jugée moins cruelle que les armes à feu, et leurs performances sont rapportées dans ces publications (Mogren, 2013). Par contre, cette reconnaissance sociale est absente dans d’autres magazines qui, à partir des années 1920, valorisent une vision de la chasse associée à la virilité, et les femmes n’y sont alors que marginalement tolérées (Smalley, 2005a). Cette perspective s’accentue après la Seconde Guerre mondiale, les magazines de sport insistant sur le militarisme, le patriotisme et l’homosociabilité liés aux expériences de combat comme valeurs fondamentales sous-tendant la chasse (Mogren, 2013; Smalley, 2005b). Les femmes sont jugées incapables de comprendre les significations profondes de l’activité cynégétique de même que les exigences d’authenticité et de performance qu’elle demande.

Plusieurs études féministes et écoféministes contemporaines rejettent aussi toute participation des femmes à la chasse, laquelle est incompatible avec les valeurs éthiques du féminisme qui rejettent les souffrances infligées aux animaux (Kheel, 1996, 1995). La chasse constituerait l’une des composantes du système prédateur patriarcal basé sur la domination masculine, sur le plaisir lié à la violence et la mort, opprimant et objectifiant de la même façon femmes et animaux (Luke, 1998; Adams, 1991; Warren et Cheney, 1991). L’analyse discursive et iconographique d’un magazine de sport sur la chasse à l’arc dans les années 1992-2003 appuie cette perspective en montrant la présence d’une rhétorique sexualisée, en établissant une similitude entre la poursuite érotique des femmes et celle du gibier, en recourant à des images sexuelles violentes, en particulier par la référence au viol. L’érotisation de l’arc et sa féminisation (références aux formes de l’arc, publicités associant les femmes et l’arc, prénoms féminins attribués aux arcs) laissent aussi suggérer l’idée d’une interchangeabilité entre les armes, les animaux et les femmes (Kalof, Fitzgerald et Baralt, 2004).

Ces représentations sont contestées par des femmes d’autres courants féministes qui revendiquent leurs droits et leur liberté de participer pleinement à la chasse, un loisir sportif qu’elles considèrent comme étant indépendant du genre (Bragg-Holtfreter, 2017; Zeiss Stange, 1997). On note cependant que si ces travaux mettent en évidence la marginalisation des femmes dans l’activité de la chasse, les expériences qu’elles ont vécues dans ce domaine n’ont pas fait l’objet d’une analyse. C’est à cette problématique que la première partie de notre article se consacre.

Si la participation des femmes à la chasse est en hausse, elle reste néanmoins encore minimale, variant selon les pays, les régions et les caractéristiques socio-économiques (avec une implication plus forte dans les catégories à faible revenu aux États-Unis, mais à l’inverse en Europe selon Serup (2007). Aux États-Unis, en 2016, le pourcentage des chasseuses était de 9 % (Statistics Brain Research Institute, 2018); au Québec il était, en 2011, de 12 % (SOM, 2012). En Europe (FACE, 2013), on retrouvait les taux les plus élevés en Norvège (12 %) et en Allemagne (10 %).

Cette situation minoritaire vécue par les chasseuses pourrait-elle se comparer à celle à laquelle les femmes sont confrontées lorsqu’elles sont impliquées dans des métiers traditionnellement masculins (MTM) et susciter des réactions semblables de la part du grand public? C’est à cette question que la seconde partie de notre article se consacre, en la situant dans le cadre d’analyse utilisé dans les recherches sur les difficultés rencontrées par les femmes dans un milieu de travail masculin (Lalancette, Saucier et Fournier-Lepage, 2012).

Cadre théorique

Les recherches sur les métiers traditionnellement masculins indiquent la présence de réactions ambivalentes face à l’implication féminine dans les secteurs où dominent les hommes. Les femmes sont confrontées, entre autres, à des attitudes sexistes (par exemple, remarques désobligeantes, stéréotypes et préjugés, etc.) et à d’autres conduites négatives (harcèlement psychologique, difficultés à faire reconnaitre leurs compétences, hostilité, exclusion, manque de reconnaissance, évaluation constante renvoyant à une haute surveillance, manque de considération et d’encouragement). À l’inverse, les réactions positives sont soulignées par la présence du soutien et de la collaboration de la part des collègues de travail et de l’entourage social.

Face aux attitudes et aux comportements discriminatoires, les femmes impliquées dans les MTM recourent à plusieurs stratégies de résistance : affirmation de soi en recourant aux réparties verbales, « singularisation de soi » renvoyant au maintien de leur identité et de leur authenticité, recours à l’humour, expressions de la passion pour le métier et la féminité, refus de la conformisation et de la passivité. Elles peuvent aussi choisir de surperformer, mais aussi d’adapter des conduites de réserve pour éviter les situations problématiques ou de gommer les éléments renvoyant à l’expression de leur identité féminine.

