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Introduction

La génération actuelle d’étudiants qui compose les classes universitaires d’aujourd’hui est unique parce qu’il s’agit de la première à grandir en même temps que le développement des technologies numériques et d’Internet (Barnes, Marateo et Ferris, 2007). Ces étudiants, appelés « digital natives », sont pour la plupart de jeunes adultes nés après les années 1980 (Prensky, 2001)[1], ayant grandi entourés d’une variété d’outils et médias de plus en plus numériques et formés grâce à une multitude d’expériences, surtout informelles (Kalantzis et Cope, 2012a), en lien avec le numérique (Kennedy, Dalgarno, Gray, Judd et Waycott, 2007; Prensky, 2001).

Plusieurs chercheurs prétendent que le fait d’être exposés à des environnements riches sur le plan des technologies numériques –— et des médias –— a transformé notablement la façon dont ces étudiants travaillent, se comportent, se divertissent, s’éduquent et pensent (Barnes et al., 2007; Bleed, 2005; Jones et Cross, 2009; Kennedy, Dalgarno et al., 2008; Oblinger et Oblinger, 2005; Prensky, 2001, 2006). L’exposition aux nouvelles technologies a aussi eu un profond impact sur les pratiques de communication de ces derniers (Bertrand, 2014; Gee, 2013; Kress, 2003), et ce, tant à l’université qu’à l’extérieur de celle-ci (Elsaadani, 2012; Longanecker, 2004). Entre autres choses, la multiplication des technologies numériques (Brumberger, 2011) a eu pour effet d’augmenter considérablement la présence de l’image dans la vie des étudiants (Brumberger, 2011; Kress et van Leeuwen, 2006; Serafini, 2014).

Cette présence toujours accrue de l’image appelle au développement de la littératie visuelle considérée ici comme la capacité d’interpréter ou de créer des supports visuels (par exemple, des illustrations, des clips vidéo, etc.) en utilisant à la fois les médias traditionnels et les nouveaux médias (Bleed, 2005; Brumberger, 2011; North Central Regional Educational Laboratory [NCREL], 2003).

Considérant cette évolution remarquable, il paraît essentiel aujourd’hui de tenir compte davantage de l’apport de l’image dans l’enseignement et dans l’apprentissage (Serafini, 2014), notamment en contexte universitaire. Comme le soulignent Kalantzis et Cope (2012a), l’actuelle (r)évolution des pratiques contemporaines de communication (Kress, 2003) exige en effet une révision d’envergure des pratiques de formation, entre autres pour que ces dernières s’arriment davantage aux pratiques spontanées qui dominent l’apprentissage informel des jeunes d’aujourd’hui[2].

À l’université, et donc dans le contexte de l’enseignement et de l’apprentissage formel (Buckingham, 2007; Gee, 2013), on peut légitimement se demander si tous les modes de communication et d’apprentissage accessibles, plus particulièrement l’image, sont convoqués par les formateurs, notamment en ce qui a trait à la présentation des contenus de cours et des productions demandées aux étudiants. Dans l’affirmative, on peut alors se questionner sur la valeur pédagogique des choix des formateurs en relation avec l’apprentissage des étudiants.

Bien que certaines études aient tenté de documenter les pratiques mises en place par les formateurs qui permettent un apprentissage optimal chez les étudiants universitaires et une plus grande prise en compte des nouveaux outils de communication accessibles (Churchill, 2011; Halic, Lee, Paulus et Spence, 2010; Hung et Chi-Yin Yuen, 2010), aucune d’entre elles n’a analysé de manière spécifique l’enjeu (dans les présentations des contenus de cours et dans les productions demandées aux étudiants) de la littératie visuelle à l’université.

Objectifs de recherche

Afin de mieux documenter les enjeux de la littératie visuelle en contexte universitaire, nous avons réalisé une étude poursuivant trois objectifs : 1) dresser le portrait des pratiques d’apprentissages formels et informels d’étudiants universitaires en matière de littératie visuelle; 2) explorer l’appréciation que font les étudiants universitaires des choix réalisés par les formateurs en ce qui a trait à la présentation/production des contenus de cours; 3) analyser le sentiment de compétence des étudiants universitaires en matière de littératie visuelle. Dans cet article, ce sont les résultats recueillis en lien avec le deuxième objectif qui sont présentés et discutés. Les résultats liés aux objectifs 1 et 3 sont quant à eux présentés dans l’article de Martel et al. (à paraître).

