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1. Introduction

Dans le contexte européen et international, depuis une dizaine d’années, nous sommes les témoins d’une crise qui, de financière, bancaire et boursière au début, est devenue économique, sociale et politique par la suite. Les changements du vocabulaire suivent de près la dynamique de la société : le lexique, étant la composante la plus socialisée de la langue, essaie de refléter de son mieux et le plus vite possible cette évolution (Mladin 2009).

Notre recherche porte sur les termes de cette crise et, en particulier, sur les termes directement liés à la crise économique grecque. Notre point de départ est un glossaire multilingue, établi en 2013, rassemblant un nombre représentatif de ces termes apparus jusqu’alors (800 entrées environ) et proposant leurs équivalents en plusieurs langues. Vu que ce glossaire a été établi de manière intuitive à partir de diverses sources aussi bien spécialisées que vulgarisées, et non pas à l’aide des corpus, nous nous proposons ici de vérifier les occurrences de ses termes dans des corpus déjà existants dans trois de ces langues (français, anglais, grec) par le biais de la plateforme Sketch Engine. Notre objectif premier est d’étudier leur fréquence et leur éventuelle variation et de décrire leur comportement en contexte. Des corpus, comme ceux qui reposent sur des données larges, diversifiées et disponibles, nous permettront de valider l’emploi de ces termes qui ne sont pas encore tous encodés dans les bases de données terminologiques et les ouvrages de référence existants et de répertorier la variation des équivalents en traduction. De plus, notre démarche s’inscrit dans la double perspective non seulement de mettre à jour, compléter et enrichir le glossaire en question mais aussi de proposer aux traducteurs et rédacteurs techniques de la presse et des médias les corpus comme un outil d’aide et une ressource de référence efficace.

Dans ce qui suit, nous présentons d’abord le contexte général dans lequel s’inscrit l’ensemble des termes qui font l’objet de cette étude, puis la méthode de notre analyse basée sur des corpus disponibles sur le Web. Ensuite, nous analysons les termes recherchés selon leur type et catégorie propres et discutons leurs spécificités et différences interlinguistiques. Enfin, nous résumons les résultats de la recherche et proposons des pistes possibles pour la continuation de ce travail.

2. Contexte général et terminologie de la crise

2.1. Le contexte socio-économique grec (2008-2017)

La crise de la dette publique grecque s’inscrit dans le cadre d’une crise financière plus large, européenne et internationale. Nous citons pour mémoire les principaux faits qui ont marqué cette période sur le plan économique, politique et social en Grèce. Au niveau économique, la crise grecque a débuté en 2008, à la suite de turbulences sur les marchés financiers aux États-Unis et la faillite de Lehman Brothers, dont les conséquences ont pris rapidement une ampleur universelle. En 2010, le gouvernement grec a demandé officiellement le déclenchement d’un dispositif d’aide auprès de l’Union européenne et du Fonds monétaire international. Depuis cette date, la Grèce a connu de multiples plans d’austérité (compressions budgétaires, réformes fiscales, réductions de salaire) et plusieurs aides internationales. Le pays est soumis à une pression sans précédent avec 28 % des Grecs au seuil de la pauvreté (Eurostat, mars 2012), le chômage ayant explosé de 7 à 27 % dans un intervalle de cinq ans (2008-2013). Le pays connaît une période d’instabilité politique, les bouleversements sont constants, les élections nationales s’enchaînent et les gouvernements multipartites ou de coalition se succèdent. Un climat d’euroscepticisme intense s’installe parmi les citoyens. Sur le plan social, le malaise est généralisé. Il va de la dépression, individuelle et collective, à la mobilisation populaire et la révolte au moyen de grèves, de manifestations de divers groupes sociaux (employés, fonctionnaires, chômeurs, retraités, étudiants) et de grands mouvements de résistance civile (« Indignés », « Je ne paie pas »).

Dans la conscience des Grecs, l’ère de la crise se divise essentiellement en deux phases jusqu’ici : avant et après 2015. À la suite des élections de janvier 2015, le gouvernement de gauche essaie d’établir une nouvelle stratégie, mais aussi une nouvelle phraséologie pour remplacer les mots qui fâchent (tels que troïka, mémorandum ou plan de sauvetage). Les termes chargés de connotations négatives ont été rapidement remplacés par des termes nouveaux et des euphémismes (par exemple, lesinstitutions au lieu de troïka, nos partenaires pour parler des autres pays de la zone euro, le plan-pont pour désigner une extension du plan de sauvetage). Les termes que nous examinons ici ne concernent cependant que la première phase.

2.2. Les caractéristiques du lexique de la crise

La crise en tant que sujet de communication implique, d’emblée, un degré de spécialisation et, comme tout sujet spécialisé, nécessite une langue de spécialité. Néanmoins, selon Cabré (1998 : 121), il n’est pas toujours simple de reconnaître un texte spécialisé uniquement à son sujet, parce que des sujets spécialisés, au sens strict du terme, interviennent souvent dans la vie de tous les jours (phénomène de banalisation, selon Galisson 1978), ce qui est largement le cas avec la crise. De plus :

Chaque langue de spécialité peut être actualisée à des niveaux différents de spécialisation. Le sommet de la pyramide correspond à la communication entre spécialistes et la base à la communication de vulgarisation destinée au grand public. Un texte ne cesse pas d’être spécialisé lorsqu’il vise la vulgarisation ; son degré de spécialisation est tout simplement moindre.

Cabré 1998 : 124

De ce fait, il sera ici question de la terminologie émergente de la crise dans le cadre plus vaste de la communication spécialisée qui englobe langue de spécialité et langue courante.

Le lexique de la crise est en grande partie indissociable de la langue financière et de ses caractéristiques propres (termes, raccourcis, sigles et acronymes, statistiques et notes sophistiquées). Ces dernières années, la langue spécialisée des finances a pénétré de manière presque brutale dans la langue courante et chacun d’entre nous a dû se familiariser avec une pléthore de termes financiers diffusés par les médias et sur le Web. Cette diffusion de connaissances techniques et de termes associés auprès du grand public a créé un discours de vulgarisation essayant de rendre compréhensible cette nouvelle réalité aux non-initiés (Pluta 2010) à travers des textes qui ne s’adressent plus exclusivement à un public de spécialistes. Selon Krimpas (2017), il y a aujourd’hui ce qu’il appelle une « zone grise » entre langue courante et langue spécialisée à propos d’un certain nombre d’expressions financières.

