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Introduction

Dans le cadre d’une recherche partenariale[1] entre six universités québécoises, nous cherchons à établir les stratégies de créacollage numérique utilisées par des étudiants universitaires ainsi que celles qui sont enseignées par leurs professeurs. Ainsi, pour cet article, nous présenterons uniquement le processus qui a été mis en place pour élaborer et valider le questionnaire pour les étudiants. Cet instrument avait pour objectif d’établir les stratégies de créacollage numérique utilisées par des étudiants universitaires ainsi que les représentations pouvant influencer les stratégies de créacollage numérique.

Nous décrivons premièrement la démarche de validation qui a été utilisée pour l’élaboration du questionnaire destiné aux étudiants. Puis, grâce aux analyses statistiques réalisées à la suite du prétest du questionnaire auprès de 150 étudiants, nous déterminons des pistes préliminaires pour la formation aux stratégies de créacollage à l’université. Finalement, nous discutons des retombées envisagées, à la suite d’une passation à grande échelle, tant pour le monde de la recherche que pour celui de la formation universitaire.

La littératie numérique à l’université

Le rapport des jeunes au savoir et à l’écrit s’est modifié à l’ère du Web 2.0 (Duplàa, 2011). Les étudiants d’aujourd’hui, lorsqu’ils veulent faire un travail universitaire, ont accès facilement à une énorme quantité d’informations qui peuvent être utilisées pour rédiger un texte ainsi qu’à de nombreux outils numériques. Ils doivent donc développer des compétences de littératie numérique (Duplàa, 2011) afin de pouvoir exploiter correctement les ressources accessibles.

Les étudiants rédigent maintenant en s’appuyant sur une multitude de ressources, de documents, de citations, etc. trouvés en ligne. Ils s’y dirigent en fait très tôt, régulièrement (Boubée, 2008) et automatiquement, lorsqu’ils sont à la recherche d’information pour un travail scolaire (Kuiper, Volman, et Terwel, 2005; Piette, Pons et Giroux, 2007). Cette utilisation automatique du Web pour la recherche d’information peut s’avérer certes très enrichissante étant donné la quantité colossale d’informations accessibles, mais elle engendre aussi des difficultés pour les étudiants sur le plan du référencement (Stockall et Villar Cole, 2016). Ces difficultés mènent parfois les étudiants à plagier, intentionnellement ou non. Un nouvel ensemble de stratégies s’avère donc nécessaire (Eunjyu, 2014; Jenkins, Purushotma, Clinton, Weigel et Robinson, 2006; Ma, Wan et Lu, 2008; Piette et al., 2007), car les étudiants doivent maintenant apprendre à remixer, assembler, copier-coller, reformuler et recontextualiser les informations collectées lors de leurs recherches (Knobel et Lankshear, 2008), le tout, en évitant le plagiat par la citation des sources mobilisées.

Nombreuses sont les stratégies à mettre en oeuvre en lien avec la littératie numérique et les compétences informationnelles, rédactionnelles et de référencement documentaire (Peters et Gervais, 2016) afin de bien rédiger à l’ère de l’infobésité (Benselin et Ragsdell, 2016). Ainsi, lorsque les compétences et les stratégies sont bien développées et mises en oeuvre, l’étudiant ne devrait pas avoir besoin de recourir au plagiat.

Figure 1

Littératie numérique, compétences et stratégies

Littératie numérique, compétences et stratégies

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La littératie numérique peut être définie comme la capacité d’avoir recours à des outils technologiques pour lire, écrire et comprendre un texte dans un contexte numérique (Réseau Éducation Médias, 2010). Ainsi, ces trois types de compétences font partie de la littératie numérique : 1) les compétences informationnelles, cette capacité à trouver et à utiliser l’information nécessaire à ses besoins, 2) les compétences rédactionnelles qui permettent à l’étudiant de planifier son texte, de le mettre en texte et de le réviser (Flower et Hayes, 1981), et 3) les compétences de référencement documentaire qui servent à nommer ses sources (Duplessis et Ballarini-Santonocito, 2007).

Les stratégies de créacollage numérique des étudiants universitaires

Les stratégies de créacollage numérique sont des actions exécutées par les étudiants dans le cadre de la recherche d’information et de l’intégration de celle-ci dans un texte créé et assemblé où apparaissent les références aux sources utilisées (Peters, 2015). Ces stratégies sont nombreuses et se retrouvent tout au long du processus de création d’un texte (voir figure 2).

