Corps de l’article

Introduction

Deux mouvements combinés sur les usages du numérique dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) français attirent notre attention. Le premier concerne les acteurs, les employés et les étudiants de l’ESR, qui deviennent des usagers du numérique (Proulx, 2005) de plus en plus familiarisés avec le recours aux dispositifs numériques (Peeters et Charlier, 1999), et plus particulièrement les réseaux socionumériques. Le deuxième concerne la généralisation de plateformes de formation telles que Moodle qui s’appuient sur des logiques de scénarisation de l’acte pédagogique à des fins de réussite des étudiants (Mocquet, Vieira, Akam et Rouissi, 2015).

Partant de ce constat, il nous semble que les universités pourraient considérer leur rapport au numérique en interne comme en externe avec un grand intérêt : « … l’instabilité provoquée par l’arrivée du numérique dans les universités est une occasion de faire évoluer le système universitaire, au point de créer un nouveau point d’équilibre s’appuyant sur une nouvelle gouvernance : la gouvernance du numérique universitaire » (Mocquet, 2017, p. 9). Il s’agit aussi pour les acteurs d’inventer de nouveaux dispositifs numériques dans les missions de l’Université : la formation, la recherche et l’insertion professionnelle.

L’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) n’est pas nouveau dans les universités; il n’en reste pas moins vrai que cette expérience en propose une nouvelle appropriation pour nous. Nous parlons ici de la situation de l’usage dans un contexte de pratiques (Proulx, 2005), la formation, et plus particulièrement les cours dits « magistraux » se déroulant dans un amphithéâtre avec un public de plus de 120 étudiants.

Nous souhaitons relater notre expérimentation réalisée en 2017-2018 dans une université, dans le cadre de notre Contrat Enseignant Pédagogie Innovante (CEPI) (Mocquet, Amiot, et Witczak, 2016), un dispositif de soutien à la pédagogie universitaire mis en place depuis déjà cinq ans au sein de cette université.

Dans cette perspective, cet article se propose d’apporter des réflexions théoriques en amont de ces questionnements, de décrire la conception du dispositif pédagogique et d’apporter des résultats et des discussions sur les effets de l’introduction de ce dispositif numérique lors d’une expérimentation en master et en licence.

Au regard de cette situation et de la nature des données, deux questions guident ce travail :

  • Quels sont les impacts sur les étudiants et sur l’enseignant de l’introduction de dispositifs numériques interactifs en amphithéâtre?

  • Observe-t-on un effet niveau (licence ou master) dans les mesures réalisées auprès des étudiants?

1. Contexte, cadre théorique et méthodologie

Les cours en « amphi » : une réunion d’acteurs

Dans un contexte de massification du supérieur et de respect de finances publiques renforcées pour l’ESR français avec le passage aux responsabilités et aux compétences élargies des universités imposées par la loi sur la réforme des universités (LRU[1]), le cours se déroulant dans un amphithéâtre représente une possibilité de réduire le coût des formations (Westerlund, 2008). Pédagogiquement et historiquement, il offre l’avantage de transmettre rapidement des contenus de manière transmissive. Pour certains d’entre nous, enseignant(e)s et enseignant(e)s-chercheurs(-euses), il s’agit de dispenser des savoirs en s’appuyant éventuellement sur des ressources sans interruptions par les étudiants. Pour d’autres, il s’agit d’une occasion de construire quelques échanges sur le mode questions/réponses (Kelly et al., 2005). Quelle que soit l’une ou l’autre des modalités, une réalité est partagée par toutes et tous : la seule présence en cours ne suffit pas pour détenir les savoirs transmis et réussir l’examen. Il est attendu par l’enseignant un travail de l’étudiant s’appuyant sur l’éventuelle prise de notes et une relecture des documents ressources.

