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Le sud de l’Ontario recèle les vestiges de centaines de sites archéologiques hurons-wendat (Warrick 2008). Du milieu du xixe siècle jusqu’aux années 1970, l’aménagement non réglementé du territoire ainsi que la collecte illégale d’artéfacts et diverses fouilles archéologiques en ont perturbé ou détruit des douzaines. Depuis les années 1950, des projets archéologiques légitimes ont partiellement ou totalement fouillé quelques douzaines d’autres sites, surtout en prévision de l’aménagement de certains territoires (Williamson 2010, 2014). La destruction du village huron-wendat et de sites funéraires de l’Ontario résultant de cent cinquante ans de travaux archéologiques ou autres a donné lieu, sans l’assentiment des Hurons-Wendat, à la collecte d’un nombre considérable d’artéfacts et de milliers de restes humains. Au cours des deux dernières décennies, les Hurons-Wendat ont pris la défense politique de leur patrimoine archéologique et de leurs ancêtres ; ils ont rapatrié les squelettes de plus de deux mille ancêtres (Ossossané en 1999 et Thonnakona en 2013) et ils ont demandé que le gouvernement de l’Ontario et les municipalités atténuent la perturbation et la destruction de leurs sites ancestraux et des restes de leurs ancêtres (Kapches 2010 ; Pfeiffer et Lesage 2014). Pour citer le grand chef Konrad Sioui de la Première Nation huronne-wendate, en 2016 :

Nous continuerons à lutter pour le respect de notre histoire et contre la destruction de notre patrimoine et de nos ancêtres. Ce sont nos ancêtres et nous prendrons toutes les mesures nécessaires afin de rétablir leur dignité, pour qu’ils reposent en paix. Nous avons vécu de nombreuses situations où les vestiges et les restes humains de nos ancêtres ont été déterrés, examinés, étudiés, appropriés unilatéralement ou simplement jetés aux ordures. Comme dans tous ces cas, nous n’acceptons pas une telle situation et un tel traitement inhumain.

cité dans Jackson 2016

Face au désir, exprimé par les Hurons-Wendat et d’autres communautés autochtones, que diminuent les fouilles pour éviter l’exhumation de leurs ancêtres (Hill 2006 ; Nahrgang 2013) et que soit adoptée l’éthique d’une archéologie durable (c’est-à-dire empêcher des fouilles inutiles [Ferris et Welch 2014, 2015]), certains archéologues de l’Ontario militent activement pour la protection des sites (Ferris 2012 ; Warrick et al. 2010 ; Williamson 2010) et élaborent de nouvelles approches peu destructives pour l’archéologie huronne-wendate (Glencross et al. 2016, 2017).

Même s’ils s’opposent fermement à la perturbation des sépultures de leurs ancêtres, les Hurons-Wendat s’intéressent à la recherche archéologique et à ses résultats, mais seulement selon leurs conditions et au service de leur communauté (Hawkins et Lesage 2016 ; Sioui 1999 : 50-88). Ces dernières années, ils ont utilisé et colligé des données archéologiques concernant la gestion de l’environnement et des ressources ainsi que pour leurs revendications (Bureau du Nionwentsïo, Nation huronne-wendate 2016 ; Louis Lesage, comm. pers. 2017) ; ils ont aussi participé à des colloques en archéologie (Warrick et Lesage 2016) et ont collaboré à des activités de recherche et corédigé des publications scientifiques avec des archéologues (Glencross et al. 2017 ; Hawkins et Lesage 2016 ; Pfeiffer, Sealy et al. 2016). Pourtant, la très grande majorité des inventaires archéologiques sur les sites hurons-wendat se font avant l’aménagement du territoire (archéologie contractuelle ou préventive, en lien avec une politique de gestion des ressources culturelles) et dans le cadre de lois qui ne permettent pas aux Hurons-Wendat d’empêcher des fouilles archéologiques. À ce moment, la contribution des Hurons-Wendat au processus archéologique en Ontario se limite à déléguer des surveillants sur les sites pendant les fouilles. Les lois, les priorités économiques et l’emprise des promoteurs immobiliers sur l’archéologie huronne-wendate, tels sont les principaux obstacles à une archéologie collaborative ou exercée dans une approche communautaire (en partenariat avec les communautés autochtones [Atalay 2012 ; Preucel et Cipolla 2008]) ou contrôlée par une archéologie autochtone (sous l’autorité totale des communautés autochtones [Colwell 2016]) en Ontario. Cela prive les Hurons-Wendat de tout pouvoir pour préserver leurs sites archéologiques (Dent 2016 ; Hutchings et La Salle 2015 ; La Salle 2010 ; Warrick 2017 ; Williamson 2010).

Cet article porte sur les défis pratiques, éthiques et politiques qui se posent aux archéologues établis en Ontario souhaitant travailler en solidarité et en collaboration avec les Hurons-Wendat afin que leurs sites archéologiques, leurs artéfacts et les restes de leurs ancêtres soient préservés face à l’aménagement du territoire et protégés du pillage des sites et des fouilles archéologiques inutiles.

