Corps de l’article

Depuis plus de deux décennies, une pression croissante a été mise sur la gouvernance des entreprises (Huse, 2007; Hawas et Tse, 2016) générant une pléthore de travaux sur les conseils d’administration (Désormais CA) dans les sociétés de capitaux et sur leur participation au processus stratégique (Judge et Talaulicar, 2017). De ces travaux, un consensus semble émerger et attribue à ces organes deux missions centrales (Short et al., 2000; Sundaramurthy et Lewis, 2003; de Andrés-Alonso, 2010; Mrad et Hallara, 2014). La première est essentiellement disciplinaire. Elle vise à réduire les coûts d’agence, en assurant une plus grande transparence des entreprises et une meilleure conformité des décisions aux intérêts des actionnaires et des parties prenantes externes (Fama et Jensen, 1983; Jensen, 1993; Daily et al., 2003; Boubaker et al., 2015). La seconde mission est davantage entrepreneuriale (Short et al. 2000) tournée vers la conduite des affaires. Cette mission, par essence cognitive et relationnelle, vise à améliorer la qualité des décisions, dans un environnement reconnu plus complexe et incertain, grâce aux connaissances, aux compétences et aux réseaux des membres du conseil (Forbes et Milliken, 1999; Rindova, 1999; Daily et al. 2003; Charreaux et Wirtz, 2006 et 2007; Godard, 2010; Mrad et Hallara, 2014).

Dans les grandes entreprises cotées, l’accent a été mis sur la première mission. Dans les PME, en raison de leur structure patrimoniale (Pettit et Singer, 1985; Osborne, 1991; Daily et Dalton, 1992; Torrès, 2011) mais aussi de leur manque de ressources et de compétences (Castaldi et Wortman, 1984; Ang, 1991; Brunninge et al., 2007; Filion, 2007), leur CA serait davantage utile dans sa mission entrepreneuriale (Forbes et Milliken, 1999; Lynall et al., 2003; Sundaramurthy et Lewis, 2003). En effet, le CA apporterait au dirigeant et à son équipe le capital humain et social utile tant pour l’obtention des ressources (Huse, 2000; Daily et al., 2003; Machold et al., 2011) que pour la prise de décision stratégique (Fiegener, 2005, Pugliese et Zhang Wenstøp, 2007, Machold et al., 2011). L’accomplissement de cette mission par le CA serait une source significative de création de valeur et contribuerait au développement des PME (Castaldi et Wortman, 1984; Huse, 2000; Fiegener, 2005; Minichilli et Hansen, 2007; Machold et al. 2011; Zattoni et al., 2015).

Cependant, et en dépit de son importance, la mission entrepreneuriale du CA peut être entravée par le dirigeant. En effet, le rôle central de ce dernier, du fait de son engagement patrimonial (Pettit et Singer, 1985; Ang, 1991; Torrès, 2011), de sa position hiérarchique et de son contrôle sur les décisions (Eisenhardt et Schoonhoven, 1990; Osborne, 1991; Daily et Dalton, 1992), peut affaiblir voire empêcher la participation des membres de son conseil à la prise de décision stratégique (Osborne, 1991; Daily et Dalton, 1992; Fiegener, 2005). Il s’agit donc d’un paradoxe propre au CA dans les PME. Dans ce travail nous défendons la thèse qu’une voie de dépassement et de résolution de ce paradoxe réside dans la professionnalisation du CA.

Considérée comme une dimension clé de la professionnalisation des PME (Flamholtz et Randle, 2007; Dekker et al., 2013; Stewart et Hitt, 2012), la professionnalisation de la gouvernance participerait ainsi à introduire des méthodes et des outils dans des organisations caractérisées par un mode de gestion entrepreneurial (Flamholtz et Randle, 2007) peu adapté à la croissance et à la complexité associée (Flamholtz et Randle, 2007; Stewart et Hitt, 2012).

Ainsi, l’objectif central de cet article est d’apporter un éclairage quant aux déterminants de la participation du CA au processus stratégique des PME. À l’instar de Zahra et Pearce (1990), de Rindova (1999) et plus récemment de Machold et al. (2011), nous adoptons une perspective large de ce processus. Il englobe des activités de recueil et d’analyse des informations, de débats et de choix stratégiques ainsi que de suivi de la mise en oeuvre. D’un autre côté, nous analysons la professionnalisation du CA à travers deux dimensions liées, d’une part, à la formalisation de son fonctionnement et, d’autre part, au renforcement des connaissances et des compétences présentes au sein du CA (Flamholtz et Randle, 2007). A partir d’une étude empirique auprès des dirigeants de 186 PME françaises indépendantes, nos résultats montrent que les dimensions retenues de la professionnalisation du CA contribuent significativement au processus stratégique.

Ce faisant, notre recherche apporte plusieurs contributions aux débats sur la participation du CA dans le processus stratégique et plus généralement à l’accomplissement de ses missions dans les PME. D’une part, en s’inscrivant dans la perspective nouvelle fondée sur l’examen des caractéristiques cognitives (connaissances et compétences) et des modes de fonctionnement du CA, notre recherche contribue à ouvrir cette boîte noire et dépasse ainsi les simples caractéristiques traditionnelles ou démographiques qui ont dominé jusque-là. En effet, certains travaux ont réduit la professionnalisation aux caractéristiques de composition (Gabrielsson, 2007; Yildirim-Oktem et Üsdiken, 2010) considérant un CA comme professionnalisé dès qu›il dépasse la taille légale (3 personnes) et qu›il englobe au moins deux administrateurs externes. D’autre part, en se concentrant sur les PME françaises, cette recherche apporte un éclairage empirique sur leur gouvernance qui reste encore très peu étudiée, alors qu’elle pourrait favoriser leur développement et leur création de valeur (Forbes et Milliken, 1999; Fiegener, 2005; Machold et al. 2011). À notre connaissance, aucune étude n’a abordé expressément le sujet de la professionnalisation du CA au sein des PME. Ces entreprises sont pourtant reconnues par un certain manque de structuration et de formalisation (d’Amboise et Muldowney, 1988; Gabrielsson, 2007) et par une forte concentration du pouvoir décisionnel au niveau du dirigeant propriétaire. La professionnalisation du CA rompt avec cet archétype. En formalisant son fonctionnement et en apportant des connaissances et des compétences, le CA contribue au processus de décision stratégique. Le cas français est également très peu étudié. Pourtant, Charreaux, en 1997, insistait sur les spécificités du système de gouvernance latin et plus particulièrement en France, du fait des particularités associées au rôle prédominant de l’Etat, des banques et des salariés. Ces spécificités nationales s’expliquent par une tradition juridique de droit civil (en opposition au droit coutumier) qui est moins propice au développement des marchés de capitaux et à la protection des investisseurs (Charreaux, 2004). L’actionnariat reste concentré et dominé par la famille qui impose un management oeuvrant dans le sens de l’intérêt des actionnaires majoritaires au détriment des actionnaires minoritaires (La Porta et al., 1999; Barros et al., 2013; Ben Ali et Teulon, 2017). Les mécanismes de gouvernance demeurent faiblement influents dans le contexte français (Shleifer et Vishny, 1997; Barros et al., 2013; Ben Ali et Teulon, 2017). Serait-il autrement avec la professionnalisation d’un des principaux organes de contrôle : le CA ?