Nous, membres du corps enseignant, exprimons parfois des difficultés à caractériser l’activité des étudiants durant ce moment. Nous observons que lorsque nous offrons la parole aux étudiants, les questions se font rares, peut-être par timidité ou par manque de compréhension ou d’attention de leur part. La lecture de Teaching large classes in higher education (Gibbs et Jenkins, 2014) établit sept problématiques majeures liées à cette situation : l’absence d’échanges, la raréfaction des rétroactions, la difficulté à motiver les étudiants, l’incapacité à favoriser un travail personnel, l’incapacité à tenir compte de la diversité des étudiants, le manque de clarté des objectifs et le manque de conseils sur des améliorations possibles.

D’un point de vue communicationnel, nous reconnaissons que cette modalité, la pédagogie de la transmission, ajoute une hiérarchie dans la communication, si bien que les « liens verticaux entre professeurs et élèves » (Bruter, 2008) rendent, pour certains étudiants, l’enseignant(e) inaccessible. Nous nous permettrons d’ajouter : comme leur savoir?

D’un point de vue de l’acquisition des connaissances, nous pensons que la pédagogie de la transmission nécessite que celui qui apprend doit « avoir à peu près le même bagage cognitif que la personne qui lui parle» (Cantin, 2011, 01:08). Avec la diversification des caractéristiques des étudiants (Romainville, 2004), le contenu du cours magistral deviendrait inaccessible, ce qui entraînerait chez les étudiants au mieux de l’absentéisme, au pire un échec.

Enseignant inaccessible, étudiants peu concernés, contenu difficilement compréhensible en première écoute, autant d’éléments qui font que nous nous autorisons à tester d’autres formes de pédagogie que nous souhaitons plus actives pour les étudiants.

Si les pédagogies actives ont « longtemps été jugées indignes du supérieur » (Romainville, 2004, p. 10), avec les TIC, elles montrent aujourd’hui des expériences alternatives écoutées (Papi et Glikman, 2015). Nous partageons l’analyse faite par Geneviève Lameul et Catherine Loisy au sujet de l’usage du numérique dans l’enseignement « De par la transformation des modes d’accès à l’information et celle des possibilités de création de la connaissance, les situations d’apprentissage peuvent prendre de nouvelles formes et distribuer les rôles de manière différente » (Lameul et Loisy, 2014, p. 207).

Les effets des TIC

Pour reprendre des travaux de P. Chambat, nous nous intéressons aux effets des TIC à travers un discours sur la technique, sur les objets ou sur le quotidien (Chambat, 1994). Ainsi, en saisissant l’un ou l’autre de ces modèles, notre recherche pourra être classée « dans le paradigme de la diffusion (la technique), le paradigme de l’innovation (les objets) ou le paradigme de l’appropriation (le quotidien) » (Kane, 2013). En considérant la deuxième position d’analyse s’appuyant essentiellement sur une approche par les objets des sciences humaines, nous souhaitons ici porter notre regard sur « les relations que les êtres sociaux que nous sommes entretiennent avec les réalités matérielles, en un mot avec les choses » (Raffestin, 2003, p. 73). Nous décidons de nous pencher sur la professionnalisation des membres de l’ESR comme un objet d’analyse des relations entre les individus et l’objet ou dispositif des TIC.

Approche d’un écosystème numérique

Du point de vue d’un cadrage théorique, il nous semble pertinent d’ajouter la « systémique » qui nous vient des sciences dites dures, plus exactement des biologistes (Bertalanffy, 1968), qui souhaitaient disposer d’une méthode globale, interdisciplinaire et pragmatique pour analyser la complexité du monde vivant. Plus trivialement, « on peut considérer la systémique, dans le champ de l’humain et des organisations en tout cas, comme un ensemble d’idées et d’outils qui permet de fonctionner au quotidien d’une façon plus profitable » (Benoit et Perez-Benoit, 2006, p. 9).

Ce qui pourrait caractériser cette méthode, c’est son côté exhaustif et non agrégatif des choses et des humains qui composent le système. Mais comment alors définir ce système numérique? Un système est un assemblage de parties en relation les unes avec les autres qui forment un tout, « ce qui est tissé ensemble » (Morin, 1990). Pour autant, comprendre chaque élément du tout ne suffit pas, il faut aussi mesurer les interactions de ses éléments et la finalité globale du système.