Ces études n’incluent cependant pas directement l’évaluation du bien-être et de la santé mentale des femmes liés aux répercussions que ces contraintes contextuelles peuvent provoquer, une problématique que l’on retrouve pourtant soulevée dans les études sur les chasseurs. De fait, bien que les données empiriques soient encore rares, plusieurs articles ont tenté de cerner les profils de santé mentale des chasseurs à partir de deux perspectives. La première relève des traits de personnalité psychopathologiques comme l’absence de sensibilité, l’irresponsabilité, la cruauté, le manque de pitié et d’empathie, et la quête du pouvoir de vie et de mort (Scully, 2002). La cruauté envers les animaux, à laquelle la chasse contribuerait, serait associée à une « sombre triade : narcissisme, machiavélisme, psychopathie » (Kavanagh, Signal et Taylor, 2013, p. 666). Des articles de journaux établissent aussi des liens entre la chasse au trophée, « un passe-temps de psychopathes » (Newkirk, 2015), et le meurtre, la violence (Bekoff, 2015) ou le sadisme (Wood, 1997).

À l’inverse, selon la seconde perspective, les chasseurs ne présenteraient pas de signes pathologiques particuliers et cette activité contribuerait à leur santé mentale en les rattachant à des rituels et à des pratiques ancestrales, et en réaffirmant les liens avec la nature (Landers, 2007; Swan, 2006, 1995). Qu’en est-il de la place de ces perspectives contradictoires dans les représentations des chasseuses dans les commentaires médiatiques?

Dans la perspective ouverte par les travaux médiatiques sur les chasseuses, le présent article se propose de contribuer, dans un premier temps, à l’analyse de leurs motivations, de leurs expériences et de leur rapport à la mort animale tels que rapportés dans les articles de journaux et de magazines sur la chasse. Dans un second temps, des commentaires publics parus dans la presse sont analysés afin d’évaluer les réactions, tant négatives que positives, que ces activités cynégétiques ont suscitées, en les situant dans le cadre théorique de la participation des femmes aux métiers traditionnellement masculins.

Méthodologie

À partir de mots-clés (female(s)/woman/women/hunt/hunting/hunter/huntress), un ensemble de textes discursifs provenant de deux sources a été établi, permettant de considérer un large registre d’activités de chasse (du safari africain aux chasses locales) et donc, d’expériences. Le premier corpus comprenait des articles récents (34 articles publiés entre 2013 et 2017, les plus nombreux parus en 2015), couvrant des reportages, des nouvelles et des entrevues portant sur des chasseuses et provenant des quotidiens nationaux et locaux anglo-saxons (américains, canadiens, anglais, australiens et néozélandais), papier et en ligne (par exemple, The Sun; Daily Maverick; Huffington Post; Wyofile) et des sites d’informations télévisuels, par exemple Fox News ou CBC News.

Le second corpus comprenait des articles papier ou en ligne incluant des entrevues et des témoignages provenant de magazines traitant en général ou spécifiquement de la chasse et visant le grand public ou le créneau féminin (par exemple, Special Hunting Weapons and Tactics; Whitetail Journal; Women’s Outdoor News) incluant des blogues personnels de chasseuses (21 articles, les plus nombreux parus en 2016). Plusieurs articles comprenaient des photos cadrant les animaux abattus, des trophées avec les chasseuses, posant le plus souvent avec leurs armes de chasse, mais ce matériel iconographique n’a pas fait l’objet d’une analyse.

Les thèmes pertinents relevés lors de la recension des écrits ont été rassemblés dans une grille, qui a ensuite été enrichie à partir d’une lecture et d’une codification d’articles choisis au hasard. Ainsi validée, cette grille a servi aux mêmes opérations d’analyse pour les textes restants. Nous avons dégagé dans ce corpus quatre grande catégories : motivations sous-tendant la chasse; expériences de chasse; rapports à la mort animale et réactions publiques sur les activités des chasseuses. Cette dernière catégorie a été subdivisée en quatre sous-catégories : sexisme et hostilité; raisons du sexisme; évaluation de la santé mentale des chasseuses et répercussions psychologiques sur les chasseuses.

Une analyse qualitative complémentaire, utilisant les mêmes catégories, a porté sur les commentaires anonymes de lecteurs et de lectrices, accompagnant des articles sur les activités cynégétiques de trois chasseuses controversées, afin de dégager les réactions du grand public à leur sujet : Nikki Tate, une chasseuse de daims (331 commentaires accompagnant l’article de Deabler, 2017); Jacine Jadresko, impliquée dans la chasse aux trophées de lions, d’ours et de girafes (1476 commentaires accompagnant l’article de Mayor, 2017); Kendall Jones, une chasseuse de cougars, de lions et de rhinocéros (881 commentaires accompagnant l’article de Kwong, 2014). Ces articles ont été choisis à cause de l’abondance des commentaires qui permettent une analyse nuancée des prises de position, sans cependant pouvoir s’assurer de leur représentativité. Tout le corpus étant disponible publiquement sur Internet, aucune contrainte liée aux règles touchant l’éthique de la recherche n’est à signaler.