1. Cadre théorique

L’émergence de l’ère numérique (Buckingham, 2010) conduit à une révision d’envergure de certains fondements épistémologiques de l’enseignement et de l’apprentissage. Dans ce qui suit, les concepts de multimodalité et de littératie visuelle sont définis afin, entre autres, de mieux saisir ce qui relève des compétences en littératie dite médiatique multimodale (LMM) et plus spécifiquement en littératie visuelle. Les pratiques de formation universitaire sont ensuite contextualisées dans la perspective de la multimodalité afin de mettre en lumière les choix qui s’offrent aux formateurs en matière de présentation/production des contenus de cours.

1.1. Multimodalité, littératie médiatique multimodale (LMM) et littératie visuelle

Pour s’inscrire véritablement dans une conception contemporaine de la littératie[3], il est aujourd’hui primordial que les formateurs universitaires (professeurs et personnes chargées de cours) prennent en compte le fait que la communication et l’acte d’apprendre mobilisent désormais l’amalgame de tous les modes (textuel certes, mais aussi visuel, sonore et cinétique) qui permettent de produire du sens (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012a; Lacelle, Boutin et Lebrun (2017). Au coeur de cette complémentarité recherchée des modes de communication se trouve l’idée fondamentale de multimodalité (Kress, 1997, 2010; Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012a, 2012b, 2013) qui reconfigure substantiellement le rapport établi à la littératie. Plutôt que d’adopter une approche foncièrement textuelle du message, il faut aujourd’hui considérer ce dernier dans toute sa globalité (Elkins, 2008), c’est-à-dire dans sa combinatoire intrinsèque de différents modes sémiotiques (Kress, 1997, 2010; van Leeuwen, 2005) pour incarner le sens transmis (Mitchell, 2008).

Conséquemment, la littératie dite médiatique et multimodale (LMM), qui s’inscrit dans la perspective de la multimodalité, est aujourd’hui définie comme :

… la capacité d’une personne à mobiliser adéquatement, en contexte communicationnel synchrone ou asynchrone, les ressources et les compétences sémiotiques modales (ex. : mode linguistique seul) et multimodales (ex. : combinaison des modes linguistique, visuel et sonore) les plus appropriées à la situation et au support de communication (traditionnel et/ou numérique), à l’occasion de la réception (décryptage, compréhension, interprétation et évaluation) et/ou de la production (élaboration, création, diffusion) de tout type de message

Lacelle, Lebrun et Boutin, 2015

Une telle conception de la littératie sous-tend qu’être compétent en littératie aujourd’hui exige davantage que la simple lecture/écriture des mots écrits (Downes et Zammit, 2001; Kellner, 2000; Kellner et Share, 2005; Snyder, Angus et Sutherland-Smith, 2004), comme l’illustre entre autres la grille de compétences en LMM produite par Lacelle, Lebrun, Boutin, et al. (2015).

Dans la perspective de cette dernière grille, la lecture du mode visuel, donc de l’image, est partie prenante des compétences exigées pour lire et écrire au 21e siècle. La capacité d’interpréter et de créer des supports visuels, par exemple des images fixes (photographies, graphiques, illustrations) ou des images mobiles (films, animations), en utilisant à la fois les médias traditionnels et les nouveaux médias constitue, de fait, ce que plusieurs auteurs définissent comme la littératie visuelle (Bleed, 2005; Brumberger, 2011; Elkins, 2008; NCREL, 2003). Plus spécifiquement, pour Serafini (2014, p. 23), la littératie visuelle se définit comme la capacité chez un individu de gérer des ensembles multimodaux composés de textes écrits, certes, mais aussi d’images et d’éléments sémantiques afin d’évoluer dans différents contextes sociaux.

1.2. Multimodalité et formation universitaire

Les pratiques de formation universitaire que nous qualifierons de traditionnelles sont centrées sur un seul mode, par exemple un professeur qui transmet la matière liée au cours sous la forme d’un exposé magistral ou l’étudiant qui est invité à produire un document textuel. L’exposé magistral était, encore en 2007, la principale méthode d’enseignement utilisée auprès des étudiants universitaires (Barnes et Tynan, 2007). Il favorise la transmission orale de la théorie (contenu de formation) en lien avec le cours entre un émetteur qui détient le savoir et un récepteur qui mémorise la théorie (Archambault, 2000; Legendre, 2005). Cette façon d’enseigner est critiquée (Duderstadt, 2004; Lohnes et Kinzer, 2007), notamment parce que les étudiants universitaires actuels apparaissent moins disposés que leurs prédécesseurs à simplement absorber des connaissances transmises (Hay, 2000; Oblinger et Oblinger, 2005).