Cet article est structuré en trois parties. Dans un premier temps nous présentons notre cadre théorique et nos hypothèses de recherche. Ensuite, nous explicitons notre méthodologie en détaillant le protocole de la recherche. Dans la troisième et dernière partie, nous présentons et discutons les principaux résultats au regard de la littérature sur les missions du CA et notamment par rapport à la stratégie. Nous concluons cet article en soulignant ses contributions et en présentant certains prolongements qui nous semblent nécessiter de plus amples investigations.

Cadre conceptuel et hypothèses de la recherche

Le rôle stratégique du conseil d’administration

L’importance du rôle du CA dans la stratégie de l’entreprise a été reconnue de longue date (Andrews, 1981). Cependant, un débat continue à animer la recherche dans ce domaine (Judge et Talaulicar, 2017). En effet, sous l’influence de la théorie de l’agence, plusieurs auteurs considèrent le rôle stratégique du CA sous l’angle disciplinaire et le cantonnent donc à la ratification des décisions stratégiques et à la surveillance de leur mise en oeuvre (Hendry et Kiel, 2004; Pugliese et al., 2009). D’autres auteurs analysent ce même rôle avec le prisme de la théorie de l’intendance considérant les membres du CA comme un soutien aux dirigeants et un levier de leur accompagnement. Dans cette perspective, la responsabilité de la stratégie de l’entreprise incombe aux dirigeants, traités comme des intendants honnêtes et loyaux (Davis, Schoorman & Donaldson, 1997; Lane et al., 1998; Roberts & Stiles, 1999)[1].

Partant d’une perspective cognitive, plusieurs auteurs ont revisité le rôle des administrateurs en les présentant comme des détenteurs de connaissances, d’expertises et d’expériences particulièrement utiles dans le cadre des processus de décision stratégique (Forbes et Milliken, 1999; Rindova, 1999; Godard, 2010). En mettant en avant les dynamiques collectives des CA représentés comme des groupes de prise de décision (Forbes et Milliken, 1999; Machold et al. 2011), ces travaux considèrent les administrateurs comme partageant une responsabilité conjointe avec les dirigeants tant dans la formulation que dans la mise en oeuvre de la stratégie.

Cette vision du CA est en adéquation avec des arguments en management stratégique accordant un rôle de direction (orientation) aux organes de gouvernance. Ainsi, Finkelstein et al. (2008) voient les CA comme des « équipes dirigeantes supra »[2] qui sont, de plus en plus, des espaces indépendants de réflexion et qui, généralement, prennent un rôle actif permettant d’infléchir, de modeler voire d’élaborer la direction stratégique de leur organisation. De son côté, Hung (1998) voit, dans le rôle stratégique du CA, des activités de coordination et de prise de décision alors que Huse (2007) ajoute qu’il s’agit respectivement de collaboration, d’accompagnement de la prise de décision stratégique et de contrôle. On retrouve ainsi généralement, un ensemble d’activités comme la définition de la mission et de la vision stratégique, l’identification des opportunités stratégiques et des activités éventuelles de diversification, le débat et la prise de décision concernant les investissements et, enfin, la veille active sur les tendances et les opportunités externes. Plus récemment, Judge et Talaulicar, (2017) insistent sur la responsabilité légale des administrateurs pour établir la direction stratégique de l’entreprise et assurer sa performance à long terme. Leur participation s’impose ex ante pour la formation de la stratégie et ex post pour son évaluation.

La professionnalisation du CA dans les PME

Lorsqu’elle est mobilisée dans la littérature générale en management, la professionnalisation renvoie à une transition organisationnelle permettant à l’entreprise de passer d’une étape à une autre dans sa trajectoire de croissance (Dekker et al. 2013; Ingley et al. 2017). La petite entreprise, caractérisée jusque-là par une gestion entrepreneuriale (Flamholtz et Randle, 2007), devra adopter de nouvelles pratiques de gestion plus systématiques et plus sophistiquées lui permettant de répondre au surcroît de complexité généré par la croissance de ses opérations (Flamholtz et Randle, 2007; Stewart et Hitt, 2012). Cette transformation touche l’ensemble des domaines de l’entreprise. Dekker et al. (2013), dans leur étude sur des entreprises familiales belges, identifient cinq grands domaines de l’organisation touchés par le processus de professionnalisation que sont : la gouvernance, la direction, la structure organisationnelle, le système de contrôle financier et le système RH. Ainsi, Le premier, et probablement le plus crucial, concerne l’organisation du système de pouvoir, avec une différenciation plus marquée entre les fonctions de direction et de gouvernance (Ingley et al. 2017; Yildrim-Öktem et Üsdiken, 2010).

Caractérisée jusque-là par une forte concentration des pouvoirs entre les mains du dirigeant propriétaire et/ou de la famille (Pettit et Singer, 1985; Ang, 1991; St-Pierre et Fadil, 2016), la professionnalisation des PME induit un rééquilibrage des pouvoirs au sommet de l’organisation. Cette mutation s’accompagne par deux autres transformations non moins structurantes. D’abord, la professionnalisation de la gouvernance se traduit par une répartition plus nette des responsabilités entre le management et la gouvernance de l’entreprise (Ingley et al. 2017). Dans ce cadre, tant l’équipe de direction que le CA s’enrichissent par de nouveaux profils, souvent externes, reconnus pour leurs compétences fonctionnelles et/ou managériales. Ensuite, au niveau de l’organisation de l’entreprise, la professionnalisation s’accompagne par le développement de nouvelles méthodes formalisées de recrutement, de formation, d’évaluation et de définition des responsabilités avec une plus forte spécialisation des tâches et une définition plus précise des postes et des responsabilités (Dekker et al. 2013). Il s’en suit également l’adoption d’un système de contrôle plus formel permettant d’accompagner la décentralisation des décisions.

Sur le plan opérationnel, la professionnalisation, pourtant un concept multidimensionnel, a été souvent réduite aux caractéristiques de composition de l’équipe de management et/ou de l’organe de gouvernance. Ainsi, le nombre de dirigeants salariés ou non familiaux et le nombre d’administrateurs externes ont été régulièrement mobilisés pour mesurer la professionnalisation du management et de la gouvernance (Yildrim-Öktem et Üsdiken, 2010). Cette approche, pourtant bien utilisée, peut être trompeuse à plus d’un titre. D’abord, la présence de dirigeants salariés et/ou d’administrateurs externes n’implique pas nécessairement la professionnalisation de l’entreprise et/ou de sa gouvernance (Stewart et Hitt, 2012). Elle peut même être une mesure cosmétique permettant uniquement d’adresser un signal rassurant aux parties prenantes externes. Ensuite, cette approche considère implicitement que les dirigeants propriétaires ou les membres d’une famille ne peuvent être professionnels et ne peuvent conduire l’entreprise dans la voie de la professionnalisation.