Motivations sous-tendant la chasse

L’analyse met en évidence la présence d’un large registre de motivations où le tuage des animaux est secondaire par rapport à d’autres dimensions considérées comme plus significatives. La quête d’une intégration, d’une reconnexion et d’une participation renouvelées à la nature, à ses éléments variés et changeants (vent, froid, feu, relief, paysages, rythmes saisonniers), au monde animal et à sa diversité est ainsi revendiquée : « La chasse est mon exutoire pour me sentir connectée au monde » (Kristin Fritz, citée dans Gilkeson, 2014; traduction de l’auteure). Cette perspective recoupe celle dégagée par Dalla Bernardina (1996) qui note chez les chasseurs la quête de sensations originales et authentiques dans le cadre de la nature, en rupture avec les contraintes civilisationnelles. Cette activité contribue à l’établissement d’états de conscience modifiés (sentiments de paix, de bonheur, de sérénité, de simplicité, appréciation de la beauté) et à un rapprochement avec le divin associé à la proximité avec les animaux (Blidner, 2015). La chasse permet la redécouverte d’instincts primordiaux, la réappropriation des différents sens et leur affinement dans la nature : « Ma passion pour la chasse est enflammée par les sensations, les gouts, les images, les sons et les odeurs » (Kristin Fritz, citée dans Gilkeson, 2014; traduction de l’auteure), le développement et le maintien de compétences physiques et gestuelles (forme physique, déplacements furtifs), l’empowerment associé à l’affirmation et à la confiance en soi (Gilkeson, 2014). Elle favoriserait la sociabilité en contribuant à établir des relations de camaraderie et de partage, à renforcer les liens familiaux et à se constituer un bagage de souvenirs et de traditions transmises intergénérationnellement (Gilkeson, 2014).

À ces motivations expérientielles liées au ressourcement dans la nature, s’ajoutent celles procurées par la chasse aux trophées revendiquée par une minorité de chasseuses qui les collectionnent (Mikkelson, 2015).

La collection de trophées peut aussi renvoyer à la présence d’une conscience écologique visant à un usage optimal de la dépouille de l’animal qui vient compléter sa fonction mémorielle et sa place dans la construction des récits de chasse (Triple Hack, 2017). Cette perspective rejoint les observations ethnographiques de Michaud (2015, 2008) sur un safari de chasse africain.

La fonction alimentaire de la chasse, souvent rapportée, rejoint l’une des motivations un peu plus importante chez les femmes que les hommes impliqués dans la chasse (Gigliotti et Covelli Metcalf, 2016). Elle fait l’objet de réflexions succinctes ou plus élaborées sur le traitement et la qualité de la viande provenant du tuage des animaux. Elle constitue une source locale de nourriture et demande la mise en place de procédures d’écorchage, de dépeçage et de préparation, quelquefois acquises dans le cadre d’une transmission familiale. Le partage de cette viande, lors des repas, est aussi l’occasion de rappeler les faits de chasse et de les inscrire dans la mémoire familiale (Kallam, 2016; Brons, 2015).

La signification de l’alimentation carnivore et ses enjeux éthiques y sont discutés, mettant en lumière l’activité et les efforts personnels nécessaires pour se nourrir, la conscientisation liée aux préoccupations face à l’origine des produits alimentaires et l’évaluation de leur qualité. Les caractéristiques particulières de la viande de gibier sont soulignées : information sur sa provenance exacte, contrairement à la viande vendue dans le commerce, chair saine et exempte de produits chimiques et biologiques impliqués dans la chaine industrielle, alimentation naturelle provenant du milieu écologique adapté à chaque espèce (Henley, 2015; Mitchell, 2014).

Le partage de la viande ne se limite pas au groupe familial, mais peut s’étendre, par exemple aux États-Unis, aux membres de communautés proches aux ressources limitées, pour qui elle représente un accès à des protéines animales importantes. Il en va de même pour les populations locales africaines, en particulier les femmes et les enfants démunis, lorsque les chasseuses pratiquent leur activité cynégétique sur des terrains étrangers. La chasse présente alors un caractère altruiste et utilitaire significatif sur lequel les chasseuses insistent, rapportant plusieurs anecdotes sur la distribution de la viande dans ces différents contextes comme les safaris (Nessif, 2015; Nelson, 2013a).

Cette perspective rejoint, selon plusieurs chasseuses, la politique de la protection des animaux et de conservation de la diversité favorisée par une activité cynégétique éthique de grands animaux qui augmente la qualité des conditions de reproduction et réduit les effets du braconnage (Mayor, 2017).