Nous développons aussi l’idée que nous sommes dans une approche « dispositionnelle », c’est-à-dire que nous visons à interpréter le numérique comme un dispositif comme l’expliquait Michel Foucault (1975) ou le décrivait Raffnsøe (2008, p. 47) : « un appareil formé d’une série de parties agencées entre elles de telle manière qu’elles influent sur le champ d’action ». Nous trouvons judicieux de mobiliser ce concept de dispositif qui « englobe aussi bien les pratiques non discursives que les pratiques discursives » (Dreyfus et Rabinow, 1984, p. 178).

Analyse d’un dispositif de formation

Selon cette logique écosystémique, nous pouvons considérer qu’une situation de formation est un système complexe, et cela à de multiples points de vue : les interactions y sont multiples et elle est soumise à des évolutions dont toutes ne sont pas prévisibles. En y associant une plateforme de formation, les conditions de création d’un tel dispositif ont été largement étudiées dans de nombreux travaux (Charlier, Deschryver, & Peraya, 2006; Depover et al., 2004; Kim et Verrier, 2009), mettant en évidence l’importance de plusieurs critères. Les modalités d’enseignement constituent un critère et non des moindres puisqu’il est au coeur même du fonctionnement de ce dispositif pédagogique. Nous considérons le dispositif de formation comme une articulation d’éléments hétérogènes, matériels et symboliques (Peeters et Charlier, 1999; Weisser, 2007) selon lesquels nous nous fixons, en tant que concepteur, un but explicite : l’amélioration de la réussite des étudiants.

Interaction et interactivité

L’interaction et l’interactivité dans le cadre de la modélisation de l’apprentissage pouvant être abordées de façon complémentaire, cette approche attire fortement notre attention pour poser notre cadre théorique. L’interaction pour cet auteur est fortement présente il considère que « les systèmes de signes et les systèmes d’’outils se rejoignent à un moment donné pour constituer les deux faces indissociables de l’’interaction entre l’’homme et son environnement » (Charlier, 1999, p.65). Il ajoute que « le fonctionnement mental trouve son origine dans l’’activité sociale et sa nature même est profondément sociale ». Nous décidons de créer des constructions mentales individuelles lors de situations  sociales que nous provoquerons.

La première définition de l’interactivité de Charlier (1999, p. 76), « la caractéristique propre des nouveaux médias ou des nouvelles technologies de l’information et de la communication », ne peut fonctionner sans ajouter les quatre éléments de caractérisation :

  • « un échange qui se situe dans le cadre d’une communication personne-machine;

  • la propriété d’un dispositif machinique ou technique de pouvoir réagir et s’adapter à un utilisateur humain;

  • une forme particulière d’interaction […], un processus de sollicitations réciproques entre un dispositif technique et un agent humain, chacun modifiant son comportement en fonction des réactions de l’autre;

  • des opérations de manipulation d’icônes ou d’objets sur un écran informatique. »

Nous ajoutons à ces propos la proposition de distinction de Cathia Papi (2014, p. 90) « la distinction entre interactivité et interaction repose alors sur la différence de nature du couple engagé dans la mesure où celui-ci est fondé sur l’opposition homme/machine, dans le cas de l’interactivité, et sur la similitude des systèmes vivants, dans celui de l’interaction », sur laquelle nous fonderons notre distinction entre interactivité et interaction dans la suite de cet article.