Dans le cadre de ce travail, nous considérons que la différenciation entre les fonctions de propriété et de direction, à travers le recrutement d’un dirigeant salarié, peut, au mieux, signaler l’engagement d’une entreprise dans la voie de la professionnalisation. Elle ne peut aucunement signifier que le processus de transformation est réellement abouti. Le résultat du processus de professionnalisation ne peut être correctement appréhendé qu’à travers l’examen des pratiques et des méthodes adoptées. Aussi, optons-nous pour une approche différente en mettant l’accent sur la transformation elle-même et ses résultats (Dekker et al. 2013). En effet, en nous appuyant sur les travaux de Flamholtz et Randle, (2007), nous proposons de prendre en compte deux dimensions complémentaires permettant de caractériser la professionnalisation de l’organe de gouvernance. La première porte sur la formalisation du fonctionnement du conseil alors que la seconde porte sur les connaissances et les compétences au niveau du conseil.

La formalisation du fonctionnement du CA

Le premier levier de la professionnalisation du CA porte sur son mode de fonctionnement. Il renvoie aux caractéristiques liées à la tenue de ses réunions, à l’organisation de son travail et à la procédure de son évaluation (Lawler et al., 2002; Payne et al. 2009).

Considéré comme déterminant par de nombreux auteurs (Forbes et Milliken, 1999; Huse, 2000; Lawler et al. 2002; Daily et al., 2003; etc.), le fonctionnement effectif des CA reste peu étudié (Demb et Neubauer, 1992; Forbes et Milliken, 1999; Payne et al. 2009) et plus particulièrement dans les PME (Gabrielsson et Windlund, 2000; Minichilli et Hanssen, 2007; Pugliese et Zhang Wenstøp 2007).

Ainsi, deux études empiriques portant sur certaines caractéristiques du fonctionnement des CA dans les PME scandinaves ont pu être identifiées. Sur un échantillon de 422 PME suédoises, Gabrielsson et Winlund (2000) examinent l’effet du mode de fonctionnement du CA sur son efficacité dans l’accomplissement de ses rôles de contrôle et de conseil. Ils mesurent le mode de fonctionnement à travers, d’un côté, la fréquence et la durée des réunions et, de l’autre, l’adoption de procédures formelles de travail et d’évaluation. Gabrielsson et Winlund (2000) montrent que seule l’adoption de procédures formelles de travail affecte l’efficacité[3] du conseil dans les rôles de contrôle et de services.

Quant à l’étude de Pugliese et Zhang Wenstøp (2007) dans le contexte des PME norvégiennes, elle tente de mettre en relation, d’un côté, les modes de fonctionnement du CA et, de l’autre, les décisions stratégiques. Ces auteurs montrent que seule l’adoption de procédures régulières d’évaluation affecte positivement les décisions stratégiques[4]. Ni la fréquence des réunions ni leur durée ne semblent reliées à ces décisions.

Malgré ces premiers résultats mitigés, deux arguments majeurs nous semblent justifier les liens entre le mode de fonctionnement du conseil et son implication, tant dans son rôle de contrôle que dans ses rôles collaboratifs. Le premier argument découle de la thèse disciplinaire du CA pointant l’existence d’asymétrie informationnelle entre les administrateurs internes, en charge des opérations quotidiennes et informés continuellement des réalités de l’entreprise (Denis, 2004; Mac an Bhaird, 2010), d’un côté, et de l’autre, les administrateurs externes, qu’il s’agisse d’administrateurs indépendants ou affiliés, par essence extérieurs à l’entreprise et susceptibles de manquer d’informations. La régularité des réunions ainsi que la formalisation du fonctionnement du CA seraient des leviers importants à même de réduire cette asymétrie et de favoriser un flux régulier d’informations entre la direction et les administrateurs externes du CA (Demb et Neubauer, 1992; Forbes et Milliken, 1999; Lawler et al., 2002; Payne et al. 2009).

Le deuxième argument est d’inspiration cognitive. En effet, le CA étant un groupe de travail intermittent, la discontinuité de son travail peut engendrer des pertes liées aux processus de fonctionnement des équipes (process losses) et notamment des difficultés à maintenir un niveau d’information suffisant de l’ensemble de ses membres, afin de permettre une confrontation des points de vue et des débats fructueux. Ainsi, tant la régularité des réunions que le degré de formalisation des sessions permettraient d’améliorer l’information transmise aux administrateurs et favoriseraient le développement d’un sentiment d’appartenance et du sens du devoir à l’égard de l’entreprise (Demb et Neubauer, 1992).

Ces arguments convergent et nous conduisent à poser notre première hypothèse générale :

H I. :

La formalisation du fonctionnement du CA est positivement associée à sa participation au processus stratégique.

Cette hypothèse générale est déclinée en quatre hypothèses opératoires. En effet, dans le cadre de ce travail, quatre caractéristiques essentielles du fonctionnement des CA sont examinées. Il s’agit de la fréquence des réunions, de leur durée, de l’adoption de procédures formelles de fonctionnement ainsi que de l’adoption d’une procédure d’évaluation du CA.

H.1. :

La fréquence des réunions du CA est positivement associée à sa participation au processus stratégique;

H.2. :

La durée moyenne des réunions du CA est positivement associée à sa participation au processus stratégique;

H.3. :

L’adoption de procédures formelles de fonctionnement par le CA est positivement associée à sa participation au processus stratégique;

H.4. :

L’adoption d’une procédure d’évaluation du CA est positivement associée à sa participation au processus stratégique;

Les compétences et connaissances collectives du conseil

Le second levier de la professionnalisation du CA porte sur le renforcement des connaissances et des compétences présentes au sein du CA et nécessaires à la conduite de ses missions. Ces caractéristiques cognitives ont été souvent inférées à partir des caractéristiques de composition et notamment la présence d’administrateurs externes (Huse, 2000; Gabrielsson, 2007; Boivie et al., 2008). Depuis, l’émergence des perspectives cognitives dans l’étude des CA (Forbes et Milliken, 1999; Payne et al., 2009; Rindova, 1999) a permis de remettre l’accent sur une caractéristique essentielle liée au capital humain des administrateurs : leurs expériences, leurs réseaux et leurs expertises et compétences.

Dans la même veine, selon Demb et Neubauer (1992), la contribution essentielle d’un CA tient à sa capacité à développer une vision d’ensemble et intégrée de l’entreprise, de ses activités et de son environnement. Selon ces auteurs, cette capacité est tributaire de quatre caractéristiques majeures que sont : les connaissances de l’entreprise, les connaissances de son contexte, l’implication et le recul des administrateurs. De son côté, Rindova (1999) souligne que les administrateurs sont des experts de la prise de décision et en tant que tels ils apportent à l’entreprise une réelle capacité d’analyse. Hendry et Kiel (2004) prolongent ces arguments et affirment que les savoirs, les connaissances et les compétences sont des déterminants majeurs de la performance du CA et de sa contribution à la stratégie de l’entreprise. Lawler et al. (2002) considèrent les connaissances détenues par les administrateurs comme un déterminant clé de leur efficacité. Selon ces auteurs, les connaissances utiles dans un CA se rapportent à la stratégie, à la finance, à la gestion de la succession, à l’environnement politique et technologique et aux enjeux sociétaux, ainsi qu’au fonctionnement des organisations.

