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1. Caractériser l’intervention éducative

Bien que la notion soit en usage depuis longtemps dans le langage courant pour nommer à la fois un rôle social (celui d’intervenant) et son action, la question de l’intervention est, depuis plusieurs décennies, au coeur des débats scientifiques (par exemple, Ardoino, Dubost, Lévy Guattari, Lapassade, Lourau et Mendel, 1980 ; Artaud, 1989 ; Couturier, 2001, 2005 ; Hess, 1981 ; Lapassade, 1971, 1975 ; Lenoir, 1991, 1996, 2009, 2014 ; Lenoir, Larose, Deaudelin, Kalubi et Roy, 2002 ; Lourau, 1969 ; Nélisse et Zúñiga, 1997 ; Not, 1979, 1984, 1987, 1992 ; O’Rourke et Crowley, 2013 ; Pagès, 1965 ; Pourtois et Desmet, 1998 ; Réhaume et Sévigny, 1988 ; Soulet, 1997 ; Touraine 1978 ; Touraine, Dubet, Hegedus et Wieviorka, 1978). Elle constitue une conception de la réalité, elle traduit un rapport pluriel (à soi, à l’autre et au monde) et est une pratique complexe où le sujet et l’objet sont entremêlés, entrelacés et dialectisés tout au long de l’interaction qui les lie. Si la notion renvoie à de multiples significations et usages, généralement à connotation positive, dans la documentation scientifique (Couturier, 2001), elle exprime, ainsi que le soulignent Nélisse et Zúñiga (1997) :

une catégorie générale synthétique regroupant des perspectives, des états d’esprit, des manières de penser et de faire contemporaines qui généralisent et modulent de plus en plus des pratiques qui se dénommaient – et se dénomment encore au besoin – aider, conseiller, former, assister, supporter, soigner, adapter, insérer, animer, diriger, aviser, surveiller, prendre en charge

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L’intervention s’est donc développée et s’est diversifiée au point de devenir l’un des modes les plus mobilisés pour appréhender une réalité sociale en train de se faire et de se défaire et au-delà, pour faire advenir des situations coconstruites (Tardif, Lessard, Lenoir et Gauthier, 2001).

Plusieurs auteurs (Lenoir, Larose, Deaudelin, Kalubi et Roy, 2002 ; Couturier, 2004 ; Larose, Couturier, Bédard, Larivée, Boulanger, Terrisse, 2013 ; Lenoir, 2009, 2011, 2014 ; Lenoir, Rey et Fazenda, 2001 ; etc.) ont souligné le caractère polysémique, sinon polyphonique, de la notion d’intervention. En effet, cette notion renvoie à une pluralité des sens et d’usages au point de dire que tout acte professionnel s’adressant à autrui et l’impliquant est en soi une intervention. Il est permis d’évoquer, à titre illustratif, l’intervention sociale, interculturelle, institutionnelle (socianalyse), thérapeutique, socioéducative, communautaire, structurelle, sociologique, psychologique, sanitaire et, enfin, éducative. C’est ce dernier type d’intervention, menée par des acteurs de la communauté scolaire et de la communauté éducative, qui constituait l’objet central, mais non exclusif, de cet appel à contribution, étant donné les orientations de la revue.

Dans son livre sur les médiations, Lenoir (2014) précise que l’intervention renvoie, en première approximation à l’idée d’une action située, empirique et opératoire, ayant pour finalité de produire des modifications, chez autrui, dans un processus ou dans une structure sociale. Elle est foncièrement intentionnelle, interactionnelle et intersubjective, car elle implique toujours autrui. Elle est donc toujours intrinsèquement sociale et dialectique puisqu’elle se fonde sur une tension qui est constitutive du rapport – l’intervention – qui s’établit entre des sujets humains. Ce caractère dialectique place les acteurs dans une dynamique ayant pour visée de faire advenir un changement de soi et du monde. L’intervention est de ce fait, ainsi que le considèrent Couturier (2001) et Lenoir (2001, 2009, 2014), la condition d’une pratique professionnelle, une caractéristique fondamentale de l’effort « de rationalisation des métiers relationnels » (Redjeb, 1997, p. 83).