Le concept de créacollage numérique s’est développé à partir du concept de paraphragiat ou « patchwriting » (Abasi et Graves, 2008; Howard, 1995; Li et Casanave, 2012; Pecorari, 2003; Rashidi, Rahimi et Dehghan, 2016; Zare-ee et Khalili, 2016). Le patchwriting s’apparente au créacollage numérique en ce sens que les étudiants reformulent, réarrangent, substituent, combinent, suppriment, copient et altèrent des mots et des phrases d’un auteur dans l’intention de produire un nouveau travail scolaire (Altidor-Brooks, 2014; Bouman, 2009; Howard, 1995).

Selon Li et Casanave (2012), les étudiants et les professeurs universitaires associent le patchwriting au plagiat à cause de l’utilisation du copier-coller qui se retrouve dans les deux processus. Cette caractéristique du patchwriting l’éloigne du créacollage numérique qui souligne l’importance fondamentale des stratégies de créacollage numérique spécifiques au référencement documentaire. En effet, l’étudiant bien formé qui rédige un texte en ayant recours à l’ensemble des stratégies de créacollage numérique intégrera dans le texte qu’il écrit l’information qu’il a trouvée et sélectionnée en prenant soin de faire référence aux sources qu’il utilise.

Une deuxième différence entre le patchwriting et le créacollage numérique porte sur les utilisateurs. Selon Hayes et Introna (2005) et Pecorari (2003), ce sont les étudiants débutants qui font du patchwriting. Nous croyons que tous les types de scripteurs, des débutants aux experts, ont recours aux stratégies de créacollage numérique lorsqu’ils rédigent un texte qui nécessite une recherche d’information. En effet, la définition des stratégies de créacollage numérique impliquant une conception élargie, créative et potentiellement féconde des stratégies associées à une production textuelle originale, elle englobe aussi les stratégies exemplaires des scripteurs experts. Il y a donc une progression entre le scripteur novice et l’expert dans la mobilisation des stratégies de créacollage numérique.

Une dernière différence entre le patchwriting et le créacollage numérique concerne les sources de base qui servent à la rédaction. Alors que l’étudiant qui fait du patchwriting aura recours à du texte uniquement, celui qui fait du créacollage numérique fera usage de diverses formes d’information — du texte, des images, de la vidéo ou de l’audio, etc. Les sources seront beaucoup plus diversifiées, permettant à l’étudiant de faire appel à l’un ou l’autre des supports qu’il préfère (Peters et Frankoff, 2014; Peters et Gervais, 2016).

C’est à la suite de réflexions ainsi que d’une recension exhaustive des écrits sur le créacollage numérique que nous avons élaboré un modèle théorique et évolutif (voir figure 2). Nous y présentons les stratégies de créacollage numérique et la façon dont celles-ci s’intègrent dans les trois grands types de compétences — informationnelles, rédactionnelles et de référencement documentaire.

Figure 2

Stratégies de créacollage numérique

Stratégies de créacollage numérique

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Le créacollage numérique peut être défini comme le processus de remixage, d’assemblage ou de reformulation d’idées, de bouts de texte et de concepts par des stratégies faisant appel aux technologies numériques et menant à une production écrite originale (Peters, 2015). Il importe de mentionner que le parcours de chaque étudiant dans la rédaction d’un travail diffère puisque le processus d’écriture est récursif (Quinlan, Loncke, Leijten et Van Waes, 2012) et non linéaire. Les stratégies de créacollage numérique peuvent donc être utilisées à toutes les étapes de la rédaction, et ce, à plusieurs reprises.

Lorsqu’ils se voient attribuer un travail scolaire, les étudiants ont pour premier réflexe de mobiliser leurs compétences informationnelles afin de cerner le sujet de leur recherche par l’entremise de mots-clés ou de questions de recherche. Ceux-ci leur permettront, avec divers outils et ressources, de faire une recherche d’information à l’intérieur de moteurs de recherche, dans les bases de données, à la bibliothèque, etc.

Lors de leurs recherches d’information, qui est un processus itératif (Association of College and Research Libraries, 2014), les étudiants lisent et analysent les informations afin de sélectionner celles qui sont les plus pertinentes en fonction de leurs questions de départ. Ils utilisent ensuite différentes méthodes pour conserver l’information : le copier-coller, la prise de notes, le résumé ou la synthèse. Ces méthodes leur servent également à s’approprier les données qui sont interprétées selon les connaissances antérieures des étudiants.

Cette appropriation de l’information par les étudiants est accompagnée d’une intégration réfléchie, d’un agencement d’idées, de concepts, de citations et de paraphrases dans leur propre rédaction. Cela nécessitera un travail de réécriture, de révision, de correction et de mise en page de leur travail.

