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Les connaissances de la communauté scientifique à l’égard de la Nation huronne-wendat sont indéniablement liées à la discipline de l’archéologie. Les nombreuses fouilles exécutées depuis plusieurs décennies sur des sites archéologiques hurons-wendat en Ontario ont effectivement généré un corpus considérable de données qui permettent de mieux comprendre la culture matérielle et les coutumes de cette société. Un mouvement s’opère actuellement quant à l’usage de l’archéologie par et pour les Hurons-Wendat, mouvement nommément appelé « la recherche collaborative »[1]. Bien que des étapes importantes aient été franchies, les Hurons-Wendat souhaitent s’engager davantage dans une relation de collaboration avec les professionnels de cette discipline dans le cadre de projets à dimension communautaire pouvant produire des retombées positives directes à leur endroit. Cependant, les défis sont nombreux et cette recherche collaborative nécessitera, à coup sûr, de la détermination et un esprit d’ouverture, à la fois de la part des archéologues et de la Nation huronne-wendat (Hawkins et Lesage 2018).

Ce texte présente l’état de la situation quant à l’archéologie et à la Nation huronne-wendat au Québec. Dans un premier temps, il est brièvement question du Nionwentsïo, le territoire coutumier principal des Hurons-Wendat, ainsi que des démarches qui sont réalisées, depuis plusieurs années, afin d’assurer la protection des lieux faisant partie de leur patrimoine. L’implication actuelle de la Nation huronne-wendat dans l’archéologie au Québec est ensuite discutée en soulignant le contraste significatif avec les pratiques ayant cours dans la province de l’Ontario. Il est par la suite question du projet d’aire protégée de la Nation huronne-wendat dans la région de Ya’nienhonhndeh (lac à Moïse) et des écoles d’été d’archéologie qui ont eu lieu en 2016 et en 2017 en collaboration avec l’Université Laval. Le texte aborde, en conclusion, des questions éthiques fondamentales qui sont soulevées par l’usage de l’archéologie par la Nation huronne-wendat.

Le Nionwentsïo

Depuis plusieurs années, la Nation huronne-wendat réalise des recherches dans les archives et la tradition orale concernant sa présence territoriale. Ces recherches historiques et anthropologiques concernent à la fois la fréquentation historique du territoire et la présence contemporaine des Hurons-Wendat en ces lieux. L’existence d’un territoire traditionnel de la Nation huronne-wendat dans les limites de l’actuelle province de l’Ontario a été soulignée par plusieurs chercheurs oeuvrant dans le champ des études autochtones. Des ouvrages classiques, tel The Children of Aataentsic, A History of the Huron People to 1660, de l’anthropologue Bruce Trigger (1987 [1976]), abondent en ce sens. La fréquentation huronne-wendat historique du territoire dans le Québec d’aujourd’hui est beaucoup moins connue du public, bien qu’elle soit fortement documentée (Richard 2012, 2016, 2018).

Carte 1

Le Nionwentsïo*

Le Nionwentsïo*

* Territoire sur lequel la Nation huronne-wendat affirme ses droits protégés par le Traité Huron-Britannique de 1760.

(R. c. Sioui, Cour suprême du Canada, 1990) (Sous toutes réserves des droits et intérêts de la Nation huronne-wendat)

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Ce territoire, localisé principalement au Québec, est appelé par les Hurons-Wendat le Nionwentsïo, terme qui signifie « notre magnifique territoire » dans leur propre langue (carte 1). Par analogie, il s’agit de l’équivalent du Nitassinan des Innus de la Côte-Nord et du Nitaskinan des Atikamekw de la Haute-Mauricie. Le Nionwentsïo s’étend de la rivière Saint-Maurice, près de Trois-Rivières, jusqu’à la rivière Saguenay, près de Baie-Sainte-Catherine. Il se prolonge au nord jusque dans les terres à proximité du lac Saint-Jean et s’étend également sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent.

Le Nionwentsïo est le territoire principal fréquenté par la Nation huronne-wendat au moment de la conclusion du Traité huron-britannique de 1760, autrefois appelé traité Murray, qui fut unanimement reconnu comme étant toujours valide par les neufs juges de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sioui (1990). La délimitation est fondée sur les récits oraux et la tradition orale des Hurons-Wendat ainsi que sur des recherches exhaustives dans les archives et sur de multiples sources documentaires. Le Nionwentsïo correspond au territoire principal fréquenté pour la pratique de la chasse, de la pêche et du piégeage des animaux à fourrure ainsi que la récolte de végétaux sauvages. Les pratiques de commerce de la Nation huronne-wendat, tout comme les activités diplomatiques, s’effectuaient dans ce territoire et elles s’étendaient aussi à l’extérieur de ce dernier. Les Hurons-Wendat se rendaient en effet au-delà du Nionwentsïo pour la pratique de diverses coutumes, dont celles impliquant le prélèvement de ressources.

La fréquentation historique et préhistorique du territoire par la Nation huronne-wendat doit être replacée dans le contexte du débat scientifique et politique entourant la prétendue disparition des « Iroquoiens du Saint-Laurent ». Il faut rappeler que, pour plusieurs archéologues, ces Iroquoiens présents dans la vallée du Saint-Laurent et son estuaire au moment de l’arrivée du navigateur européen Jacques Cartier, dans les années 1530, auraient formé un peuple distinct (Birch 2015 ; Chapdelaine 2004 ; Pendergast 1985, 1993 ; Tremblay 2006 ; Warrick 2008). Ce peuple aurait quitté la vallée du Saint-Laurent avant l’arrivée de Samuel de Champlain au début du xviie siècle. Pour les membres de la Nation huronne-wendat, comme pour les Mohawks d’ailleurs, ces Iroquoiens représentent leurs ancêtres directs et ils en sont les héritiers légitimes. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la tradition orale huronne-wendat[2], que ce soit au xviiie siècle, au xixe siècle et même jusqu’à aujourd’hui.

En effet, la tradition orale des Hurons-Wendat situe leurs origines dans la région de l’actuelle ville de Québec, où les premiers membres de la nation émergèrent d’une caverne dans le flanc d’une montagne. L’anthropologue Marius Barbeau (1915 : 296-300), au début du xxe siècle, a mis en évidence le témoignage du chef Oriwahento qui situait l’origine de son peuple dans le territoire à l’est, près du fleuve Saint-Laurent. À ce sujet, le texte de Richard (2018) récemment publié dans la revue scientifique Ontario Archaeology, ce numéro spécial traduit en français et édité aux Presses de l’Université Laval (Lesage et al., dir. 2018), met en exergue les principales empreintes des « Iroquoiens du Saint-Laurent » dans la tradition orale des Hurons-Wendat. Il est notamment question des témoignages de l’Allemand Friedrich Valentin Melsheimer, de même que du Grand Chef huron-wendat Nicolas Vincent Tsawenhohi (1769-1844), daté de 1824, et du Grand Chef huron-wendat François-Xavier Picard Tahourenche (1810-1883), recueilli dans la seconde moitié du xixe siècle. D’autres parallèles significatifs, en particulier sur le plan de l’ancienneté de ces récits, sont également établis avec la tradition orale des « Wyandots ». Le récit de l’émergence des Hurons-Wendat d’une caverne renvoie par ailleurs directement au mythe huron-wendat de la création, Yäa’taenhtsihk, la femme venue du ciel (voir notamment Picard-Sioui 2016).