Plusieurs auteurs se sont penchés sur le lexique de la crise pendant ces années (Mladin 2009 ; Kóbor 2011 ; Varoufakis 2011 ; Leblond 2012 ; Anastassiadis-Syméonidis et Nikolaou 2012[1] ; Tsitsanoudis-Mallidis 2013, entre autres). Selon Leblond (2012), si nous cherchons à mettre en évidence les termes et les expressions typiques de la crise, il convient de définir des critères quant à la distribution de leurs occurrences dans la période étudiée, c’est-à-dire d’examiner s’il s’agit d’un terme (ou d’une expression) non attesté ou d’un usage très rare avant la crise et s’il y a un pic d’emploi statistiquement mis en évidence pendant la crise. En effet, dans différentes langues, dont les trois que nous étudions ici (français, anglais, grec), la crise économique « a remis au goût du jour un certain nombre de termes anciens et consacrés par l’usage et en même temps a lancé un bon nombre de termes techniques nouveaux » (Mladin 2009 : 53). Ceux que nous considérons comme termes de la crise ont fait leur apparition ou se sont généralisés dans un contexte général en pleine mutation et, dans ce sens, ils constituent ce que l’on peut appeler un « vocabulaire en gestation » (Guilbert 1975) ou un « lexique émergent » (Larsonneur 2010), à savoir un champ lexical encore instable, associé à des pratiques, des situations ou des artefacts nouveaux. Ce qui caractérise notamment un tel lexique est le « foisonnement terminologique » et la variation synonymique qui accompagnent souvent la naissance et la disparition des termes (Dury et Picton 2009).

Les modes de formation des termes sont bien connus dans la littérature (Rondeau 1981/1984 ; Cabré 1998 ; Humbley 2003 ; 2012, entre autres). La néologie terminologique ou « néonymie » (Rondeau 1981/1984), qu’il s’agisse de néologie primaire (le concept reçoit pour la première fois une dénomination) ou de néologie secondaire (on adapte ou adopte une dénomination qui existe dans la communauté linguistique dont elle est issue), est conçue comme activité de création de nouvelles dénominations dans les domaines de spécialité où l’apparition constante de nouveaux concepts exige une créativité lexicale permanente. En outre, une terminologie nouvelle peut se former à partir de domaines existants par le biais de la mobilité sémantique des termes (Dury et Picton 2009) : mobilité vers d’autres domaines de spécialité, mobilité vers la langue générale (phénomène de déterminologisation selon Meyer et Mackintosh 2000) et, inversement, mobilité de la langue générale vers une langue de spécialité (phénomène de terminologisation). En ce qui concerne le lexique de la crise, ces différents modes de formation sont mis en application.

La particularité du lexique de la crise grecque réside dans le fait qu’il est constitué de termes qui, dans leur majorité, sont formés originellement en grec (pour ce qui est culturellement ancré dans la réalité grecque) ou en anglais (notamment pour ce qui relève de l’économie et des finances). Les néologismes de forme, créés par dérivation ou composition, sont plutôt rares et apparaissent souvent en anglais, par exemple Bankruptocracy ou Grexit. Par contre, la liste est considérablement plus longue pour les syntagmes néologiques formés à base de termes déjà existants, qui eux sont créés en grec et repris par la suite dans les autres langues, par exemple : λίστα Λαγκάρντ (liste Lagarde), συνταξιούχος φάντασμα (retraité fantôme), εργάτες νομάδες (travailleurs nomades) et κόκκινα δάνεια (emprunts rouges).

Particulièrement nombreux sont les emprunts directs à l’anglais en tant que langue internationale de l’économie et des finances, que cela soit des termes simples ou complexes comme spreads, bad bank, bank run et credit default swap, ou des sigles comme CDS, CDO et PSI. On trouve aussi bon nombre de métaphores calquées sur l’anglais : bulle immobilière et φούσκα των ακινήτων (de l’anglais real estate bubble) ; obligation toxique et τοξικό ομόλογο (de l’anglais toxic derivative) ; contraction du crédit et πιστωτική ασφυξία (de l’anglais credit crunch) ; marché du taureau et αγορά ταύρων (de l’anglais bull market, marché haussier) ; et marché de l’ours et αγορά αρκούδων (de l’anglais bear market, marché baissier).

La conversion sémantique des formes existantes est observée dans le cas de termes qui viennent d’un domaine différent. Par exemple, task force (ou force opérationnelle), qui est originellement un terme militaire, peut apparaître aujourd’hui dans un contexte financier tel que :

Enfin, le phénomène de terminologisation est observé pour des mots de la langue courante qui prennent un sens nouveau et spécialisé dans le contexte de la crise, non seulement en anglais (par exemple, haircut), mais aussi en grec. Par exemple, δόση [dose] désigne la tranche d’aide, επέκταση [extension] renvoie au prolongement du plan de sauvetage, διαθεσιμότητα [mise en disponibilité] se réfère à une période spécifique pendant laquelle nombre de fonctionnaires ont été massivement mis en disponibilité avant d’être licenciés, μνημόνιο [mémorandum] désigne l’accord signé entre la Grèce et ses créanciers internationaux et τρόικα [troïka] désigne désormais le comité tripartite des représentants du Fonds monétaire international, de l’Union européenne et de la Banque centrale européenne, alors que les mots μονάδα [unité], φασούλι [haricot] ou ήλιος [soleil] sont utilisés pour désigner les monnaies sociales complémentaires proposées par les communautés locales dans différentes régions.