Ces arguments seraient encore plus forts dans le contexte des PME où le déficit des compétences managériales semble être récurrent (Castaldi et Wortman, 1984; Lynall et al. 2003; Brunninge et al. 2007; Machold, et al. 2011). Pourtant, et malgré leur importance reconnue, les connaissances et compétences collectives du conseil n’ont été que rarement mesurées directement par les chercheurs (Payne, et al. 2009) et plus particulièrement dans le cadre des PME patrimoniales (Machold et al. 2011). Le plus souvent, elles ont été inférées à partir des caractéristiques de composition et associées à la présence d’administrateurs externes (Gabrielsson, 2007; Boivie et al. 2008).

Les principales études empiriques que nous avons pu recenser offrent des résultats convergents malgré la diversité de leurs méthodes de mesure. Ces travaux présentent le lien entre, d’une part, les connaissances et compétences du conseil et, d’autre part, son efficacité et/ou la réalisation des différentes activités qui lui incombent (Board Task Performance). Ils confirment des effets positifs entre les compétences et connaissances collectives présentes au sein du conseil et son implication dans ses rôles.

Ainsi, Gabrielsson et Winlund (2000) montrent que les connaissances et expertises collectives, mesurées par une échelle de 3 items, sont positivement et significativement associées au rôle de service[5] alors qu’elles n’interviennent pas de façon significative sur le rôle de contrôle.

Dans une autre étude, Pugliese et Zhang Wenstøp (2007) analysent l’effet de la qualité du CA sur son rôle stratégique. En mettant l’accent sur le degré de connaissance de l’entreprise (ses activités, ses compétences, ses technologies et ses faiblesses), Ils montrent que ces connaissances internes sont positivement associées aux décisions stratégiques.

Plus récemment, Machold et al. (2011) adoptent un point de vue complémentaire et soulignent le rôle déterminant des connaissances spécifiques de l’entreprise et de son secteur d’activité comme facteur explicatif de sa participation au processus de décision stratégique. Ils montrent, toujours dans le même contexte des PME norvégiennes, que les connaissances internes et externes sont positivement et significativement associées à l’implication du CA dans la stratégie de l’entreprise qu’ils gouvernent.

Compte tenu des arguments ci-dessus et en ligne avec les résultats empiriques examinés, nous avançons que :

H. II :

La présence de connaissances et de compétences au sein du CA est positivement associée à sa participation au processus stratégique;

Cette hypothèse est déclinée en trois sous hypothèses en fonction de la nature des connaissances présentes au sein du conseil. En effet, compte tenu des caractéristiques des conseils dans les PME, et notamment leur taille réduite (Huse, 2000; Machold et al., 2011), la présence de connaissances internes (de l’entreprise) et externes (de l’environnement) et de compétences générales peut varier en fonction des entreprises et des caractéristiques de leur CA. Aussi, nous poserons :

H.5. :

La présence de connaissances internes au sein du conseil est positivement associée à sa participation au processus stratégique;

H.6. :

La présence de connaissances externes au sein du conseil est positivement associée à sa participation au processus stratégique;

H.7. :

La présence de compétences générales au sein du conseil est positivement associée à sa participation au processus stratégique.

Méthodologie

La présente étude a été réalisée sur un échantillon de 186 PME françaises. Dans ce paragraphe, nous présentons successivement la procédure de collecte des données et l’échantillon ainsi que le modèle et la méthode d’analyse.

La collecte des données

Dans le cadre de cette étude, nous avons choisi de nous concentrer sur les PME (i) indépendantes (ii) de 50 à 250 employés et (iii) enregistrées sous la forme de Société Anonyme (SA) avec un conseil d’administration[6]. À partir de la base de données Diane, nous avons recensé 1071 entreprises respectant ces 3 conditions. Un examen approfondi de ces entreprises nous a conduits à en écarter 420 entreprises appartenant au secteur public (sociétés d’économie mixte), au secteur de la santé ou présentant de nombreuses données manquantes dans la base de données. Ainsi, la population finale adressée par notre enquête englobe 651 entreprises. Un questionnaire renseignant les caractéristiques de l’entreprise et de sa gouvernance a été adressé à son dirigeant (Président ou PDG). Ce dernier a été considéré comme la personne la plus informée de la gouvernance et de la stratégie de son entreprise (Fiegener, 2005; Gabrielsson, 2007; Machold et al. 2011; Minichilli et Hansen, 2007; Pugliese et Zhang Wenstøp, 2007; Zahra et Pearce, 1999).

Afin de réduire le risque de non-réponse, très élevé dans les études sur les PME, nous avons mis en oeuvre un pré-test du questionnaire auprès de dirigeants (10) et d’experts en PME (8). Nous avons également conduit une étude pilote auprès de 100 entreprises sélectionnées aléatoirement. En adaptant tant le questionnaire que la procédure de suivi, nous avons obtenu 186 réponses exploitables soit un taux de réponse de 28,57 %. Par ailleurs, des tests de comparaison de moyennes et de médianes entre l’échantillon et la population mère sur trois variables clés (Chiffre d’affaires, Effectifs et Total Actif) nous permettent d’écarter les risques d’un biais de sélection.

Le tableau 1 fournit les caractéristiques de cet échantillon en termes d’activités et en termes de gouvernance.

La lecture de ce tableau révèle que les entreprises de notre échantillon ont une taille moyenne d’environ 106 salariés pour un chiffre d’affaires moyen de 15,24 millions et un total actif moyen de 12,52 millions d’euros. Ces entreprises sont majoritairement de taille comprise entre 50 et 99 salariés (59,1 %) et près de 32 % d’entre elles ont un effectif compris entre 100 et 199 salariés. Seules 17 entreprises (9,1 % de l’échantillon) dépassent le seuil des 200 salariés.

Tableau 1

Statistiques descriptives de l’échantillon

Statistiques descriptives de l’échantillon

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Du point de vue de leur âge, les entreprises de notre échantillon peuvent être considérées comme matures puisque seules 7 entreprises (3,8 %) ont moins de 10 ans. Aussi, 40,3 % ont un âge compris entre 10 et 25 ans et 32,8 % présentent un âge compris entre 25 et 50 ans. Par ailleurs, 32 entreprises (17,2 %) présentent un âge de plus de 50 ans dont 11 entreprises ont plus de 100 ans (5,9 %).

Malgré leur maturité, les entreprises de notre échantillon restent peu diversifiées puisque 101 entreprises (54,3 %) déclarent avoir une activité unique représentant plus de 90 % des ventes et 48 entreprises (25,8 %) présentent une activité dominante avec un volume d’affaires supérieur à 70 % des ventes de l’entreprise. Seules 37 entreprises (19,9 %) semblent avoir entamé une diversification de leur activité même si cette diversification reste dans des activités reliées.

En matière de secteurs d’activités, l’échantillon est relativement diversifié avec cependant deux secteurs dominants que sont les industries manufacturières avec 40,86 % de l’échantillon (76 entreprises) et les services avec 32,26 % (60 entreprises). Les entreprises intervenant dans le commerce et la distribution représentent quant à elles près de 14 % de l’échantillon alors que celles intervenant dans le secteur de la construction représentent 12,9 %.