Les pratiques multimodales de formation intègrent, quant à elles, la multimodalité sémiotique, donc elles combinent de façon interactive au moins deux modes sémiotiques parmi les suivants : le mode textuel, le mode visuel, le mode sonore ou le mode cinétique (Kress, 2010; Lebrun et Lacelle, 2012). Elles s’organisent, entre autres, autour des supports qui sont utilisés afin de transmettre le savoir en lien avec le cours (Chaput, 2015). À cet égard, les formateurs peuvent tour à tour, et de manière idéalement complémentaire (autrement on parle de pratique monomodale), présenter les contenus de cours par le biais de textes, de schémas, de graphiques, de tableaux, d’illustrations, de photographies, d’extraits vidéo, etc. De même, ils peuvent demander aux étudiants de produire des travaux composés de ces mêmes composantes sémiotiques (modes textuel, visuel, sonore, etc.). En littératie visuelle, les choix réalisés par les formateurs doivent sous-tendre bien évidemment l’inclusion de l’image comme vecteur d’enseignement et de communication.

Le recours aux outils technologiques et numériques par les professeurs et les personnes chargées de cours favorise la prise en compte de la multimodalité puisqu’il induit généralement l’utilisation de supports multiples qui combinent les modes sémiotiques (Gee, 2013; Kress, 2010) et l’adaptation conséquente de certaines stratégies d’enseignement traditionnelles déjà en place (Barnes et al., 2007). Par exemple, afin de bonifier la formation offerte aux étudiants universitaires, certains professeurs et personnes chargées de cours ont recours à une vaste gamme d’outils technologiques tels que les logiciels de présentation (PowerPoint, Google Slides, Keynote, etc.), les systèmes de gestion de cours (Moodle, Edmodo, etc.), les forums et babillards numériques, Internet et tous les sites ou hyperliens en rapport avec le cours qu’ils proposent, etc. (Elsaadani, 2012). Principalement, ces outils sont utilisés pour faciliter ou soutenir les activités d’enseignement, créer et diffuser le matériel utilisé en classe, concevoir les présentations visant à présenter les contenus de cours et rendre plus accessible le savoir (Bryon-Portet, 2013; Elsaadani, 2012; Kennedy, Dalgarno et al., 2008).

2. Approche méthodologique

Comme nous l’avons déjà mentionné, cet article traite d’un des objectifs d’une plus vaste étude. Dans la section qui suit, les aspects méthodologiques permettant de bien situer l’étude réalisée sont mis en lumière, mais une attention particulière est accordée aux aspects touchant l’objectif ciblé (voir point 1.1.).

2.1 Échantillon

Afin de déterminer l’échantillon de cette étude, nous avons utilisé la méthode d’échantillonnage non probabiliste. Les participants ont été recrutés de manière volontaire parmi tous les étudiants du premier cycle poursuivant une formation en sciences de l’éducation ou en sciences de la gestion. En tout, 279 étudiants et étudiantes (163 en sciences de l’éducation et 116 en sciences de la gestion) ont participé à cette étude dans le cadre des trois objectifs poursuivis. Les résultats présentés dans cet article, qui cible le deuxième objectif, sont spécifiquement liés à un échantillon non probabiliste composé des 163 étudiants et étudiantes en sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski (campus de Lévis). Ces derniers sont âgés de 18 à 42 ans, 156 sont des femmes et 7 sont des hommes[4]. Parmi ceux-ci, 34,8 % sont en 1re année de baccalauréat et 26,1 % sont en 2e année, 26,1 % sont en 3e année et, finalement, 13 % sont en 4e année. De ce large échantillon ayant rempli un questionnaire d’enquête, 13 étudiants de 3e et de 4e année (11 femmes et 2 hommes) composent un sous-échantillon de volontaires lié à la réalisation de groupes de discussion[5].

2.2. Déroulement et instruments de mesure

La cueillette des données liée à cette étude s’est réalisée au cours de l’hiver 2016. Afin d’atteindre les objectifs fixés, une méthodologie de type mixte a été privilégiée.