2.3. Le glossaire multilingue de la crise grecque

Le point de départ de notre étude est le glossaire multilingue Greek Crisis Multilingual Term Project[2] (écrit désormais GCMTP) qui est librement disponible en ligne. Il s’agit d’un travail collectif ayant débuté dans le cadre du cours de terminologie du Master 2 Traduction-Traductologie de l’Université nationale et capodistrienne d’Athènes et réalisé entre octobre 2011 et juin 2013, avec la participation de nombreux contributeurs, étudiants et enseignants, venant de différentes universités grecques. Actuellement, il inclut exactement 822 entrées terminologiques liées à la crise économique grecque. Il constitue un glossaire et, dans ce sens, pour chaque entrée, il ne fournit que les termes équivalents dans chacune des sept langues traitées : grec, anglais, français, allemand, italien, espagnol et turc. En revanche, il ne fournit pas d’autres informations, telles que définitions, exemples d’emploi et notes d’usage (tableau 1). Les termes synonymes (variantes) dans une langue donnée sont numérotés par ordre de fréquence pour cette langue (pas d’équivalence entre les langues ni pour le nombre de variantes ni pour l’ordre de leur fréquence).

Tableau 1

Extrait du glossaire multilingue GCMTP

Extrait du glossaire multilingue GCMTP

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Les données terminologiques qui figurent dans le GCMTP couvrent essentiellement la période 2008-2013, à savoir la première phase de la crise. Selon la documentation du projet[3], le recensement des termes a été effectué de manière plus ou moins intuitive à partir de diverses sources, primaires et secondaires, selon trois critères fondamentaux : la fiabilité de la source, la date de publication (après 2008) et la pertinence thématique (crise économique en Grèce). Les sources primaires utilisées comportent une vaste gamme de documents de différents degrés de spécialisation, tels que la presse économique et politique, les médias, le Web, les textes des protocoles d’accord avec la Grèce, les pages Web de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, alors que les sources secondaires sont plus restreintes, rassemblant essentiellement des ressources terminologiques européennes, notamment la base terminologique multilingue IATE, les glossaires de la Banque centrale européenne et du Parlement européen. L’intérêt de ce glossaire réside dans le fait qu’il ne constitue pas une ressource terminographique réservée aux spécialistes, mais rassemble aussi les termes utilisés dans les médias destinés au grand public.

Les termes du GCMTP appartiennent à une multitude de domaines qui sont tous liés au phénomène général de la crise ; ils sont présentés ci-dessous (tableau 2), suivis de la proportion des termes qui appartiennent à ces domaines respectifs par ordre décroissant et des exemples indicatifs.

Tableau 2

Domaines liés à la crise grecque

Domaines liés à la crise grecque

Tableau 2 (suite)

Domaines liés à la crise grecque

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3. Méthode d’analyse

3.1. La méthodologie des corpus en terminologie et en traductologie

Les corpus de textes électroniques, utilisés depuis longtemps en linguistique, proposent une méthodologie basée sur de vastes banques de données linguistiques empiriques et ont contribué considérablement aux domaines de la lexicographie, de l’enseignement et apprentissage des langues, du traitement automatique des langues ainsi que de la traduction. Selon la définition fournie par Bowker et Pearson : « […] the texts in a corpus are selected according to explicit criteria in order to be used as a representative sample of a particular language or subset of that language » (Bowker et Pearson 2002 : 10). Les corpus nous renseignent sur le fonctionnement de la langue (les fréquences, les tendances) à partir des textes authentiques et nous permettent d’observer les mots en contexte, la fréquence de leur utilisation, les liens qu’ils entretiennent avec leur contexte d’utilisation, les collocations, les connotations, la distribution de la grammaire en fonction du registre ou de la situation d’utilisation, etc. (Tyne 2013). Selon les enjeux de différents critères et objectifs fixés, une typologie de corpus est proposée (corpus de textes, d’échantillons, de référence, spécialisés, monolingues, comparables, parallèles, etc.).

Dans notre étude, nous partons de la constatation signalée par Liczner (2016 : 10) qu’en traduction spécialisée, les ressources terminographiques conventionnelles (dictionnaires spécialisés, glossaires, thésaurus) destinées aux traducteurs ne répondent pas à tous leurs besoins (surtout du point de vue de la production linguistique), ce qui les amène à faire appel à d’autres types de ressources, telles que des documents parallèles, des corpus électroniques, ou bien le Web, afin d’accéder à une multitude de contextes illustrant le comportement des unités terminologiques. Par rapport à la terminologie d’un domaine donné, les corpus spécialisés peuvent servir de deux manières : i) comme un vaste réservoir de connaissances (conceptuelles, linguistiques et pragmatiques) autour des termes ; et ii) comme un vaste réservoir de termes si l’on veut procéder à leur extraction (souvent automatique) et la construction de ressources terminographiques ou de mémoires de traduction. La terminologie textuelle s’intéresse précisément à la construction de terminologies à partir de corpus de données textuelles (Condamines 2005), alors que la traduction spécialisée s’intéresse surtout aux connaissances extralinguistiques (Dancette et Halimi 2005). Aujourd’hui, l’utilisation de corpus en traduction et en traductologie se généralise de plus en plus, comme décrit par Kübler, Bordet, et al. :

Le corpus est […] souvent présenté comme un outil permettant aux praticiens, aux enseignants et aux théoriciens de la traduction de trouver des réponses à leurs questionnements. Le traducteur y cherche des équivalents terminologiques ou phraséologiques, des définitions pour mieux comprendre les termes, la bonne collocation dans la langue cible, etc. En traductologie, le corpus permet de mieux étudier les différentes stratégies de traduction, l’influence de celle-ci sur le texte cible, etc.

Kübler, Bordet, et al. 2010 : 579

Plusieurs travaux portent sur l’utilisation des outils et des méthodes de la linguistique de corpus appliqués en traductologie afin d’assister le traducteur dans son travail à travers le développement d’outils d’aide à la traduction, notamment spécialisée, ainsi que le futur traducteur en formation dans son apprentissage (Aston 1999 ; Bowker et Pearson 2002 ; Zanettin 2002 ; Kübler 2003 ; Pecman et Kübler 2011 ; Dancette et Halimi 2005 ; Philip 2009 ; Loock 2016 ; entre autres). Les modes d’exploitation d’un corpus varient selon les objectifs préalablement fixés. Si certains exploitent les corpus afin d’illustrer leurs affirmations théoriques, d’autres les utilisent afin de tirer des conclusions, appuyées souvent sur des méthodes statistiques, et valider les résultats. Ainsi, soit la théorie préexiste et l’analyse est illustrée, justifiée ou confirmée par les données du corpus (approche « corpus-based »), soit la théorie se construit à partir de données observées qui permettent de formuler des généralisations en termes de règles et d’usage (approche « corpus-driven ») (Tognini-Bonelli 2001 : 85). L’analyse que nous adoptons est de type « corpus-driven », à la fois quantitative (calcul des fréquences) et qualitative (vérification et validation des termes recherchés). Vu que la ressource terminographique en question n’a pas été établie à partir des corpus, nous tâchons d’en tester la fiabilité sur la base des corpus et d’en puiser les informations supplémentaires pouvant être utiles et pertinentes pour le travail des traducteurs traitant du sujet spécifique de la crise grecque.