Quant à leur structure actionnariale, les entreprises de notre échantillon semblent être représentatives des PME françaises avec une structure de propriété plutôt concentrée. Ainsi, l’actionnariat est dominé par un actionnaire majoritaire représentant en moyenne plus de 51 % du capital. Le calcul de l’indice Herfindhal-Hirschmann confirme cette tendance avec un indice de concentration de 0,41.

Concernant les caractéristiques de leur CA, les entreprises de l’échantillon présentent pour 25,8 % des cas un conseil correspondant au minimum légal de 3 membres alors que dans 50,5 % des cas, la taille du CA comprend 4 à 6 membres. Ces statistiques sont conformes aux études antérieures sur les conseils d’administrations dans les PME d’autres pays qui dépassent rarement la taille de 6 membres (Daily et Dalton, 1992; Gabrielsson et Winlund, 2000; Huse, 2000; Fiegener 2005). En matière de composition, les CA de notre échantillon sont composés à près de 31 % par des administrateurs salariés contre 47,5 % d’administrateurs non-salariés mais néanmoins affiliés au dirigeant soit par un lien familial, amical ou d’affaires. Ainsi, le ratio moyen des administrateurs indépendants ne représente que 21,6 % des CA des entreprises interrogées. Ces derniers ne présentent donc aucun lien, autre qu’actionnarial, avec l’entreprise et avec son dirigeant. Enfin, nous remarquons que la pratique de la séparation des fonctions de président et de directeur général demeure minoritaire puisque seules 39 % des entreprises de notre échantillon ont séparé les deux fonctions alors que pour les autres, soit 61 %, une même personne cumule les deux rôles.

La mesure des variables

La variable dépendante. Notre étude porte sur les déterminants de la participation du CA au processus stratégique. En conséquence, notre variable dépendante mesure la participation du CA aux différentes activités relatives à ce processus. Une liste de 5 activités, reflétant le processus stratégique, a été adaptée des travaux de Zahra et Pearce (1990) et de Rindova (1999). Il s’agit de la participation des administrateurs à : (1) l’analyse de l’environnement, (2) la discussion et l’évaluation des options stratégiques, (3) le choix des options stratégiques, (4) la définition des objectifs stratégiques et des plans d’actions et (5) le suivi de la mise en oeuvre. Pour chacun de ces items, le degré de participation des membres du conseil a été évalué sur une échelle de 5 points. La fiabilité de cette échelle a été particulièrement satisfaisante et l’alpha de Cronbach s’établit à 0,92. Conformément aux études antérieures, la participation du CA au processus de décision stratégique a été calculée comme la moyenne de ces 5 items[7] (Gabrielsson et Winlund, 2000; Pugliese et Zhang Wenstøp, 2007; Machold et al. 2011).

Les variables indépendantes. Dans le cadre de cette étude, notre questionnement porte sur les effets de la professionnalisation sur la participation au processus stratégique. Aussi nos variables explicatives portent, d’une part, sur la formalisation du fonctionnement du CA et, d’autre part, sur les connaissances et compétences collectives. La première série de variables indépendantes est composée de quatre variables (Gabrielsson et Winlund, 2000; Pugliese et Zhang Wenstøp, 2007). Le nombre de réunions rend compte du nombre de réunions annuelles tenues par le conseil. La durée moyenne des réunions correspond au nombre d’heures que durent, en moyenne, ces réunions. Enfin, les deux dernières variables sont des variables binaires. La première interroge le dirigeant quant à l’adoption de procédures formelles de fonctionnement du CA. La seconde mesure spécifiquement l’adoption d’une procédure d’évaluation du travail du CA. Ces deux variables prennent la valeur 1 en cas d’adoption de ces procédures et 0 sinon.

Tableau 2

Analyse en Composantes Principales des Connaissances et Compétences Collectives du CA

Analyse en Composantes Principales des Connaissances et Compétences Collectives du CA

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La seconde série de variables porte sur les connaissances et compétences collectives. Elles ont été mesurées à partir d’une liste de 10 items relatifs aux connaissances de l’environnement, aux connaissances de l’entreprise ainsi qu’aux compétences en gestion[8]. Le dirigeant a été invité à évaluer le degré de présence, au sein du CA, de chacune de ces 10 connaissances et compétences à partir d’une échelle allant de 1 à 5. Une analyse en composantes principales (ACP) a permis de distinguer, après rotation, 3 facteurs correspondant respectivement aux connaissances externes, aux connaissances internes et aux compétences générales (tableau 2). Ces facteurs expliquent plus de 73 % de la variance. Le score de chaque facteur a été obtenu par extraction selon la méthode des régressions.

Les variables de contrôle. Deux séries de variables ont été retenues comme variables de contrôle. La première série rend compte des caractéristiques de l’entreprise en mesurant quatre caractéristiques clés liées à sa taille et à son âge mais aussi à sa structure de propriété et au degré de diversification de ses activités. Ces différentes variables ont été suggérées dans la littérature comme susceptibles d’influencer la composition et/ou le fonctionnement du CA (Daily et Dalton, 1992, Fiegener 2005; Gabrielsson et Winlund, 2000; Huse, 2000; Pugliese et Zhang Wenstøp, 2007; Machold et al. 2011). La variable taille résulte d’une extraction factorielle à partir d’une analyse en composantes principales des 3 variables les plus couramment utilisées dans les travaux sur les PME, pour rendre compte de leur taille, à savoir : le chiffre d’affaires, l’effectif et le total actif. L’âge tient compte du nombre d’années depuis la première immatriculation de l’entreprise. Ces deux variables ont été standardisées. La structure de propriété a été approchée par la construction de l’indice de Herfindhal-Hirschmann. Ainsi, nous avons calculé la somme des carrés du pourcentage de capital détenu par les trois actionnaires les plus importants. Enfin, le degré de diversification a été mesuré en adaptant les critères de classification de Rumelt (1974). Ainsi, les entreprises déclarant une activité unique, qui constitue plus de 90 % du Chiffre d’affaires, et celles présentant une activité dominante à plus de 70 % du Chiffre d’affaires, ont été regroupées et codées 1 alors que les entreprises diversifiées dont l’activité principale représente moins de 70 % du chiffre d’affaires ont reçu le code 0, que cette diversification soit liée ou non.

La deuxième série de variables rend compte des caractéristiques usuelles du CA (Finkelstein et Mooney, 2003; Daily et al. 2003) en matière de composition et de structure. Ainsi, la taille du CA est mesurée par le nombre d’administrateurs composant le conseil. La séparation des fonctions de Président et de Directeur Général est une variable binaire prenant la valeur 1 en cas de séparation et 0 en cas de cumul des fonctions. Enfin, le ratio d’administrateurs indépendants a été calculé en rapportant le nombre de ces administrateurs à la taille du CA. Les administrateurs indépendants sont définis comme les administrateurs non-salariés et ne présentant aucun lien familial, ni amical, ni d’affaires avec le dirigeant.

