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Cet ouvrage est le premier tome annonciateur d’un second à paraître. Il a la particularité d’avoir été édité en deux langues : d’abord en français – nous avons lu l’ouvrage dans cette langue –, mais aussi en langue anglaise. Il est rédigé par des chercheurs « du monde entier » qui travaillent tous sur le thème générique de la diversité en entreprise et qui ont été réunis à l’occasion des ateliers de recherche de la chaire « Management, Diversité et Cohésion sociale » que dirige Jean-François Chanlat à l’Université Paris-Dauphine et pour laquelle Mustafa Özbilgin est conseiller scientifique.

L’ouvrage s’ouvre sur une introduction, dix chapitres, dont le dernier pourrait aussi être, à notre avis, une conclusion. Il part du constat – selon nous, il s’agit d’ailleurs plus d’un postulat que d’un constat établi – que la notion de diversité diffère selon le pays et qu’elle doit, par conséquent, être avant tout gérée au niveau national. Dès lors, il s’agit de proposer un premier tour du monde de la diversité en entreprise et de rendre compte du comment les entreprises justement jouent avec les institutions nationales pour embrasser cette question. À cet égard, le tour de force est plutôt réussi : on y visite les situations du Pérou, du Brésil, des États-Unis, du Québec, de plusieurs pays européens (France, Royaume-Uni, Allemagne et Scandinavie), des DOM TOM, en passant par celles dans le monde arabe, le Cameroun ou encore l’Afrique du Sud.

Sans l’expliciter, l’ouvrage se décompose en deux parties. Une première partie recouvre les cinq premiers chapitres et a trait à la notion de diversité et au comment les différents pays s’emparent de la question de la diversité et, d’ailleurs, pourquoi la diversité est une question. Ainsi, le chapitre 1 s’intéresse au sens que l’inclusion prend dans la société et a fortiori dans les entreprises du Pérou où le concept renvoie plus à des dimensions affectives et égalitaires qu’à une recherche d’égalité entre individus, laquelle égalité serait régie par des institutions. Le chapitre 2, a contrario, montre le rôle prédominant des institutions pour maintenir une diversité raciale aux États-Unis et au Royaume-Uni en particulier, dans le monde de la santé. Le chapitre 3, qui porte sur la genèse de la question de la diversité en France, rappelle que l’on ne peut comprendre le cadre d’action sur la diversité sans comprendre l’histoire des principes au fondement de la République française. Le chapitre 4 explore le contexte de la Nouvelle-Calédonie et questionne le caractère européen, si ce n’est occidental, du concept de diversité perçu comme très étrange, voire étranger, pour les autochtones. Le chapitre 5 nous fait revenir dans une zone occidentale, le Québec, en comparant les intégrations respectives des populations maghrébines et françaises tout en soulignant la faiblesse des études quantitatives pour rendre compte des difficultés réelles de ces personnes au quotidien.

La seconde partie du livre, du chapitre 6 au chapitre 10, se focalise davantage sur la manière par laquelle les entreprises ou organisations des différents pays étudiées s’emparent de la question de la diversité. Ainsi, le chapitre 6 explore les pratiques de gestion de la diversité dans les banques brésiliennes et les insuffisances des pratiques institutionnelles pour intégrer l’ensemble des populations comme pourraient l’être les programmes d’affirmation positive aux États-Unis. Le chapitre 7 propose une série d’actions concrètes que les entreprises d’Afrique du Sud pourraient suivre pour contribuer à résoudre la terrible absence de diversité en leur sein. Le chapitre 8 se focalise sur les actions menées au Cameroun pour dépasser les conflits d’identité ethnique. Le chapitre 9 rappelle les pratiques existantes dans le contexte arabe, qui est, par nature, plurireligieux, ethnique, racial et linguistique ! Le chapitre 10, enfin, se fonde sur le cas d’une multinationale basée en Allemagne pour questionner, voire dénoncer, le caractère réel de la volonté de gérer la diversité en entreprise, au-delà des signatures de chartes de diversité édictées par le parti politique dominant dans le pays.