À diverses étapes du processus, que ce soit lors de l’utilisation de paraphrases ou de citations ou à la fin du processus, les étudiants mobiliseront leurs compétences de référencement documentaire afin d’attribuer la paternité des sources qu’ils auront utilisées, dans le texte ainsi que dans la liste des références à la fin du travail. Certains étudiants, pour une variété de raisons, omettront complètement ou partiellement de référencer leurs sources. Ils remettront donc à leur professeur un texte contenant du plagiat.

Le plagiat dans les universités

Le plagiat, ce vol d’idées, de mots, ou d’images, etc., est un réel fléau dans les milieux universitaires (Vieyra et Weaver, 2016) en plus d’être un phénomène global dans les domaines professionnels et scolaires (Doss et al., 2016). Le plagiat a été reconnu comme étant un grave problème pour les universités (Ehrich, Howard, Mu et Bokosmaty, 2016) qui tentent de l’éradiquer par divers moyens : sanctions, formation, mise en place de politiques, etc. (Doss et al., 2016).

L’essor du plagiat dans les universités au cours des dernières années peut être en partie expliqué par la facilité d’accès à l’information grâce au Web (Comas-Forgas et Sureda-Negre, 2010). En effet, l’étude de ces auteurs a relevé que 52 % des étudiants interrogés considèrent l’accès facile à l’information numérique comme étant une des causes principales du plagiat universitaire.

Cependant, cet accès facile à l’information n’est pas la seule cause du plagiat. Plusieurs auteurs font état du manque de formation des étudiants sur le plan des compétences informationnelles (Peraya et Peltier, 2011), rédactionnelles (Ellery, 2008b; Vieyra, 2013) ou de référencement documentaire (Ellery, 2008a; Rashidi et al., 2016). Cette lacune dans la formation des étudiants serait aussi une cause du plagiat involontaire. D’autres auteurs mentionneront les surcharges cognitive (Dow, 2015) ou linguistique (Abasi et Graves, 2008; Gu et Brooks, 2011) qui amènent les étudiants à plagier. Les différences culturelles conduisent fréquemment certains étudiants à plagier, souvent par manque de connaissances sur le plagiat (Ehrich et al., 2016; Gu et Brooks, 2008). Finalement, la mauvaise gestion des travaux et du temps ouvre la porte à la tentation de plagier selon Comas-Forgas et Sureda-Negre (2010).

L’omniprésence du plagiat dans le système universitaire nous a donc amenés à nous intéresser à la formation des étudiants, plus particulièrement au développement des compétences informationnelles, rédactionnelles et de référencement documentaire. Nous croyons qu’une formation sur les stratégies de créacollage numérique qui sont mobilisées lors de la mise en oeuvre de ces compétences pourrait être un excellent moyen de prévention du plagiat. C’est pourquoi nous avons élaboré un questionnaire afin de pouvoir établir les stratégies de créacollage numérique utilisées par les étudiants universitaires.

L’élaboration du questionnaire

L’équipe de recherche (composée de sept chercheurs, deux bibliothécaires, une coordonnatrice de soutien pédagogique et deux assistantes de recherche) qui a élaboré le questionnaire possède une grande variété d’expertises. Certains des membres oeuvrent dans le domaine de la didactique de l’écriture, d’autres se spécialisent en compétence informationnelle et plusieurs s’intéressent au référencement documentaire. Un membre de l’équipe est spécialiste en évaluation. Tous les membres de l’équipe se préoccupent de la prévention du plagiat.

Le questionnaire a été élaboré en plusieurs étapes. La première étape consistait à faire une recension des écrits afin de vérifier s’il existait un questionnaire qui pourrait être utilisé ou adapté à nos besoins, c’est-à-dire qui établirait les stratégies de créacollage numérique d’étudiants universitaires. N’ayant pas retrouvé, à la suite d’une recherche exhaustive, un tel outil, ni en français ni en anglais, nous avons entrepris la conception de notre propre questionnaire.

Les membres de l’équipe se sont divisés en sous-groupes selon cinq grands domaines, soit les compétences informationnelles (1), rédactionnelles (2), de référencement documentaire (3), le plagiat (4) et l’enseignement des stratégies de créacollage numérique (5). Chaque sous-groupe avait comme tâche de faire une recension des écrits sur chacune des stratégies de créacollage qui appartenaient à leur domaine. Au fil des lectures, des dimensions et des concepts, des domaines ont été déterminés ainsi que des idées potentielles pour le développement d’items (voir un exemple pour le domaine des compétences informationnelles au tableau 1).