Les Hurons-Wendat

Selon la linguistique, la génétique, la tradition orale et l’archéologie, le peuple de culture huronne-wendate est présent depuis au moins 3000 ans dans la région inférieure des Grands Lacs et la vallée du Saint-Laurent (Fiedel 1999 ; Pfeiffer, Williamson et al. 2014 ; Sioui 1999 ; Williamson 2014). En Ontario, l’archéologie nous apprend qu’aux environs de l’an 1000-1250 de notre ère les Hurons-Wendat vivaient dans des petits villages constitués de quelques maisons longues regroupant jusqu’à cent personnes, qui cultivaient le maïs, chassaient, pêchaient et cueillaient. Vers l’an 1350 de notre ère, les Hurons-Wendat habitaient des villages palissadés de plus de cinq cents âmes subsistant surtout par la culture du maïs, des haricots et des courges ainsi que de la pêche (Warrick 2008 : 181-185 ; Williamson 2014). Au moment du contact avec les Européens vers le début du xvie siècle, trente mille Hurons-Wendat (un peuple qui comprenait les Tionontatés et certains Iroquoiens du Saint-Laurent [Warrick et Lesage 2016]) occupaient plus de deux douzaines de villages en Ontario, le plus important comptant plus de deux mille habitants (Warrick 2008 : 192-210). L’unification politique d’au moins quatre nations distinctes en une seule confédération vers l’an 1600 de notre ère a entraîné une concentration de villages dans ce qui est aujourd’hui le comté de Simcoe dans le sud de l’Ontario. C’est là, au milieu du xviie siècle, qu’ils ont rencontré et accueilli Samuel de Champlain, Gabriel Sagard et des jésuites français. En 1649-1651 de notre ère, après une série d’épidémies de maladies contagieuses de l’Ancien Monde et un conflit avec les Haudenosaunees (Iroquois des Cinq Nations), les Hurons-Wendat ont décidé de déménager, certains vers la région de Québec (considérée comme un territoire ancestral par les Hurons-Wendat de Wendake selon la tradition orale et la réinterprétation de données archéologiques sur les Iroquoiens du Saint-Laurent [Gaudreau et Lesage 2016 ; Lainey 2006 ; Richard 2016 ; Warrick et Lesage 2016]). D’autres se sont intégrés aux Odawas et aux Tionontatés, migrant vers le nord-ouest puis le sud pour finalement s’établir au Michigan, au Kansas et en Oklahoma, et d’autres encore se sont mêlés à différentes nations haudenosaunees (Labelle 2013). De nos jours, les Hurons-Wendat/Wyandots vivent au Québec (nation huronne-wendate de Wendake), au Michigan et dans le sud-ouest de l’Ontario (Wyandots de la nation anderdon), au Kansas (nation wyandotte du Kansas) et en Oklahoma (nation wyandotte de l’Oklahoma), avec une population d’environ 10 000 personnes (SAA 2016 ; Wyandotte Nation of Oklahoma 2016). Il n’existe aucune communauté huronne-wendate dans le sud de l’Ontario, sauf certains membres de la nation wyandotte d’Anderdon dans la région de Windsor.

Pour les Hurons-Wendat, se trouver à des centaines de kilomètres de leurs villages ancestraux et de leurs sites d’inhumation pose un problème concernant les soins à apporter à leurs ancêtres. Depuis plus d’un siècle, à part un apport minime de la part des Hurons-Wendat, les archéologues et les officiels de l’État ont été les gardiens autoproclamés des ressources archéologiques huronnes-wendates en Ontario. Cependant, depuis 1990, en Ontario les archéologues, les musées et les universités cèdent leurs droits de conservation et de gestion au profit de consultations avec les Hurons-Wendat concernant la protection de leur patrimoine archéologique, de leurs artéfacts et des restes humains de leurs ancêtres (Dent 2016 ; Ferris 2012 ; Hawkins et Lesage 2016 ; Pfeiffer et Lesage 2014 ; Williamson 2014).

Petite histoire de l’archéologie huronne-wendate

L’archéologie en Ontario est intimement liée aux Hurons-Wendat, mais jusqu’à tout récemment les travaux ont été réalisés sans leur consentement et même à leur insu. Les toutes premières fouilles en Ontario ont eu lieu dans un village huron-wendat et sur des sites d’inhumation hurons-wendat, et les restes humains ont été entreposés dans la maison privée des chercheurs ou dans des universités ou des musées, parfois à l’extérieur de l’Ontario (Hamilton 2010). Ironiquement, les toutes premières fouilles archéologiques de sites hurons-wendat, vers le milieu du xixe siècle dans le comté de Simcoe, ont eu lieu sous la direction de jésuites du Québec (Jones 1908).

Vers la fin du xixe siècle et le début du xxe, David Boyle et ses collègues amateurs, notamment Andrew Hunter et George Laidlaw (Killan 1983), ont identifié et documenté des villages et des sites d’ossuaires (lieux d’inhumation collective) hurons-wendat. L’arpentage du comté de Simcoe par Andrew Hunter a permis de répertorier quatre cents sites hurons-wendat (Williamson 2014 : 6) et de constater que la plupart des ossuaires avaient été pillés dès leur découverte (voir p. ex. Hunter 1899 : 13-35). Dans les années 1940-1960, l’activité archéologique, qui a progressé surtout grâce à Frank Ridley et Wilfrid Jury ainsi qu’à l’Université de Toronto, s’est intéressée principalement à la datation et aux inventaires des sites (Latta 1973 ; Ramsden 1996 ; Trigger 2001 ; Williamson 2014). Dans les années 1970, 1980 et 1990, d’autres recherches ont été menées – surtout dans le cadre d’écoles de fouilles universitaires (Fitzgerald et al. 1995 ; Johnston et Jackson 1980 ; Latta 1985) et de travaux de recherche (Warrick 2008) – portant surtout sur la délimitation de villages et sur des schèmes d’établissement régionaux. Plus tard, au cours des deux dernières décennies, à l’exception des écoles de fouilles organisées par l’Université Laurentienne, l’Université de Toronto et l’Université Wilfrid-Laurier, l’activité archéologique sur des sites hurons-wendat s’est concentrée sur des fouilles, menées par des archéologues consultants, sur un certain nombre de sites villageois des régions de Toronto et de Barrie à des fins d’aménagement urbain (Williamson 2010, 2014). Dans la plupart des cas, les Hurons-Wendat n’y ont pas participé directement, à part quelques exceptions notables. L’une de celles-ci date de 1978 et 1979 : une douzaine d’étudiants hurons-wendat de Wendake, y compris Konrad Sioui (aujourd’hui grand chef de la nation huronne-wendate, comm. pers. 2017), ont participé à des fouilles contractuelles du village Spang du xvie siècle, en prévision du projet de l’aéroport de Pickering, en Ontario (Williamson 2014 : 20).

Autres exceptions plus récentes : à partir de 2006, Alicia Hawkins de l’Université Laurentienne a travaillé sur le terrain avec Michel Gros-Louis et obtenu, à partir cette année-là, l’assentiment du Grand Chef et du Conseil de la nation huronne-wendate pour des écoles de fouilles annuelles et des projets de recherche. De plus, vers le début des années 2000, Ron Williamson, de la firme Archaeological Services inc., a, quant à lui, consulté Luc Lainé et Heather Bastien ainsi que le Grand Chef et le Conseil de la nation huronne-wendat pour des fouilles contractuelles de sites dans la région de Toronto. Au cours des cinq dernières années, le Conseil de la nation huronne-wendat a prévu un budget pour de nouvelles ressources afin de réaliser des travaux d’inventaire, de surveillance et de plan de gestion de sites archéologiques dans le sud de l’Ontario (Alicia Hawkins, comm. pers. 2017 ; Ron Williamson, comm. pers. 2017).