3.2. Les corpus utilisés

Afin d’étudier et d’analyser l’emploi des termes du glossaire GCMTP dans des textes authentiques, nous avons eu recours à la plateforme Sketch Engine (Kilgarriff, Baisa, et al. 2014), qui permet la consultation, la création, la gestion et l’analyse des corpus dans 90 langues. Comme notre objectif est de vérifier nos données dans des corpus aussi larges et diversifiés que possible pour les trois langues concernées, nous avons opté pour l’utilisation des corpus existants et disponibles sur Sketch Engine. Nous avons donc retenu cinq corpus pour chacune des trois langues. Cette sélection nous a permis de travailler avec des corpus monolingues de grande taille incluant différents genres textuels parus sur le Web, à savoir en français (French Web 2012), en anglais (English Web 2013) et en grec (Greek Web 2014) nous servant de corpus comparables. De plus, nous avons eu accès à des corpus parallèles, c’est-à-dire à des corpus de textes traduits et alignés, notamment des corpus de textes des institutions de l’Union européenne (DGT, EUR-Lex, EUROPARL), ainsi que la partie de la collection des corpus parallèles OPUS disponible via Sketch Engine (OPUS2), ce qui nous a permis d’observer de près les traductions entre langues. Le tableau 3 résume la liste des corpus retenus avec leurs effectifs respectifs en nombre de mots :

Tableau 3

Notre sélection de corpus disponibles sur Sketch Engine

Notre sélection de corpus disponibles sur Sketch Engine

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Néanmoins, une série de remarques d’ordre méthodologique nous semblent nécessaires, avant de procéder à l’analyse des données recensées :

  1. Les sources de nos données ont principalement été les trois grands corpus du Web, notamment pour leur taille importante et, par extension, pour leurs résultats qui illustrent de manière adéquate et suffisamment variée et représentative le discours portant sur la crise tel qu’il a été utilisé dans la langue de tous les jours et dans les médias. Ce choix est justifié par le fait que, comme déjà mentionné plus haut, la majorité des termes du glossaire à tester sont tirés de textes de langue générale. De plus, leur marque chronologique correspond parfaitement à la première période de la crise à laquelle appartiennent les termes recherchés.

  2. Les corpus parallèles ont apporté très peu de résultats à nos requêtes en dehors des termes économiques, financiers et politiques déjà consacrés par l’usage et encodés dans la base IATE. Par ailleurs, un problème majeur avec les corpus parallèles en ligne, comme EUROPARL, est qu’il n’est pas possible de savoir quelle est la langue source et quelle est la langue cible d’un texte donné. Dans nos requêtes, nous avons focalisé sur des comparaisons interlinguistiques, sans compter la direction de la traduction.

  3. Pour bien mettre en évidence les propriétés, emplois et spécificités de ces termes en contexte, nous avons voulu tirer profit de toute la gamme des outils offerts par Sketch Engine, à savoir les concordances (Concordance), les constructions syntaxiques (Word Sketch), les associations entre termes ayant la même distribution (Thesaurus) et les co-occurrents les plus récurrents (Collocation Candidates).

  4. La principale contrainte que nous avons rencontrée en entreprenant cette recherche a porté sur l’indisponibilité pour le grec des outils basés sur la fonctionnalité de l’analyseur morphosyntaxique (c’est-à-dire : Word Sketch, Sketch Diff, Bilingual Word Sketch). Par conséquent, nous avons été contraintes de ne pas profiter pleinement de l’outil et de faire les comparaisons à la main, surtout à partir des collocations et des concordances. Pourtant, cette situation vient de changer très récemment (novembre 2017), grâce à une mise à jour de la plateforme, ce qui nous a amenées à reprendre les requêtes effectuées.

  5. Enfin, un dernier paramètre à signaler est le fait que les différences entre les trois langues quant à la taille des corpus disponibles sont considérables. En effet, les corpus grecs sont, dans tous les cas, les plus réduits, ce qui doit être pris en considération dans l’analyse des données.

4. L’analyse des données

Avant de passer à l’analyse des données, nous avons voulu vérifier les représentations et les préoccupations que les étrangers exprimaient à propos de la Grèce vu que le pays a longtemps fait la une des médias internationaux. En calculant les cooccurrences du nom du pays, Grèce et Greece respectivement, nous avons observé sans surprise que la présence internationale du pays apparaissait liée quasiment exclusivement aux notions de la crise économique, de la dette publique, du plan de sauvetage ou de la sortie de la zone euro. Afin d’obtenir un panorama des expressions linguistiques pertinentes, nous avons utilisé les deux corpus French Web (2012) et English Web (2013) que nous avons interrogés en parallèle à l’aide de l’outil Bilingual Word Sketch. Ainsi, en anglais, Greece apparaît en tant que sujet des verbes tels que default, borrow, owe, restructure, ratify, collapse, fail, exit, leave, withdraw, face, struggle, negotiate et remain. Il en est de même en français, où le terme Grèce apparaît en position sujet des verbes comme rembourser, restructurer, emprunter, dévaluer, tricher, endetter, paralyser, menacer, confronter, ratifier, ainsi que des locutions verbales comme être en faillite et être en défaut de paiement. Les résultats de cette requête sont présentés dans l’annexe 1.

Même si cette requête rend des résultats intéressants en ce qui a trait aux collocations autour du nom de la Grèce (informations qui d’ailleurs ne figurent pas dans le glossaire), l’essentiel de notre recherche suit la voie inverse : nous partons des termes du glossaire pour les rechercher dans les corpus. Afin de couvrir une partie représentative des entrées du glossaire, la sélection des termes étudiés a été faite selon les trois grandes catégories suivantes : les anglicismes, les néologismes de forme, les termes culturellement marqués. Les comparaisons entre les trois langues constituent la dernière partie de notre analyse.