À cet axe praxique qui met en évidence les caractéristiques empirique, opérationnelle et pragmatique de l’intervention (Couturier, 2005 ; Ladrière, 1993 ; Soulet, 1997), « praxis existentielle et sociale qui intègre dialectiquement discours, action (pratique significative) et réflexion critique » (Lenoir, 2014, p. 231), est étroitement associée une perspective conceptuelle . Il s’agit alors de travailler à la modélisation de la pratique en en dégageant les diverses dimensions. Du point de vue de la pratique d’enseignement, bien que cela s’applique également aux autres types de pratiques qu’inclut la notion d’intervention, Bru (2002) souligne en effet l’importance « de travailler à la construction de modèles de la pratique susceptibles de fournir un cadre de lecture des pratiques enseignantes » (p. 68). Cette modélisation de la pratique ne peut se confondre ni aux modélisations de sens commun de l’action humaine (Bourdieu, 1980, 1987, 1994 ; Gueorguieva, 2004), ni aux modèles d’actions rationnelles qui postuleraient que la pratique enseignante est fondamentalement rationnelle (Bressoux, 2001 ; Joas, 1993, 2001  ; Ladrière, 1993 ; Lenoir et Vanhulle, 2006 ; Schutz, 1987), ni à la production de modèles « pour la pratique », nécessairement à tendance applicationniste, sinon idéaliste, et à orientation prescriptive et normative. Il s’agit bien plutôt de modéliser la pratique afin de produire des modèles de la pratique, à visée descriptive, compréhensive et explicative. La nécessité d’un recours à un cadre théorique fort, associé à des méthodes qui l’actualisent, pour orienter le recueil des données, les analyser et les interpréter, s’avère donc prioritaire pour l’étude de la pratique enseignante. L’intervention éducative est alors appréhendée en tant que construit théorique poursuivant cette modélisation. Nous appréhendons dès lors la pratique d’enseignement comme « un rapport d’objectivation médiatisé symboliquement à travers le discours et l’agir enseignant qui s’actualise au sein des situations d’enseignement-apprentissage mises en oeuvre » (Lenoir, 2014, p. 235). Toutefois, ainsi définie de façon générique, la perspective conceptuelle requiert d’être circonscrite par un ensemble d’attributs qui puissent en faire ressortir la spécificité.

En référence à ce qui précède, il convient de souligner les caractéristiques suivantes :

  • Bien qu’elle ait un champ d’application bien défini, l’espace scolaire, cette délimitation n’est pas une limitation ou une isolation, encore moins une modalité d’exclusion. L’intervention éducative demeure connectée aux différents contextes, influe et est influencée par ce qui se joue et se trame dans les trois niveaux de la réalité sociale : macro, méso et microsocial (Gurvitch, 1963). Dans cette perspective, elle est globale dans le champ qui est le sien. En critiquant les limites du paradigme de la simplification, l’épistémologie du complexe souligne l’importance de lier, de relier et de contextualiser. D’ailleurs, Morin (2007) considère que la contextualisation est un principe de connaissance. Dans cette optique, l’intervention éducative gagnerait en pertinence et en intelligibilité en prenant au sérieux non seulement le contexte, mais aussi le travail de contextualisation (Altet, 2012a, 2012b ; Bru, 2002, 2004 ; Bru et Clanet, 2011 ; Clanet, 2008, 2009 ; Lebrun et Hasni, 2014 ; Lenoir, 2014 ; Marcel, 2002 ; Marcel et Rayou, 2004 ; Tupin, 2006, 2007, 2012 ; Wallian, 2018). Si le recours à la notion de contexte et à celle de contextualisation parait central dans l’intervention éducative, cela exige un éclairage suffisamment étayé, faute de quoi ces notions ne seraient qu’un « fourretout » et finiraient par perdre toute leur pertinence.

  • Bien qu’elle soit scolaire, l’intervention éducative demeure multidimensionnelle (le social, le culturel, le politique, l’institutionnel, l’historique, le subjectif, l’intersubjectif, etc.). Toutes ces dimensions, qui sont contemporaines et interreliées, sont conçues de façon dialectique. Elles permettent à chaque interactant de se construire et de s’accomplir au contact d’autrui (Lipiansky, 1991) dans des contextes exigeant, pour des raisons d’intelligibilité, d’être chaque fois redéfinis. Les acteurs, comme le postule le constructionnisme social (Gergen, 2001, 2005), construisent dans une dynamique processuelle leur monde en même temps qu’ils se construisent eux-mêmes.