Le premier outil méthodologique retenu est le questionnaire d’enquête (présenté en annexe dans Martel et al. (2017) et déposé sur le site www.lelimier.com). Ce questionnaire en ligne, rendu accessible aux étudiants par le biais du logiciel SurveyMonkey, comprenait neuf questions fermées (souvent décomposées en sous-questions), dont sept questions permettant de déterminer les pratiques d’apprentissage en matière de littératie visuelle des participants (objectif 1 de l’étude). Afin de répondre aux autres objectifs de l’étude, une question (décomposée en sous-questions) visait à explorer les choix des formateurs en ce qui a trait à la présentation/production des contenus de cours et à leur appréciation par les étudiants (objectif 2). De même, une question, décomposée elle aussi en sous-questions, invitait les répondants à définir, dans une perspective de réception ou de production, leur sentiment de compétence en matière de littératie visuelle (objectif 3). Af in d’élaborer ce questionnaire, l’équipe de recherche s’est inspirée de certains questionnaires validés (Dahlstrom et Bichsel, 2014; Kennedy, Judd, Churchward, Gray et Krause, 2008; Mahdi, 2014) provenant d’études portant sur les expériences et les attitudes d’étudiants et d’enseignants d’ordre universitaire à l’égard de la technologie et de leurs expériences scolaires. Une fois expérimenté auprès d’un sous-échantillon (trois étudiant(e)s en sciences de l’éducation et trois étudiant(e)s en sciences de la gestion), il a été rempli par tous les participants de l’étude au cours des mois de janvier et février 2016.

Le deuxième outil méthodologique retenu, permettant l’obtention de données qualitatives en lien avec les objectifs de l’étude, est le groupe de discussion. Les trois groupes de discussion tenus, d’une durée d’une heure trente chacun, se sont réalisés en avril 2016 auprès, respectivement, de cinq étudiants de 3e année pour le premier groupe de discussion et de quatre étudiants de 4e année pour les deux autres. Afin de procéder à la réalisation des groupes de discussion, un canevas d’entretien comprenant 20 questions ouvertes a été construit de manière à ce que les informations recherchées soient structurées autour des mêmes concepts et catégories utilisés pour la rédaction du questionnaire d’enquête. En agissant ainsi, nous souhaitions en premier lieu corroborer avec les participants aux groupes de discussion les résultats issus du questionnaire d’enquête, mais aussi approfondir les thématiques approchées dans cette étude et, surtout, entendre les participants quant aux motifs justifiant les réponses données. Le canevas d’entretien des groupes de discussion a été expérimenté auprès de trois étudiants en sciences de l’éducation, ce qui nous a permis de clarifier certaines formulations de questions.

2.3. Analyse des données

Afin de réaliser l’analyse des données quantitatives recueillies par le biais du questionnaire d’enquête, des analyses statistiques descriptives ont été effectuées, de même que des tests de chi-carré permettant de comparer les proportions de réponses en fonction de variables données (Green, Salkind et Akey, 2000). Quant aux données qualitatives obtenues par la tenue de groupes de discussion, elles ont été analysées sur la base d’une analyse de contenu des discours (Miles et Huberman, 2003; Sabourin, 2009); elles ont été codées en fonction des thèmes et sous-thèmes de recherche (et des concepts associés) et soumises à une triangulation.

3. Résultats

Cette partie de l’article traite des résultats quantitatifs et qualitatifs obtenus en lien avec le deuxième objectif poursuivi par notre étude. Nous y présentons les réponses obtenues auprès de l’ensemble des participants (des étudiants en sciences de l’éducation) en ce qui a trait à l’appréciation que font les étudiants universitaires des choix réalisés par les formateurs en matière de présentation/production des contenus de cours. Dès que cela est pertinent, des extraits des groupes de discussion réalisés auprès des 13 étudiants volontaires complètent la présentation des résultats quantitatifs.

3.1. Choix de formation (présentation/production des contenus de cours) jugés favorables à l’apprentissage par les étudiants

Le tableau 1 présente les réponses des participants sondés en ce qui a trait aux choix pouvant être réalisés par les formateurs en matière de présentation/production des contenus de cours et à l’appréciation (sur une échelle de Likert à quatre niveaux) de ces derniers par les étudiants. Pour faire connaître leur appréciation, les participants étaient invités, pour chaque choix proposé (recourant ou non à l’image), à déterminer leur degré d’acceptation (« pas du tout d’accord », « peu d’accord », « assez d’accord », « tout à fait d’accord », « ne s’applique pas ») à la formulation suivante : j’apprends davantage dans mes cours lorsque le(la) chargé(e) de cours ou le(la) professeur(e) expose le contenu sous forme [support modal ciblé] ou m’invite à produire du contenu sous forme de [support modal ciblé].