4.1. Les anglicismes

La première des catégories de termes étudiés rassemble les termes financiers qui sont des emprunts directs à l’anglais et qui ont été largement discutés par les médias et les institutions faisant référence explicite à la crise grecque, par exemple credit crunch, haircut, swap, spreads, bail-out, bail-in, bad bank, junk bond, bank run, CDS, CDO et PSI. Nous insistons ici sur deux types de phénomènes spécifiques. Le premier concerne la présence de sigles anglais dans des textes écrits dans des langues autres que l’anglais. Le second traite de la variation des équivalents de ces termes en traduction.

4.1.1. Les sigles anglais en contexte

Les sigles représentent une partie importante des termes financiers empruntés à l’anglais. Cependant, nous avons constaté que bien formuler la requête à soumettre aux outils d’interrogation des corpus n’a pas toujours été chose facile. Prenons comme premier exemple le dispositif PSI (de l’anglais Private Sector Involvement). Il est clair qu’en grec le sigle PSI (en caractères latins à l’intérieur d’un texte écrit en caractères grecs) renvoie directement au concept financier sans aucune ambiguïté, apparaissant d’ailleurs dans le même contexte que κούρεμα [décote], ομόλογα [obligations], αποθεματικά [réserves], αναδιάρθρωση [restructuration], δανειακήσύμβαση [convention de prêt], συμφωνία [accord], ελληνικών [grecs], τράπεζες [banques], δάνεια [emprunts] et χρέος [dette]. Par contre, il a été plus difficile de repérer les exemples d’emploi et les collocations qui portent sur la crise à l’intérieur des textes anglais et français. Pour les textes anglais, afin d’éliminer le bruit provenant des résultats comportant la lettre « psi » [ψ] (lettre de l’alphabet grec figurant dans les noms des fraternités étudiantes américaines, par exemple, ou encore comme fonction d’une équation, χ, ψ, ω), il a été indispensable de spécifier comme terme de requête Greek PSI pour obtenir des collocations significatives comportant des termes tels que bonds, bond swap, talks, deadline, negotiations, deal, market, offer, etc. Il en est allé de même pour les textes français dans lesquels nous avons également recherché PSI grec et observé des collocations avec accord, discussions, programme, zone euro et négociations.

Le deuxième exemple porte sur le produit d’investissement CDO (de l’anglais Collaterised Debt Obligations). Dans ce cas, la recherche dans les corpus anglais et français s’est avérée plus efficace quand elle a été effectuée à base de caractères, et non pas de mots, en excluant ainsi les occurrences des sigles homographes issus d’autres termes complexes ; en anglais, par exemple, CDO renvoie également à d’autres termes de domaines divers : chlordiazepoxide (une substance chimique), Continuous Descent Operations (une technique de vol en aéronautique) ou Chief Data Officer (fonction de dirigeant au sein d’une entreprise), entre autres. Quant à la fréquence, les résultats obtenus dans les trois langues montrent que notamment dans le corpus grec (bien que plus réduit que les autres) la fréquence du sigle anglais est de six fois supérieure à celle observée pour le corpus français, comme ceci est indiqué dans le tableau 4 ci-dessous :

Tableau 4

CDO

CDO

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En utilisant de plus l’outil Collocation Candidates, nous avons pu observer que dans les trois langues le sigle « CDO » apparaît très souvent à côté d’une partie du terme complet en anglais (collaterised), mais aussi à côté de divers sigles du même type, par exemple « RMBS », « CMBS », « MBS », « FDIC », « SIV », « CDS », « ABS », etc., lorsqu’il s’agit de dénommer des séries entières de produits d’investissement. Exemples :

4.1.2. La variation des équivalents en traduction

Dans la vie de tous les jours, nous apercevons souvent que les termes anglais sont transférés et reproduits sans modification dans les textes de langues différentes (report). Ainsi, dans les corpus étudiés, la fréquence du terme anglais bad bank, par exemple, est très élevée dans les textes à la fois en grec et en français. Par ailleurs, différents équivalents du terme sont également attestés dans les corpus, tels que κακή τράπεζα [mauvaise banque] (269 occurrences), προβληματικήτράπεζα [banque problématique] (58), τοξικήτράπεζα [banque toxique] (8) et τράπεζαεπισφαλειών [banque de défaisance] (9). Cependant, seul ce dernier équivalent, τράπεζαεπισφαλειών, figure dans le glossaire GCMTP. En effet, il s’agit du terme proposé par la base IATE, introduit en 2009 avec un degré de fiabilité maximal (4 sur 4), alors qu’en 2014, le terme « κακή » τράπεζα (avec l’adjectif mis entre guillemets) y a été ajouté avec un degré de fiabilité inférieur (3 sur 4), même s’il rassemble le plus grand taux d’occurrences dans les corpus.

Cette variation des équivalents en traduction est révélatrice du fait qu’aucun terme d’entre eux ne semble, jusqu’à aujourd’hui, être suffisamment normalisé et rigoureusement adopté. Il en va de même pour la variation des équivalents en français, dont la fréquence attestée dans les corpus varie considérablement : bad bank (562), structure de défaisance (281), structure de cantonnement (57), banque pourrie (25), banquepoubelle (26) et banque aux actifs toxiques (2).

Si ce n’est pas l’équivalent français qui apparaît dans les textes, c’est souvent le terme anglais avec sa définition ou explication en français, comme le signale Kobor (2011), par exemple :

Il en va de même pour l’emprunt anglais bank run dont la fréquence apparaît également élevée dans les trois langues. En plus, il est impressionnant que le taux de fréquence par million de mots soit identique entre le grec et l’anglais, malgré les différences de volume entre les deux corpus interrogés (tableau 5) :

Tableau 5

Bank run

Bank run

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Pour cette entrée, le glossaire GCMTP donne plusieurs synonymes tant en grec qu’en français (par exemple, panique bancaire, ruée bancaire et bank run), alors que dans les corpus les termes français qui sont réellement utilisés sont bien plus nombreux encore : panique bancaire (265), retraits massifs (220), ruée bancaire (45), course au guichet (19), retrait massif des dépôts (15), course auxdépôts (14), panique des déposants (10), ruée vers les guichets (13), ruée sur les guichets (8), course à la banque (7), bank rush (5), course aux retraits (4) et exodemassif de capitaux (2).