En général, toutefois, les vestiges archéologiques hurons-wendat en Ontario ont été vandalisés au cours des cent cinquante dernières années par des pilleurs ou par des fouilles faites par des amateurs – et plus récemment l’archéologie contractuelle a pris place sans la permission des Hurons-Wendat. En dépit des meilleures intentions du gouvernement de l’Ontario et du désir des Hurons-Wendat de protéger leurs sites archéologiques, ceux-ci continuent à disparaître (Williamson 2010).

Protection juridique du patrimoine archéologique huron-wendat en Ontario

C’est le ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport (MTCS) qui gère l’archéologie en Ontario, conformément à la Loi sur le patrimoine de l’Ontario (L.R.O. 1990) et à d’autres textes législatifs, règlements, lignes directrices et bulletins techniques. Promulguée en 1975, cette loi accorde des permis pour toute activité archéologique en Ontario, dont 98 % sont réalisées par des archéologues consultants en prévision de travaux d’aménagement du territoire (Ferris 2003 ; Jim Sherratt, comm. pers. 2016 ; Williamson 2010). Sauf pour les projets provinciaux, les municipalités reçoivent les demandes d’aménagement et effectuent les études de potentiel archéologique. Si un tel potentiel existe, le promoteur doit embaucher un archéologue pour étudier le terrain et atténuer l’impact des travaux sur les restes archéologiques découverts. Aux termes de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario, le détenteur d’un permis archéologique est autorisé à étudier le patrimoine archéologique et à en prendre soin au bénéfice de la « population de l’Ontario »[1].

Même si en Ontario les peuples autochtones se voient légalement nier la gouvernance et la gestion de leur patrimoine archéologique, les archéologues devraient amorcer un dialogue avec eux dès les premiers stades des travaux, depuis l’évaluation du terrain jusqu’à celle du site (stades 1-3). Ils doivent les consulter au stade 3 (quand un site a une valeur sacrée ou spirituelle, quand cela correspond à une utilisation des ressources ou à un élément du paysage traditionnel, ou qu’il fait partie d’une histoire orale autochtone) et au stade 4 (atténuation des effets sur le site), conformément aux Normes et directives à l’intention des archéologues-consultants (2011) ainsi qu’à la version préliminaire du bulletin technique du MTCS, la participation des communautés autochtonesau processus archéologique (2011). La « participation active » des communautés autochtones à l’archéologie en Ontario est une réponse provinciale à « l’obligation de consulter » dictée par des décisions de la Cour suprême du Canada, comme Nation haida v. Colombie-Britannique 2004 et Nation tsilhqot’in v. Colombie-Britannique 2014 (Dent 2016 : 42-47). En pratique, la participation des communautés autochtones aux questions archéologiques se traduit par la présence de surveillants autochtones sur le terrain et par des consultations avec des représentants autochtones. La consultation et la participation des Hurons-Wendat n’empêchent toutefois pas les fouilles de sites archéologiques importants en prévision de travaux d’aménagement du territoire, et la plupart de ces travaux se font en conformité avec la Loi sur l’aménagement du territoire (L.R.O. 1990, chap. P.13). Selon la Déclaration de principes provinciale de 2014 du ministère des Affaires municipales et du Logement [MAML], au cours d’un projet d’aménagement du territoire « les intérêts des communautés autochtones » doivent entrer en ligne de compte dans les décisions sur la conservation des sites archéologiques et des paysages culturels (MAML 2014 : 29). Mais la conservation archéologique n’est pas synonyme de préservation dans le processus d’aménagement du territoire – la « conservation » de sites archéologiques veut souvent dire « atténuation » des effets des fouilles (Williamson 2010).

Il existe actuellement des moyens juridiques limités pour la protection d’un site archéologique en cas d’aménagement du territoire et d’atténuation des effets sur les fouilles. Une des formes de protection juridique est prévue par la Loi sur l’aménagement du territoire et la Déclaration de principes provinciale (p. ex. le Plan préliminaire de gestion archéologique de la région de York comprend des dispositions pour la préservation in situ des ressources du patrimoine archéologique [ASI 2013 : 45]). Une autre méthode de protection juridique consiste à désigner un site comme bien patrimonial aux termes des règlements de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario. Cependant, seulement cinq sites ont été désignés comme biens patrimoniaux à ce jour (Gouvernement de l’Ontario 1990), et aucun n’a été ajouté depuis 1975. Enfin, on peut invoquer la protection juridique d’un site huron-wendat en prévision de travaux d’aménagement si l’on sait que ce site contient des restes humains. Ces restes et les sépultures associées aux sites archéologiques sont assujettis aux dispositions spéciales de la Loi sur les services funéraires et les services d’enterrement et de crémation (2002). Tandis que les archéologues trouvent rarement des sépultures sur une base annuelle en Ontario (Ferris 2003 : 167), les communautés autochtones qui s’expriment au nom des défunts exigent leur conservation in situ. Cependant, la plupart du temps elles sont retirées et remises en terre le plus près possible de l’endroit d’enfouissement d’origine (p. ex. le village huron-wendat et le site de l’ossuaire Moatfield du xive siècle [Williamson et Pfeiffer 2003]). Néanmoins, la législation archéologique en Ontario ne reconnaît pas explicitement aux autochtones la propriété du patrimoine archéologique. La Loi sur le patrimoine de l’Ontario a été rédigée et promulguée en 1970 au bénéfice de la « population de l’Ontario », sans la moindre considération pour la nation huronne-wendate ou les autres peuples autochtones.