Tableau 1

Fréquences en pourcentage relatives au niveau d’accord des étudiants en sciences de l’éducation en lien avec les pratiques de formation (présentation/production des contenus des cours) qui leur permettent d’apprendre davantage dans leurs cours (n = 163)

Fréquences en pourcentage relatives au niveau d’accord des étudiants en sciences de l’éducation en lien avec les pratiques de formation (présentation/production des contenus des cours) qui leur permettent d’apprendre davantage dans leurs cours (n = 163)

-> Voir la liste des tableaux

Les résultats portant sur la présentation des contenus de cours (les cinq premiers items du tableau 1) illustrent une certaine hiérarchisation quant à l’appréciation des choix réalisés à cet égard par les formateurs et de leur portée sur l’apprentissage. Si l’on regroupe les réponses Tout à fait d’accord et Assez d’accord, ce qui permet de déterminer les pratiques jugées les plus favorables à l’apprentissage, on observe que les étudiants affirment apprendre davantage lorsque le professeur ou le chargé de cours expose le contenu du cours sous forme d’extraits vidéo/sonores/etc. (91,5 %), de schémas/graphiques/tableaux (90,7 %), d’illustrations et de photographies (85,3 %), de textes (76,7 %) et, finalement, d’exposés magistraux (60,8 %).

Comme nous pouvons le constater, la présentation des contenus de cours sous forme d’extraits vidéo/sonores/etc. obtient, dans notre étude, les plus hauts scores d’appréciation. Lorsque cette préférence a été abordée dans les groupes de discussion, six sujets se sont exprimés. De l’avis de ces étudiants, le recours à des extraits vidéo est de plus en plus fréquent, mais cette utilisation reste encore trop peu exploitée ou mal exploitée. En fait, plusieurs extraits de discours codés laissent penser que la vidéo est utilisée en classe pour appuyer le contenu présenté majoritairement sous forme d’exposés magistraux, et cela, sans accompagnement pédagogique (aucune ou très peu de consignes d’écoute formulées; aucun soutien offert quant à la « lecture » de vidéos). Nous présentons ici trois extraits qui étayent cette position :

  • « J’ai l’impression que nous, quand on nous présente une vidéo à l’université, c’est surtout pour qu’on s’attarde au contenu [...], quand [les chargés de cours ou les professeurs] font un retour, c’est sur ce qui a été dit lors du magistral » (groupe de discussion 1, S3);

  • « [Les vidéos sont utilisées en classe] pour mettre des images sur des mots qui viennent d’être dits. Ce n’est pas nécessairement un plus » (groupe de discussion 1, S1);

  • « On nous en parle peu [de la lecture de l’image]. Il faut seulement regarder sans trop savoir sur quoi s’attarder » (groupe de discussion 2, S8).

Les deux autres choix privilégiés à l’égard de la présentation des contenus de cours (schémas/graphiques/tableaux et photographies/illustrations) illustrent que les étudiants sondés par questionnaire semblent réceptifs à l’introduction de pratiques de formation qui intègrent l’image comme mode de communication. Dans les trois groupes de discussion, tous les participants, sans exception, admettent être conscients des bénéfices engendrés par cette intégration du mode visuel. Les trois premiers extraits de verbatim suivants soulignent certains de ces bénéfices reconnus du recours aux images fixes ou mobiles, alors que les deux derniers mettent en lumière le rôle fondamental que joue l’image pour certains dans l’apprentissage :

  • « Elles permettent plus d’apprentissages » (groupe de discussion 2, S6);

  • « C’est une formule différente, plus proche de [soi], qui [nous] représente et [qui] est beaucoup plus motivant[e] » (groupe de discussion 1, S2);

  • « Elles sont plus riches à l’égard de la formation » (groupe de discussion 3, S10);

  • « J’ai besoin d’une image » (groupe de discussion 1, S4);

  • « [...] Un texte qui n’a pas d’image, je le lis et je comprends plus ou moins. Souvent, il faut que je recommence [...], je dois représenter visuellement ce que je lis, sinon je perds toute compréhension du texte » (groupe de discussion 1, S2).