4.2. Les néologismes de forme

Une catégorie spécifique de néologismes de la crise a particulièrement attiré notre attention. Ce sont les mots-valises créés à partir de l’anglais, par exemple Grexit (Greece + exit = sortie de la Grèce de la zone euro). En effet, dans le corpus Greek Web (2014), les concordances du terme Grexit présentent une fréquence très élevée (1 200 occurrences, c’est-à-dire 0,61 par million). À l’aide de l’outil Collocation Candidates, nous avons observé que ce terme apparaît souvent dans le même contexte que d’autres néologismes du même type, comme Grecovery (reprise de l’économie grecque) ou Brexit (sortie du Royaume-Uni de la zone euro), ainsi qu’en présence des mots tels que έξοδος [sortie], αποπομπή [expulsion], σενάριο [scénario] et ενδεχόμενο [éventualité], ou par opposition avec success story (expression intégrée dans le discours prononcé par le gouvernement pour atténuer la négativité et remonter le moral). Par contre, nous avons constaté que, malgré la formation du terme Grexit à partir de l’anglais, ses occurrences dans les corpus des autres langues sont très rares ou inexistantes. Il est à noter par ailleurs qu’en anglais Grexit renvoie à un concept tout à fait différent, appartenant au domaine technologique. Notons enfin que Grecovery, Brexit et success story ne figurent pas dans le glossaire GCMTP, alors que, vu leur fréquence, ils devraient y être ajoutés.

Les néologismes πτωχοτραπεζοκρατία en grec (23 occurrences) et bankruptocracy en anglais (3 occurrences) respectivement, inclus tous les deux dans le glossaire, constituent un cas singulier. Le terme dans les deux langues a été inventé et utilisé à plusieurs reprises par Yanis Varoufakis, économiste, universitaire et ex-ministre des Finances ; il est d’ailleurs défini et expliqué dans son ouvrage Vocabulaire de la crise (2011). À la suite de la recherche dans les corpus, il s’est avéré que ce terme n’apparaît que dans les textes ou interviews de son propre créateur, à l’original (en anglais ou en grec) ou en traduction (en français). Dans la plupart des cas, le terme est accompagné d’une explication ou une définition, alors que dans les textes grecs, bien que son emploi soit très restreint, le terme anglais apparaît régulièrement à côté du terme grec, comme dans les exemples suivants :

4.3. Les termes culturellement marqués

Cette catégorie rassemble une série de termes qui sont culturellement marqués, désignant des pratiques ou des conceptions spécifiquement ancrées dans la réalité grecque, comme φακελάκι /phakeláki/, χαράτσι /kharátsi/, Οβολός /Ovolós/, Φασούλι /Phasoúli/, σχέδιο « Αθηνά » /skhédio « Athiná »/, Αγανακτισμένοι /Aganaktisméni/, etc., outre les institutions et les services publics grecs, par exemple DEI (pour Dimósia Epichírisi Ilektrismoú, l’électricité), ELTA (pour Elliniká Takhidromía, la poste), OLP (pour Organismós Liménos Piraiós, le port du Pirée), etc. En effet, ce sont des unités lexicales d’origine grecque qui, loin d’avoir le prestige et la portée des termes internationaux anglais vus plus haut, ont été plus ou moins médiatisées dans le monde entier à cause de la crise grecque.

Tableau 6

Extrait du glossaire GCMTP : fakelaki, charatsi, fassouli, plan Athéna

Extrait du glossaire GCMTP : fakelaki, charatsi, fassouli, plan Athéna

Tableau 6 (suite)

Extrait du glossaire GCMTP : fakelaki, charatsi, fassouli, plan Athéna

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D’une manière générale, ces termes présentent une fréquence faible dans les corpus des autres langues, pourtant il est intéressant d’observer la manière dont ils sont utilisés dans les textes français et anglais et la diversité des formes attestées. Dans cette catégorie de termes, nous observons l’instabilité des formes sur le plan ortho-typographique (guillemets, parenthèses). De plus, la différence d’alphabet amène généralement à une transcription, qui devient une source de variation supplémentaire (haratsi/charatsi, Aganaktismenoi/Aganaktismeni), sans exclure la possibilité d’une traduction – soit littérale soit explicative (incrémentialisation) – ou une combinaison des deux à la fois :

Considérons par la suite les deux mouvements de résistance civile. Le premier est le mouvement Δεν πληρώνω [Je ne paie pas], qui a fait son apparition en 2008 pour protester au début contre la hausse des péages routiers, mais qui a gagné du terrain surtout en 2011-2012 comme résistance contre l’imposition de nouvelles taxes sur l’immobilier, les tarifs dans les transports et les services publics. Dans les textes français, l’appellation du mouvement apparaît très souvent en transcription, Den plirono, accompagnée en général de sa traduction littérale en français entre parenthèses (tableau 7) :

Tableau 7

Den plirono (French Web 2012)

Den plirono (French Web 2012)

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Cependant, nous observons que, si dans une phrase apparaît seule la traduction en français, sans la transcription du grec, l’ancrage culturel spécifique devient alors explicite par le contexte proche (Athènes, Grèce, place Syntagma, mouvement grec), comme ceci est indiqué dans le tableau 8 :

Tableau 8

Je ne paie pas (French Web 2012)

Je ne paie pas (French Web 2012)

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Le deuxième exemple examiné est le mouvement des « Indignés » grecs, appelés Αγανακτισμένοι, ayant occupé pendant des jours consécutifs les principales places publiques dans tout le pays. Ici, le cas est différent parce qu’il s’agit d’un mouvement qui s’inscrit dans la série des groupes protestataires contre les mesures d’austérité et les conséquences de la crise mondiale de 2008, qui ont été développés dans différents pays, dont l’Espagne d’abord, puis la Belgique, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni. Ceci permet de se servir d’un ancrage à une réalité en dehors de la Grèce et d’avoir recours à des associations similaires étrangères, largement plus reconnaissables par les lecteurs francophones et anglophones, comme dans les exemples suivants :

Nous avons ainsi multiplié les requêtes en faisant varier les graphies (en transcription) et les traductions de ce terme en français Aganaktismenoi (6 fois), Aganaktismeni (11), indignés grecs (48) et en anglais Aganaktismenoi (18), Aganaktismeni (3) et Greek Indignants (1) respectivement.