Menaces qui pèsent sur le patrimoine archéologique huron-wendat

La perturbation et la destruction de sites archéologiques hurons-wendat au cours des cent cinquante dernières années sont la conséquence de la recherche archéologique, de la consultation archéologique, de l’archéologie contractuelle et du pillage. C’est probablement la recherche archéologique qui a été la moins destructive. Comme mentionné précédemment, avant 1980, la majeure partie des travaux d’archéologie en Ontario était liée à la recherche. Des sites hurons-wendat ont été partiellement excavés pour recueillir des échantillons d’artéfacts et mettre au jour des traces de maisons et de villages (Trigger 2001 ; Williamson 2014). Aujourd’hui, moins de 2 % de l’archéologie en Ontario est axée sur la recherche, principalement dans le cas des projets d’écoles de fouilles qui utilisent des méthodes peu invasives conformément aux principes de l’archéologie durable (Ferris et Welch 2014) et en accord avec les valeurs culturelles huronnes-wendates interdisant les fouilles superflues (p. ex. Ahatsistari [Glencross 2016 ; Glencross et al. 2017] et Ellery [Hawkins 2015]).

En revanche, l’archéologie contractuelle continue à « exploiter » ou à « consommer » des sites hurons-wendat à un rythme inacceptable (Ferris et Welch 2014, 2015 ; Williamson 2010). Avant l’adoption des lois sur le patrimoine et l’aménagement du territoire et avant l’introduction de l’archéologie contractuelle, plus de 8000 sites archéologiques ont été détruits sans la moindre intervention archéologique et ce, dans la seule région de Toronto entre le début des années 1950 et 1980, y compris un certain nombre de villages hurons-wendat (Coleman et Williamson 1994 ; Warrick 2008 : 106). À partir des années 1980, l’archéologie contractuelle a « conservé » le patrimoine archéologique huron-wendat par des fouilles sur des propriétés en voie d’aménagement, sans que les Hurons-Wendat ne puissent accorder le moindre consentement. Entre 2000 et 2010, une trentaine de villages hurons-wendat ont été partiellement ou entièrement perdus à cause de fouilles archéologiques effectuées à des fins d’aménagement du territoire, et ce, même si dans chacun des cas les archéologues avaient recommandé de les préserver et de les protéger (Williamson 2010 : 35). On estime qu’au cours des deux cents dernières années nous avons probablement perdu plus de 50 % de tous les villages hurons-wendat dans les centres urbains de Toronto et Barrie, en partie en raison de l’aménagement non réglementé du territoire et aussi à cause des fouilles archéologiques, faute d’un engagement politique des municipalités pour la protection des sites (Williamson 2010, 2014).

Outre les sites perdus à cause de l’aménagement du territoire, un nombre incalculable de sites sont endommagés en raison de la collecte illicite d’artéfacts par des chasseurs de trésors (des amateurs) et des pillards (qui collectent des artéfacts à des fins pécuniaires) qui agissent en toute impunité, défiant les menaces d’amendes et de peines de prison prévues par la Loi sur le patrimoine de l’Ontario (Hawkins et Raynor 2012). Il n’existe qu’une seule poursuite fructueuse contre des pillards aux termes de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario. Trois hommes ont été inculpés du pillage d’un village des Neutres et ont dû payer une amende de 6000 $ chacun, sans peine de prison (Fox 1985). Des villages et des ossuaires hurons-wendat contiennent des artéfacts en céramique ou en pierre, ainsi que des artéfacts de fabrication européenne (p. ex. billes de verre, haches en fer, chaudrons et médaillons en laiton et en cuivre), fortement recherchés par les collectionneurs d’antiquités. Sur eBay, le prix d’une pipe huronne-wendate complète en argile ou d’un vase en céramique peut atteindre des centaines de dollars. À moins de démontrer que les artéfacts vendus ont été acquis illégalement, aucune loi en Ontario ne prévient de telles ventes. Un certain nombre de sites hurons-wendat du xviie siècle ont été endommagés par des utilisateurs de détecteurs de métaux et des pillards. On retrouve aussi bien des sites parsemés de petits trous pour déterrer des artéfacts que des excavations plus importantes qui laissent des tas de terre malpropre et créent des problèmes d’érosion à flanc de coteaux.

Il est presque impossible pour le gouvernement de l’Ontario de protéger les centaines de sites hurons-wendat dans tout le sud de la province. Des pillards s’introduisent sur des sites et creusent parfois sous le couvert de l’obscurité, évitant ainsi toute détection par les propriétaires fonciers. Même s’il y a eu quelques réussites récentes – comme la récupération en 2010 d’artéfacts tombés aux mains d’utilisateurs de détecteurs de métaux provenant du village du xviie siècle Thomson-Walker (propriété en partie de la Fiducie du patrimoine ontarien) et la découverte, en 2011, ainsi que la stabilisation de flancs de coteaux pillés au site Ahatsistari du xviie siècle (Hawkins 2014 ; Hawkins et Raynor 2012) –, la collecte illicite d’artéfacts en surface ou lors d’excavations est un problème persistant sur certains sites archéologiques hurons-wendat.

Considérations éthiques, politiques et pratiques sur la collaboration avec la nation huronne-wendate

Les Hurons-Wendat de Wendake se considèrent comme les gardiens de leur passé archéologique en Ontario, même s’ils vivent au Québec depuis le début du xviie siècle, à des centaines de kilomètres de leur terre natale, et en dépit des dispositions de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario qui accordent la mainmise du matériel archéologique découvert à des archéologues professionnels ayant un permis émis par le gouvernement – et non aux Hurons-Wendat. Ces derniers valorisent les études archéologiques sur leurs sites ancestraux, mais avec le moins de perturbation possible surtout parce qu’ils ont la responsabilité de protéger leurs ancêtres enterrés (Michel Gros-Louis, comm. pers. 2015 ; Sioui 1999 : 216). Comme le déclarait le grand chef Konrad Sioui de la nation huronne-wendate, dans le contexte de la perturbation des sépultures ancestrales huronnes-wendates sur le site Allandale Station de Barrie, en Ontario :

Nous sommes outrés de constater que cette situation semble perdurer depuis des années, le tout à notre insu. […] Nous déplorons vivement cette immense profanation de nos ancêtres. Le site d’Allandale Station et les sépultures qui s’y trouvent sont sacrés et doivent être protégés. Les restes humains hurons-wendat ne doivent en aucun cas être perturbés, sous aucun prétexte.

cité dans Jackson 2016

Les Hurons-Wendat interdisent que se fassent sans permission la fouille et l’étude de restes de leurs ancêtres et ils ont travaillé très activement à rapatrier ceux qui avaient été précédemment excavés (Pfeiffer et Lesage 2014). En 2013, les restes squelettiques de mille sept cent soixante Hurons-Wendat exhumés par des archéologues des décennies plus tôt ont été remis en terre dans l’ossuaire Thonnakona près de Kleinburg (ibid.), ce qui rappelle la remise en terre en 1999 des restes de cinq cent soixante Hurons-Wendat dans l’ossuaire Ossossane du comté de Simcoe (Kapches 2010). L’excavation de tout village huron-wendat risque de perturber des sépultures humaines (voir p. ex. Knight et Melbye 1983).