Tableau 1

Étape de la recension des écrits

Étape de la recension des écrits

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Un total de 73 idées potentielles pour le développement d’items a été retenu. À la suite de cette recension, toute l’équipe s’est réunie afin de déterminer le poids de chacun des domaines, le nombre d’items par domaine (environ une dizaine), le type d’échelle (Likert à 5 niveaux) qui serait retenu ainsi que le temps nécessaire pour remplir le questionnaire, soit de 20 à 25 minutes.

Chaque sous-groupe s’est ensuite réuni pour commencer la rédaction des items. La consigne de départ était de rédiger un nombre non restreint de questions afin de créer un grand bassin d’items pour nous permettre d’avoir de meilleurs choix par la suite. Au total, 154 items ont été élaborés (voir deux exemples ci-dessous).

Tableau 2

Exemples d’items du questionnaire

Exemples d’items du questionnaire

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Le travail des différents sous-groupes a par la suite été révisé qualitativement en grand groupe afin d’évaluer la concordance entre les items et le cadre conceptuel, l’organisation des questions, la constance lexicale, l’adaptation des propositions à l’échantillon, et la non-induction des réponses. Nous avons rejeté les questions non pertinentes afin de finalement conserver 128 questions.

La première mise à l’essai

Nous avons procédé à une mise à l’essai du questionnaire en deux temps. Premièrement, en décembre 2016, ce premier questionnaire a été rempli en ligne par 24 étudiants du 1er cycle. Une analyse statistique a été réalisée afin de vérifier l’asymétrie positive ou négative des questions. Sur les 128 items, 35 questions avaient une asymétrie négative, c’est-à-dire que la grande majorité des étudiants avaient répondu 4 ou 5 (en accord ou tout à fait en accord) sur l’échelle de Likert avec peu de 1 et de 2 (en désaccord ou tout à fait en désaccord). Quinze questions avaient une asymétrie positive, indiquant que la plupart des étudiants avaient répondu 1 ou 2 sur l’échelle de Likert. Pour une question, la majorité des étudiants ont répondu « je ne sais pas ». Finalement, pour 51 questions, les réponses étaient distribuées sur l’échelle de Likert.

Il semble donc que pour 77 items, notre groupe de répondants était homogène dans ses réponses. Afin d’obtenir une plus grande variance dans les données, deux solutions ont été mises en place. La première consistait à modifier l’échelle de Likert pour qu’elle présente sept niveaux plutôt que cinq. La deuxième solution a été de supprimer certaines questions et d’en modifier d’autres afin d’éviter d’avoir des questions ayant un trop fort consensus dans la population.

C’est à cette étape que le questionnaire a été le plus modifié. De 128 questions, nous sommes passés à 55. Les sections du questionnaire ont également été modifiées, passant de quatre à six.

Dans la première section du questionnaire, les étudiants devaient répondre à quatre items sur leurs perceptions quant au développement de leurs compétences informationnelles, rédactionnelles et de référencement documentaire ainsi que sur leurs connaissances sur le plagiat lors de leurs études universitaires. Une autre section du questionnaire comprenant deux items demandait aux étudiants quelle était leur perception de leurs habiletés en lecture et en écriture universitaire afin de vérifier la corrélation entre ces perceptions et l’utilisation de diverses stratégies de créacollage numérique.

Les autres sections du questionnaire portaient sur les quatre domaines initiaux : les compétences informationnelles (n = 14), les compétences rédactionnelles (n = 15), les compétences de référencement documentaire (n = 9) et les connaissances sur le plagiat (n = 11). C’est cette version du questionnaire qui a été mise à l’essai auprès d’un deuxième groupe restreint d’étudiants.

La deuxième mise à l’essai

Dans le cadre de cette deuxième mise à l’essai du questionnaire, nous avons opté pour un échantillon de convenance d’étudiants universitaires de l’Université du Québec en Outaouais, majoritairement affiliés au Département des sciences de l’éducation. Cet échantillon n’est évidemment pas représentatif, mais il nous a permis de valider le questionnaire. Celui-ci a été distribué à 151 étudiants faisant partie de quatre groupes d’étudiants suivant le cours Initiation à la recherche en éducation.

Pour deux des groupes, la distribution a été faite en ligne, à l’extérieur des heures de classe. Pour les deux autres, la distribution a été faite en laboratoire où les étudiants ont rempli le questionnaire en ligne. Pendant ces deux périodes, deux chercheurs étaient présents pour répondre aux questions des étudiants et noter leurs commentaires. En moyenne, la passation du questionnaire a duré une quinzaine de minutes.