2. Descriptif du dispositif de formation

Cette étude porte sur l’analyse des données collectées au cours de deux cours dits « magistraux » se déroulant physiquement dans un amphithéâtre de plus de 120 étudiants dans lesquels nous avons expérimenté l’introduction des TIC au moyen des téléphones portables et des ordinateurs des étudiants. L’intention de l’enseignant est de permettre à la fois de provoquer des nouvelles interactions en cours, mais aussi de proposer d’attribuer une note de contrôle continue obtenue par une série de QCM (interactivité). Nous avons ainsi travaillé sur deux expérimentations de préparation au C2i (Certificat informatique et Internet[2]), une en licence (Préparation au C2i1 en L2 langues, littératures et civilisations étrangères (LCCE), Espagnol, L2 LCCE, Anglais et L2 Lettres, semestre 2, LSH, 12 heures équivalent cours magistraux) et une en master (Préparation au C2i2, tous les masters 1, semestre 2, IAE, 12 heures équivalent cours magistraux) permettant de mettre en oeuvre une nouvelle organisation du travail des étudiants.

Ce qui nous intéresse pour les licences, c’est leur relative jeunesse dans l’enseignement supérieur, et la façon dont les étudiants peuvent, au moyen d’une technologie utilisée tous les jours (téléphone intelligent par exemple), augmenter leur capacité à apprendre. Pour les masters, il s’agit plutôt de renforcer des processus professionnels de veille d’informations et de les projeter dans la construction d’un fil d’actualité lié aux savoirs fondamentaux du cours. Dans cette communication, nous observons plus particulièrement cette promotion et nous en expliquerons la raison au fur et à mesure.

Attention, interactivités et interactions dans cette situation

L’attention comme point d’entrée

Nous appuyons la conception de notre dispositif sur la courbe de l’attention comme point d’entrée de la conception du dispositif en proposant une réadaptation au sein des heures existantes (imposées par la forme des enseignements) : 2 heures de cours en amphithéâtre répartis sur six semaines non consécutives au premier semestre de l’année 2018.

Contraint par la définition des maquettes d’enseignement, nous proposons de garder notre dispositif transmissif initial et nous le découpons en autant de moments de transmission orale d’environ 20 minutes en insérant des moments d’interactivités, c’est-à-dire un échange étudiant-machine réalisé sous la forme de QCM reprenant les notions abordées précédemment. Cette proposition permet de tenter de s’aligner sur les courbes d’attention proposées dans une expérimentation scientifique (Bunce, Flens et Neiles, 2010).

Figure 1

Provocation de changements de rythme permettant une modification de la courbe d’attention en générant des interactivités

Provocation de changements de rythme permettant une modification de la courbe d’attention en générant des interactivités

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Le dispositif d’interactions

À cela s’ajoute une possibilité de réaliser des interactions via un réseau socionumérique (RSN) à titre de compléments de cours mais aussi d’interactions entre les étudiants.

Le dispositif s’appuie sur Twitter, le RSN mondial permettant ainsi une relation avec une pratique personnelle pour certains étudiants. Les interactions sont initiées par notre veille personnelle sur la transformation numérique de la société et sont consultables en suivant un mot-clic spécifique (#UPVDTransfoNum pour les masters, #UPVDC2i pour les licences). Les étudiants sont invités à lire les articles et à participer en cours et hors cours en ajoutant des articles ou des commentaires sur le contenu du cours.

Pour garder une mémoire des différentes interactions, une conservation est proposée par la mise en place d’un « journal » hebdomadaire réalisé par l’enseignant au moyen de paper.li tous les samedis matins (figure 2).

Figure 2

Dispositif d’interactions des masters

Dispositif d’interactions des masters

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Le dispositif d’interactivités

Il s’appuie sur un système de gestion de l’apprentissage, une plateforme de gestion de l’apprentissage (Moodle V4) disposant d’un module test et permettant d’alimenter une banque de questions. Cette banque de questions (environ 120 questions) est proposée aux étudiants et aborde les notions au plus près de leur transmission en amphithéâtre. Les étudiants, dès la première séance, ont été formés à cette fonctionnalité de la plateforme et utilisent indifféremment leurs téléphones intelligents ou leurs ordinateurs. Pour les étudiants ne possédant pas d’outils mobiles, le QCM est vidéoprojeté, ils répondent sur leur cahier et nous les invitons à saisir leurs réponses à la bibliothèque universitaire (BU) de manière asynchrone : la BU est le seul lieu du campus permettant d’aller sur Internet librement et gratuitement.