Méthode d’analyse des données

Afin de tester nos hypothèses de recherche, nous mobilisons les modèles de régression linéaires multiples pas à pas. Ainsi, quatre modèles ont été considérés. Dans le premier modèle, nous introduisons les quatre variables de contrôle relatives aux caractéristiques de l’entreprise. Nous introduisons ensuite les variables de contrôle relatives aux caractéristiques traditionnelles du CA. Aussi, le modèle 2 regroupe l’ensemble des variables de contrôle. Dans le 3ème modèle nous introduisons les quatre variables rendant compte du mode de fonctionnement du CA. Le dernier modèle permet d’introduire les 3 variables relatives aux connaissances et compétences collectives du CA. Ce dernier modèle (modèle 4) regroupe l’ensemble des variables de l’étude. Les contrôles préalables (normalité des résidus, homogénéité de la variance, indépendance des résidus, absence de colinéarité) ne révèlent pas de problèmes particuliers. De même, nous avons réalisé des tests de Durbin-Wu-Haussman sur l’ensemble des variables explicatives continues. Ces tests ne révèlent pas de problèmes d’endogénéité particuliers sur ces variables[9] malgré l’identification d’un risque lié aux variables omises.

Résultats et discussion

Résultats

Le tableau 3 présente les statistiques descriptives ainsi que la matrice des corrélations des différentes variables du modèle. D’abord, et d’un point de vue descriptif, sans nous attarder sur les variables de contrôle qui ont été déjà analysées dans les caractéristiques de l’échantillon au tableau 1, nous focaliserons l’attention sur les variables explicatives. Ainsi, les membres du CA de notre échantillon se réunissent en moyenne 3,9 fois par année et chacune de ces réunions dure entre 2 et 3 heures (2 heures et 53 minutes). De plus, nous notons que le nombre de CA ayant adopté une procédure d’évaluation est relativement faible (31 %) alors même que près de la moitié de l’échantillon déclare avoir adopté des procédures formelles de fonctionnement (49 %).

La matrice de corrélation, nous permet de déceler les éventuels problèmes de multicolinéarité. Nos facteurs d’inflation de la variance (VIF) sont compris entre 1,005 et 1,380 ce qui nous semble satisfaisant. Par ailleurs, l’analyse de cette matrice nous permet de compléter l’analyse de la régression. Ainsi, nous constatons par exemple et sans surprise, une corrélation significative entre la taille de l’entreprise et celle du CA ainsi que la formalisation de son fonctionnement.

Tableau 3

Statistiques descriptives et matrice des Corrélations

Statistiques descriptives et matrice des Corrélations

** La corrélation est significative au niveau 0,01 (bilatéral).

* La corrélation est significative au niveau 0,05 (bilatéral).

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Concernant les tests de nos hypothèses de recherche, le tableau 4 fournit les coefficients standardisés des régressions ainsi que les caractéristiques des 4 modèles résultant de l’introduction respective des variables de contrôle (Modèles 1 et 2), des variables relatives à la formalisation du fonctionnement (modèle 3) et des variables mesurant les connaissances et les compétences collectives (modèle 4). L’examen de ce dernier modèle intégrant l’ensemble des variables du modèle (modèle 4) révèle que le pouvoir explicatif global du modèle est très satisfaisant avec 48 % de la variance globale expliquée par les variables de notre modèle. Ainsi, la participation du CA au processus de décision stratégique peut être attribuée en grande partie, d’une part, à la formalisation du fonctionnement du conseil et plus particulièrement à l’existence de procédures formelles de fonctionnement et à la fréquence et à la durée des réunions et, d’autre part, aux connaissances et compétences collectives du CA. En effet, les deux premiers modèles intégrant les variables de contrôle présentent un coefficient de détermination global quasi-nul avec des R² ajustés respectivement de 0,009 et 0,017 de la variance alors que le coefficient de détermination globale du modèle 3 s’établit à 25,3 % et celui du modèle 4 à 48 %. Tant l’introduction des variables de fonctionnement que celle des connaissances et compétences collectives du CA entrainent une amélioration sensible des coefficients de détermination globale avoisinant les 23 % sur chacun des deux derniers modèles.

Tableau 4

Modèles de régression

Modèles de régression

Le tableau présente les valeurs des coefficients standardisées ainsi que les seuils de significativité aux seuils de : ¥ : 10 %, * 5 %, ** : 1 % et *** : 0,1 %

Les VIF de l’ensemble des variables des 4 modèles sont compris entre 1,005 et 1,380.

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L’examen des relations obtenues dans les modèles de régression nous permet de relever l’existence de relations intéressantes. D’abord, concernant les variables de contrôle, seule la concentration de la propriété (IHH) semble faiblement et négativement associée à la participation du CA au processus de décision stratégique dans le premier (au seuil de 10 %) et dans le deuxième modèle (au seuil de 5 %). Ce résultat, plus ou moins nuancé, va toutefois dans le sens des spécificités des dirigeants propriétaires des PME qui demeurent hostiles au partage de la propriété et notamment de la décision (Ang, 1991; Pettit et Singer, 1987; St-Pierre et Fadil, 2016). Par ailleurs, ni la séparation des fonctions de Président et de DG, ni le ratio des administrateurs indépendants ne semblent être significativement liés à la participation au processus de décision stratégique. Il en est de même des caractéristiques de l’entreprise en termes de taille, d’âge et de spécialisation des activités. Nous notons que la taille du CA qui ne présente aucun effet significatif dans le modèle 2, est associée négativement et significativement à la participation du CA au processus de décision stratégique. Ceci nous amène à suggérer un effet d’interaction entre cette variable et les variables explicatives du modèle (cf. matrice de corrélation). En effet, la taille du CA est positivement corrélée au ratio d’administrateurs indépendants, à la fréquence et à la durée des réunions et à l’évaluation du CA. La corrélation est toutefois négative entre la taille du CA et les connaissances internes, signalant probablement un effet de déperdition voire de rétention de l’information avec l’accroissement de la taille du conseil. L’augmentation de la taille du CA constitue à cet égard une forme d’altération de la proximité caractéristique des PME (Torrès, 2003) alors même que cette proximité favorise l’échange informel d’informations stratégiques entre un nombre limité d’acteurs (Ingley et al. 2017). Qui plus est, la taille du CA n’est pas significativement corrélée avec les connaissances externes. Donc l’accroissement de la taille du CA, qui se fait notamment par le biais de recrutement d’administrateurs indépendants, ne semble pas favoriser l’accès aux connaissances externes.

L’examen du modèle global révèle qu’en dehors d’une seule variable, toutes les autres variables explicatives retenues sont associées positivement au rôle stratégique du CA. Concernant la formalisation du fonctionnement du CA, 3 des 4 variables retenues pour cette mesure sont positivement et significativement associées à la participation du CA au processus stratégique. Ainsi, le nombre de réunions (β=0,178), leur durée moyenne (β=0,172) et l’adoption de procédures formelles de fonctionnement (β=0,185) y sont positivement associés au seuil de 1 %. Ces résultats nous conduisent à retenir les hypothèses 1, 2 et 3. À l’opposé, la variable mesurant l’adoption de procédures d’évaluation n’est pas associée significativement à la participation du conseil au processus stratégique et nous conduit à rejeter l’hypothèse 4.