Quatre étudiants des deuxième et troisième groupes de discussion affirment par contre que les formateurs ne semblent pas tous connaître les bienfaits du recours à ces modes de communication multimodale et qu’en fait, ils semblent plus y recourir pour « être dans le coup » (S6), « être à la mode » (S10 et S11) ou « avoir l’air branché » (S13).

Lorsque ce sont les étudiants qui sont invités à présenter des contenus de cours (aspect production), dans le cadre de travaux par exemple (les cinq derniers items du tableau 1), les deux choix jugés les plus favorables à l’apprentissage parmi ceux qui sont proposés sont les suivants : les productions dont le contenu est à dominance textuelle (74,7 % sont « tout à fait d’accord » ou « assez d’accord ») et les productions qui incluent des schémas/graphiques/tableaux (68,1 % sont « tout à fait d’accord » ou « assez d’accord »). Parallèlement, les types de productions suivants présentent des pourcentages d’appréciation moindres : les productions qui incluent des hyperliens (47,5 %); la publication et le partage de contenu via des blogues, forums, sites Internet et services de stockage et de partage de fichiers en ligne (39,8 %); et les productions qui incluent des extraits vidéo/sonores, etc. (36,2 %).

Questionnés dans le cadre de groupes de discussion sur les productions qu’ils ont à réaliser à l’université et l’intégration (ou non) dans celles-ci de l’image comme mode de communication, les étudiants ont des avis très partagés. Pour certains (6 étudiants), il apparaît qu’une telle intégration (trop peu présente encore à leur avis) augmenterait la motivation à s’investir dans les travaux exigés. Les extraits suivants sont à cet égard signifiants :

  • « [...] ça aurait été intéressant et peut-être plus dynamique [...] Il y aurait peut-être plus d’intérêt à faire le travail [...] » (groupe de discussion 2, S9);

  • « Oui, insérer des hyperliens, insérer des images… Est-ce que j’aime ça le faire… Oui! » (groupe de discussion 3, S10);

  • « Même si je souhaitais le faire, je ne sais pas si on peut vraiment le faire » (groupe de discussion 1, S5).

Pour d’autres (4 étudiants), une telle intégration, pour être réussie, nécessite un accompagnement pédagogique conséquent, ce qui ne semble pas être proposé actuellement, comme le laissent entendre ces extraits de verbatim :

  • « Oui, c’est pertinent si on nous l’apprend » (groupe de discussion 1, S4);

  • « Actuellement à l’université, on nous apprend peu à produire autre chose que du texte » (groupe de discussion 1, S5).

Enfin, deux autres étudiants tiennent des propos qui laissent croire qu’une telle prise en compte de l’image n’est pas nécessaire à l’université, sauf peut-être dans des disciplines explicitement tournées vers l’image, « comme l’architecture ou les arts » (groupe de discussion 2, S6). Pour ces étudiants, les pratiques traditionnelles occupent et doivent encore occuper « une place importante, une place centrale à l’université » (groupe de discussion 2, S7), notamment en ce qui a trait aux travaux attendus puisque « la majorité des étudiants y sont plus réfractaires. Ils veulent plus de productions conventionnelles, des textes » (groupe de discussion 3, S10).

4. Discussion

Dans cette section de l’article, les résultats seront discutés. Les relations posées dans la discussion, bien qu’elles éclairent plusieurs de nos résultats, ont par contre une limite importante : peu de recherches (voire aucune) à notre connaissance, ont jusqu’à ce jour été réalisées autour de la question spécifique des pratiques de formation en matière de littératie visuelle en contexte universitaire. Notre étude, à cet égard, fait office de toute première exploration. Essentiellement, les recherches auxquelles on peut référer s’intéressent aux pratiques d’enseignement et d’apprentissage à l’université qui tiennent compte des technologies de l’information et de la communication (TIC). Dans le cadre de ces études, les outils technologiques semblent être davantage considérés comme des supports à l’enseignement, et leur inscription dans une perspective communicationnelle issue du paradigme de la multimodalité est très peu prise en compte.