4.4. Les comparaisons interlinguistiques

Un autre aspect qui nous a été révélé à travers les corpus, notamment à l’aide de l’outil Collocation Candidates, est celui des collocations autour de chaque terme et surtout les différences entre langues. Ce qui nous a plus particulièrement intéressées a été la combinatoire lexicale autour des termes examinés et les connotations éventuelles qui se présentaient différemment entre les langues.

Considérons, par exemple, les termes austérité et dette et leurs équivalents dans les deux autres langues et la répartition de leurs co-occurrents selon leurs catégories grammaticales. Il a été intéressant de constater qu’en grec les adjectifs modificateurs sont beaucoup plus nombreux et plus variés que ceux apparaissant dans les deux autres langues ; dans cette liste, les adjectifs qualificatifs (b), par exemple σκληρή λιτότητα [austérité dure], sont en fait encore plus nombreux que les adjectifs formant des composés polylexicaux (a), par exemple δημοσιονομικήλιτότητα [austérité budgétaire] :

  • (FR) austérité : drastique

  • (EN) austerity : draconian, unpopular, harsh, stringent, onerous, savage, brutal, painful, severe, hardest, tough

  • (EL) λιτότητα :

    1. δημοσιονομική [budgétaire], εσωτερική [intérieure], νεοφιλελεύθερη [néolibérale]

    2. σκληρή [dure], άγρια [féroce], αυστηρή [sévère], ακραία [extrême], διαρκής [constante], παρατεταμένη [prolongée], βάρβαρη [barbare], καταστροφική [catastrophique], πρωτοφανής [sans précédent], αιματηρή [sanglante], αδιέξοδη [sans issue], μονόπλευρη [unilatérale], μονοδιάστατη [unidimensionnelle]

  • (FR) dette : souveraine, grecque, publique, brute, abyssale, colossale, étranglée, odieuse, illégitime

  • (EN) debt : unsustainable, unpayable, sovereign

  • (EL) χρέος :

    1. δημόσιο [public], δημοσιονομικό [budgétaire], ελληνικό [grec], κρατικό [souverain], εθνικό [national], συνολικό [total], εξωτερικό [extérieur], τοξικό [toxique]

    2. μεγάλο [grand], τεράστιο [énorme], περαιτέρω [ultérieur], υπέρογκο [excessif], υψηλό [élevé], επαχθές [lourd], απεχθές [odieux], παράνομο [illégal], μη βιώσιμο [non viable]

Il est à noter que la conversion sémantique, qui implique la spécialisation du sémantisme d’un terme donné, entraîne parfois aussi des connotations très spécifiques. C’est le cas du terme grec μνημόνιο [mémorandum] qui, dans son usage général, est accompagné d’un complément nominal, par exemple μνημόνιο συμφωνίας [mémorandum d’entente] ou μνημόνιο συνεργασίας [mémorandum de coopération], mais depuis les années de la crise μνημόνιο (198 285 occurrences, dont 976 en présence du mot Ελλάδα) figure dans la majorité des cas tout seul ayant comme référent exclusif le protocole d’accord signé entre le gouvernement grec et les créanciers. L’outil Thesaurus, qui génère automatiquement la liste des mots entrant dans le même paradigme distributionnel que le terme recherché, nous permet de constater que les mots qui apparaissent dans des contextes similaires que le terme μνημόνιο sont ceux qui s’affichent dans le tableau 9 :

Tableau 9

El Μνημόνιο – EN Memorandum – FR Mémorandum

El Μνημόνιο – EN Memorandum – FR Mémorandum

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Ainsi, un terme sémantiquement neutre au départ vient obtenir une connotation nettement négative et résumer tous les malheurs subis par les Grecs (chômage, pauvreté, crise humanitaire et sociale, humiliation nationale). Ceci est illustré par les nouveaux syntagmes dans lesquels apparaît le terme, tels que μνημόνιο της ντροπής [mémorandum de la honte], μνημόνιο της εξαθλίωσης [mémorandum de la misère], μνημόνιο της χρεοκοπίας [mémorandum de la faillite], μνημόνιο της καταστροφής [mémorandum de la catastrophe], μνημόνιο της βαρβαρότητας [mémorandum de la barbarie], ainsi que par des exemples comme :

En revanche, le terme français mémorandum (14 800 occurrences) présente une fréquence particulièrement faible en corrélation avec la Grèce (18 occurrences seulement). De plus, la majorité de ces phrases se réfèrent à toute sorte d’accords de coopération signés entre la Grèce et un autre pays quelconque, alors que les contextes liés à la crise sont extrêmement limités, par exemple :

Si l’on cherche le terme mémorandum en corrélation avec troïka (29 occurrences), on recense des phrases qui mettent en avant le point de vue des Grecs, mais aussi les protestations, le refus, les Indignés, souvent avec un ton émotionnel, parfois même critique ou ironique (par exemple, les talibans du Mémorandum). Comme mémorandum et troïka sont deux des termes les plus marqués du lexique de la crise chez les Grecs, il semble que ces termes sont reproduits dans les textes pour créer un effet de sens particulier :

De même en anglais, la fréquence du terme memorandum en corrélation avec la Grèce est très faible (52 occurrences). Nous observons donc que le taux de fréquence pour ce terme dans les textes français et anglais est zéro par million, si le mot utilisé comme filtre de contexte est Grèce et Greece respectivement.