Les archéologues sont maintenant confrontés à un questionnement croissant de la part des autochtones qui se considèrent comme les descendants de ces « Iroquoiens du Saint-Laurent ». Quels sont les fondements des distinctions entre peuples qui sont mises en oeuvre par les tenants de la thèse de la disparition ? À cet égard, le symposium conjoint de la Ontario Archaeological Society et de la Eastern States Archaeological Association, tenu en 2015 à Midland, en Ontario, constitue un point tournant dans la réflexion collective. En cette occasion, ce sont les représentants de la Nation huronne-wendat qui adressèrent préalablement des questions de recherche précises aux archéologues, linguistes, historiens et anthropologues quant aux liens entre les Hurons-Wendat et les « Iroquoiens du Saint-Laurent ». Il n’est donc plus possible d’évacuer de l’analyse le point de vue des autochtones, en l’occurrence celui des Hurons-Wendat tout comme celui des Mohawks, quant à leurs origines et à leur propre ethnicité. Aussi des archéologues en viennent-ils progressivement à reconnaître des liens entre les Hurons-Wendat et lesdits Iroquoiens du Saint-Laurent, à partir de la moitié du xve siècle, des liens d’ailleurs évoqués par la tradition orale de la Nation huronne-wendat et dont les référents remonteraient notamment au xvie siècle (Gupta et Lesage 2016 ; Lesage et al., dir. 2018 ; Richard 2018).

Les démarches des Hurons-Wendat pour la protection des lieux patrimoniaux

Le Bureau du Nionwentsïo a été créé en 2008 afin d’assumer pleinement les complexes aspects contemporains de la protection territoriale responsable de la Nation huronne-wendat. Cette entité administrative procède annuellement au traitement de plusieurs centaines de consultations adressées à la Nation huronne-wendat par les gouvernements fédéral et provinciaux, conformément à la jurisprudence qui fut principalement établie dans les arrêts Haïda (2004) et Taku River (2004). L’harmonisation forestière, le développement économique territorial, l’occupation territoriale, le soutien aux démarches politiques et juridiques ainsi que la représentation des Hurons-Wendat dans des organismes régionaux et nationaux font aussi intégralement partie des champs d’action privilégiés du Bureau du Nionwentsïo. Ce dernier est composé d’une équipe multidisciplinaire parmi laquelle figurent des ingénieurs et des techniciens forestiers, des biologistes, des techniciens de la faune, des anthropologues et des historiens, des assistants de recherche et des intervieweurs. La majorité de ces ressources sont elles-mêmes huronnes-wendat. La recherche réalisée au Bureau du Nionwentsïo concerne notamment les sciences forestières et l’aménagement écosystémique, les espèces en péril et les connaissances écologiques des Hurons-Wendat. La fréquentation préhistorique, historique et contemporaine du Nionwentsïo, les études d’impacts sociaux et les évaluations environnementales font également partie des activités de recherche et d’analyse du Bureau.

La protection des lieux patrimoniaux de la Nation huronne-wendat constitue aussi une des missions essentielles du Bureau du Nionwentsïo. En ce qui concerne le territoire forestier, ces démarches de protection sont liées à deux processus spécifiques, soit l’harmonisation forestière et les consultations fédérales et provinciales, principalement dans le contexte du développement du territoire. Les récits et la tradition orale des Hurons-Wendat, de même que les recherches dans les archives et les sources documentaires, constituent des intrants de première importance dans l’identification des lieux patrimoniaux. Ces derniers incluent d’anciens sites de campements, des sentiers de portage et axes de circulation au sein du territoire ainsi que des lieux d’exercice des coutumes de chasse, de pêche, de piégeage et de récolte des végétaux. Les zones caractérisées par un potentiel archéologique, identifiées à la suite d’un processus d’analyse à l’interne, à partir notamment des témoignages des aînés hurons-wendat et de nombreux documents d’archives, sont également assujetties à des mesures de protection face aux interventions forestières et aux différents projets de développement, qu’ils soient de petite, moyenne ou grande envergure. Ces zones de potentiel archéologique sont considérées comme des lieux comportant une dimension patrimoniale pour la Nation huronne-wendat. En effet, la possibilité que des vestiges liés au passé de leurs ancêtres soient toujours présents confère à ces zones, aux yeux des Hurons-Wendat, une importance culturelle significative, d’autant plus que ces lieux sont généralement encore occupés par les membres de la Nation huronne-wendat aujourd’hui.

L’implication des Hurons-Wendat dans l’archéologie au Québec

La recherche collaborative selon les Hurons-Wendat

Les Hurons-Wendat ne s’opposent pas aux travaux archéologiques sur leurs sites culturels et patrimoniaux. Essentiellement, ils ont besoin de s’assurer que les résultats attendus seront novateurs et aideront à mieux comprendre les habitudes de vie de leurs ancêtres. Dans la perspective de la Nation huronne-wendat, la recherche collaborative est une expression moderne de la situation gagnant-gagnant des alliances qui ont toujours caractérisé ce peuple de commerçants. Pour les Hurons-Wendat d’aujourd’hui, leurs ancêtres doivent être fiers de laisser certains travaux archéologiques se réaliser sur des sites choisis afin d’essayer de comprendre leur passé. Ils sont sans doute encore plus fiers de voir que leurs descendants participent à ces découvertes. En termes métaphoriques, c’est un fort bon exemple de polissage de tous les maillons de la chaîne d’alliance.

L’essence d’une telle recherche collaborative représente aussi des opportunités contemporaines importantes pour une Première Nation comme la Nation huronne-wendat qui est moderne, ouverte, curieuse et qui désire en savoir toujours plus sur son passé. La recherche collaborative offre également pour elle l’occasion de faire partie du monde de la recherche et d’oeuvrer avec des scientifiques de haut niveau afin d’influencer les axes de recherche, d’échanger des idées, de poser des questions, de soumettre des hypothèses, de discuter des résultats, d’évaluer et de réviser les ébauches de publications, d’agir en tant que co-auteurs, etc. La recherche collaborative pour les Hurons-Wendat représente bien plus que de simples remerciements dans la partie réservée à cet effet dans une publication. L’élaboration de projets archéologiques et la recherche sur les sites hurons-wendat sont désormais effectuées en étroite collaboration avec la Nation huronne-wendat.