4.1. L’importance accordée aux pratiques de présentation/production « traditionnelles »

Comme en témoignent les résultats obtenus dans le cadre de cette étude, les pratiques de présentation/production des contenus de cours, que l’on pourrait qualifier de traditionnelles, semblent être encore appréciées par les étudiants universitaires d’aujourd’hui, du moins ceux qui sont en sciences de l’éducation. Ainsi, la présentation de contenus de cours sous forme d’exposés magistraux, et sous forme de textes, de même que la production de contenu à dominante textuelle font partie des pratiques qui, de l’avis des étudiants sondés, favorisent le plus leurs apprentissages. Dans les groupes de discussion, certains affirment même être réfractaires ou sentir leurs collègues réfractaires à l’idée que des pratiques de formation davantage multimodales (intégrant un plus fort recours à l’image) soient employées ou plus employées dans le cadre de leur formation, notamment en ce qui a trait aux travaux attendus.

Ces résultats nuancent l’idée selon laquelle les étudiants des générations actuelles se comportent et pensent complètement différemment (Barnes et al., 2007; Jones et Cross, 2009; Kennedy, Dalgarno et al., 2008; Oblinger et Oblinger, 2005; Prensky, 2001, 2006), et semblent moins disposés que leurs prédécesseurs à simplement absorber les connaissances transmises par leurs professeurs ou leurs chargés de cours (Hay, 2000). Au contraire, ils vont dans le sens des travaux réalisés par Waycott et al. (2010), qui ont constaté que les étudiants ne croient pas nécessairement que les pratiques tournées vers l’évolution actuelle des communications présentent nécessairement et assurément des avantages, notamment à l’égard de leurs apprentissages scolaires.

Il faut toutefois demeurer vigilant : le fait d’être un peu plus réfractaire aux pratiques de formation prenant davantage en compte l’image comme mode de communication pourrait être lié au sentiment de compétence en littératie visuelle plus faible des étudiants sondés (Martel et al., 2017). En ce moment, l’enseignement des modes sémiotiques (textuel, visuel, sonore, cinétique) et de leurs différents codes (liés aux pratiques contemporaines de communication) n’est en effet que très peu pris en compte dans les milieux scolaires. En conséquence, il revient souvent à chacun de se former du mieux qu’il le peut, en contexte résolument informel. Peu ou pas formés, peu outillés ou encouragés dans l’utilisation en contexte formel de l’image comme mode de communication et d’apprentissage, les étudiants sondés dans cette étude sont peut-être seulement prudents.

4.2. Une ouverture assurée aux pratiques de présentation/production incluant le recours à l’image

Bien que plusieurs pratiques de formation plus traditionnelles soient encore appréciées, cette étude, comme l’a démontré d’ailleurs celle de Dahlstrom et Bichsel (2014), illustre que les pratiques de formation recourant au mode visuel (et en parallèle, l’intégration des nouveaux outils de communication numérique) sont tout de même très appréciées par les étudiants (voir tableau 1). Particulièrement, les étudiants qui ont participé à cette étude apprécient fortement le recours à l’image dans la présentation des contenus de cours. En guise de rappel, 91,5 % affirment apprendre davantage (« tout à fait d’accord » et « assez d’accord ») lorsque le contenu du cours est présenté sous forme d’extraits vidéo/sonores/etc., 90,7 % sous forme de schémas/graphiques/tableaux et 85,3 % sous forme d’illustrations et de photographies. Au contraire, les activités de productions d’images sont moins appréciées.

Comme le soulignent avec justesse Oblinger et Oblinger (2005), l’utilisation des outils technologiques en contexte d’enseignement universitaire, et entre autres le recours à l’image comme mode de communication, doit par contre avoir une valeur éducative claire; les formateurs ne peuvent s’y lancer pour simplement, comme l’exprime un participant de l’étude, « être dans le coup ». De même, les règles et les procédures liées à leur utilisation doivent être bien établies, notamment parce que les étudiants contemporains considèrent que l’activité pouvant être réalisée grâce à l’utilisation des outils numériques (et notamment de l’image) est plus importante que les outils technologiques en soi.