Dans l’exemple qui suit, deux termes liés à la même situation (à savoir bail-out [plan de sauvetage] pour la Grèce et memorandum [protocole d’accord]) sont utilisés dans la même phrase pour créer un contraste positif-négatif :

Effectivement, les termes positifs bail-out (en anglais) et sauvetage ou renflouement (en français) apparaissent d’une fréquence considérablement plus élevée dans les textes anglais et français au sujet de la Grèce, alors que le terme équivalent grec διάσωση (mais aussi διάσωση εκ των έσω et διάσωση με ίδια μέσα dans Krimpas 2017) donne des résultats différenciés selon le mot utilisé comme filtre de contexte. Ainsi, en grec, alors que le terme positif διάσωση apparaît plus souvent relié à la Grèce, le terme négatif μνημόνιο est plus souvent relié à la crise, ce qui n’est pas observé dans les deux autres langues.

Enfin, dans les corpus parallèles du Parlement européen dans les trois langues étudiées, la fréquence du terme est très réduite (66), et encore plus si elle est mise en corrélation avec la situation grecque (3). Le tableau 10 résume les résultats de nos requêtes.

Tableau 10

Tableau comparatif des occurrences dans les trois langues : mémorandum vs bail-out

Tableau comparatif des occurrences dans les trois langues : mémorandum vs bail-out

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Pour conclure, nous tenons à souligner que les différences interlinguistiques se situent, d’une part, sur le plan de la fréquence des termes spécifiques utilisés dans les textes authentiques et, d’autre part, sur le plan des connotations véhiculées par les termes respectifs dans chacune des langues.

5. Les résultats de la recherche

Dans le présent travail, nous avons recherché 10 % des entrées incluses dans le glossaire GCMTP, ce qui représente un total de 200 termes dans les trois langues. Nous avons pu constater qu’à partir des termes recherchés les résultats quantitatifs sont les suivants :

  • 24 termes ne sont pas attestés dans les corpus, par exemple austerity dogma, tenable indebtedness ou debt accounts manipulation ;

  • 32 termes ne rendent pas de résultats lorsqu’ils sont mis en corrélation avec la Grèce ou la crise grecque, par exemple debt rescheduling, debt refunding et debt reprofiling, ainsi que reprofilage de la dette et réaménagement de la dette ;

  • 42 termes rendent un résultat particulièrement faible dans les corpus (moins de 10 occurrences), par exemple bankruptocracy (1), list Lagarde (1), charatsi (2), Troïkans (1), argentinitude (1) et dogme de l’austérité budgétaire (1) ;

  • 98 termes au total marquent des résultats très faibles (entre 0 et 10 occurrences), ce qui fait un taux de 50 % sur l’échantillon mis en examen ;

  • 34 termes ont été repérés dans les corpus alors qu’ils ne figuraient pas dans le glossaire.

Figure 1

Les résultats quantitatifs de la recherche

Les résultats quantitatifs de la recherche

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Le travail systématique sur les corpus monolingues, comparables et parallèles, à l’aide des outils spécialisés de la plateforme Sketch Engine, a permis plus concrètement de :

  • repérer des entrées qui manquent de la version actuelle du glossaire GCMTP et qui pourraient éventuellement venir le compléter, par exemple Grecovery et success story ;

  • enrichir les entrées du glossaire avec des variantes et des synonymes et ajouter des informations sur leur taux d’occurrences, par exemple retraits massifs (220), course au guichet (19), retrait massif des dépôts (15), course aux dépôts (14), panique des déposants (10), ruée vers les guichets (13), ruée sur les guichets (8), course à la banque (7), course aux retraits (4) et exode massif de capitaux (2), comme variantes de panique bancaire et ruée bancaire pour rendre bank run en français ;

  • reconsidérer l’ordre de classement à l’intérieur des entrées en fonction de leur fréquence mais aussi de leur emploi en contexte, par exemple le terme economy measures qui figure actuellement en premier est moins fréquent mais aussi plus générique que le terme austerity measures qui est l’équivalent approprié pour le grec μέτρα λιτότητας et le français mesures d’austérité ;

  • tester et raffiner les équivalences interlinguistiques mais aussi les différences distributionnelles, comme nous l’avons vu à propos de la comparaison entre memorandum et bail-out ;

  • et surtout ajouter les informations contextuelles nécessaires pour l’emploi pertinent de chaque terme dans les trois langues traitées comme, par exemple, en donnant les collocations habituelles de dette ou d’austérité.

6. Conclusion

À l’aide des corpus disponibles sur la plateforme Sketch Engine pour les trois langues examinées (anglais, français, grec), nous avons recherché plusieurs termes liés à la crise économique grecque qui figurent dans la version actuelle du glossaire multilingue GCMTP. Nous avons calculé leur taux d’occurrences et repéré les contextes les plus représentatifs et significatifs afin de cerner une série de problèmes spécifiques qui se posent en traduction, à cause, en grande partie, de l’instabilité et du manque de normalisation d’un nombre important de ces termes.

Le prolongement de ce travail permettra de créer une nouvelle version du glossaire existant avec les termes vérifiés dans les corpus, accompagnés d’informations sur leur usage en contexte, les collocations les plus fréquentes et les connotations éventuelles, illustrées par des exemples authentiques significatifs. En même temps, il faudra y ajouter les termes manquants (première phase de la crise) et les termes nouveaux (deuxième phase de la crise) mais aussi établir des liens sémantiques ou stylistiques entre les termes synonymes.

Conçu principalement pour être utile aux traducteurs et aux rédacteurs techniques, ce glossaire doit être mis à jour régulièrement. En effet, les termes de la crise constituent un lexique dynamique qui ne cesse d’évoluer par la création de nouveaux termes et expressions, mais aussi par le transfert interlinguistique et interculturel de ces termes et expressions à travers la traduction. De plus, il englobe des domaines différents (économie, finances, droit, politique, vie sociale, etc.) dont chacun a ses propres spécificités et demanderait une plus grande spécialisation. Dans ce sens, un travail de recherche et de documentation terminologiques systématique et approfondi serait à entreprendre, et, pour ce faire, des corpus spécialisés ad hoc seraient indispensables. Néanmoins, nous avons voulu montrer ici que les corpus tout prêts et existants en ligne, comme ceux disponibles sur la plateforme Sketch Engine, malgré leurs limitations sur le plan de leur constitution et degré de spécialisation, offrent une solution pratique et abordable, surtout pour travailler en terminologie et en traduction avec des langues pauvres en ressources lexicales et textuelles, comme c’est le cas pour le grec.