Le contraste des politiques d’archéologie entre l’Ontario et le Québec

L’Ontario dénombre plus de 32 000 sites archéologiques, soit des lieux où se trouvent des artéfacts ou autres preuves tangibles d’un usage humain passé ou d’une activité humaine passée qui ont une valeur, un caractère ou un intérêt sur le plan du patrimoine culturel (MTCS 2015 : 17). Environ 80 % de la totalité de ces sites sont des sites autochtones et représentent des villages, des maisons longues, des camps de chasse, des sites de portage, des cimetières ou des ossuaires. Aussi, environ 2500 projets archéologiques sont réalisés en moyenne annuellement en Ontario, y compris les consultations en archéologie pour le développement et la recherche (ibid.). Entre 800 et 1000 nouveaux sites archéologiques sont signalés chaque année (ibid.). Avec plus de 850 sites archéologiques identifiés comme étant hurons-wendat en Ontario, ce patrimoine représente probablement le nombre le plus élevé de sites archéologiques reliés à une Première Nation au Canada.

Avec un tel potentiel archéologique, il n’est donc pas étonnant que l’on observe en Ontario différentes approches d’archéologie collaborative avec les groupes autochtones et que celles-ci connaissent un certain essor depuis quelques années. Ce mouvement est motivé notamment par la Loi sur le patrimoine de l’Ontario et renforcé par une récente série de lignes directrices (Participation des collectivités autochtones en archéologie) produites par le ministère du Tourisme, Culture et Sport (MTCS 2011). Ces documents demandent aux archéologues licenciés par la province de l’Ontario de s’engager auprès des communautés autochtones dans toutes les étapes d’un projet dans le but de répondre aux intérêts des communautés concernées. Ainsi, les normes de conformité archéologiques en Ontario requièrent des excavations aux étapes de sondages afin d’évaluer la valeur archéologique d’un site. Plus précisément, les lignes directrices exigent des promoteurs (gouvernements, compagnies privées, développeurs, etc.) d’engager des assistants de fouilles des communautés autochtones régionales ou démontrant leur intérêt à participer aux fouilles de stade 3 et 4. Cette pratique va toutefois à l’encontre de la volonté des communautés autochtones qui, elles, souhaitent d’abord une perturbation minimale des sites ancestraux puis, dans le cas où des fouilles sont nécessaires, de participer à tous les stades d’un projet (1 à 4). Bien que des promoteurs engagent des assistants de fouilles autochtones aux stades 1 et 2, d’autres refusent une telle mesure peut-être jugée trop coûteuse, et aucune conséquence n’est envisagée par le gouvernement. En effet, depuis les dernières années, les communautés autochtones favorisent plutôt des pratiques d’archéologie durables qui, d’une part, évitent les fouilles d’un site et, d’autre part, favorisent la révision des collections existantes (Ferris et Welch 2014 : 231-233).

L’expérience concrète indique que ces pratiques ontariennes contrastent avec celles qui ont actuellement cours au Québec. Force est de constater que ces dernières peinent à inclure la participation autochtone dans tout le processus d’archéologie collaborative. À titre d’exemple, le tableau 1 présente les principales différences observables entre la Loi sur le patrimoine culturel (L.R.Q. 2012) et la Loi sur le patrimoine de l’Ontario (L.R.O. 1990) en regard de l’archéologie, de la participation autochtone et des directives à l’endroit des archéologues.

Bien que des représentants de la Nation huronne-wendat aient été actifs ponctuellement sur des sites de fouilles archéologiques en Ontario dans les années 1970, et de manière plus intensive depuis presque une décennie, leur présence est très récente au Québec. En fait, leur première participation officielle ne date que de 2016, lorsqu’un assistant de fouilles huron-wendat a été dépêché dans le secteur au pied de la côte de Sillery, près du boulevard Champlain, à Québec. Une surveillance archéologique a dû y être réalisée en vue de la reconstruction de cet axe routier. Dans les années 1960, un site de sépulture avait été découvert justement à proximité (Vallée 1985). La présence de cet assistant ne s’est pas faite sans pression de la part du Conseil de la Nation huronne-wendat auprès des autorités du ministère de la Culture et des Communications du Québec. Depuis, et à la demande du Conseil de la Nation huronne-wendat, des assistants hurons-wendat ont été dépêchés sur des sites de fouilles à la base de plein air de Sainte-Foy et à L’Ancienne-Lorette.

Archéologie autochtone : l’exemple des Hurons-Wendat en Ontario

Avant la fin des années 1990, les Hurons-Wendat n’ont pas été consultés en regard de fouilles archéologiques sur leurs sites ancestraux. Des fouilles d’ossuaires hurons-wendat dans le comté de Simcoe sont documentées dès les années 1850, lesquelles étaient dirigées par des jésuites (Jones 1908). Des fouilles non autorisées des sites hurons-wendat ont commencé plus sérieusement dans les années 1940 et 1950 par Kenneth Kidd et Wilfrid Jury. Celles-ci ciblaient les ossuaires du xviie siècle ainsi que les villages et la mission jésuite de Sainte-Marie (Trigger 2001 : 5). Dans les décennies qui ont suivi, des fouilles et des récoltes de surface systématique de villages hurons-wendat datant des périodes précontact et contact ont été ciblées comme sujets de recherche spécifiques et sites d’études pour des universités. Plus d’un siècle de travail sur le terrain sur des dizaines de sites hurons-wendat dans le sud de l’Ontario a permis d’excaver un nombre considérable d’artéfacts et de restes humains (Williamson 2014).

La Nation huronne-wendat considère l’archéologie comme une source importante d’informations en regard de l’utilisation de ses terres ancestrales et des droits reliés au territoire et aux ressources (Sioui 1999). Malgré la distance physique qui existe entre leur village de Wendake et leurs terres ancestrales en Ontario, les Hurons-Wendat ont commencé à exercer une « influence » considérable sur les archéologues qui travaillent sur leurs sites ancestraux, et ce, dans le cadre d’une relation habituellement constructive.

Les Hurons-Wendat se sont toujours intéressés à leur patrimoine archéologique en Ontario. Aucun document, traité préconfédéré ou historique ne stipule que les Hurons-Wendat ont cédé, abandonné ou rejeté leurs droits et intérêts en Ontario. D’ailleurs, dans les années 1970, un groupe d’une vingtaine de jeunes hurons-wendat ont participé à des travaux archéologiques dans la région de Pickering en Ontario. En 1999, un premier réenterrement d’ancêtres hurons-wendat se tenait à Ossossane, dans la région de Midland en Ontario (Picard-Sioui 2000 ; Kapches 2010), puis un deuxième en 2013 dans la région de Vaughan (Pfeiffer et Lesage 2014). Ces réenterrements, les plus importants en Amérique du Nord, représentent, d’un point de vue administratif, l’aboutissement de plusieurs années de discussions, planifications et négociations entre la Nation huronne-wendat et les dépositaires des ossements. D’un point de vue spirituel et coutumier, ces ré-enterrements constituent la consécration spirituelle d’une sensation inédite du travail accompli et d’un fort sentiment de réparation d’erreurs passées.