Ajoutons que la performance au QCM est sauvegardée sur la plateforme Moodle afin de nous permettre de créer une note de contrôle continu.

Figure 3

Interactivités en amphithéâtre

Interactivités en amphithéâtre

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3. Méthode : vers une triangulation des méthodes

Après avoir proposé un cadre d’analyse de cette situation complexe, nous avons choisi de croiser trois méthodes : l’observation non participante et la participation observante, l’analyse des traces écrites des étudiants (RSN, conseil de perfectionnement, résultats aux QCM sur la plateforme de formation) et un questionnaire (De Singly, 2012) auprès des étudiants concernés.

Observation non participante et participation observante

La proximité de l’objet de recherche, notre travail au quotidien, nous permet de détenir une position privilégiée et très intrusive, au plus près des acteurs. Nous en jouerons non sans quelques précautions. L’observation participante offre des avantages dans la collecte des données, elle permet « d’être à la fois partie prenante du jeu social et observateur distancié » (Bourdieu, 1978), mais doit être explicite dans notre approche afin de garder le recul nécessaire du chercheur. Cette méthode a ses limites dues à la difficulté, voire à l’incompatibilité des rôles simultanés de participant et d’observateur.

Le sociologue Soulé (2007) nous invite à nous tourner vers une participation observante, plus sélective, qu’il trouve judicieuse sur plusieurs points, notamment dans le cadre d’une conversion de l’expérience en connaissances. Notre recherche s’appuie alors sur une démarche méthodologique qui, dans la mesure où nous cherchons à donner de la valeur à notre expérience de praticien pour élaborer de nouveaux outils d’analyse, peut être qualifiée de participation observante ouverte et déclarée aux étudiants. La part de participation sera explicite dans cette méthodologie de recherche alors que le chercheur sera « participant et observateur à temps partiel », c’est-à-dire « participant en public et observateur en privé », toujours selon Soulé. Cette prudence méthodologique, s’appuyant sur les travaux d’E. C. Hughes (1971/1984), est selon Chapoulie (1984) « le prix à payer pour rester sociologue dans l’aventure de la participation. »

Nous pouvons considérer que notre démarche bénéficie ainsi des « attributs et vertus de la méthode anthropologique » loués par Godelier (2009) et nous permet l’analyse de cas particuliers en immersion au sein d’un petit groupe en espérant faire apparaître une logique sociale d’ensemble.

Analyse des traces écrites des étudiants

Nous portons notre attention sur les traces numériques – considérées ici comme « la trace d’une activité humaine dans un environnement numérique » (Laflaquière, 2011) – des étudiants déposées à plusieurs endroits du dispositif (les messages postés sur le RSN, le résultat au QCM), mais aussi sur le compte-rendu du conseil de perfectionnement de la formation.

Les traces numériques laissées sur le RSN

L’approche classique de catégorisation sera utilisée ici. Elle est appelée ainsi car elle repose sur une théorie ancienne, énoncée dans les Catégories, une des oeuvres majeures d’Aristote : « Les mots, quand ils sont pris isolément, expriment chacun l’une des choses suivantes : ou substance, quantité, ou qualité, ou relation, ou lieu, ou temps, ou position, ou état, ou action, ou enfin passion » (Barthélemy-Saint-Hilaire, 1839). Il s’agit de regrouper l’information en créant des catégories aux frontières délimitées sur la base de propriétés communes. Un élément informationnel appartiendra à une catégorie de manières nécessaires et suffisantes d’un point de vue des propriétés énoncées.

Les résultats au QCM

La plateforme LMS mémorise l’ensemble des réponses des étudiants. Concernant l’outil test, nous disposons du taux de participation, du taux de réponse et de la performance au QCM.