  • Bien qu’elle soit une intervention « bien veillante », elle est fondamentalement un processus dialectique (Lenoir, 2014). Elle n’est pas unidirectionnelle et ne conçoit pas l’autre comme agent doté d’une docilité l’empêchant de se positionner et de s’opposer. Le caractère tensionnel et contradictoire est reconnu comme un des traits de l’intervention posant de façon claire la question de pouvoir. Elle admet, ainsi que le souligne à juste titre Lenoir, « qu’une opinion contraire puisse être porteuse de sens, que la vérité n’est pas plus directement révélée par ce discours, soit-il oral ou écrit, mais qu’elle est désormais le résultat d’une recherche, la synthèse d’une confrontation entre des thèses opposées » (p. 228-229). Cette reconnaissance, qui est l’un des traits distinctifs de l’intervention éducative, devrait en conséquence affecter directement l’action de l’enseignant et son rapport tant aux élèves qu’au savoir.

  • Par ailleurs, l’interaction entre l’intervenant, son milieu et les différents acteurs concernés par l’acte d’intervention renvoie à la notion d’implication et plus précisément à l’importance de l’analyse implicationnelle comme productrice d’une intelligibilité nécessaire au maintien du processus d’intervention. Cette analyse facilite et nourrit l’exercice d’un retour réflexif et critique de l’intervenant sur sa pratique professionnelle, ses perceptions et ses conceptions qui dépassent largement l’ici et maintenant de son acte et pose ainsi la question de la transversalité des appartenances.

  • L’intervention éducative est conçue dans une double perspective : « une perspective empirique, opérationnelle et pragmatique, qui renvoie à l’agir opérationnel constitutif de tout métier relationnel et qui vise la modification d’un processus ou [d’]un système ; une perspective conceptuelle, en tant que construit théorique, qui vise une modélisation, voire une théorisation de la pratique d’enseignement » (Lenoir, 2009, p. 12).

  • L’intervention éducative constitue un tout complexe présent, en tant que tel, dans les deux principales composantes de la mission de l’école et de l’enseignant, à savoir l’instruction et la socialisation.

  • Enfin, intervenir, c’est transformer et se transformer, améliorer et s’améliorer, c’est faire advenir un changement réciproque. Ce qui semble entre autres important, dans l’intervention éducative, c’est « la prise de conscience que nous sommes en interaction, que nous nous construisons en interaction, que nous nous détruisons en interaction, que nous apprenons en interaction », prise de conscience qui « peut permettre à chacun de découvrir, dans sa propre vie, qu’il a intérêt à l’enrichissement moral et culturel de l’autre, qu’il a intérêt à l’intégrité de l’autre, de tous les autres, dans leur pouvoir d’apprendre, de penser, d’agir. Toute prise de conscience est toujours prise d’énergie » (Héber-Suffrin, 2004, p. 166).

2. Questionner l’intervention selon trois axes

Dans le prolongement de ce qui vient d’être présenté, plusieurs questions méritent d’être posées pour susciter la réflexion :

  • Comment la notion d’intervention est-elle définie, appliquée et évaluée en éducation ?

  • Comment les résultats de recherches mobilisant la notion d’intervention éducative permettent-ils d’aboutir à une meilleure compréhension des pratiques enseignantes et, par ricochet, à une transformation de la manière de concevoir et de percevoir l’acte d’instruire et de socialiser en milieu scolaire ? Un regard critique sur les approches descendante, impositive, normative et prescriptive ou, à l’inverse, sur des approches opposées à ces dernières pourrait mettre en exergue la singularité de la notion d’intervention éducative.

  • Comment l’intervention éducative se construit-elle à partir d’une dialectisation d’une pluralité de monde : le monde des systèmes, le monde des normes, le monde vécu, le monde subjectif et le monde intersubjectif ?

  • Si les tensions sont inévitables, car les interactions impliquent des acteurs venant d’horizons différents et agissant dans un contexte marqué par une politique éducative et par une micropolitique relative à l’établissement scolaire, comment l’intervenant et les destinataires de l’intervention parviennent-ils à une définition commune de la situation conçue comme condition sine qua non de l’effectivité de l’intervention éducative ?

  • Comme le précise Couturier (2001), l’intervention est une praxis transformatrice. En effet, les acteurs et leurs pratiques sont en premier chef concernés par une altération plutôt qu’une acculturation. Dans ce sens, comment s’élaborent et évoluent ces processus de transformation qui prennent appui non pas sur une simple désignation des contextes, mais plutôt sur la permanence de la contextualisation ?