Tableau 1

Principales différences entre la Loi sur le patrimoine culturel (L.R.Q. 2012) et la Loi sur le patrimoine de l’Ontario (L.R.O. 1990) en regard des fouilles et découvertes archéologiques, de l’identification du patrimoine culturel, de la citation des biens patrimoniaux et des normes et directives à l’intention des archéologues

Principales différences entre la Loi sur le patrimoine culturel (L.R.Q. 2012) et la Loi sur le patrimoine de l’Ontario (L.R.O. 1990) en regard des fouilles et découvertes archéologiques, de l’identification du patrimoine culturel, de la citation des biens patrimoniaux et des normes et directives à l’intention des archéologues

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Au cours des trois dernières décennies, les Hurons-Wendat ont exigé et obtenu un plus grand contrôle sur leur patrimoine archéologique en Ontario, en particulier pour les sites de sépultures. Les Hurons-Wendat démontrent ainsi leur plus profond respect pour les restes de leurs ancêtres. Les fouilles archéologiques peuvent malheureusement perturber les ancêtres enterrés dans des ossuaires ou de manière fortuite dans les villages. Plus particulièrement, lors de fouilles de villages hurons-wendat, ces découvertes peuvent involontairement survenir et revêtir un intérêt immense pour la Nation huronne-wendat.

Afin de se positionner davantage en regard de son patrimoine archéologique en Ontario, le Conseil de la Nation huronne-wendat a voté en 2015 une résolution, intitulée Position de la Nation huronne-wendat relative au patrimoine archéologique et culturel sur ses terres ancestrales en Ontario, qui stipule notamment :

  • que la Nation huronne-wendat privilégie toujours la protection de ses sites archéologiques et culturels en Ontario, notamment en proscrivant toute destruction des sites, peu importe la nature d’un projet ou autres intérêts publics et privés en jeu ;

  • de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect et la protection des sites culturels et archéologiques hurons-wendat, incluant les sites de sépulture des ancêtres hurons-wendat […]

Carte 2

Les dernières forêts intactes au Québec et le projet d’aire protégée polyvalente Ya’nienhonhndeh

Les dernières forêts intactes au Québec et le projet d’aire protégée polyvalente Ya’nienhonhndeh

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La position des Hurons-Wendat vise essentiellement à ce que les sites ancestraux soient protégés et conservés, et qu’ils ne soient perturbés que dans des cas exceptionnels – et pour des raisons valables et avec leur consentement. Les Hurons-Wendat se réservent également le droit à l’utilisation et l’interprétation de leur patrimoine archéologique. Ils démontrent une grande sensibilité pour la préservation in situ et la protection de ce patrimoine.

Au-delà de cette vision protectionniste du patrimoine, la dernière décennie a pourtant permis des recherches et des consultations réalisées en Ontario par des archéologues qui ont su relever le défi de travailler en collaboration avec les populations autochtones. Par exemple, dans l’esprit autochtone d’alliance durable, l’Université Wilfrid Laurier et l’Université Laurentienne demandent annuellement à la Nation huronne-wendat la permission de pouvoir réaliser des fouilles du site Ahatsistari (Université Wilfrid Laurier) et des sites Ellery et Thompson Walker (Université Laurentienne) pour leurs chantiers-écoles respectifs. Ces derniers ont aussi pour mission de former la prochaine génération d’archéologues en regard de l’éthique à adopter envers les groupes autochtones concernés. De plus, ces sites exposent les étudiants à des techniques analytiques minimalement invasives (Glencross et al. 2017). Ces nouvelles pratiques viennent renforcer le travail collaboratif en développant des méthodes alternatives qui réduisent au minimum la destruction du patrimoine autochtone, respectent davantage les droits des peuples autochtones et, finalement, préparent la prochaine génération d’archéologues à mieux collaborer et à comprendre leurs enjeux.

Malgré les nombreuses participations à des fouilles, les rapatriements d’ossements, les résolutions pour la protection du patrimoine archéologique et la participation à des projets de recherches collaboratifs, la propriété autochtone du patrimoine archéologique demeure malheureusement, pour des raisons législatives réelles, une réalité inassouvie. Tel que le soulève Asch (2009), qu’est-ce qui serait plus raisonnable que le désir de s’assurer que vous êtes le conservateur de votre propre patrimoine culturel ? Et qu’est-ce qui serait le moins raisonnable que de conserver le patrimoine culturel d’un autre peuple, toujours significatif pour lui, dans vos mains ? Ces questions légitimes correspondent aux attentes des Premières Nations du Canada. Celles-ci ne contrôlent pas l’intégralité de leur patrimoine malgré la reconnaissance mondiale de ce droit dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 2007 (Nations unies 2007). À cet égard, tel que souligné par Atalay (2008), le colonialisme a dépossédé les autochtones de leur capacité à gérer et également enseigner leur propre héritage culturel et patrimonial. Selon certains auteurs, le patrimoine archéologique autochtone serait possiblement mieux protégé si les politiques et les lois gouvernementales en matière d’aménagement du territoire ontarien étaient renforcées de façon à exiger le consentement libre, préalable et éclairé des communautés autochtones avant la suppression des sites et des vestiges d’importance sur les territoires ancestraux (Warrick 2017).

Le projet d’aire protégée dans la région de Ya’nienhonhndeh (lac à Moïse)

La région des lacs à Moïse et Batiscan, localisée dans la Réserve faunique des Laurentides, à environ 75 km à vol d’oiseau au nord-ouest de Wendake, a été fortement fréquentée par la Nation huronne-wendat, et ce, depuis des temps fort anciens (Richard 2012, 2016). En langue huronne-wendat, le lac à Moïse est appelé « Ya’nienhonhndeh », ce qui signifie « là où l’on cueille les plantes médicinales ». Le lac Batiscan est pour sa part désigné par le toponyme Ekiontarowänha’, signifiant « le grand lac » (Lukaniec 2012 : 5, 14).