Retour par le conseil de perfectionnement

Notre choix a été de ne pas interférer directement lors d’entretiens, les étudiants étant en situation d’évaluation, et de laisser porter leur message au sein des organes de régulation de la formation existant déjà dans cette université. Nous avons consulté le compte-rendu et donnerons ainsi les évaluations qualitatives des représentants des étudiants.

Enquête en ligne

Pour l’enquête, en reprenant Yin (2017), nous rappelons que les « données numériques apportent des preuves de nature quantitative, tandis que les données non numériques fournissent des preuves de nature qualitative ». Nous choisissons de mettre en oeuvre une enquête en ligne auprès des étudiants concernés.

Notre population au sens statistique est constituée :

  • pour les étudiants en master, de la promotion de 275 étudiants de masters 1re année d’un institut d’administration des entreprises,

  • pour les étudiants en licence, du regroupement de plusieurs licences d’une faculté de lettres et sciences humaines (120 étudiants),

qui ont été contactés par différents moyens – courriers électroniques, listes de diffusion ou réseaux sociaux – entre janvier et mars 2018.

Cette collecte repose sur une enquête de type questionnaire proposée en ligne (outil Google Forms) pour faciliter l’accès aux participants à partir d’invitations faites en ligne.

Questionnaire, variables, population et échantillon

Le questionnaire, avec une durée de passation d’environ cinq minutes, comporte 11 questions très majoritairement de type fermé et admettant selon les cas une seule ou plusieurs réponses. Il est associé à une démarche qualité personnelle d’évaluation du dispositif de formation pour l’IAE (Enquête de satisfaction : Management de la transformation numérique (C2i2) à l’IAE 2017-2018). Il est organisé en plusieurs sections :

  • Le dispositif de formation dans sa globalité (CM+TD)

  • L’introduction de dispositifs numériques en amphithéâtre

Au sein de ces deux sections, les principales variables étudiées se répartissent autour de la qualité du dispositif de formation (non abordé ici) et de la mesure du ressenti des étudiants pendant l’usage du dispositif numérique en amphithéâtre.

Notre échantillon est de type volontaire, il est bien évidemment exclu de tenter toute généralisation qui serait totalement hasardeuse. Sur la base du sondage proposé en ligne, 128 questionnaires ont été remplis, soit 46 % de répondants pour les étudiants de master. Nous avons étendu cette pratique d’analyse de la qualité de la formation aux étudiants de licence : 24 questionnaires pour les étudiants en licence, soit 20 % de la cible. Nous y reviendrons.

4. Premiers résultats et discussion

Effet sur les interactions entre acteurs

Durant la période d’observation entre le 12 janvier et le 15 mars 2018, 50 messages ont été acheminés aux étudiants de master et 5 messages aux étudiants de licence sous le mot-clic spécifique. Le peu d’interactions en licence ne permettant pas de traitement, nous focaliserons la suite de l’analyse sur les données en master. Nous avons procédé à l’analyse des contenus des interactions réalisées avec le RSN pour en déduire des catégories, soit les démarches habituelles de l’analyse conversationnelle.

Il en résulte quatre catégories d’échanges :

  • Proposition d’article de presse apportée par des étudiants

  • Proposition d’article de presse apportée par l’enseignant

  • Interaction entre étudiant et enseignant sur des sujets autres que le contenu du cours

  • Interaction entre les étudiants autres que sur le contenu du cours

Figure 4

Vers une catégorisation des messages lors des interactions

Vers une catégorisation des messages lors des interactions

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Cette catégorisation montre la diversité des interactions provoquées, sur le contenu comme sur le sens informationnel (informations descendantes, ascendantes et horizontales). En première analyse, nous estimons que ce dispositif permet de mettre en oeuvre une situation informationnelle conforme à une situation sociale.