La chasse, à leurs yeux, est aussi un outil de gestion économique significatif pour la communauté dans le contexte du financement des efforts de conservation à travers la vente de produits et d’articles impliqués dans cette activité (animaux, permis, timbres, etc.) qui contribuent au budget local, à la formation du personnel impliqué dans cette branche (guides, pisteurs, gardes, peaussiers, etc.), à la réduction du braconnage, au maintien des emplois et au développement d’infrastructures essentielles (puits, écoles, institutions médicales et dentaires) en Afrique (Maloney, 2017; Gilkeson, 2014). Des observations ethnographiques sur le safari de chasse africain confirment le recours à ce type d’arguments économiques qui servent à rationaliser l’établissement d’une « conscience écologique […] [qui] n’est pas sans rappeler l’avènement récent du chasseur gestionnaire » (Michaud, 2008, p. 117).

L’implication des femmes dans la chasse renvoie donc à plusieurs motivations, expérientielles, écologiques, économiques et éthiques qui orientent la signification du tuage des animaux. Il s’accompagne de réflexions sur leurs expériences de chasse et ses stratégies.

Expériences de chasse

Les articles et les témoignages mettent en évidence la diversité des régions (états américains, provinces du Canada, Australie, pays africains subsahariens) où les chasseuses effectuent leurs expéditions, et la variété des armes qu’elles emploient (fusils ou arcs, avec très peu d’informations sur leur rapport à leur arme, ses caractéristiques et celles des viseurs, des projectiles et leurs marques). Les catégories d’animaux chassés et tués qui sont repérés dans les textes sont nombreuses : volatiles (pigeons, canards, oies, gélinottes, dindons, etc.), espèces herbivores (cervidés, élans, zèbres, girafes, rhinocéros, impalas, moutons sauvages, hippopotames, buffles, kangourous, antilopes, etc.) et carnivores (renards, chiens et chats sauvages, ours, lions, etc.). La quantité de bêtes abattues varie selon le type de chasse et la durée de l’implication des chasseuses dans cette activité, certaines se vantant d’un tableau impressionnant : « L’ancienne reine de beauté Olivia Nalos Opre, 36 ans, et Mindy Arthurs se vantent fièrement d’avoir tué, entre elles, plus de 70 espèces. » (Adams, 2013; traduction de l’auteure)

Le choix des animaux dépend des objectifs des chasseuses, certaines privilégiant les ressources locales, d’autres la chasse aux grands fauves dans des expéditions safari coûteuses, mais plus médiatisées dans leurs réseaux sociaux et leurs productions audiovisuelles. Elles utilisent une classification zoologique peu élaborée et soulignent que l’activité cynégétique leur permet de comprendre les animaux, leurs habitats et la complexité des processus naturels dont ils sont tributaires (Brons, 2015). Certaines, pour choisir leurs cibles, distinguent entre les espèces abondantes, renvoyant à des ressources durables, et celles rares ou menacées qui doivent être respectées et protégées (Triple Hack, 2017). La sélection se fait aussi en fonction de l’âge des animaux, les plus âgés étant préférés, car ils sont moins à même de gagner la compétition intra spécifique avec des mâles plus jeunes et, donc, plus susceptibles d’être exclus du groupe. Les grands animaux sauvages, qui exigent, pour être chassés avec succès, des talents particuliers (habileté, opiniâtreté et courage), sont particulièrement valorisés et le sexe des animaux abattus ne semble pas être un critère très important, mais les références aux lions mâles ou aux cornes imposantes des béliers sont quelquefois rapportées. Cette dernière notation rejoint les constatations de Michaud (2008) à l’effet que la valeur du trophée dépend de la taille des cornes, un critère important sur le marché du safari.

Une fois l’animal ciblé, les étapes précédant le tir font l’objet de descriptions qui mettent en évidence l’importance de la première chasse comme rituel d’intégration à la communauté des chasseuses, la diversité des stratégies pour s’approcher et viser les animaux, et le rôle de l’expérience dans ce processus. Les narrations portent le plus souvent sur le pistage ou l’observation du gibier, mais surtout sur l’étape précédant le tir et les réactions physiques et affectives qui l’accompagnent. Dans leurs narrations, une fois bien positionnées, des chasseuses rapportent, avant le tir, une phase de tension et d’excitation ou, au contraire, de calme en même temps qu’elles s’assurent des meilleures conditions physiques et mentales nécessaires à la réussite du coup de feu (attente, évaluation des distances, de la lumière, de la direction du vent et de sa force, contrôle de la respiration, maitrise de l’arme à l’épaule, visée) avant d’appuyer sur la détente, sans le plus souvent préciser le nombre de projectiles tirés (Dayton, 2016; Henley, 2015).