Chapeauté par le Bureau du Nionwentsïo, le projet d’aire protégée a été lancé par la Nation huronne-wendat en 2010 dans le contexte des démarches de protection des lieux patrimoniaux en réaction à des interventions forestières d’envergure projetées. L’idée d’une aire protégée, dans cette portion du Nionwentsïo, émane d’une constatation d’une importance cruciale : c’est la seule région du territoire coutumier de la Nation huronne-wendat qui n’a, à toutes fins pratiques, jamais été touchée par des coupes forestières. En fait, il s’agit du dernier grand massif de forêt intacte, au sud du 52e parallèle, pratiquement exempt de toute perturbation anthropique, tel qu’indiqué sur la carte 2. La délimitation préliminaire de l’aire protégée englobe une région de 711 km2, où plus de 50 sites patrimoniaux hurons-wendat ont été recensés, dont des sites de campement d’autrefois et d’anciens sentiers de portage toujours visibles aujourd’hui.

Le concept novateur d’aire protégée polyvalente est un outil de conservation qui a la particularité d’offrir différentes formes d’utilisation durable du territoire en assurant la protection et le maintien de la biodiversité. Cette forme d’aire protégée vise l’atteinte de cibles écologiques en soutenant l’apport économique nécessaire aux communautés qui vivent des ressources naturelles. Ce concept repose sur l’élaboration d’actions mutuellement bénéfiques à la biodiversité et à la société pour un véritable développement durable du territoire (Comité de coordination APP 2016).

En ce qui a trait aux caractéristiques écologiques du territoire, il importe de mentionner que 28 % des peuplements forestiers sont âgés de 70 ans ou plus, tandis qu’approximativement 40 % peuvent être considérés comme étant une forêt intacte. Certains secteurs comprennent des arbres de plus de 300 ans. La présence d’espèces animales menacées et vulnérables est attestée, dont l’omble chevalier, le faucon pèlerin, l’aigle royal et également le caribou forestier. Il est par ailleurs possible que d’autres espèces menacées s’y trouvent, en particulier différentes plantes. Puisque le territoire concerné est à proximité du Parc national de la Jacques-Cartier et de la Réserve de biodiversité projetée du Triton, la création de l’aire protégée polyvalente Ya’nienhonhndeh représente un amalgame potentiel de conservation de plus de 1800 km2. La Nation huronne-wendat considère qu’elle a la responsabilité de protéger, en collaboration avec les intervenants allochtones, un patrimoine forestier et culturel si unique pour les générations futures.

Bien que le territoire visé par le projet d’aire protégée soit maintenant davantage connu grâce aux démarches de protection des lieux et à plusieurs inspections réalisées sur le terrain, il reste encore beaucoup à faire en matière d’acquisition de connaissances, à la fois sur le plan des caractéristiques écologiques et celui du patrimoine culturel huron-wendat. À ce sujet, la collaboration grandissante entre la Nation huronne-wendat et l’Université Laval a permis de bonifier la connaissance du territoire grâce à la discipline de l’archéologie.

Photo 1

De gauche à droite : Stéphane Sioui, Marie-Anne Paradis, Martin Tremblay et Loue Biron, été 2016

De gauche à droite : Stéphane Sioui, Marie-Anne Paradis, Martin Tremblay et Loue Biron, été 2016
Photo Michel Plourde

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Les écoles d’été en archéologie en collaboration avec l’Université Laval

Une entente historique

Le 20 décembre 2013, l’Université Laval et la Nation huronne-wendat signaient une entente-cadre renouvelable de cinq ans pour officialiser les relations qui unissent les deux communautés et accroître l’échange de connaissances. Dans ce contexte, l’Université Laval répondait directement au souhait de la Nation huronne-wendat de participer aux recherches qui les concernent en faisant part de leurs préoccupations, de leurs propres perspectives en matière de recherche et de leurs traditions. Comme l’archéologie figurait au sommet de la liste des domaines de coopération, des démarches ont été entreprises pour mettre sur pied un programme de recherches sur le terrain visant à consolider les efforts de protection des sites patrimoniaux, des sites d’intérêt et des zones à haut potentiel archéologique huron-wendat. Une école d’été en archéologie a alors été créée sous l’égide de la formation continue (ARL-U001) et celle-ci s’est tenue pendant six jours en août 2016 et pendant sept jours en juillet 2017, accueillant sept étudiants issus du département des Sciences historiques de l’Université Laval et de la Nation huronne-wendat (photo 1).

Des secteurs d’intérêt patrimonial et archéologique

Les secteurs ciblés furent ceux du lac à Moïse (Ya’nienhonhndeh) et du lac Batiscan (Ekiontarowänha’) [carte 3]. Il s’agit de superficies exceptionnellement couvertes d’une forêt vierge, ce qui constitue une composante de première importance sur le plan du potentiel archéologique, mais surtout en regard de l’intégrité patrimoniale et écologique de cette portion du Nionwentsïo. La synthèse des données ethnohistoriques disponibles à l’égard de la zone d’étude a constitué un intrant de première importance afin d’identifier et de préciser le potentiel archéologique huron-wendat de ce territoire. Outre les données ethnohistoriques, l’analyse a tenu compte de l’hydrographie, de la géomorphologie, de la faune et de la flore ainsi que des indices liés aux perturbations anthropiques. L’analyse cartographique ainsi que celle des photographies aériennes disponibles pour la zone d’intervention ont été fort utiles à cet égard. Les sources utilisées sont principalement le système d’information géographique (SIG) de la Nation huronne-wendat ainsi que les fichiers de photographies aériennes conservés à la Bibliothèque de l’Université Laval (Bureau du Nionwentsïo 2013).

Tableau 2

Lieux d’intérêt hurons-wendat visités à l’occasion de l’École d’été en archéologie, éditions 2016-2017

Lieux d’intérêt hurons-wendat visités à l’occasion de l’École d’été en archéologie, éditions 2016-2017
Tiré de : Bureau du Nionwentsïo 2013

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Les tâches liées à l’analyse et à l’identification du potentiel archéologique ont permis de circonscrire des secteurs précis présentant une valeur plus intéressante. Ces informations ont été intégrées à la base de données informatisée des lieux d’intérêt hurons-wendat, de même qu’au système d’information géographique (SIG) du Bureau du Nionwentsïo. Des visites sur le terrain avaient été réalisées lors de l’été 2012 par l’équipe du Bureau du Nionwentsïo dans le secteur à l’étude. Au total, vingt-huit lieux d’intérêt hurons-wendat furent inspectés sur le terrain. Ces travaux ont permis de mieux identifier et de préciser spatialement les superficies réelles couvertes par les lieux d’intérêt, d’établir leur degré actuel de perturbation anthropique et d’évaluer leur potentiel patrimonial. Les éléments pouvant être géoréférencés, par exemple les anciens sentiers hurons-wendat toujours perceptibles aujourd’hui, ont été relevés systématiquement. Des photographies ont été prises afin de documenter visuellement les éléments pertinents (Bureau du Nionwentsïo 2013).