Un premier apport incontestable de l’ouvrage réside dans la diversité des situations étudiées et des pays « visités ». Il souligne certaines dimensions « oubliées » (pour reprendre le titre d’un précédent ouvrage de Jean-François Chanlat) en laissant penser que la diversité serait plus une question de contexte, en particulier, une question commune aux pays occidentaux ou occidentalisés, par opposition aux cas des pays arabes ou des autochtones, où l’altérité existe, mais ne semble pas poser problème. Même si quelques chapitres – nous pensons aux chapitres 5 et 8 – s’intéressent à la diversité de sexe ou de genre, l’apport réside essentiellement dans l’analyse de la diversité ethnique, voire raciale. Peut-être que le prochain tome explorera d’autres types de diversité. Peut-être aussi que le matériau relaté par les différents chercheurs invités rend essentiellement compte que de ce type de diversité, laissant penser que les autres types de diversité n’existeraient pas ou ne soulèveraient aucun enjeu apparent : quid de la diversité en termes d’origines sociales – souvent corrélée, il est vrai, du moins dans certains pays, avec la diversité ethnique –, de la diversité de sexe voire d’orientation sexuelle, d’âge, de religion, d’éducation, voire aussi de culture métiers ? Connaissant les travaux des éditeurs et des conférences qui ont pu être organisées dans la chaire « Management, Diversité et Cohésion sociale », nous sommes convaincues que cette absence réside d’un parti pris pour une focalisation sur « une seule variable », à savoir la diversité ethnique. Est-ce à penser que les auteurs considèrent la diversité ethnique comme la clé d’entrée de laquelle découle la compréhension de tous les autres types de diversité ? Ce parti pris aurait mérité d’être explicité.

Un second apport –, mais aussi la limite – de l’ouvrage est qu’il montre bien que les pratiques de gestion de la diversité, que ce soit dans les entreprises ou dans une autre organisation, sont encastrées, voire orchestrées, par des institutions – un parti politique, un gouvernement, par exemple – ou une loi, lesquelles institutions sont à penser dans un contexte historique et national. Pour autant, en lisant les bribes d’histoire de chacun des pays relatés par les contributeurs de l’ouvrage, on peut difficilement s’empêcher de questionner le constat formulé par Jean-François Chanlat et Mustafa Özbilgin, à savoir que l’analyse de la situation dans un pays est la bonne granulométrie pour envisager la question de la diversité. En dehors des chapitres sur le cas de populations autochtones, les situations renvoient toutes à une tension entre une population dite dominante qui peine à intégrer une altérité et inversement, qui s’expriment plus ou moins toutes de manière différente en nuance, mais au-delà des spécificités nationales, la situation semble généralisable. Dès lors, nous pouvons regretter que ce postulat – la diversité se gère au niveau national – ne soit pas davantage investigué, questionné, voire critiqué. Le dernier chapitre qui a trait à l’analyse des pratiques de diversité d’une entreprise multinationale sur le sol allemand, qui échoue à réellement faire sienne la Charte de la diversité ne semblerait pas tant remettre en cause l’incapacité de la multinationale à créer de la « vraie » diversité, mais à s’adapter au contexte allemand ? Comment penser la diversité dans un contexte de globalisation ? Et dans le contexte actuel de remise en cause des travers de la globalisation avec le rejet de la diversité au niveau national ?

Dans leur introduction, Jean-François Chanlat et Mustafa Özbilgin se déclarent être des chercheurs engagés, peut-être pas nécessairement au sens des partisans de la recherche- action comme les sociologues de Chicago dans les années cinquante qui expérimentaient eux-mêmes des solutions aux problèmes qu’ils identifiaient dans leur diagnostic, ou au sens de Van de Ven et de ses partisans qui estiment primordial d’orienter leur sujet de recherche sur des questions d’actualité et de dilemmes sociaux. Pour autant, à l’heure où un grand nombre de pays semblent « se replier » sur eux-mêmes et où l’ethnie dominante semble rejeter l’altérité, la lecture de cet ouvrage ne peut être qu’éclairante. C’est à ce titre que nous ne pouvons qu’en conseiller la lecture !