Le moment du tir peut s’accompagner de la montée d’une forte excitation, interprétée comme une poussée d’adrénaline et d’endorphines semblable à celle expérimentée dans le contexte amoureux (Triple Hack, 2017). Le tir peut aussi survenir dans des conditions plus problématiques où la rapidité des réactions est essentielle, ce que montre un épisode de chasse au lion, imprévue, qui nécessitera plusieurs coups de feu avant que l’animal ne s’effondre (Maloney, 2017).

Rapports à la mort animale

La chute de l’animal et sa mort sont un moment chargé d’émotions contradictoires où s’entremêlent enthousiasme et congratulations (Dayton, 2016), révulsion, euphorie, excitation et fierté en même temps que la réalisation que la mort a été donnée : « C’est comme ça, pour moi : la vie et la mort, une réalité pure qui se situe au-delà de la justification ou de la critique. C’est élémentaire. » (Kania, 2017; traduction de l’auteure)

Le remords et le regret ne suivent pas le don de la mort, souvent euphémisée par le recours à la notion de prélèvement (harvest), un usage qui est aussi rapporté par Michaud (2008) comme « stratégie de légitimation écologique » (p. 108) dans le safari de chasse africain, où les chasseurs évitent de recourir directement au verbe « tuer », une façon de maintenir l’occultation de la mort dans la chasse (Veyrié, 2007). La solennité du moment est relevée par des chasseuses qui expriment du respect et de la gratitude envers l’animal, dont elles vont utiliser des parties, ce qui peut s’accompagner d’un contact physique : « Quand je tue un animal, je m’approche de lui […] et, avec un grand et profond respect, je mets la main sur sa face et je le remercie pour sa vie » (Olivia Nalos Opre, citée dans Corner, 2016; traduction de l’auteure). D’après cette chasseuse (Lytton, 2016), la mort des animaux − qui reste secondaire car évaluée à 5 % de l’expérience totale de la chasse − serait moins problématique que celle procurée par d’autres méthodes. Cette perspective rejoint les positions éthiques proposées par des chercheurs (Cahoune, 2009) et les observations ethnographiques de Michaud sur la place secondaire du tuage de l’animal dans le contexte d’un safari de chasse africain. Cette excentration servirait à valider l’existence « […] d’une éthique ou d’une légitimité de la chasse […] proportionnelle à la place plus ou moins périphérique de la mort dans la pratique » (Michaud, 2008, p. 124).

Si des recherches insistent sur l’objectification des animaux et leur marginalisation dans les photos de chasse (Kalof et Fitzgerald, 2003), une chasseuse insiste, au contraire, sur l’apport de la photo avec l’animal pour amplifier le sentiment d’un lien intime et pour attester de l’importance du moment, pour respecter l’animal et le conserver dans la mémoire avec d’autres souvenirs de l’épisode de chasse (Mayor, 2017).

Suite à la parution des articles ou des entrevues sur les activités et les tableaux de chasse des femmes, et à la diffusion de photos les mettant en scène dans des positions avantageuses auprès des animaux abattus, les commentaires du grand public associés à ces textes font état de prise de positions tranchées et contradictoires quant à ces pratiques cynégétiques.

Réactions publiques sur les activités des chasseuses

Sexisme et hostilité

Les reportages et commentaires mettent en évidence la présence d’un biais sexiste envers les chasseuses qui rapportent avoir été prévenues par leur entourage qu’elles feraient l’objet d’attaques de la part des anti-chasseurs (Holley, 2015). Ces critiques prennent la forme de remarques désobligeantes de lecteurs anonymes ou de figures publiques connues, comme l’acteur Ricky Gervais, qui dénoncent, sur les médias sociaux tels que Twitter, les chasseuses comme Melissa Bachman ou Rebecca Francis (Nelson, 2015, 2013b). Leurs pratiques sont considérées comme analogues à des formes d’exécution et de meurtre, avec pour objectifs la collecte de trophées et la quête de la célébrité. La diffusion de photos incluant les animaux abattus, lion et girafe est dénoncée.