La méthodologie

Les zones retenues firent l’objet d’une inspection visuelle afin de déterminer quels espaces étaient les plus susceptibles de révéler un site archéologique, à savoir une topographie relativement plane, soit où la pente n’excédait pas 10 %, un drainage adéquat et une surface peu ou modérément accidentée et se trouvant en dehors de l’emprise des crues printanières. Sur de telles surfaces étaient ensuite pratiqués des sondages mesurant 50 cm de côté et espacés de 5 m, 10 m ou 15 m, selon les caractéristiques de l’espace et la dimension des zones à couvrir. Chaque sondage a été localisé à l’aide d’un GPS. Le couvert végétal au sol, en l’occurrence une sphaigne dont l’épaisseur pouvait atteindre 40 cm, était découpé à l’aide d’une pelle carrée aiguisée, puis déplacé à l’extérieur du sondage pour être examiné minutieusement. La matrice végétale noire rencontrée à la base de la sphaigne (Ah) était ensuite fouillée à la truelle, puis le premier horizon minéral, une couche grise (Ae) dont l’épaisseur pouvait varier entre 5 cm et 20 cm. Une fois cette étape réalisée, les premiers 10 cm de la couche orangée ou brunâtre (Bh ou Bf) étaient fouillés, à moins de rencontrer une assise de pierres ou la roche-mère. En l’absence d’artéfacts, la fouille des sols était interrompue. Lorsque des artéfacts ou des écofacts étaient découverts, un tamis à mailles de un quart de pouce était utilisé afin de vérifier systématiquement le contenu des sols. Des sondages en croix étaient réalisés en périphérie du premier sondage positif, soit une première séquence à 5 m, et si ces derniers s’avéraient négatifs, d’autres sondages en croix (distancés de 2,5 m du sondage positif) étaient réalisés. Le premier sondage positif a été agrandi jusqu’à un maximum de 1 m x 1 m.

Les résultats

Les inventaires archéologiques menés en 2016 et 2017 se sont déroulés dans cinq secteurs d’intérêt (carte 3), soit une chaîne formée par les lacs Lafond, Verdoyant, Lavallée et Dulude, le secteur de la confluence des rivières à Moïse et aux Éclairs où deux sites historiques (CiEx-1 et CiEx-2) avaient été découverts quinze ans plus tôt (Chrétien 2001), le lac Lacroix, le secteur de l’embouchure de la rivière Croche et l’émissaire du lac Batiscan.

Le secteur 1 consiste en une chaîne de quatre lacs (Lafond, Verdoyant, Lavallée et Dulude) formant un croissant de près de 2 km. L’objectif des recherches était de retracer d’anciens sentiers de portage et de vérifier la présence de sites archéologiques vis-à-vis des extrémités des axes de portage potentiels. En premier lieu, une inspection visuelle de la rive ouest de l’émissaire du lac Lafond a permis de retracer en partie un corridor signalé par des percées visuelles dans le couvert forestier et un tassement du sol sur une largeur variant entre 20 cm et 30 cm. Deux sections du sentier, mesurant respectivement (du sud vers le nord) 300 m et 75 m, ont été retracées. Le trajet emprunte les premières surfaces relativement bien drainées et accessibles à l’ouest de l’émissaire du lac Verdoyant. Le sentier, dont la longueur totale est estimée à 720 m, accuse une trajectoire assez directe entre les lacs Lafond et Verdoyant. Par la suite, des sondages ont été pratiqués le long de la rive sud-ouest du lac Lafond, vis-à-vis l’extrémité nord du sentier, mais tous se sont avérés négatifs.

Un autre sentier de portage a vraisemblablement été retracé du côté est de l’émissaire du lac Lafond. Celui-ci emprunte les premières surfaces planes localisées au-dessus d’une zone marécageuse, dans ses deux-tiers nord, sur environ 100 m. Il se fond par la suite dans un sentier de VTT dans son tiers sud. Le sentier de VTT a donc suivi une ligne plus droite et traverse ainsi une zone humide dans le deux-tiers nord.

Le secteur 2 touche la confluence des rivières à Moïse et aux Éclairs, à l’ouest du lac Batiscan. Ce plan d’eau longiligne est orienté dans un axe nord-ouest–sud-est et mesure un peu plus de 8 km. Le niveau de ce vaste plan d’eau n’a pas été rehaussé artificiellement par un barrage ou une digue. Alimenté par des petits tributaires, celui-ci se déverse vers l’ouest. Les eaux du secteur sont calmes et facilement navigables. La rivière aux Éclairs se déverse dans la Batiscan qui rejoint le fleuve Saint-Laurent, à une centaine de kilomètres vers le sud-sud-ouest. La rivière à Moïse donne accès, vers le nord, à une multitude de lacs et de rivières qui rejoignent le bassin hydrographique du lac Saint-Jean par la rivière Métabetchouane.

Une inspection visuelle sommaire des lieux a été complétée par quelques sondages pratiqués sur certaines surfaces planes afin de retracer des restes de cabanes huronnes-wendat. Des sondages ont été réalisés à l’emplacement même du site CiEx-1 découvert, en 2001 (Chrétien 2001), à l’aide d’un détecteur de métal. Des objets en métal extraits de la sphaigne et remis en place une fois examinés avaient permis de reconnaître une occupation datée de la fin du xixe siècle révélée par

[...] entre autres des clous rectangulaires de grand format, des pièces de poêle à bois, une poignée de théière ouvragée en fer et du verre fondu. Ces divers indices, et surtout le poêle à bois, permettent d’interpréter ces vestiges comme les restes d’un campement de la fin du xixe siècle. La fonction de ce campement n’est pas établie sur la base du matériel découvert, mais il pourrait s’agir d’un camp de chasse et de pêche

ibid.: 19

Carte 3

Localisation générale des secteurs d’inventaire archéologique

Localisation générale des secteurs d’inventaire archéologique

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Nos sondages (photo 2) ont révélé des éléments de même nature, à savoir des objets de métal, tels des clous découpés et tréfilés, une lame de couteau recourbée à la manière d’un couteau croche amérindien, des fragments de poêle en fonte et de l’écorce de bouleau (photo 3). À quelques mètres des lieux une structure de bois (env. 1,20 m x 1,80 m) effondrée et couverte de mousse a été sommairement dégagée. Les dimensions particulièrement réduites de la structure effondrée correspondraient aux petites habitations utilisées par les Hurons-Wendat à cette époque. Dans ce cas-ci, il pourrait s’agir de l’une des cabanes du Huron-Wendat Daniel Gros-Louis (1856-1939) qui, selon les récits des aînés, était localisée à cet endroit. Dans la périphérie immédiate, quatre dépressions carrées (longueur des côtés atteignant 80 cm) ont été observées et un sondage de 50 cm de côté pratiqué au centre de chacune d’elles ont révélé du canevas de coton, du jute, des clous tréfilés et découpés, des écrous, de l’écorce de bouleau noircie et une attache de métal imprimée d’un motif. Il pourrait s’agir de caches pour conserver de la nourriture et/ou entreposer du matériel.