La validation du questionnaire

Comme mentionné précédemment, le questionnaire vise à établir les stratégies de créacollage numérique utilisées par les étudiants, de même que les facteurs contextuels et les représentations pouvant influencer les recours à ces stratégies de créacollage numérique. Au total, 54 items ont été analysés. Parmi ceux-ci, 38 portent sur des stratégies de créacollage numérique distinctes et 16 autres abordent les représentations des étudiants (de la formation universitaire relativement aux stratégies de créacollage numérique; de leur compétence en littératie; du plagiat et de ses conséquences).

Afin de valider le questionnaire, nous avons fait trois analyses statistiques, que nous présentons ici. Dans un premier temps, nous avons analysé la distribution des 54 items. Dans un deuxième temps, nous avons procédé à une analyse des corrélations entre les 38 items en lien avec les stratégies de créacollage numérique afin de nous assurer de leur indépendance. Dans un troisième temps, comme les items en lien avec les représentations sont organisés autour de thèmes principaux, nous avons opté pour des analyses factorielles exploratoires, puis confirmatoires, afin d’établir que nos items sont orchestrés autour des facteurs déterminés.

L’utilisation déclarée des stratégies de créacollage numérique

Nous avons considéré les 38 items portant sur les stratégies de créacollage numérique mobilisées par les compétences informationnelles, rédactionnelles et de référencement documentaire. Les analyses préliminaires effectuées à l’aide du logiciel SPSS 24 nous ont permis de constater que la distribution des données, pour la plupart des items, était normale. Un seul des 14 items de la dimension compétence informationnelle a une asymétrie négative (skewness = - 2,374) et un pic prononcé (kurtosis = 6,209), soit celui portant sur la variété des sources d’information exploitées. Il semble donc que la grande majorité des étudiants utilisent une variété de sources. Quoiqu’il n’y ait que peu de variance dans la réponse à cette question pour nos étudiants en sciences de l’éducation, il est possible qu’auprès d’un échantillon plus varié, des étudiants en informatique, en traduction ou en sciences infirmières, par exemple, les réponses soient beaucoup plus diverses. Par ailleurs, les réponses à d’autres items offraient une distribution des données beaucoup plus élargies. Parmi les items relatifs à la compétence informationnelle ayant plus de trois crans de plage interquartile (de 25 % à 75 % de la distribution), on retrouve notamment les trois items suivants : Durant ma recherche d’information, je copie-colle ce que je trouve dans un fichier de traitement de texte, J’utilise mes appareils mobiles (téléphone, tablette) pour faire des recherches d’information sur le Web dans le cadre de mes études et Je sais repérer les éléments d’un lien URL pouvant m’aider à évaluer la qualité de l’information qui s’y retrouve. Il sera intéressant, à une étape ultérieure, de tenter d’expliquer les écarts entre ces stratégies de créacollage numérique, en particulier par les liens entre ces stratégies et les facteurs de représentation, de même que par les facteurs contextuels, comme les programmes de formation ou les universités d’attache.

Quant aux 15 items concernant la dimension compétence rédactionnelle, un seul s’éloigne des correspondances de courbe normale (skewness = - 2,187, kurtosis = 5,615). En effet, il semble que les étudiants en éducation ont tous répondu positivement à la question Quand j’ai des doutes avec l’orthographe d’un mot, un accord grammatical ou la syntaxe de ma phrase, j’utilise les outils de révision linguistique. Cependant, ces étudiants, dans le cadre de leur programme, sont constamment sensibilisés à la qualité de la langue. Pour eux, c’est un grand enjeu pour leur profession. En sera-t-il de même pour les étudiants provenant d’autres programmes? Impossible de le prédire, mais la question risque d’être fort pertinente dans un débat de société sur la qualité de la langue française. Par ailleurs, d’autres stratégies de créacollage numérique associées à la compétence rédactionnelle offrent des comportements beaucoup plus nuancés. C’est le cas notamment de certaines stratégies de planification, par exemple : Quand je lis un texte sur le Web, j’organise les informations retenues dans un plan, ou de stratégies de révision, par exemple J’utilise l’outil de révision de texte (suivi des modifications de Word) pour me faire relire par d’autres étudiants.