La remise en cause des stratégies cynégétiques des chasseuses s’accompagne de formes de harcèlement et d’hostilité significatives. Des statistiques relevées par un journaliste, comparant les messages de menaces d’intimidation et de mort anonymes, montrent une très forte disproportion entre le nombre reçu par une chasseuse (5000 par jour) alors que son père, lui aussi chasseur, en a reçu moins d’une centaine par jour (Howley, 2015). Le contenu des messages au langage violent, rapporté par les journalistes, fait état d’appels à pourchasser les chasseuses, à les abattre comme du gibier (Kwong, 2014) et à les assassiner, tout comme leurs enfants et les membres de leur famille et ce, avec le même type d’armes de chasse (Holley, 2015). L’incitation à la torture et aux mutilations physiques comme châtiments (arrachage des yeux, bris des os et des dents, défiguration et décapitation) est aussi mise en évidence dans la presse (Howley, 2015; Davis, 2013). Dans leurs commentaires, de rares lecteurs évoquent aussi le plaisir qu’ils auraient à participer à une telle vengeance. Rappelant les lois karmiques et les conséquences de leurs actions sur leur vie prochaine, ils souhaitent aux chasseuses d’être attaquées ou tuées par des fauves. Quelques messages les invitent aussi à se suicider en se tirant une balle dans les parties génitales afin d’expier pour toutes les morts animales qu’elles ont causées (Triple Hack, 2017). Le suicide de Mélania Capitan, une chasseuse espagnole, rapporté dans de nombreux journaux (voir, par exemple, Zatat, 2017) a ainsi été attribué à un harcèlement particulièrement féroce dont elle aurait été victime sur les réseaux sociaux, malgré les dénégations de son entourage qui réfutait cette explication, considérant au contraire Mélania Capitan comme particulièrement résiliente face à ces attaques et fière de son implication dans la chasse.

Les rares messages incluant des menaces de viol que des chasseuses rapportent démontrent la misogynie extrême à leur égard qui anime certains lecteurs (Nelson, 2015).

Les médias font aussi état des pétitions, collectant des milliers de signatures aux États-Unis, appelant à l’interdiction d’entrée des chasseuses dans les pays d’Afrique où se déroulent les safaris, afin de les sanctionner pour des conduites jugées inacceptables (Holley, 2015). La censure de photos diffusées sur la page Facebook de chasseuses est aussi exigée (Broderick, 2014; Gardner et Warren, 2014).

Dans quelques messages, des insultes humiliantes se retrouvent avec l’utilisation d’un vocabulaire sexuel particulièrement péjoratif dans le lexique anglo-saxon. Jouant avec les assonances, des messages mettent en parallèle les mots hunt et cunt (mot vulgaire désignant la vulve ou le vagin), assimilant les chasseuses à des prostituées (Triple Hack, 2017; Blidner, 2015; Kwong, 2014).

Ces prises de position ne font pas l’unanimité et plusieurs commentaires s’élèvent contre ces menaces inacceptables et jugées hors de proportion avec les faits de chasse imputés. Des attitudes plus favorables aux chasseuses sont rapportées dans des articles de presse, de la part de collègues de chasse réputées et de segments du grand public qui se portent à leur défense et critiquent les positions intolérantes, assimilées à une forme de terrorisme (Adams, 2013). Ils insistent sur les exemples qu’elles donnent de nouveaux rôles féminins, une source d’inspiration à imiter (Deabler, 2017). Les modèles de féminité qu’elles projettent, avec les images de femmes fortes, assurées, intelligentes et motivées, sans se revendiquer d’un féminisme militant, sont soulignés et valorisés. Les chasseuses sont ainsi félicitées pour leur apport à la lutte contre le braconnage, à la protection des écosystèmes où vivent des espèces menacées et à la contribution économique qu’elles assurent auprès des populations africaines défavorisées. Des messages les incitent aussi à continuer à pratiquer leur activité de chasse, à devenir des instructrices dans ce domaine et à ne pas se laisser désarçonner par les critiques des anti-chasseurs, leur stupidité et leur haine, ce qui risquerait de les amener à démissionner.

Raisons du sexisme

La présence d’attitudes et de comportements sexistes fait l’objet d’essais d’explication qui renvoient à plusieurs cadres de référence. Pour des journalistes, ce sexisme pourrait être lié aux stéréotypes associés aux rôles attribués traditionnellement aux femmes (aide, réconfort, souci des autres, maternité, don de vie, etc.) qui entreraient en dissonance cognitive avec les comportements liés à la chasse (violence et mort) construits plutôt comme des traits associés à la masculinité (Mitchell, 2014). L’usage des armes par des femmes constituerait de ce fait une rupture dans les représentations traditionnelles féminines. Cette appropriation, qui serait nettement visible sur les photos illustrant les articles et les sites personnels, en remettant en question le privilège masculin dans le contrôle des armes (Howley, 2015), déclencherait une animosité intense. Ces perspectives font écho aux hypothèses de Tabet (1979) sur les avantages technologiques masculins, et à celles sur le maintien de la masculinité hégémonique qui passe par l’apprentissage de l’usage des armes pour confirmer la virilité, la domination masculine et l’hétérosexualité, comme c’est le cas dans l’armée (Selek, 2012; Devreux, 1997). Pour des commentateurs, ce sexisme est attribuable à l’influence de milieux masculinistes et antiféministes opposés à l’égalité homme-femme et partisans d’un monopole masculin sur la chasse, ou des membres de groupes antispécistes et des écologistes anti-chasseurs qui utiliseraient ces plateformes médiatiques pour faire avancer leur agenda et collecter des dons pour leurs organismes.