Les pratiques de l’archéologie contractuelle et de la recherche archéologique en Ontario se font la plupart du temps en consultation constante avec les peuples autochtones, conformément aux récentes Normes et lignes directrices à l’intention des archéologues-conseils (MTC 2011a) et aux exigences formulées dans le bulletin La participation des communautés autochtones au processus archéologique, projet de bulletin technique à l’intention des archéologues-conseils de l’Ontario (MTC 2011b). Depuis 2006, des membres de la communauté autochtone participent activement à l’archéologie contractuelle en qualité de surveillants de travaux archéologiques, travaillant avec des archéologues même s’il n’existe aucune exigence légale sinon la « consultation » et la « participation » (Ferris et Welch 2015). Les Hurons-Wendat placent des inspecteurs (qui reçoivent dans certains cas une formation sur le travail de terrain et participent activement à la fouille des sites) sur des projets contractuels en Ontario, spécialement la fouille de villages. Ils agissent comme les yeux et les oreilles de la communauté et s’assurent que les restes ancestraux soient traités avec le plus grand soin et le plus grand respect. Certains archéologues prétendent que les peuples autochtones qui font du travail archéologique contractuel sur le terrain contribuent à la mainmise de l’État et des sociétés commerciales sur les terres, les ressources et les sites archéologiques autochtones (Hutchings et La Salle 2015 ; La Salle 2010) et l’encouragent. Mais les Hurons-Wendat ne considèrent pas cette participation comme une cession ni une compromission de leurs droits ni de leur souveraineté sur leurs sites et territoires ancestraux. Bien au contraire (Hawkins et Lesage 2016). Par leur participation active aux travaux archéologiques depuis 2006, les Hurons-Wendat ont créé des liens et même des amitiés avec des archéologues en Ontario, contribuant ainsi à la promotion de la protection du patrimoine archéologique et au renforcement de leurs droits sur les territoires ancestraux. Par exemple, Louis Lesage (Bureau du Nionwentsïo, Nation huronne-wendate) a joué un rôle central de collaboration (Williamson 2014), apportant ses connaissances culturelles et sa perspective scientifique aux études et contribuant à l’interprétation de plusieurs projets de recherche archéologique hurons-wendat en collaboration avec des archéologues et d’autres chercheurs (Glencross et al. 2017 ; Hawkins et Lesage 2016 ; Pfeiffer et Lesage 2014 ; Pfeiffer, Sealy et al. 2016 ; Warrick et Lesage 2016). Autrement dit, la participation des Hurons-Wendat au travail sur le terrain et à la recherche archéologique est une forme de pratique archéologique (de l’archéologie en soutien aux droits des autochtones) [Ferris et Welch 2015]. En Ontario, le partenariat croissant entre les archéologues et les communautés autochtones comme les Hurons-Wendat envoie un message fort au gouvernement de l’Ontario : les communautés autochtones aspirent à un contrôle plus actif sur la préservation et l’interprétation de leur patrimoine archéologique comme affirmation de leurs droits (Nations unies 2008).

Les archéologues qui travaillent en partenariat avec les communautés autochtones font face à des défis éthiques, politiques et pratiques parfois si énormes que des projets collaboratifs ou communautaires peuvent se révéler impossibles à réaliser (p. ex. Supernant et Warrick 2014). En ce qui concerne l’éthique, tout archéologue travaillant avec des groupes autochtones doit reconnaître que ces derniers sont les propriétaires légitimes et les gardiens de leur passé archéologique, peu importe l’éthique de certains organismes archéologiques (comme la Society for American Archaeology [Groarke et Warrick 2006]) et la Loi sur le patrimoine de l’Ontario (1990) qui prétendent le contraire (Zimmerman 2013). Poussant encore plus loin le principe de l’éthique de la propriété autochtone, les archéologues universitaires qui travaillent sur des sites et des artéfacts hurons-wendat devraient solliciter le consentement de la communauté avant d’entreprendre des analyses et des recherches pour s’assurer, en premier lieu, que tous les protocoles culturels sont dûment respectés et pour éviter tout préjudice à la communauté (Ferris et Welch 2015) ; et, en second lieu, que les projets de recherche enrichiront les connaissances autant des chercheurs que de la communauté. Dans l’esprit de l’archéologie postcoloniale et autochtone (Preucel et Cipolla 2008), une archéologie véritablement collaborative devrait faire participer les Hurons-Wendat comme administrateurs des recherches archéologiques, cochercheurs et co-auteurs des rapports et des publications (Colwell 2016). Bien que l’archéologie collaborative entre archéologues-chercheurs et Hurons-Wendat commence à voir le jour (Glencross et al. 2017 ; Hawkins et Lesage 2016 ; Pfeiffer et Lesage 2014 ; Warrick et Lesage 2016), l’archéologie en Ontario a encore un long chemin à parcourir pour passer d’une participation/partenariat à une archéologie véritablement collaborative ou autochtone, surtout pour l’archéologie contractuelle. Si les lois sur l’altération et l’aménagement des propriétés privées en Ontario continuent d’avoir la priorité sur les droits des autochtones pour la protection des sites et du matériel archéologiques, la majeure partie de l’archéologie huronne-wendate ne sera jamais collaborative malgré les meilleures intentions des archéologues-consultants qui ne sont pas uniquement intéressés à tirer un profit des fouilles avant l’aménagement du territoire.