Effet sur la performance d’apprentissage

Nous souhaitons mettre en oeuvre une note de contrôle continu obtenue par une activité test sur Moodle des QCM à choix multiples, par série de 5, réalisée environ toutes les 20 minutes. Le relevé sur la plateforme a été réalisé en fin de parcours de formation. Il en résulte que 27 % des étudiants de master ne se sont jamais connectés pour réaliser le test (73 absents pour 275 inscrits au cours). Pour ce qui est de la licence, 75 % des étudiants ne se sont jamais connectés pour réaliser le test (90 absents pour 120 inscrits au cours) : le fort absentéisme constaté en licence rend l’analyse peu fiable scientifiquement. Nous canaliserons nos observations sur les masters pour la suite de ce paragraphe.

Parmi les 202 répondants de master, la moyenne à l’ensemble du QCM est près de 12/20, répartie selon l’histogramme de la figure 5.

Figure 5

Répartition des résultats aux QCM

Répartition des résultats aux QCM

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Nous comparons notre mesure des résultats du QCM relevés sur la plateforme de formation avec la valeur théorique (courbe noire) d’une loi normale possédant les mêmes ayant les mêmes moyenne et écart-type que la distribution. Cette mesure nous montre que notre évaluation ne suit pas tout à fait une gaussienne, ce qui peut remettre en cause notre dispositif. En entrant plus en détail dans les résultats, nous constatons que des étudiants n’ont pas été présents à tous les cours et n’ont pas rattrapé le passage du QCM, même si cette possibilité était proposée.

Interrogés en conseil de perfectionnement de master, les représentants étudiants ont indiqué : « Le fait de faire des QCM est une nouvelle idée et une bonne initiative de la part de l’enseignant. Ceci va nous aider à augmenter un petit peu la note finale. »

Pour les étudiants de licence, l’absentéisme au cours a été abordé en conseil de perfectionnement. Les raisons énoncées par les représentants des étudiants étaient : « horaire du lundi matin 8 h trop matinal », « peu d’intérêt pour l’informatique qui n’est pas le centre de leur projet à l’université », mais pour autant, les étudiants présents ont apprécié la vision « sciences humaines de l’enseignement » et le côté « ludique » des tests.

Effet sur notre ressenti

Nous avons observé l’effet sur notre ressenti en nous basant sur notre propre expérience de ce cours et en la comparant avec les promotions antérieures. C’est un exercice subjectif bien entendu, mais il nous permet de rendre compte de notre pratique d’observation non participante lors des QCM, lors de la fin des cours et en discussion informelle en TD. Il en résulte une impression positive sur les points suivants, en licence comme en master : beaucoup plus d’écoute des étudiants pendant les phases transmissives, davantage de moments de repos et de déplacement dans l’amphithéâtre pour nous pendant la réalisation des QCM, beaucoup plus de discussions avec les étudiants en dehors du temps formel d’enseignement.

Nous retrouvons ici dans ce retour un signe d’évolution des compétences professionnelles de l’enseignant dans le domaine de la pédagogie numérique offrant un mieux-être pendant la séance de cours : il s’agit pour nous d’un effet positif.

Effet sur le ressenti des étudiants

L’enquête par questionnaire des masters nous révèle que les étudiants ont répondu aussi bien pendant les cours (68,8 %) qu’après les cours (84,4 %). Ceci nous montre aussi que certains étudiants ont réalisé plusieurs fois le QCM afin d’améliorer leur premier test.

Nous avions prévu cela, et la plateforme mémorise la moyenne des tentatives. Ceci permet aussi aux étudiants dispensés de suivre la formation à distance.

Enfin, nous souhaitions évaluer l’impression globale des étudiants en les interrogeant selon trois directions : leur appréciation de ce dispositif, leur impression sur la création d’une note de contrôle continu en amphithéâtre et l’impact sur leur apprentissage.

Figure 6

Appréciation des étudiants concernant le dispositif de formation

Appréciation des étudiants concernant le dispositif de formation

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Concernant le dispositif d’interactivités, les étudiants l’estiment satisfaisant ou très satisfaisant à 89 %. Ils sont favorables à 85 % à une note de contrôle continu qui renforce selon eux « l’assiduité et la concentration en cours en amphi ». Enfin, les étudiants interrogés considèrent à 84 % que ce dispositif est aidant pour leur apprentissage.