Le sexisme pourrait aussi être lié aux avantages multiples que retirent les femmes de la participation à la chasse. Celle-ci exige des investissements financiers importants qui ne sont à la portée que de certains groupes de chasseuses économiquement favorisées, en particulier celles impliquées dans des safaris africains. Arrivistes, elles en retireraient ainsi prestige, célébrité et avantages financiers en faisant progresser leur carrière sur la mort d’animaux érigés en trophée. Le recours à des photos qui insistent sur leur jeunesse, sur leur beauté, sur les effets de mode et de maquillage, associés à des poses légèrement suggestives pour mousser l’intérêt du public et augmenter leur séduction, interviendrait aussi dans ces jugements négatifs et alimenterait les propos misogynes.

Pour d’autres commentateurs, la polémique autour de la chasse ne devrait pas être interprétée à partir d’une perspective sexiste. Rejetant les perspectives essentialistes sur les stéréotypes de genre, ils avancent que les femmes peuvent être cruelles et assoiffées de sang tandis que les hommes peuvent faire preuve de compassion, et ils attribuent les réactions négatives aux modalités et aux objectifs de la chasse en général. Celle-ci est considérée comme obsolète et obscène à cause de la cruauté du tuage et de ses répercussions sur des espèces menacées, d’où leur défense du monde animal et le rejet de l’activité cynégétique incompatible avec une éthique moderne.

Pour un second groupe, ce serait moins les pratiques de chasse féminines qui font l’objet des critiques que la mise en scène des chasseuses dans les photos et la présentation problématique des animaux abattus, relevant d’une forme d’obscénité, qui provoquent des réactions aversives faisant appel à un large répertoire d’épithètes négatives (répulsives, dégoutantes, outrageantes, détestables, révoltantes, glauques, inutiles, etc.).

Évaluation de la santé mentale des chasseuses

Les positions critiques face aux pratiques cynégétiques des chasseuses portent aussi sur des questionnements quant à leurs traits de personnalité et l’état de leur santé mentale, des thèmes repris et élargis dans les commentaires des lecteurs. Les journalistes rapportent les dénonciations de leur manque de sensibilité et d’empathie face aux animaux tués, leur abandon des valeurs associées aux rôles féminins (sollicitude, don de vie et protection), l’opportunisme et la quête d’un moment de célébrité narcissique associée à des stratégies de séduction (Kwong, 2014). Les commentaires reprennent et amplifient la liste des traits problématiques qui sous-tendraient le choix de l’activité cynégétique. La recherche désespérée d’attention, l’égoïsme et vanité, la quête d’un gain personnel, le manque d’empathie et de compassion sont avancés comme explications. L’absence d’autoréflexivité ou sa superficialité, de même qu’un narcissisme teinté d’exhibitionnisme démontré par les photos sont aussi soulignés :

Je m’interroge cependant sur l’état mental de cette personne accusée d’avoir tué des créatures innocentes pour rehausser sa propre image; elle est obsédée par sa propre image et range les animaux sauvages morts autour d’elle comme [si c’était] des jouets en peluche [...] Les études font le lien entre la dépendance et le narcissisme.

commentaire anonyme; traduction de l’auteure

Les jugements sur la santé mentale des chasseuses, rapportés par les journalistes et relevés dans les commentaires, insistent sur des dimensions psychopathologiques, analogues à celles que l’on retrouverait chez les meurtriers et les responsables de massacres. La collecte des images de chasse est aussi comparée au cumul des photos que les tueurs en série conservent de leurs victimes. Des chasseuses sont traitées d’« ennemis des animaux » (Winter, 2016) et l’une d’entre elles de « tueuse impitoyable et de destructrice de l’écosystème » (Broderick, 2014).

Des diagnostics de type psychiatrique sont aussi proposés dans les commentaires, entre autres, celui de « meurtrières psychotiques » (Triple Hack, 2017). Vouées à l’asile (Kania, 2017), elles sont étiquetées comme souffrant de problèmes psychiatriques (hallucinations, psychose, perversité, délires, sadisme, cruauté et monstruosité), de maladies mentales et de conduites antisociales. À ces jugements cliniques, d’autres commentaires leur opposent la normalité des conduites cynégétiques qui relèveraient d’une longue tradition historique et socioculturelle qui démontre leur pertinence et leur contribution au bien-être des chasseuses.