Des considérations politiques interviennent dans toutes les relations de travail entre les archéologues et les Hurons-Wendat. Sur la base de la tradition orale, les Hurons-Wendat maintiennent que leurs ancêtres ont occupé le centre-sud et l’est de l’Ontario ainsi que la vallée du Saint-Laurent (combinant des territoires reconnus archéologiquement comme appartenant aux Hurons-Wendat et aux Iroquoiens du Saint-Laurent) [Gaudreau et Lesage 2016 ; Lainey 2006 ; Richard 2016 ; Warrick et Lesage 2016]. Cependant, les prétentions des Hurons-Wendat, selon lesquelles les territoires des Iroquoiens du Saint-Laurent et les territoires correspondants de l’est de l’Ontario et du Québec étaient des territoires ancestraux des Hurons-Wendat, ne sont pas vraiment acceptées par la communauté archéologique de l’Ontario et du Québec. La plupart des archéologues considèrent les Hurons-Wendat et les Iroquoiens du Saint-Laurent comme deux groupes ethniques liés mais distincts (Chapdelaine 2004 ; Gates St-Pierre 2016). En outre, les revendications ancestrales des Hurons-Wendat relativement aux sites archéologiques des Iroquoiens du Saint-Laurent dans l’est de l’Ontario et au Québec sont contestées par d’autres nations autochtones, comme les Mohawks (Mohawk Council of Akwesasne 2015 : 9). De même, le contrôle des restes archéologiques autochtones dans le territoire ancestral huron-wendat de la région de Toronto est contesté par les Six Nations de la rivière Grand et les Mississaugas de New Credit (Ferris 2014 ; Williamson et MacDonald 2015). Cela complique politiquement la tâche des archéologues qui travaillent sur des sites ou des artéfacts considérés comme hurons-wendat dans la région de Toronto, puisque d’autres nations autochtones exigent d’être consultées, contestant les prétentions exclusives des Hurons-Wendat quant à la propriété du matériel archéologique dans leurs territoires ancestraux en Ontario (Williamson et MacDonald 2015). Les archéologues qui interviennent dans le sud de l’Ontario doivent être conscients que la reconnaissance et la promotion des droits des Hurons-Wendat pour des sites et des régions archéologiques peuvent aliéner les droits d’autres nations autochtones. Les archéologues qui oeuvrent au nom d’une nation autochtone donnée peuvent se retrouver au milieu d’un terrain politiquement miné en raison de conflits d’intérêts sur le passé archéologique et les revendications des terres ancestrales (Supernant et Warrick 2014).

Outre l’éthique et la politique, des défis pratiques attendent tout archéologue qui travaille avec les Hurons-Wendat en Ontario. Il y a d’abord la distance. Plusieurs centaines de kilomètres séparent Wendake des sites ancestraux du centre-sud de l’Ontario. Le transport, le logement et le salaire des surveillants de chantier archéologique hurons-wendat peuvent être coûteux. La langue peut aussi être un défi. La nation huronne-wendate de Wendake est francophone. La plupart des Hurons-Wendat comprennent et parlent l’anglais, mais le français est leur langue des affaires et de communication quotidienne. Peu d’archéologues de l’Ontario sont partiellement ou parfaitement bilingues et ils doivent avoir recours à des archéologues capables de servir d’interprètes. Enfin, les liens d’amitié créés avec des Hurons-Wendat peuvent changer considérablement lors du renouvellement du conseil de bande et du chef au moment des élections. Chez les Premières Nations, la politique peut être largement influencée par certaines familles ; les rivalités politiques peuvent provoquer le remplacement des porte-paroles officiels de la communauté en matière d’archéologie. Les archéologues doivent donc faire preuve de souplesse et être disposés à s’adapter aux fluctuations politiques dans toute communauté des Premières Nations.

Protection de l’archéologie huronne-wendate en Ontario

En réponse aux appels des Hurons-Wendat pour que leur patrimoine archéologique en Ontario soit mieux protégé, les archéologues peuvent apporter des changements tant dans leur propre comportement que dans celui des gouvernements. Les principales menaces possibles pour les sites archéologiques hurons-wendat sont l’archéologie contractuelle, suivie de la recherche et du pillage lors de collecte illicite d’artéfacts. Comme mentionné précédemment, il sera difficile d’éliminer ou de réduire le pillage de sites hurons-wendat. Malgré les bonnes intentions (Hawkins et Raynor 2012), apprendre aux propriétaires à surveiller les sites établis sur leur propriété et confier à des archéologues amateurs locaux le soin de dissuader les pilleurs pourrait être efficace dans certains cas, mais il y a vraiment trop de sites et trop peu d’inspecteurs pour qu’un tel programme diminue véritablement le pillage des sites dans une région comme le comté de Simcoe, à plus forte raison dans tout le centre-sud de l’Ontario. Les stratégies possibles pour réduire le pillage seraient que le gouvernement embauche des agents de conservation du patrimoine, qu’il acquière les sites les plus significatifs et qu’il les protège à l’aide de clôtures, et, de plus, qu’il augmente les sanctions (amendes et peines de prison). Mais, même en présence d’un programme gouvernemental concerté pour réduire le pillage archéologique, il y a simplement trop de sites à surveiller et pas assez de fonds pour en protéger ne serait-ce qu’une poignée.

S’il est impossible de réduire efficacement la perturbation des sites hurons-wendat par le pillage, en revanche il est possible d’atténuer celle qui est due aux archéologues. Les archéologues chercheurs qui travaillent sur des sites et des artéfacts hurons-wendat sont particulièrement bien placés pour réduire les perturbations en pratiquant une archéologie durable (Ferris et Welch 2014 ; Glencross et al. 2017), que ce soit en ayant recours à des techniques minimalement invasives (cartographie des sites par géophysique – voir p. ex. Birch 2016 ; Hodgetts et al. 2016), en effectuant le moins de sondages possible, ou encore en utilisant des techniques de récupération à 100 % ou en étudiant les collections existantes d’artéfacts (Glencross et al. 2016) [fig. 1]. Les archéologues contractuels ont un peu moins de possibilités pour réduire les perturbations lors de l’évaluation et de la mise en place de mesures d’atténuation (MTC 2011a et 2011b), mais ils peuvent se faire entendre haut et fort quand vient le temps de recommander d’épargner les sites hurons-wendat lors de l’aménagement du territoire.