Enfin, les trois variables mesurant les connaissances sont positivement et significativement associées à sa participation au processus stratégique. Les connaissances internes et externes ainsi que les compétences générales y sont associées avec des coefficients standardisés respectivement de 0,248, de 0,338 et de 0,271 significatifs au seuil de 1‰. Ces résultats nous amènent à retenir les trois hypothèses 5, 6 et 7.

Discussion

Nos résultats contribuent à faire avancer les connaissances sur le fonctionnement des conseils d’administration et leur participation à un processus clé de la vie des PME, à savoir la prise de décision stratégique. En ouvrant la boîte noire du CA, nous montrons que dans les PME, la professionnalisation du CA contribue significativement à renforcer sa participation au processus stratégique, tant par l’accroissement des connaissances et compétences collectives que par la formalisation de son fonctionnement. Nos résultats, révèlent le caractère ambivalent des variables liées à la structuration et à la composition du CA. Ces variables ont été considérées comme des indicateurs de la professionnalisation du CA par Yildirim-Öktem et Üsdiken (2010) voire de renforcement du pouvoir du CA par Gabrielsson (2007).

Ainsi, contrairement aux résultats de ces auteurs, notre échantillon, composé de PME françaises, dévoile un effet négatif de la taille du CA sur sa participation au processus de décision stratégique alors que la séparation des fonctions de Président et de Directeur général ne semble exercer aucun effet significatif. Concernant le ratio d’administrateurs indépendants, nos résultats révèlent des éléments intéressants. Outre le fait que les entreprises de notre échantillon mobilisent davantage des administrateurs affiliés[10] (externes mais proches du dirigeant) que des administrateurs indépendants, le ratio des administrateurs indépendants n’est pas significativement lié à la participation au processus stratégique. Ces résultats contredisent ceux de Yildirim-Öktem et Üsdiken (2010) et remettent en question le postulat de Gabrielsson (2007). Ils contribuent néanmoins à la littérature comportementale et cognitive (Huse, 2007) considérant que les variables de composition et de structure des CA n’offrent que peu d’explication (directe) à l’accomplissement de leur mission (Daily et al. 2003).

Ce débat traditionnel dans la littérature sur la gouvernance des entreprises a contribué à tempérer l’une des thèses majeures de la théorie de l’agence quant à l’indépendance des administrateurs. Nos résultats s’inscrivent ainsi dans le prolongement de ces travaux prônant davantage l’équilibre dans la composition des CA. Déjà en 1992, Demb et Neubauer avaient affirmé que les CA ne peuvent prétendre à l’efficacité que s’ils intègrent un subtil dosage d’administrateurs internes et externes garantissant d’une part, l’accès aux connaissances et compétences nécessaires au travail des administrateurs et permettant, d’autre part, aux différents administrateurs de fonctionner en collégialité. Cette thèse de la complémentarité des administrateurs a même été considérée comme contextuelle (Forbes et Milliken, 1999) et devant évoluer avec la croissance et la maturité de l’entreprise (Lynall et al. 2003; Ingley et al. 2017).

Par ailleurs, dans une autre étude, Baysinger et Hoskisson (1990) recommandent aussi un certain équilibre entre les administrateurs internes (salariés) et externes (non-salariés) permettant au CA de disposer de l’ensemble des connaissances nécessaires à l’exercice de ses fonctions. En effet, ils affirment que si les conseils d’administration étaient dominés par des administrateurs externes, ils pourraient manquer sensiblement de connaissances de l’entreprise et de son environnement ce qui peut altérer grandement leur capacité à contribuer à la prise de décision stratégique. Dans la même lignée, Adams et Ferreira (2007) développent une théorie des administrateurs « amicaux », selon laquelle la présence de ces « friendly boards » optimise le rôle du CA et permet l’obtention des meilleures recommandations stratégiques. En effet, les dirigeants livrent aisément l’information aux administrateurs affiliés, par essence proches du dirigeant. Ce dernier bénéficierait donc de meilleurs conseils sans être menacé de contrôle sévère. Ceci est d’autant plus vrai dans un système de gouvernance unitaire (conseil d’administration), ce qui est le cas de notre étude, où le CA doit garantir un équilibre fragile entre des rôles par définition paradoxaux (Sundaramurthy et Lewis, 2003; Ingley et al. 2017) contrairement au système dual (conseil de surveillance et directoire). En effet, ce dernier offre une répartition plus claire entre les deux rôles de contrôle et de conseil du fait de la séparation des deux organes.

Notre résultat fait également écho à la thèse de Boivie et al. (2008). En effet, ces auteurs soulignent que les approches traditionnelles, privilégiant le recours aux administrateurs indépendants, reposent sur une hypothèse implicite d’efficience du marché du travail et plus particulièrement celui des administrateurs. Le simple recours aux administrateurs indépendants, sous cette hypothèse, garantirait l’accès à des compétences et à des connaissances validées par le marché. Cette hypothèse nous semble difficilement défendable sur des marchés où l’asymétrie d’informations est forte (Denis, 2004; Mac an Bhaird, 2010). De plus, nos résultats semblent soulever une réelle question, rarement abordée dans la littérature, et relative à l’accès des PME au marché des administrateurs. En effet, en raison principalement de (i) leur ressources limitées (Castaldi and Wortman, 1984; Torrès and Julien, 2005; Brunninge et al. 2007), de (ii) la faible attractivité des PME par rapport aux grandes entreprises, ainsi que des (iii) réseaux plus restreints des administrateurs (interlocks) siégeant dans le CA des PME, ces entreprises resteraient éloignées du marché des administrateurs. Ainsi, même lorsqu’elles intègrent des administrateurs indépendants, les PME semblent le faire dans une logique de proximité (Torrès et Julien, 2005), limitant le recrutement d’administrateurs aux réseaux de leurs dirigeants et aux viviers locaux (Filion, 2007). Cette approche proxémique (Torrès, 2003) du recrutement des administrateurs indépendants laisse à supposer une logique de participation croisée des administrateurs non démunie de subjectivité et altérant par là-même l’indépendance effective de ces administrateurs.

D’un autre côté, nos résultats apportent un éclairage complémentaire aux thèses défendues par les tenants de l’approche cognitive en gouvernance. Ainsi, Forbes et Milliken (1999) en considérant les CA comme des groupes décisionnels, avancent que les connaissances et compétences disponibles pour le travail des administrateurs favoriseraient leur efficacité et par conséquent leur contribution à la stratégie et à la performance de l’entreprise. En introduisant l’argument de la professionnalisation du CA, nous montrons que cette professionnalisation dépasse largement la composition du CA et comprend deux leviers d’action que sont (i) les connaissances et compétences collectives et (ii) la formalisation du fonctionnement. Ainsi, la composition du conseil dans les PME de notre échantillon ne pourrait favoriser la participation du CA au processus stratégique qu’à partir du moment où elle contribuerait à la professionnalisation du CA.