Enfin, pour conférer une cohérence interne à ce numéro, les contributions s’inscrivent dans l’un ou l’autre, sinon dans l’ensemble des axes suivants :

Un axe notionnel : l’objectif est de contribuer à définir la notion d’intervention – terme polysémique et plurivoque – et à enrichir, par des réflexions théoriques et épistémologiques, le cadre notionnel à partir duquel l’intervention éducative prend sens, se précise et devient pertinente pour appréhender des situations complexes. Dans cette optique, il convient également d’analyser les liens de complémentarité que le concept d’intervention éducative entretient avec des notions voisines telles que changement, implication, pratique, situation, médiation.

Un axe épistémologique : le recours à la notion d’intervention éducative ne se déroule pas en dehors de questionnements d’ordre épistémologique. C’est en termes de rupture et d’enracinement épistémologiques qu’il conviendrait de l’appréhender. Dans cette perspective, une réflexion sur l’apport des épistémologies constructivistes, constructionnistes et autres, semble être nécessaire pour éviter les risques d’une vision réductionniste, simpliste et cloisonnée. Le caractère multidimensionnel, processuel et tensionnel de l’intervention éducative postule la permanence d’une vigilance épistémologique pour que des points aveugles qui accompagnent tout processus d’investigation et de construction de connaissances ne se transforment pas en myopie épistémologique (Morin, 2000).

Un axe empirique/praxique : il s’agit de présenter les résultats de recherches – et leur interprétation – dont l’objet porte, entre autres, sur ce qui se trame et se joue quand des professionnels des métiers relationnels interviennent auprès des sujets connaissants et pensants et sur les modèles d’intervention mobilisés par des enseignants engagés dans des situations d’instruction ou de socialisation et traduisant un agir professionnel. Ces résultats peuvent également concerner le point de vue des sujets qui font l’objet de l’intervention.

Il serait également permis d’approcher la question de l’intervention en éducation selon d’autres perspectives : téléologique de manière à questionner les fins poursuivies, ontologique en se centrant sur la dimension spécifiquement humaine de l’intervention, etc. Mais, on l’aura compris, les approches prescriptives, numératives et purement descriptives s’éloignent de ce qui est attendu dans un numéro qui se veut interprétatif, compréhensif, sinon explicatif, et critique.

L’intervention en éducation constitue ainsi l’objet central, mais non exclusif, de ce numéro thématique qui adopte une double perspective : une perspective empirique, opérationnelle et pragmatique, qui renvoie à l’agir opérationnel constitutif de tout métier relationnel et qui vise la modification d’un processus ou d’un système et une perspective conceptuelle, en tant que construit théorique, qui vise à une modélisation, voire à une théorisation de la pratique d’enseignement.

3. Dans ce numéro

Les articles traitent du thème de l’intervention éducative selon une ou plusieurs perspectives (notionnelle, épistémologique ou empirique/praxique) et situent leurs recherches dans des contextes pluriels (Québec, Nouveau-Brunswick, France métropolitaine, La Réunion).

Dans sa recension d’écrits, St-Pierre apporte un nouvel éclairage sur les usages, les définitions et les ancrages épistémologiques que les auteurs donnent au concept d’intervention éducative grâce à l’analyse de 25 articles qui ont recours à cette notion (consultation des moteurs de recherche ERIC (Education Resources Information Center) et Érudit, puis analyse qualitative à l’aide du logiciel N’Vivo). Une première conclusion est que l’intervention éducative est un concept utilisé soit en tant que variable au sein d’un devis de recherche soit comme action professionnelle. Une autre conclusion est la distinction qui se fait jour entre les écrits francophones et les écrits anglophones. Les premiers privilégient l’usage de l’intervention comme action professionnelle ; ils s’en servent comme d’une catégorie ou elle est conceptualisée selon une double médiation. Les seconds ont recours de façon variée aux deux usages de l’intervention éducative.

Dans leur article, de Champlain, Barrette et Lacasse se positionnent sur l’axe empirique/praxique et tentent de montrer comment l’intervention éducative des nouveaux enseignants du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick résulte d’un travail de dialectisation d’un ensemble de contextes scolaires, professionnels et personnels. Leur méthodologie est mixte, combinant une enquête quantitative et des entrevues qualitatives réalisées dans les cinq campus du collège. Parmi les conclusions, les auteurs désignent l’enseignant novice comme un sujet en transition professionnelle articulant construction de compétence et construction identitaire autour du moment de l’intervention éducative. La discussion ouvre sur une modélisation de cette articulation pouvant servir à analyser l’intervention éducative dans sa perspective situationnelle.