Finalement, sur les neuf items concernant la dimension des stratégies de créacollage numérique relatives à la compétence de référencement, un seul a une asymétrie, cette fois-ci positive, et un pic (skewness = 2,812, kurtosis = 9,415). En effet, la plupart des étudiants ont répondu ne jamais avoir eu recours à un logiciel de détection du plagiat pour vérifier leurs travaux universitaires. La réponse à cette question était un peu prévisible pour les étudiants de l’Université du Québec en Outaouais puisque l’établissement n’a pas recours à un tel logiciel et n’en offre pas à ses étudiants. Cependant, certaines universités partenaires ont fait l’achat de ce type de logiciel et la question sera pertinente lors de la distribution éventuelle du questionnaire. Parmi les questions se rapprochant le plus de la courbe normale et offrant une importante distribution, notons l’item Da4 (Si toutes les références y sont, je tolère des erreurs dans le format de ma liste de référence) et Da1 (J’utilise un logiciel de gestion de données bibliographiques [EndNote, Zotero, Mendeley, etc.] pour gérer mes références). Encore une fois, la variété des réponses permettra des analyses statistiques intéressantes pour vérifier les corrélations entre les items, de même qu’avec certaines variables explicatives.

À la lumière de ces coefficients d’asymétrie et d’aplatissement, il est possible de constater une distribution normale des données pour 35 des 38 items, les valeurs étant pour ces items inférieures à 2 (George et Mallery, 2011). À priori, l’écart ou la correspondance à une distribution normale des résultats n’affecte pas la pertinence des différents items. En effet, savoir que la majorité des étudiants adoptent ou non telles ou telles stratégies de créacollage numérique permet de déterminer les comportements, qu’ils soient partagés ou non par tous les étudiants.

La corrélation entre les stratégies de créacollage numérique

Nous avons ensuite analysé le coefficient de corrélation de Spearman, adapté aux variables ordinales (Hauke et Kossowski, 2011) et tout à fait pertinent avec un échantillon de 151 sujets (Bonett et Wright, 2000; Caruso et Cliff, 1997). De toutes les corrélations, seules deux impliquent une forte relation. En effet, l’énoncé J’utilise un logiciel de gestion de données bibliographiques (EndNote, Zotero, Mendeley, etc.) pour gérer mes références est fortement corrélé avec les deux énoncés suivants :

  1. J’utilise un logiciel de gestion de données bibliographiques (EndNote, Zotero, Mendeley, etc.) pour générer automatiquement leurs listes de références dans un logiciel de traitement de texte (r = 0,92; p < 0,001);

  2. Durant ma recherche d’information, j’utilise un logiciel ou une application pour compiler les sources et les copiés-collés (Evernote, OneNote, Diigo, etc.) (r = 0,522; p < 0,001).

Même si ces items cherchaient à mettre en évidence une distinction dans les finalités d’utilisation, il semble que les étudiants répondent selon l’utilisation ou non de logiciels de gestion des données bibliographiques ou d’organisation de notes, et que les réponses ne varient pas selon les finalités déclarées de l’utilisation.

Quelques autres corrélations de faible ou moyenne ampleur entre certains items permettent de mettre en lumière des parentés d’utilisation de stratégies. Cependant, le peu d’ampleur de ces corrélations nous amène à constater que les différents items sont suffisamment indépendants les uns des autres pour conclure à la non-similarité des items du questionnaire visant à déterminer les stratégies de créacollage numérique.

Les représentations relatives aux stratégies de créacollage numérique

Le questionnaire vise aussi à vérifier les représentations pouvant influencer les stratégies de créacollage numérique. Bien qu’un certain nombre de catégories conceptuelles soient à la base des 16 items (les attentes de formation universitaire relativement aux stratégies de créacollage numérique, les trois compétences de littératie universitaire retenues, le plagiat), nous avons opté pour une première analyse factorielle exploratoire, afin de faire émerger des facteurs, en particulier en ce qui concerne la dimension plagiat. En effet, dix items, tous relatifs au plagiat, correspondent à des attentes de formation (Ae1), à des connaissances ou compétences quant au phénomène du plagiat (Ae2, Ae3, Ae4), aux conséquences du plagiat (Ae5, Ae6, Ae7, Ae8) ou aux motivations du plagiaire (Ad3, Ae9). Deux items sont consacrés à chacune des trois compétences de la situation d’écriture (vérifiant les attentes et le sentiment de compétence).

Nous avons premièrement vérifié l’adéquation des données pour nous assurer de la qualité des corrélations interitems et avons constaté que l’indice Kaiser-Meyer-Olkin (KMO) est à 0,683, donc légèrement inférieur au seuil de 0,7 (Carricano, Poujol et Bertrandias, 2010), ce qui peut s’expliquer par la petitesse de l’échantillon. Par contre, le test de sphéricité de Bartlett est significatif (sig < 0,001), montrant ainsi qu’il y a un lien entre les variables.