Sur un autre plan, l’élargissement de la taille des CA, considérée par certains auteurs comme une source de renforcement des conseils (Gabrielsson, 2007; Yildirim-Öktem et Üsdiken, 2010), apparaît dans le cadre de notre étude comme une source d’affaiblissement de la participation du CA au processus stratégique. Nous considérons que, dans des entreprises de taille moyenne, l’accroissement de la taille du CA, par l’intégration d’administrateurs indépendants, augmente la distance sociale entre le dirigeant et ces administrateurs et altère la participation du CA au processus stratégique. Le dirigeant devient de plus en plus réfractaire au partage des informations spécifiques, avec l’accroissement de la taille et le recrutement des administrateurs indépendants (Adams et Ferreira, 2007). Ce qui explique la corrélation négative entre la taille du CA et les connaissances internes. Dans le même ordre d’idée, Godard (2010) souligne le rôle des comités stratégiques, à taille réduite (5 en moyenne en France, selon Godard (2006)), comme facilitateur du fonctionnement du conseil d’administration, dont la taille moyenne s’élève à 11, dans le même contexte (Godard et Schatt, 2005). En effet, cette taille réduite du comité « permet de créer un contexte favorable à l’apprentissage et de limiter les pertes de processus auxquelles les CA sont exposés » (Godard, 2010, p.101).

La confirmation de nos hypothèses 5 à 7 corrobore les thèses de Demb et Neubauer (1992) et de Lawler et al. (2002) et les étend au contexte des PME. Le CA, s’il dispose du mix adéquat de connaissances et de compétences lui permettant de saisir correctement les enjeux stratégiques de l’entreprise, se voit davantage associé aux processus de prise de décision. Dans un contexte où le pouvoir des dirigeants est marqué (Pettit et Singer, 1985; Osborne, 1991; Daily et Dalton, 1992; St-Pierre et Fadil, 2016), ce dernier s’ouvre à ses administrateurs pour la réflexion et la prise de décision lorsqu’il est persuadé de leur capacité à lui apporter une contribution de par les connaissances et les compétences qu’ils détiennent. Ces résultats rejoignent à certains égards ceux de Gabrielsson et Winlund (2000) et Pugliese et Zhang Wenstøp (2007) et confirment ceux de Machold et al. (2011). Hormis ces études sur les PME scandinaves, la littérature reste silencieuse sur ce sujet et encore moins dans le contexte des PME françaises.

Même si les hypothèses relatives à la formalisation du fonctionnement ne soient que partiellement corroborées (3/4), nous pouvons affirmer que cette formalisation contribue à professionnaliser le CA et le conduit à contribuer au processus stratégique. En agissant sur le nombre et la durée des réunions, les dirigeants de PME non seulement témoignent de leur volonté d’impliquer leurs administrateurs dans la vie de l’entreprise mais leur donnent également les moyens de contribuer significativement aux processus de prise de décision. Un temps de réunion suffisant favoriserait ainsi une discussion approfondie des différents sujets stratégiques alors qu’une fréquence élevée des réunions assure une certaine continuité des réflexions, une meilleure communication et par là une moindre déperdition des informations entre chaque session du conseil. Certains auteurs considèrent même qu’un travail régulier et suffisant favorise le développement d’un sentiment d’appartenance des administrateurs externes et améliore sensiblement leur contribution tant à la stratégie qu’à la performance de l’entreprise (Demb et Neubauer, 1992). Ainsi, nos résultats confortent cette idée et complètent ceux de Gabrielsson et Winlund (2000) et ceux de Pugliese et Zhang Wenstøp (2007). Nous restons toutefois conscients des contingences situationnelles (contexte de crise, augmentation de capital, fusions-acquisition) plus ou moins propices à la multiplication des réunions et à l’allongement des durées de travail. Il n’en reste pas moins vrai que ces variables restent significativement associées au processus stratégique et ce quel que soit le contexte.

Conclusion

L’objectif central de cet article est d’examiner les déterminants de la participation du CA au processus de décision stratégique des PME en mettant l’accent sur son degré de professionnalisation. En nous intéressant, d’une part, aux caractéristiques de fonctionnement et, d’autre part, aux connaissances et compétences collectives, nous avons montré qu’il s’agit de réels leviers d’amélioration de la participation du CA tant à la réflexion qu’aux choix et à la mise en oeuvre des décisions stratégiques. Ces deux déterminants ont été considérés comme importants par Demb et Neubauer (1992) et par Lawler et al. (2002) mais rarement testés empiriquement. Nos résultats apportent une confirmation quant à l’importance de s’assurer, lors de la composition d’un conseil d’administration, de l’équilibre entre les différents types de connaissances et compétences nécessaires à l’organe de gouvernance. De plus, même si la formalisation du fonctionnement du CA apparaît comme un déterminant clé de sa participation au processus stratégique, cette formalisation semble davantage liée aux opportunités de travail collectif approfondi et régulier, d’un côté, et à l’adoption de procédures formelles de fonctionnement, de l’autre. Outre le fait d’offrir un panorama sur un phénomène encore peu étudié en PME, notre travail contribue à déplacer le débat de l’intérêt du recrutement des administrateurs externes vers l’utilité de professionnaliser leur gouvernance.

Malgré son intérêt, notre étude a été volontairement limitée à un rôle particulier du CA, celui de sa participation au processus de décision stratégique. Ce choix, justifié au regard de la littérature, nécessite cependant de nouvelles études sur deux aspects complémentaires. Il s’agit d’abord de tester les variables explicatives de notre modèle sur les autres rôles du conseil et notamment le contrôle, l’accès aux ressources, voire la création de valeur. De même, notre questionnaire, n’ayant été soumis qu’à des dirigeants pouvant avoir une perception subjective du rôle du CA, réduit la possibilité de généralisation de nos résultats. Il conviendrait de compléter cette enquête par un recueil de l’avis des administrateurs pour valider définitivement nos conclusions. Même si, dans le cas des PME, le dirigeant reste la personne la plus informée et la mieux à même de nous renseigner du processus stratégique (Zahra et Pearce, 1990; Gabrielsson, 2007)

Par ailleurs, cette étude n’a porté que sur des PME sous la forme de SA à conseil d’administration. Or en France, le choix de cette forme juridique peut s’accompagner d’un autre choix, celui d’une gouvernance duale séparant le directoire du conseil de surveillance. Même si ces formes juridiques ne représentent pas la majorité des PME dont les dirigeants demeurent frileux au partage du contrôle et de la décision (Ang, 1991; St-Pierre et Fadil, 2016; Pettit et Singer, 1987), il nous semble tout de même utile que des recherches adressent cette forme particulière dans le contexte des PME voire même des Entreprises de Taille Intermédiaire qui pourraient profiter davantage de cette spécialisation des organes de gouvernance.

Enfin, de nouvelles recherches sur la même question relative aux déterminants de la participation du CA aux processus stratégiques pourraient prolonger notre recherche dont la taille de l’échantillon reste limitée. La constitution d’une base de donnée plus fournie pourrait même autoriser de mettre en relation cette participation avec certains choix stratégiques telles que la diversification, l’internationalisation ou encore l’orientation entrepreneuriale. Une telle base de données pourrait même tester les possibles boucles de rétroaction entre la professionnalisation du CA et sa participation au processus stratégique.

Ces différents prolongements de la recherche pourraient permettre une meilleure connaissance de la gouvernance des PME et par là même leur pérennité et leur croissance.