Photo 2

Évaluation sur le site CiEx-1

Évaluation sur le site CiEx-1
Photo Michel Plourde

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Le secteur a également été utilisé lors de la période préhistorique, comme en témoignent deux éclats de pierre taillée en quartzite blanchâtre extraits de la couche minérale. Tous ces éléments mis ensemble se répartissent sur une superficie approximative de 400 m2.

Un autre site paléohistorique (CiEx-3) a été découvert sur un replat surplombant la rivière aux Éclairs, vis-à-vis d’une petite pointe, à 230 m à l’est-sud-est du site CiEx-1, et celui-ci se résume à un seul sondage positif comportant trois éclats de quartz et des traces de combustion, laissant présager une halte occupée entre 6000 à 450 ans AA. Beaucoup de travail reste donc à faire pour comprendre et dater ces différentes manifestations.

Le secteur 3 se situe à la hauteur du lac Lacroix. Les assises en rondins en état de décomposition avancée d’une ancienne cabane ont été découvertes sur la rive ouest du lac. D’après les récits des aînés hurons-wendat, cette structure correspond fort probablement à une cabane occupée par des Hurons-Wendat à tout le moins au cours des années 1920. Elle a été réutilisée par des chasseurs allochtones dans la seconde moitié du xxe siècle, comme en témoignent des éléments architecturaux plus récents (cadres de porte, verre de vitre, bâche de plastique) installés sur celle-ci ainsi que la nature des déchets observés tout autour.

Le secteur 4 est celui de la rive gauche de la rivière Croche qui a été parcourue à pied sur près de 1 km, et ce, jusqu’aux premières chutes, un obstacle imposant un portage. À cet endroit, des sondages ont été pratiqués sur les rares espaces favorables à l’installation d’un campement ou d’une halte, mais tous se sont avérés négatifs. Il en fut de même d’un échantillonnage réduit de la terrasse sablonneuse localisée à l’embouchure de la rivière Croche. Quant au secteur 5, il touche la rive nord-est du lac Batiscan vis-à-vis son émissaire. Le lieu visité n’offrait que des surfaces basses et mal drainées. Les zones plus favorables à une occupation devraient se trouver plus loin en amont de l’émissaire, vers le sud-est, là où se trouvent les premières surfaces sablonneuses bien drainées.

Photo 3

Lame de couteau recourbée, clou découpé et fragment d’écorce de bouleau

Lame de couteau recourbée, clou découpé et fragment d’écorce de bouleau
Photo Michel Plourde

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Les déplacements de l’équipe sur les plans d’eau ont donné lieu à une découverte spectaculaire, à savoir un site rupestre[3] visible sur une paroi rocheuse légèrement inclinée. Sur cette paroi ont été observés des tracés digitaux peints à l’ocre rouge qui s’étendent sur environ 14 m de long par un maximum de 2 m de hauteur, immédiatement au-dessus du niveau de l’eau. Il est envisageable qu’ils aient été produits à partir d’une embarcation ou à partir de la surface gelée du plan d’eau. Un relevé photographique à haute définition a été réalisé, le 30 mars 2017. Guidés par le Huron-Wendat Marc-André Savard, Guy Deschenes, photographe, ainsi que l’archéologue Michel Plourde, se sont rendus sur les lieux à partir de l’entrée de la ZEC Batiscan-Neilson. M. Deschenes a capté trois panoramas différents, à des distances différentes de la paroi, en utilisant une caméra montée sur un robot (GIGAPAN). Ces panoramas peuvent compter jusqu’à cinq cents photos se chevauchant suffisamment pour former une image pouvant atteindre 8 gigapixels.

Le tableau est composé de trois panneaux. Celui qui est situé à l’extrême droite comporte le plus grand nombre de motifs, et ceux-ci sont composés de formes anthropomorphes, de lignes verticales ou légèrement obliques, et d’un dessin rappelant un arc et une flèche. Les lichens à cet endroit semblent avoir été enlevés en partie, car l’espace dégagé représente un rectangle de forme assez régulière. Ce panneau offre la surface la plus lisse et la plus pâle. Quatre longues fissures horizontales et six fissures verticales le traversent. Les motifs observés vers le centre de la paroi montrent une figure anthropomorphe et des lignes verticales surmontant deux parallélogrammes unis au centre desquels un point a été dessiné. Le dessin réalisé vers l’extrême gauche montre des figures anthropomorphes et ce qui semble être des rayons de soleil surmontés de deux parallélogrammes reliés par un trait. Par ailleurs, il fut observé, vis-à-vis de l’extrémité droite de la paroi, une ouverture derrière celle-ci, soit un espace très étroit (moins de 40 cm de large) et assez haut pour y laisser entrer une personne (maximum de 2 m). Sa profondeur est d’environ 2,5 m et aucun sondage n’y a été réalisé. Un premier traitement préliminaire des motifs à l’aide du logiciel D-Stretch (photos 4 à 6) permet de rehausser les motifs observables et d’en révéler de nouveaux.

Photo 4

Panneau extrémité droite

Panneau extrémité droite
Photo : Guy Deschenes | Traitement DStretch : Dagmara Zadwaska

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Les recherches archéologiques menées dans le Nionwentsïo, en 2016 et 2017, ont permis en quelques jours de confirmer le potentiel archéologique élevé des secteurs touchés. La gamme des manifestations autochtones est variée et comprend des sections de sentiers de portage, des sites de campements préhistoriques, un site rupestre vraisemblablement préhistorique et des composantes de la période historique.

Les questions éthiques soulevées par l’usage de l’archéologie par la Nation huronne-wendat

En plus d’obtenir des résultats aidant à mieux comprendre les habitudes de vie de ses ancêtres, la Nation huronne-wendat reconnaît que l’archéologie constitue toujours aujourd’hui une discipline utile qui peut représenter un tremplin pour la protection de son patrimoine de même que la reconnaissance de ses droits territoriaux. Cependant, l’usage actuel de l’archéologie par la Nation huronne-wendat, bien qu’il soit justifié et nécessaire, soulève un certain nombre de questions éthiques fondamentales qui sont également pertinentes pour d’autres collectivités autochtones.

D’abord, pour la Nation huronne-wendat, la demande de permis de recherche archéologique auprès des autorités québécoises constitue, dans une large mesure, une aberration. Cela équivaut en quelque sorte à demander à un gouvernement étranger une « permission », dont le corollaire est une interdiction, pour tenter de retrouver les traces de leurs propres ancêtres, incluant des objets qui leur appartenaient. La légitimité du gouvernement du Québec, dans un tel processus, est fortement mise en question. En d’autres mots, au-delà de la dimension pragmatique de la chose, il subsiste le danger que la demande de permis de recherche archéologique soit interprétée comme une reconnaissance, de la part des Hurons-Wendat, du pouvoir et de la légitimité du gouvernement du Québec sur leurs propres actions en cette matière.