Figure 1

Localisation des maisons-longues d’après un relevé de susceptibilité magnétique du site Ahatsistari (BeGx-76) en 2014-2015, un exemple d’archéologie non invasive sur un site huron-wendat

Localisation des maisons-longues d’après un relevé de susceptibilité magnétique du site Ahatsistari (BeGx-76) en 2014-2015, un exemple d’archéologie non invasive sur un site huron-wendat
Avec l’aimable autorisation d’Ed Eastaugh, département d’anthropologie, Université Western, London

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Le gouvernement de l’Ontario a protégé seulement un petit nombre de sites archéologiques autochtones importants par désignation aux termes de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario (1990) ou par achat pur et simple (p. ex. le site Ellery, un village huron-wendat du xviie siècle dans le comté de Simcoe, acheté dans les années 1990 pour le mettre à l’abri de l’extraction de granulats [Alicia Hawkins, comm. pers. 2017]). Les principales raisons pouvant expliquer le manque de protection par le gouvernement des sites hurons-wendat sont : la pression exercée par les promoteurs immobiliers (la plupart des sites sont sur des terrains privés) ; le manque de fonds pour acheter des sites ; la rareté des agents de conservation archéologique (police du patrimoine) ; et l’absence de membres de la communauté huronne-wendate en Ontario.

Le cas du site Skandatut constitue un bon exemple des difficultés de préservation à long terme des sites archéologiques hurons-wendat. Le village Skandatut (AlGv-193) et l’ossuaire Kleinburg (AlGv-1) sont des sites historiquement associés qui datent des années 1580-1600, témoignant de la dernière communauté huronne-wendate sur la rive nord du lac Ontario à se joindre à la confédération huronne-wendate dans le comté de Simcoe (Williamson 2010 : 16-19). En 2002, la propriété où se trouve Skandatut avait subi les contrecoups d’un lotissement. C’est une évaluation standard de la propriété par la firme Archaeological Services inc. (ASI) qui a mené à la découverte du site. En 2005, le ministère du Tourisme, de la Culture et du Sport (MTCS) avait approuvé des fouilles de sauvetage à l’encontre des recommandations initiales de l’ASI et, en 2006, les Hurons-Wendat ont exigé du MTCS que les fouilles cessent, en solidarité avec l’occupation par les Six Nations du lotissement Douglas Creek Estates à Caledonia (Dent 2016 : 334-336). Le promoteur n’a tenu aucunement compte des Hurons-Wendat et du MTCS et a fait appel à un archéologue contractuel pour terminer la fouille de Skandatut en 2010 (Dent 2016 : 336). Des professionnels membres de l’Ontario Archaeological Society (y compris l’auteur cet article), sous la houlette de Neal Ferris, ont demandé que la Province impose un ordre de cessation des travaux d’excavation et qu’elle protège le site aux termes de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario (Warrick et al. 2010). À la lumière des solides arguments en faveur de la préservation de Skandatut par la nation huronne-wendate et les archéologues, le promoteur a cédé le terrain à la TRCA (Toronto and Region Conservation Authority) en 2012 (Ferris 2012). En 2013, les Hurons-Wendat ont remis en terre, sur cette propriété, mille sept cent soixante de leurs ancêtres rapatriés pour en assurer la protection permanente (Pfeiffer et Lesage 2014). Enfin, en 2014, la Ville de Vaughan a approuvé un plan secondaire pour la protection du site et des terrains adjacents contenant l’ossuaire Kleinburg (Dent 2016 : 336-337 ; Ferris 2014 ; Williamson 2014). Malheureusement, au printemps de 2017, la Ville a résilié sa protection de la propriété Skandatut avec comme résultat son retrait du plan de la ceinture de verdure et une modification officielle au plan (OPA744) qui permettait au propriétaire foncier de mettre en valeur une propriété voisine du site Skandatut. Vaughan a proposé d’intégrer les Hurons-Wendat et la TRCA dans les négociations avec le propriétaire foncier afin de protéger la périphérie du site dans le cadre d’un parc, mais les Hurons-Wendat se sont opposés à la résiliation de la protection du site et exigent qu’une évaluation archéologique du site Skandatut en détermine clairement les limites afin de prévenir tout impact d’une mise en valeur du village ou du cimetière adjacent (Mélanie Vincent, comm. pers., 6 juin 2017).

Le cas du site Skandatut démontre qu’une bonne stratégie pour protéger les sites et les paysages archéologiques hurons-wendat en Ontario passe par des partenariats entre les Hurons-Wendat, les archéologues, les municipalités et le gouvernement de la province (Dent 2016). Agissant pour le compte de la province de l’Ontario, la Fiducie du patrimoine ontarien (FPO) est idéalement placée pour agir comme organisme officiel pour aider les Hurons-Wendat à protéger leurs sites et paysages ancestraux, en partenariat avec les propriétaires privés et les municipalités. La FPO est un organisme de fiducie foncière dont la mission est la préservation et l’interprétation publique du patrimoine et des sites culturels et naturels de l’Ontario importants à l’échelle provinciale (il faudrait que les sites archéologiques hurons-wendat soient considérés comme importants à l’échelle provinciale pour que la FPO puisse garantir leur protection). La FPO est l’intendante de 27 propriétés patrimoniales culturelles et de 160 propriétés naturelles par le biais de dons et de servitudes du secteur privé, elle protège 85 sites archéologiques enregistrés, dont un village iroquoien tardif et un site villageois huron-wendat (Emmerson Springs et Thomson-Walker respectivement [Doroszenko 2007 ; FPO 2017]). L’Ontario doit augmenter le financement de la FPO pour la préservation des sites archéologiques.

Dans l’esprit de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones [DDPA] (Nations unies 2008) et de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (Appels à l’action – CVR 2015) et dans le respect des traités, la préservation du patrimoine archéologique huron-wendat en Ontario exigera une approche de conservation des terres. L’augmentation du nombre des servitudes de conservation de la FPO serait un excellent point de départ, mais exigerait un énorme engagement financier de la part de l’Ontario (actif de l’Archaeological Conservancy des États-Unis : 40 millions de dollars ; Conservation de la nature Canada : 750 millions de dollars [CNC 2015]). La Province pourrait générer des fonds pour la FPO en imposant une taxe sur l’aménagement du territoire et en investissant tous les revenus générés dans une fiducie de conservation des terres qui servirait à acheter et à protéger des sites archéologiques et des paysages hurons-wendat importants.