Effet niveau (licence ou master)

En licence, nous n’avons pas réussi au moyen de ce dispositif à inverser la tendance des autres années : un absentéisme important dès le premier cours. L’absence de réponse aux différentes sollicitations (enquête ou QCM) ne permet pas de donner de résultats significatifs (trop peu de répondants). Les raisons invoquées en conseil de perfectionnement sont ainsi les seuls éléments de rétroaction en notre possession : la matière enseignée ne fait pas partie de leur centre d’intérêt, ne suscite pas leur motivation. Nous retrouvons ainsi un résultat déjà exprimé dans une communication : pour « les étudiants de lettres [...] l’informatique peut être perçue comme un champ éloigné du leur » (Papi et Sidir, 2009). Ceci nous laisse songeur, car nous croyons fermement que le numérique a aussi besoin aujourd’hui de compétences en sciences humaines.

En master, les résultats observés nous confortent dans notre idée initiale et rejoignent les éléments bibliographiques cités dans la première partie : la pédagogie active apporte de bien meilleurs résultats en ce qui a trait à la motivation.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons vu dans cette communication, notre travail s’inscrit dans le cadre de la mise en oeuvre de nouveaux dispositifs numériques en formation dans l’ESR français, dispositifs permettant de favoriser l’interaction et l’interactivité dans un contexte historiquement en contradiction avec ses modalités communicationnelles : le cours en amphithéâtre.

Après avoir présenté le dispositif réalisé en licence et en master, nous avons précisé son observation auprès d’une promotion de 275 étudiants de master. Nous avons ensuite énoncé les premiers constats qui apparaissent dès cette première année d’expérimentation.

Nous nous garderons bien de tirer des généralités à partir de cette première expérience, mais nous estimons que certains points peuvent contribuer à encourager chez nous des pratiques différentes dans l’acte pédagogique.

Au vu des premiers résultats, nous pouvons affirmer que nos étudiants n’ont pas été déstabilisés par cette proposition d’utiliser des dispositifs numériques en situation d’apprentissage (plateforme de formation en ligne, téléphone portable, ordinateurs et RSN). Si nous comparons avec les années antérieures, nous observons même moins d’absentéisme et plus d’intérêt en cours. L’un des étudiants citera dans les champs libres de l’enquête : « Le style de cours de l’enseignant est innovant de par sa gestion du temps (Théorie + QCM + Vidéo), rend les cours plus attrayants et vivants. »

Nous reconnaissons aussi que le dispositif n’a pas eu le résultat escompté au sein d’un groupe d’étudiants peu concernés par la matière enseignée (forte absence dès le premier cours), ou peu motivés à respecter un horaire matinal jugé non adapté en conseil de perfectionnement.

Nous avons aussi validé le processus de mémorisation d’une note dans la plateforme Moodle. Nous reconnaissons une plus grande proximité entre nous et les étudiants, les modalités communicationnelles proposées y étant sûrement pour quelque chose.

Concernant les points à améliorer, nous relevons que le dispositif fonctionne mieux avec les masters qu’avec les licences, l’une des causes pouvant selon nous être la motivation à s’investir dans un cours transversal. Nous reconnaissons une difficulté à enseigner en surveillant sa montre pour permettre aux étudiants d’être en interactivité environ toutes les 20 minutes; cela change notre pratique et mérite une attention particulière. Enfin, nous avons interrogé notre administration sur le bien-fondé d’une note de contrôle continu en amphi, qui fut qualifiée d’inéquitable, « le CM n’étant pas obligatoire ». Nous n’avons donc pas pu présenter cela en conseil de formation.

Ce dernier point nous pousse à nous interroger pour les prochaines années, car nous ne souhaitons pas être en illégalité avec ce dispositif. Nous essaierons de convaincre davantage encore, car il apparaît clairement que les étudiants aspirent à ce type d’enseignement en amphithéâtre.