Photo 5

Panneau central

Panneau central
Photo Guy Deschenes | Traitement DStretch : Dagmara Zadwaska

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Photo 6

Panneau extrémité gauche

Panneau extrémité gauche
Photo Guy Deschenes | Traitement DStretch : Dagmara Zadwaska

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Actuellement, à l’exception d’interventions réalisées sur des terres de réserve, un détenteur autochtone de permis de recherches archéologiques a l’obligation formelle de remettre un rapport au gouvernement québécois afin de rendre compte des résultats obtenus. Or, ce ne sont pas nécessairement les autochtones qui contrôlent la rédaction du rapport et l’interprétation des données mais plutôt l’archéologue qui a officiellement été mandaté par ces derniers. Le respect des aspirations des autochtones repose ainsi essentiellement sur la qualité de la relation qu’ils entretiennent avec le ou les archéologues avec qui ils font affaire.

Une autre dimension significative sur le plan éthique réside dans le caractère public des résultats des recherches archéologiques réalisées par la Nation huronne-wendat. Les rapports de recherche doivent actuellement être rendus publics, excluant de rares exceptions. Est-ce que le grand public devrait effectivement avoir d’emblée le droit de savoir ce qui a été trouvé ? La question est plus incisive dans le cas, par exemple, d’investigations archéologiques menées dans une sépulture autochtone et sur des restes humains. Il est alors possible que certains résultats devraient davantage appartenir de manière privée à la ou aux Premières Nations concernées. Le cas de la localisation exacte du site rupestre découvert lors de l’école d’été d’archéologie en 2016 est lui aussi éloquent concernant la nécessité de la confidentialité de certaines recherches archéologiques. La Nation huronne-wendat exige que le lieu demeure confidentiel, et ce, afin de prévenir le vandalisme et la destruction, comme ce fut le cas partiellement pour le site rupestre du Rocher-à-l’Oiseau (CaGh-2), le long de la rivière Outaouais (Arsenault 2008 : 45).

La propriété réelle des artéfacts demeure également une question éthique de taille pour la Nation huronne-wendat, à l’instar de tous les autochtones qui désirent procéder à des interventions archéologiques en vertu de permis de recherche octroyés par le gouvernement du Québec. Par exemple, en principe, sur les « terres de la Couronne », les artéfacts découverts deviennent la propriété du Québec, et une convention de prêt et d’entreposage doit être conclue si des autochtones entendent conserver lesdits objets. Cela renvoie par ailleurs à la question fort actuelle du rapatriement des objets de nature autochtone qui sont actuellement conservés dans diverses institutions muséales dans le monde.

De surcroît, en conjonction avec les questions énoncées précédemment, il est clair que l’archéologie et les résultats qu’elle peut générer peuvent être judiciarisés et ainsi constituer des intrants majeurs dans d’éventuels litiges territoriaux devant les tribunaux entre les autochtones et les gouvernements provinciaux et fédéral. Cet état de fait peut potentiellement placer les archéologues qui travaillent avec les autochtones dans une position à tout le moins inconfortable.

Ces constatations illustrent la nécessité d’un archéologue, idéalement membre de la Nation huronne-wendat, dont la pratique professionnelle serait régie par les règles émises par la Nation huronne-wendat, incluant des permis de recherche. C’est d’ailleurs la voie qui est privilégiée par certaines collectivités autochtones, dont les Cris de Waskaganish et les Inuits du Nunavut. Dans le contexte actuel, force est de constater qu’un archéologue qui se conformerait à des règles huronnes-wendat, en contravention avec les règles du gouvernement québécois, pourrait voir largement diminuer ses possibilités d’emploi et de participation à différents projets. Ces quelques observations démontrent que la recherche archéologique en milieux autochtones est indissociable des questions de pouvoir et de légitimité relativement au territoire.

Bien que des avancées majeures aient été réalisées à cet égard au cours des dernières années – pensons à la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones et la Commission de vérité et réconciliation qui aspirent à un meilleur rapprochement avec les Premières Nations –, les archéologues d’aujourd’hui et de demain gagneront à être davantage sensibilisés quant aux questions éthiques de premier plan suscitées par l’exercice de leur métier en contextes de pouvoirs et de légitimités autochtones. Heureusement, des évènements, tel le symposium à Midland en 2015, pavent la voie pour une redéfinition de la relation entre l’archéologie, la Nation huronne-wendat et d’autres collectivités autochtones. Il est souhaitable qu’une collaboration davantage étroite et mutuellement respectueuse entre les archéologues et les autochtones concrétise la nécessaire réconciliation avec les premiers occupants du pays.

La Nation huronne-wendat est certainement engagée, à ce jour, dans une archéologie qui est véritablement collaborative. Nul doute qu’une étape majeure a d’ores et déjà été franchie dans le processus de décolonisation de la production des savoirs portant sur cette société. Ce qui est requis par les Hurons-Wendat, cependant, est la mise en oeuvre d’une archéologie autochtone, telle que définie par George P. Nicholas dans l’ouvrage collectif intitulé Being and becoming Indigenous archaeologists :

Au sens le plus large du terme, l’archéologie autochtone peut être définie comme l’une (ou plusieurs) des entités suivantes : (1) la participation active ou la consultation des peuples autochtones en archéologie ; (2) une déclaration politique concernant les questions d’autonomie gouvernementale, de souveraineté, de droits territoriaux, d’identité et de patrimoine des peuples autochtones ; (3) une entreprise postcoloniale conçue pour décoloniser la discipline ; (4) une manifestation d’épistémologies autochtones ; (5) une base pour des modèles alternatifs de gestion ou d’intendance du patrimoine culturel ; (6) le produit des choix et des actions faits par chaque archéologue ; (7) un moyen d’autonomisation et de revitalisation culturelle ou de résistance politique ; et (8) une extension, une évaluation, une critique ou une application de la théorie archéologique actuelle.

Nicholas 2010 : 11, notre trad.

Plus précisément, dans un avenir rapproché, les Hurons-Wendat pratiqueront une « archéologie huronne-wendat », c’est-à-dire une archéologie exécutée par et pour les Hurons-Wendat, dans le respect de leur propre vision du monde et de leurs valeurs les plus profondes. Or, cela ne signifie pas que les archéologues non autochtones seront exclus, bien au contraire. En pratique, il est espéré que le déploiement de cette nouvelle archéologie huronne-wendat, grâce au dialogue interculturel et scientifique qui demeure nécessaire, comme le soulignent Allen et Phillips (2010), générera ultimement une meilleure connaissance de la Nation huronne-wendat.