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Ce livre est publié sous la direction de Pierre Gisel, professeur honoraire d’histoire des théologies, des institutions et des imaginaires chrétiens à la Faculté de théologie et des sciences des religions, Université de Lausanne, de même que Jean-Pierre Tétaz, théologien et philosophe.

Cet ouvrage collectif est publié à « l’occasion du 500e anniversaire de l’affichage des thèses de Luther sur les indulgences, auquel on renvoie communément la naissance de la Réforme protestante » (p. 5). Il vise non pas à simplement décrire ou actualiser la Réforme, mais à y porter un regard critique dans une distance (temporelle et contextuelle) bien assumée. Il ne s’agit pas d’idéaliser la Réforme, ni d’en faire un modèle à suivre en tous points, mais d’en recontextualiser le moment, et réfléchir à ses aspérités.

L’ouvrage, après une excellente introduction, se déploie en trois parties, chacune étant elle-même précédée d’une introduction très aidante, permettant de situer les propos. D’abord, « Les Réformateurs face au judaïsme » décrit et articule les rapports lourds et complexes entretenus face au judaïsme. On retiendra entre autres le couplage « refus du judaïsme — mise en avant de la Bible » comme un riche locus théologique. De plus, les différences entre Luther et Calvin permettent une lecture plus riche et nuancée des relations possibles entre protestants et juifs aujourd’hui.

Dans la deuxième partie, le thème de la liberté, qui fut longtemps associé inéluctablement à la Réforme, est traité avec beaucoup de nuances. Il est bien argumenté, en effet, que la recherche historique moderne ne permet plus d’établir un lien direct entre la conception moderne de la liberté et le protestantisme, comme si celui-ci en était l’origine ; de même, la notion de la liberté de conscience n’implique pas automatiquement la liberté religieuse. Par contre, le livre souligne bien que Hegel et Kant, dans le sillon du protestantisme, portent en eux des thématiques intimement reliées à la liberté.

Enfin, la troisième partie explore le Dieu caché et le Dieu révélé, et plus particulièrement le rapport que ces deux aspects entretiennent dans le protestantisme lui-même. Luther se déclare lui-même un théologien de la croix ; or il n’est pas évident que sur la croix, Dieu se révèle. On note ici la belle formule de Pierre Gisel, à savoir que « le caché (est) partie intrinsèque du révélé » (cf. p. 107). On mesure la pertinence en se rappelant que ce thème prendra une place inévitable dans la théologie protestante du 20e siècle.

Le chapitre de conclusion, intitulé « Qu’est-ce que réformer une religion ? », se veut un balisage de pistes dans lesquelles pourrait s’inscrire un renouveau. Cette partie, amplement pertinente, accomplit efficacement le titre énoncé, soit de « revisiter » la Réforme ; on en tire des suggestions fort valables pour notre temps, et pour toute religion.

Ce livre original et bien documenté invite à la réflexion, non premièrement sur un événement historique, mais sur son apport quant aux enjeux, aux suites. En décrivant les différences de contexte, il aide à nous situer et à jeter un regard nouveau sur le chantier toujours présent de l’Église Réformée, « toujours à réformer (reformanda) » (p. 11-12). Enfin, il apparaît heureux que, dans la liste des auteurs, l’on trouve non seulement une très brève description de leurs fonctions professionnelles, mais également de leurs intérêts et publications, ce qui est trop rare dans ce genre d’ouvrages. Cela permet d’aller plus loin en compagnie de ces auteurs, mais aussi de comprendre leurs domaines d’expertises, ce qui jette une lumière sur les écrits du présent ouvrage.