4.3. L’apport complémentaire du recours à des pratiques variées

Essentiellement, il semble que ce sont les formateurs qui présentent, par les choix qu’ils font, une variété de manières de présenter/produire les contenus de cours qui sont jugés les plus efficaces pour l’apprentissage. En effet, les résultats obtenus dans le cadre de cette étude illustrent que les étudiants sondés jugent qu’ils apprennent davantage lorsque les formateurs universitaires varient la présentation des contenus de cours en combinant des pratiques plus traditionnelles (présentation du contenu du cours sous forme de textes ou sous forme d’exposés magistraux) à des pratiques monomodales et/ou multimodales intégrant le recours à l’image (présentation du contenu du cours sous la forme d’extraits vidéo/sonores/etc. ou d’illustrations et de photographies). De même, les étudiants jugent qu’ils apprennent davantage lorsqu’il leur est demandé de produire des travaux qui nécessitent certes la production plus habituelle de contenu à dominante textuelle, mais aussi du contenu qui inclut des schémas/graphiques/tableaux, voire d’autres types d’images fixes (Kennedy, Judd et al., 2008).

Ainsi, malgré la popularité des outils technologiques employés par les étudiants universitaires dans le cadre de leurs pratiques informelles de communication et d’apprentissage (Martel et al., à paraître), les pratiques formelles dites traditionnelles qui sont employées à l’université sont encore appréciées par les étudiants. Ces derniers privilégient en fait, comme l’ont aussi constaté Kvavik et Caruso (2005) et Oblinger et Oblinger (2005), l’équilibre et le recours à une quantité « modérée » d’outils technologiques et de pratiques innovantes dans leurs cours.

Conclusion

Plusieurs chercheurs (Levin et Arafeh, 2002; Oblinger et Oblinger, 2005; Prensky, 2001) sont d’avis qu’il est fondamental que le milieu de l’éducation universitaire suive le rythme face aux changements technologiques en cours, intègre plus efficacement les outils numériques et mise bien davantage sur le développement des compétences liées, entre autres, à la littératie visuelle. Dans le cas contraire, ces auteurs anticipent une certaine aliénation des étudiants à l’égard des défis qui les attendent dans le monde contemporain (Barnes et Tynan, 2007; Kennedy, Dalgarno et al., 2008).

Les résultats de notre étude, malgré les limites de celle-ci (taille de l’échantillon et domaines de formation ciblés, caractère déclaré du questionnaire d’enquête, etc.), nuancent certaines idées quant à l’appréciation, par les étudiants de la génération actuelle, de certaines pratiques de formation universitaire.

Comme le soulignent Margayan et al. (2011), les étudiants universitaires (dont ceux sondés dans cette étude) semblent se conformer et même s’attendre à l’emploi de pratiques pédagogiques dites traditionnelles de la part des formateurs universitaires. Tout se passe, lorsque l’on questionne ces derniers, comme s’il était naturel pour les étudiants que les pratiques de formation proposées à l’université demeurent traditionnelles et s’arriment peu aux pratiques d’apprentissage spontanées utilisées par ces mêmes étudiants en contexte informel, dont plusieurs se distinguent des pratiques formelles proposées en contexte scolaire (Martel et al., 2017). Ils apprécient par contre, et notre étude l’illustre, des pratiques qui s’ouvrent davantage aux nouvelles manières de communiquer et d’apprendre, dont le recours à l’image.

Pour éviter que l’actuel fossé se creuse davantage entre les pratiques informelles d’apprentissage des étudiants et les pratiques formelles d’enseignement et d’apprentissage (Buckingham, 2010; Gee, 2013; Kalantzis et Cope, 2012b), il paraît nécessaire de poursuivre les études quant à la formation universitaire et l’inclusion (portée sur l’apprentissage, appréciation, limites, etc.) des pratiques de formation intégrant davantage les pratiques de communication contemporaines, dont le recours à l’image (Barnes et Tynan, 2007). Comme le suggère Prensky (2001), les formateurs universitaires ont intérêt à adapter leurs pratiques afin de s’harmoniser aux nouvelles compétences à développer, dont les compétences de littératie visuelle, ainsi qu’aux expériences et aux attentes de leurs étudiants. Lorsqu’un formateur fait le choix d’adapter ses pratiques de formation en fonction des nombreux outils technologiques accessibles et des nouvelles pratiques de communication, il doit par contre s’assurer de ne pas mettre de côté certaines pratiques plus traditionnellement employées. Comme l’illustrent nos résultats, l’équilibre semble garant du succès. Assurément toutefois, l’image comme média sémiotique d’enseignement et d’apprentissage devrait occuper une place dans cette révision et adaptation des pratiques. Particulièrement, la compétence en littératie visuelle devrait être formellement prise en charge par l’école (dont l’université) parce que les étudiants d’aujourd’hui naissent, grandissent et travailleront dans un monde fondamentalement « visuel » qu’il importe de traiter efficacement.