L’extraction des facteurs

Six des items présentaient des coefficients d’asymétrie ou d’aplatissement supérieurs à 2 en valeur absolue. Pour éviter que ces résultats n’affectent trop l’analyse factorielle, nous avons opté pour la méthode de factorisation en axes principaux, qui permet une robustesse en présence de variables qui ne respectent pas l’hypothèse de la multinormalité (Olsson, Foss, Troye et Howell, 2000). Nous avons aussi privilégié une rotation Varimax, afin de permettre une rotation entre les facteurs considérant l’association de chaque variable à un seul facteur (Trinidad, Aldridge et Fraser, 2005).

Nous avons fait appel au critère de Cattell, considéré comme plus sévère (Bourque, Poulin et Cleaver, 2006; Fabrigar, Wegener, MacCallum et Strahan, 1999) pour déterminer le nombre de facteurs. Il a l’avantage de limiter ce nombre, ce qui facilite l’interprétation. Il montre la présence d’un premier effondrement à quatre facteurs, et d’un second à sept. Nous avons privilégié une analyse factorielle à quatre facteurs qui explique 50,34 % de la variance totale, ce qui dépasse le seuil de 40 % (Gorsuch, 1983).

L’analyse factorielle selon la méthode de factorisation en axes principaux

L’analyse factorielle à quatre facteurs, après rotation des axes selon le critère Varimax, nous permet d’associer les variables aux facteurs. Certains items ont dû être retirés, soit parce qu’ils avaient un coefficient de saturation trop faible (moins de 0,400), soit parce qu’ils correspondaient à plus d’un facteur ou à aucun. N’ont alors été conservées que les variables véritablement associées à un seul facteur. Cela facilite ensuite l’interprétation des corrélations entre les facteurs et les différentes stratégies.

Des 16 items du questionnaire en lien avec les représentations, 11 sont associés à un ou l’autre facteur. Ainsi, le regroupement des variables, représenté au tableau 3, implique quatre facteurs composés de deux à quatre variables.

Le premier facteur est composé de quatre variables, chacune relative aux attentes universitaires en matière de formation en compétences informationnelles, rédactionnelles, de référencement, de même que sur le plagiat (alpha de Cronbach = 0,749). Les quatre items en lien avec les attentes quant à la formation universitaire sont regroupés au sein d’un même facteur. Cela suggère que les étudiants de l’échantillon qui souhaitent approfondir leurs connaissances relativement aux travaux d’écriture exigeant une recherche d’information (Peters et Gervais, 2016) souhaitent non seulement développer les compétences sous-jacentes (informationnelles, rédactionnelles, de référencement), mais également celles qui sont relatives au plagiat. L’absence d’intérêt des étudiants, du moins dans les réponses déclarées, ne semble ici pas être une explication à l’absence de formation déplorée par plusieurs chercheurs (Rashidi et al., 2016).

Tableau 3

Matrice des poids factoriels

Matrice des poids factoriels

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Le deuxième facteur regroupe trois items portant sur la connaissance du plagiat (alpha de Cronbach = 0,641). L’analyse montre que des items sur la connaissance du plagiat par l’intermédiaire de ses différentes formes, des manières de l’éviter et de ses conséquences sont regroupés au sein d’un même facteur. Il est par ailleurs intéressant de constater que la connaissance du plagiat déclarée est un facteur indépendant de la perception morale de celui-ci, ou même du sentiment de compétence. On pourra en déduire, si les résultats sont les mêmes sur une étude à grande échelle, que l’assimilation de savoirs sur le plagiat, ses conséquences et son évitement n’est pas suffisante pour développer un sentiment de compétence, ni même pour modifier la perception du plagiat.

Le troisième facteur concerne spécifiquement le sentiment de compétence en lecture-écriture (alpha de Cronbach = 0,603). Deux items spécifiques à cette question faisaient partie du questionnaire et sont relatifs à un même facteur, même si le coefficient est près du seuil minimal de 0,600 (Abdullah, 2005; Nunnally, 1978). Cela correspond à la plupart des études sur la littératie universitaire, montrant un rapprochement entre écriture et lecture, par exemple le bon lecteur est un bon scripteur, malgré certaines nuances entre les deux compétences (Beaudet et Rey, 2012; Penloup, 2012).

Finalement, le quatrième facteur regroupe deux items abordant l’impact du plagiat sur les compétences professionnelles des étudiants (alpha de Cronbach = - 0,892). Il semble, d’après les résultats, qu’un étudiant ayant plagié a des compétences moindres — et donc que le plagiat nuirait à la formation —, mais aussi que celui-ci a des répercussions sur l’université, diminuant alors la valeur du diplôme.