Pour sa part, Clauzard s’intéresse aux interventions régulatrices en classe comme organisateur de l’activité enseignante. L’étude, réalisée en France métropolitaine, cherche à saisir l’agir régulateur de trois enseignantes de l’école élémentaire lors de séquences d’étude de la langue française. La méthode est double : elle consiste en l’étude des interactions de classe en situation didactique et en l’examen des propos de l’enseignant en situation d’autoconfrontation. Les principaux résultats permettent de déterminer deux aspects de l’intervention de régulation : l’intervention régulatrice des activités scolaires de résolution des tâches et l’intervention régulatrice des processus cognitifs de conceptualisation. Ainsi sont mis en lumière deux organisateurs de l’activité enseignante : régulation et conceptualisation, que l’auteur considère comme fondamentales pour piloter une conceptualisation d’objets de savoir.

La recherche collaborative de Bergeron porte sur le rôle joué par l’analyse des besoins dans la dynamique décisionnelle d’enseignantes québécoises lors de la planification de leur enseignement pour une diversité d’élèves. Ce projet a réuni trois enseignantes et le comité de direction de l’établissement, sur la durée d’une année scolaire et selon les trois phases classiques d’une recherche collaborative (cosituation, coopération, coproduction). L’ensemble des discussions a été analysé à l’aide des catégories conceptualisantes, selon la tradition de la théorie ancrée. Les résultats montrent que la dynamique décisionnelle est influencée de plusieurs manières (le moment où les enseignants considèrent devoir analyser les besoins de leurs élèves, et sous l’angle d’analyse privilégié pour questionner lesdits besoins, des considérations pragmatiques qui dépassent les besoins perçus). De surcroit, il apparait que la planification constitue une phase potentiellement source de tensions dont fait partie la gestion du temps de classe, coincée entre collectivité et singularité.

La contribution d’Alaoui se centre sur l’étude d’un dispositif portant le nom de Journal interculturel critique. À la croisée des champs de l’intervention éducative et de l’interculturel, l’auteur tente de montrer en quoi ce dispositif est un facilitateur pour une intervention éducative émancipatrice, qui engage les étudiants dans un processus réflexif et critique concernant leurs perceptions du monde ainsi que leurs rapports à eux-mêmes, à autrui et à la diversité socioculturelle. Pour commencer, la posture épistémologique est retenue, précisant un à un les concepts sur lesquels s’adosse la recherche (intervention éducative, diversité culturelle, altérité et altération, pensée réflexive et critique), puis les caractéristiques du Journal interculturel critique sont définies et illustrées par des extraits de journaux tenus par des étudiants inscrits en licence et en master de sciences de l’éducation à l’Université de La Réunion. La principale conclusion est que le dispositif du Journal interculturel critique est une intervention éducative sous certaines conditions (définition d’un cadre, organisation du processus de mise en relation, régulation au besoin) et que cette intervention en contextes devient progressivement un accompagnement au fur et à mesure que les sujets deviennent des auteurs.

Finalement, Lenoir propose un tour d’horizon des différents fondements sur lesquels s’appuie sa conception de l’intervention éducative et réaffirme ici le rôle essentiel de médiateur que joue l’enseignant, envisagé à la fois comme un gestionnaire des conditions d’apprentissage et un concepteur de situations problématisantes, didactiquement traitées en faisant appel aux principes dialogiques. L’auteur présente ici dix fondements conceptuels qui caractérisent l’intervention éducative dont, primo, le conatus, et, peut-être le plus interpellant, le neuvième fondement, qui renvoie à la conception du lien qui se noue entre les élèves et l’enseignant à propos du savoir et de son acquisition et qui s’articule de près avec les powerful knowledges. Cet ensemble cohérent de savoirs disciplinaires donnent du « pouvoir » aux élèves et leur permet de développer des capacités d'abstraction et de généralisation. Selon l’auteur, ces powerful kowledges devraient constituer l’essentiel d’un curriculum qui se fonde sur une approche dialectique, qui prône des démarches, prioritairement, de conceptualisation – et non de résolution de problèmes que véhicule le modèle néolibéral – dans un contexte sociohistorique.

Pour conclure, nous espérons que ce numéro permettra par l’étude des caractéristiques empirique, opérationnelle et pragmatique de l’intervention ainsi que par l’examen de certains éléments théoriques et conceptuels d’approfondir la question des processus d’enseignement-apprentissage, de mettre en débat le concept d’intervention par le biais d’une démarche critique et de poursuivre la modélisation de ce concept si complexe d’intervention éducative.