Selon le ministère des Relations avec les Autochtones et de la Réconciliation de l’Ontario (aujourd’hui le ministère des Affaires autochtones), la Province s’est engagée à se réconcilier avec les peuples autochtones en réponse aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR 2015) – ce qui comprend le soutien à la revitalisation de la culture autochtone. L’archéologie autochtone, qui fait partie de ce plan de revitalisation culturelle, a reçu des fonds supplémentaires en 2016-2018 (MRAR 2016), et si l’Ontario souhaite vraiment respecter les traités avec les peuples autochtones et souscrire légalement aux principes de la DDPA (Nations unies 2008) et aux appels à l’action de la CVR (2015), il doit engager des fonds pour s’assurer que ces peuples soient reconnus par la Loi sur le patrimoine de l’Ontario comme les gardiens de plein droit de leur patrimoine archéologique. Toute perturbation de ce patrimoine ne peut se faire qu’après consultation avec les nations autochtones visées et leur consentement préalable, libre et éclairé (Warrick 2017). Il est impossible d’éviter des impacts sur tous les sites et paysages archéologiques dans les projets d’aménagement, mais le gouvernement de l’Ontario ne doit ménager aucun effort raisonnable pour acheter et/ou protéger les sites et paysages qui ont une signification particulière pour les peuples autochtones, tels les villages et les sites d’inhumation.

Pour les Hurons-Wendat, la protection des villages ancestraux et des cimetières et ossuaires connexes est considérée comme importante depuis longtemps et a été officialisée en 2015 par une résolution du Conseil de la nation huronne-wendate (Louis Lesage, comm. pers. 2017). Le souci premier des Hurons-Wendat est la protection des restes humains de leurs ancêtres, mais ils souhaitent aussi protéger leurs villages comme étant les dépositaires des connaissances culturelles et scientifiques et en rappelant à tous que l’Ontario est aussi leur territoire, et pas seulement Wendake au Québec (Pfeiffer et Lesage 2014). Lorsque leurs villages ne peuvent pas être protégés du développement, les Hurons-Wendat encouragent l’installation de plaques commémoratives sur les sites excavés autant pour rappeler l’histoire, les traditions et le patrimoine hurons-wendat que pour rappeler aux communautés locales qu’elles vivent sur des terres huronnes-wendates ancestrales (p. ex. la plaque de la Fiducie du patrimoine ontarien dévoilée en août 2017 au site Jean-Baptiste Lainé Yändata’yehen’ [dit aussi site du village Mantle, AlGt-334] dans la municipalité de Whitchurch-Stouff en Ontario – voir fig. 2). Les archéologues qui travaillent en collaboration avec les Hurons-Wendat, les représentants du gouvernement et les propriétaires fonciers peuvent efficacement protéger les sites archéologiques (p. ex. les récents plans de gestion archéologique dans la région de Toronto [ASI 2013]). Comme mentionné précédemment, cependant, les archéologues qui travaillent solidairement avec les Hurons-Wendat doivent résister à la politique autochtone. Les revendications sur les terres, les ressources et les sites archéologiques par d’autres communautés autochtones peuvent chevaucher celles des Hurons-Wendat et leur faire concurrence. Les archéologues ne peuvent pas – et ne devraient pas – tenter de résoudre unilatéralement des revendications concurrentes entre nations autochtones pour les terres, les ressources et les sites archéologiques, car cela peut nuire aux revendications quant à leur souveraineté et à leurs droits (Supernant et Warrick 2014 ; Warrick et Lesage 2016). Les nations autochtones sont les seules capables de résoudre des revendications qui se chevauchent ou qui entrent en concurrence concernant les terres et les ressources – et il y a déjà eu des précédents en Ontario concernant ce processus politique (Ferris 2014 ; Nahrgang 2013 ; Williamson et MacDonald 2015).

Figure 2

Plaque de la Fiducie du patrimoine ontarien sur le site Jean-Baptiste Lainé Yändata’yehen’ (aussi dit « site du village Mantle » [AlGt-334]), rédigée en langue huronne-wendate et érigée le 25 août 2017

Plaque de la Fiducie du patrimoine ontarien sur le site Jean-Baptiste Lainé Yändata’yehen’ (aussi dit « site du village Mantle » [AlGt-334]), rédigée en langue huronne-wendate et érigée le 25 août 2017
Photo Gary Warrick

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Conclusion

Le contrôle des Hurons-Wendat sur leur patrimoine archéologique en Ontario fait partie d’un enjeu politique beaucoup plus vaste et légitime sur la question de leur souveraineté. Les archéologues qui travaillent avec les Hurons-Wendat doivent appuyer les droits de ces derniers sur le contrôle de leurs sites ancestraux, comme prévu par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (Nations unies 2008). Mais, en tant qu’alliés solidaires des Hurons-Wendat, les archéologues qui travaillent avec eux doivent s’assurer de s’exprimer au nom du patrimoine archéologique et non pas au nom des Hurons-Wendat. Ces derniers s’intéressent aux conclusions de l’archéologie, mais ils ont en même temps la responsabilité de veiller sur leurs ancêtres et de voir à ce que les traces physiques de ceux-ci soient préservées et ne soient pas perturbées à moins de nécessité absolue. Les archéologues de l’Ontario qui désirent seconder les Hurons-Wendat sont les mieux placés pour sensibiliser le public, les promoteurs, les planificateurs municipaux et le gouvernement de l’Ontario sur la nécessité de réduire les fouilles archéologiques et de mieux veiller à la préservation et à la protection in situ des sites hurons-wendat. En outre, pour les collections archéologiques huronnes-wendates entreposées sur les étagères des universités, des musées et des entrepôts de firmes d’archéologie contractuelle, les archéologues doivent s’assurer qu’elles sont bien conservées afin que la recherche future par des étudiants des cycles supérieurs et par les Hurons-Wendat eux-mêmes puisse contribuer à l’élaboration et à l’interprétation de l’histoire des Hurons-Wendat en Ontario (Ferris et Welch 2014). Le peuple huron-wendat contemporain et futur réécrira finalement son histoire dans le cadre de l’histoire du pays, mais cela exigera l’accès total aux collections et aux données archéologiques. Les archéologues de l’Ontario doivent s’investir davantage sur le plan politique comme alliés des Hurons-Wendat pour protéger leur patrimoine archéologique sur le terrain et militer en faveur d’un libre accès aux collections et aux données archéologiques pour les Hurons-Wendat et les autres peuples autochtones.