Discussion

Bien qu’il faille être prudent avec les résultats d’un échantillon de validation de questionnaire, la présence de quatre facteurs distincts (attentes universitaires relativement à la formation, connaissances sur le plagiat, sentiment de compétence en littératie universitaire, impact du plagiat sur les compétences professionnelles) permet de constater que ces représentations ne sont pas corrélées. C’est donc dire qu’un étudiant ayant un haut niveau de littératie universitaire déclaré peut se définir ainsi sans avoir nécessairement une connaissance du plagiat, ou sans reconnaître les effets de celui-ci sur le développement de ses compétences ou sur la valeur de son diplôme. La littératie est un terme polysémique (Hébert et Lépine, 2012), et la littératie universitaire est difficile à définir. Si certains tentent de mesurer cette dernière (Hango, 2014), il nous semble difficile d’y arriver sans prendre en considération, au-delà de la compréhension en lecture ou de l’exercice d’écriture, l’écriture numérique et les stratégies de créacollage numérique inhérentes.

Par ailleurs, les stratégies de créacollage numérique offrent une possibilité d’emprise positive quant à une éventuelle formation universitaire. L’indépendance de deux facteurs relatifs au plagiat, soit la connaissance de celui-ci, d’une part, et les incidences sur la compétence effective et reconnue, d’autre part, invite à réfléchir à une formation qui outillerait les étudiants en plus de les prévenir des dangers du plagiat. À l’instar de Simonnot (2014) et Boubée (2015), nous croyons que les dispositifs pédagogiques universitaires doivent être multipliés et que l’efficacité des interventions passe par la compréhension des perceptions et des stratégies de créacollage numérique des étudiants. Par exemple, nous savons, à la lecture des résultats descriptifs de l’échantillon, que très peu d’étudiants déclarent utiliser un logiciel de compilation de référence ou que peu font appel à l’équipe de bibliothécaires pour les soutenir dans leur recherche d’information. Nous pouvons alors faire quelques hypothèses quant à la non-utilisation de ces stratégies (investissement de temps initial, difficulté d’accès aux ressources, méconnaissance des ressources, etc.) et orienter les formations en fonction de celles-ci. Par ailleurs, les stratégies de créacollage numérique déclarées comme étant fréquemment utilisées, par exemple la recherche dans des sources variées, la sélection de mots-clés pertinents ou l’évaluation de la crédibilité des sources méritent des interventions distinctes. En effet, ces stratégies de créacollage numérique sont peut-être déjà connues et abondamment utilisées à bon escient par les étudiants. Peut-être, au contraire, méritent-elles que l’on s’y attarde en les abordant sous l’angle de la perfectibilité des stratégies plutôt que sous celui de la connaissance des ressources, surtout si les étudiants, certains de les maîtriser, arrivent à des résultats peu convaincants.

Bref, la connaissance des stratégies de créacollage numérique utilisées peut favoriser une réflexion sur la formation universitaire afin d’adapter celle-ci à l’écriture universitaire actuelle. De plus, comprendre les stratégies de créacollage numérique des étudiants permet également d’assurer une meilleure compréhension des compétences inhérentes à la rédaction de travaux universitaires, et d’ainsi ajuster le modèle des stratégies de créacollage numérique (Peters et Gervais, 2016) selon les stratégies utilisées, mais également selon les corrélations entre elles.

Conclusion

À la lumière de ce processus de validation rigoureux et systématique d’un instrument, nous pouvons convenir que le questionnaire, après la passation à un échantillon de plus grande envergure, permettra d’atteindre notre objectif, soit de décrire les stratégies de créacollage numérique utilisées par les étudiants universitaires. Le questionnaire permet de vérifier l’utilisation déclarée de 38 stratégies de créacollage numérique en contexte de rédaction universitaire nécessitant une recherche d’information. Ces stratégies de créacollage numérique sont issues de la compétence informationnelle (n = 14), de la compétence rédactionnelle (= 15) et de la compétence de référencement (= 9). Par ailleurs, quatre facteurs de représentations permettront de mieux comprendre la relation entre ces dernières et l’utilisation d’une ou l’autre stratégie de créacollage numérique.

À l’observation de l’échantillon de validation, nous pouvons déjà constater que les étudiants utilisent plusieurs stratégies, qui, par ailleurs, peuvent varier selon les contextes, les cours, les professeurs et leurs exigences. Nous pouvons également constater que les étudiants ont des profils distincts et que l’utilisation des stratégies est très hétérogène. Une passation du questionnaire à l’échelle provinciale recueillera des données qui permettront de confirmer les premières constatations ici présentées, qui pourront par la suite être généralisées.