Répercussions psychologiques sur les chasseuses

Les articles de presse relatent les répercussions sur l’état émotionnel, et sur le quotidien professionnel et familial des chasseuses confrontées à des tensions et à des anxiétés engendrées par ces critiques et ces menaces. Ils font aussi état des stratégies pour lutter contre ces effets, comme le recours à l’humour et à l’indifférence (Maloney, 2017). Pour les chasseuses, la haine à leur égard s’expliquerait par des attitudes misogynes et un refus inacceptable de la diversité de styles de vie. Pourtant, cette diversité caractérise les sociétés contemporaines où la liberté de choix de ses activités est essentielle et valorisée. Les chasseuses notent le refus d’une reconnaissance de leur rôle dans la protection de la faune et dans les économies locales. Elles insistent sur les principes éthiques qui sous-tendent les activités de chasse qu’elles pratiquent et qu’elles considèrent comme adéquats. Elles revendiquent la normalité de leurs comportements de chasse et, refusant toute étiquette psychopathologique, affirment leur droit de chasser. Les réactions négatives ont pour conséquences de les renforcer dans leur détermination à continuer ces pratiques et à maintenir coûte que coûte leur style de vie. Elles se refusent à cesser de diffuser des photos, à ne plus partager leurs expériences dont elles sont fières, affirmant leur conviction qu’elles contribuent au développement de nouveaux modèles de conduites qui peuvent inspirer une vocation de chasseuse chez d’autres femmes (Maloney, 2017; Mayor, 2017; Triple Hack, 2017).

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Prolongeant les études menées dans le champ médiatique, notre étude exploratoire, basée sur l’analyse d’articles de journaux et de magazines contemporains, ainsi que de commentaires anonymes, montre le maintien d’une ambivalence certaine quant à l’implication des femmes dans la chasse, en particulier celle dans les safaris touchant les grands fauves. Les chasseuses font état de leur passion pour un loisir sportif obéissant à plusieurs motivations : connexions à la nature et au monde animal, expériences d’états physiques et mentaux particuliers, rapports de camaraderie et formes spécifiques de sociabilité. Pour quelques-unes d’entre elles, la collecte de trophées et la consommation de la viande des animaux abattus, qui est appréciée pour ses qualités naturelles et partagée avec l’entourage, constituent des motivations importantes, tout comme les contributions écologiques et économiques liées à cette activité.

Les expériences de chasse renvoient au pistage et au tuage d’un grand nombre d’espèces disponibles dans l’environnement local ou international, selon des critères de choix qui font appel aux caractéristiques des animaux et à la protection des espèces menacées.

Les chasseuses insistent, dans leurs narrations, sur les étapes menant au tuage, qui exigent le développement d’habiletés physiques et mentales, et sur les émotions et les rituels entourant le rapport aux animaux morts, tout en atténuant la dimension thanatologique de leur pratique, une perspective qui confirme les données d’autres études.

Les réactions face aux activités des chasseuses mettent en évidence des similitudes dans les attitudes et les conduites relevées dans les recherches sur les difficultés que les femmes engagées dans des métiers traditionnellement masculins (MTM) rencontrent (Lalancette, Saucier et Fournier-Lepage, 2012). L’opposition à leur implication dans la chasse se manifeste par des commentaires négatifs et sexistes, une hostilité signalée par des menaces souvent extrêmes et une évaluation négative de leur santé mentale qui présenterait des comportements associés à des profils psychopathologiques prononcés.

À l’inverse, dans leurs commentaires, des lecteurs critiquent ces positions anti-chasseuses inacceptables et expriment leur solidarité, leur soutien et leur admiration, soulignant la normalité des comportements des chasseuses et leur contribution à la définition de nouveaux modèles d’expression de la féminité qui demandent à être mieux reconnus socialement et diffusés.

Face aux jugements qui remettent en question leurs pratiques, les chasseuses revendiquent le droit de choisir leur loisir comme elles l’entendent, affirment leur responsabilité éthique dans leurs conduites cynégétiques et leur refus de se conformer aux rôles qui leur sont traditionnellement impartis pour servir ainsi de modèles pour de nouvelles cohortes de chasseuses. Ces stratégies indiquent que les chasseuses privilégient l’expression de leur identité et de leur authenticité et n’adoptent pas des positions de passivité, de réserve ou d’atténuation des marqueurs de leur féminité, contrairement à certaines des constatations rapportées par Lalancette, Saucier et Fournier-Lepage (2012) dans leur étude sur les MTM.

Cette étude exploratoire demanderait à être élargie en comparant ces représentations à celles qui ont cours dans d’autres contextes socioculturels et nationaux. En incluant l’analyse de celles des hommes impliqués dans la chasse, il sera possible de cerner plus précisément la spécificité du traitement médiatique et des réactions du public face aux pratiques des femmes dans le même domaine. L’ajout de corpus de photos et de productions audiovisuelles disponibles sur YouTube et sur les réseaux sociaux permettrait aussi de raffiner l’analyse en la basant sur un matériau autre que discursif et de révéler d’autres modalités des constructions sociales de la chasse chez les femmes dans les sociétés contemporaines.