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Introduction

Le terme « métacognition »  est apparu dans le domaine de la psychologie cognitive. Initialement défini par Flavell (1979) et Flavell, Miller et Miller (1993), il renvoie à la fois aux connaissances de l’individu à propos de son fonctionnement cognitif et aux processus permettant à ce dernier d’autoréguler ses activités intellectuelles. Cette définition, fondée sur l’identification de deux composantes, a été progressivement reprise et approfondie par d’autres auteurs (Allal et Saada-Robert, 1992 ; Boekaerts, 1999 ; Schraw et Moshman, 1995), constituant ainsi le point de départ de travaux qui étudient plus précisément le rôle des processus métacognitifs dans les performances des individus en plusieurs domaines.

Dans le champ de l’écriture, des liens positifs ont été constatés entre la qualité des productions réalisées par des scripteurs d’âges différents et chacune des deux dimensions de la métacognition : les connaissances métacognitives (Escorcia & Fenouillet, 2011 ; Ferrari, Bouffard et Rainville, 1998 ; Raphael, Englert et Kirschner, 1989 ; Roen et Willey, 1988) et les stratégies d’autorégulation (Zimmerman et Martinez-Pons, 1986). Ces recherches montrent que les rédacteurs les plus performants possèdent une connaissance plus aigüe de leurs stratégies d’écriture (Englert, Raphael et Anderson, 1992) et reconnaissent plus aisément les exigences des écrits qu’ils ont à produire (Ferrari et al., 1998 ; Roen et Willey, 1988 ; Victori, 1999). Les scripteurs performants contrôlent davantage leurs processus de révision (Piolat et Roussey, 1991) et de planification (Bereiter, Burtis et Scardamalia, 1988), et sont capables de gérer de manière plus flexible et récursive les diverses contraintes de la production écrite (Graham, Harris et Mason, 2005 ; Zimmerman et Risemberg, 1997).

Ces processus que recouvre la notion de métacognition paraissent particulièrement nécessaires à la réussite en contexte universitaire (Romainville, 1993). Concernant les activités de production d’écrits, les étudiants font face à de nouvelles exigences en matière d’écriture caractérisées par l’apprentissage de nouveaux genres textuels et par une pratique plus réfléchie de l’écriture (Delcambre, Donahue et Lahanier-Reuter, 2012 ; Pollet, 2001). Peu de recherches se sont cependant intéressées à l’analyse des particularités des processus rédactionnels des étudiants, ni se sont dotées d’outils méthodologiques spécifiques pour mener ces descriptions. Dans ce contexte, l’objectif de la présente recherche a été de construire et de valider un instrument de mesure pour étudier les connaissances métacognitives et les stratégies d’autorégulation en lien avec la révision de textes produits à l’université. Il s’agit d’un instrument qui recueille les réponses des individus relativement à leurs processus de révision d’écrits. Ainsi, l’outil proposé répond aux caractéristiques des méthodes dites off-line pour étudier les processus d’autorégulation. Ces méthodes s’intéressent aux croyances et aux attitudes de l’individu (Schraw, 2010) et considèrent l’autorégulation du point de vue des dispositions de l’individu, et non de ses actions effectives réalisées (Veenman, Van Hout-Wolters et Afflerbach, 2006 ; Winne, 2010). Autrement dit, le questionnaire construit permettra de mettre en lumière les représentations des étudiants à propos de ce qu’ils savent et de ce qu’ils font en matière de révision d’écrits. Ces connaissances et ces actions revoient aux deux dimensions de la métacognition précédemment expliquées.

Avant d’entreprendre la construction du questionnaire, nous avons réalisé un état de l’art des outils de mesure de la métacognition existants dans la littérature scientifique en langues française et anglaise. À la suite de cette revue de travaux, nous avons relevé des traits communs entre les instruments, mais également des manques et des points de vigilance que nous devrions observer, le but étant de proposer un instrument qui soit à la fois original et conforme aux standards dans le domaine. La présentation synthétique de ces instruments nous permettra par la suite de mettre en exergue les particularités du questionnaire que nous proposons.

Les outils de mesure de la métacognition

Nous avons recensé 12 instruments qui mesurent la métacognition (voir Annexe 1). Certains de ces outils portent exclusivement sur la métacognition. D’autres, en revanche, mesurent cette variable parmi un ensemble d’autres facteurs (p. ex. : motivation, stratégies d’étude, etc.). Nous allons expliquer les caractéristiques de ces instruments au regard de trois critères.

Premier critère : le caractère spécifique ou général du domaine concerné

Le mot « domaine » est employé ici en tant que champ couvert par une expertise ou une technique (selon le dictionnaire Larousse), qu’il s’agisse de domaine disciplinaire (p. ex. : les mathématiques, l’informatique) ou, plus largement, de domaine d’activité humaine (p. ex. : la lecture, le sport). Nous avons fait le constat que tous les questionnaires existants se rapportent à un domaine précisément défini. En effet, depuis l’apparition de l’un des premiers instruments validés pour appréhender la métacognition, soit le Motivated Strategies for Learning Questionnaire (MSLQ) construit par Pintrich, Smith, Garcia et Mckeachie (1993), les travaux subséquents se sont principalement intéressés à l’analyse des stratégies d’apprentissage dans des champs disciplinaires spécifiques tels que les sciences, la philosophie et les mathématiques, interrogeant en particulier des méthodes d’étude ou de lecture employées par les individus dans ces divers domaines. Nous inscrivant dans cette tradition, nous proposons un questionnaire qui visera un domaine spécifique, celui de l’écriture en contexte universitaire.

À ce propos, l’originalité de notre outil, le Questionnaire des composantes métacognitives de la révision de textes (QCMR), réside dans le fait qu’aucun instrument disponible pour appréhender la métacognition ne s’intéresse particulièrement à l’écriture en contexte universitaire. Bien que les travaux de Raphael, Englert et Kirschner (1989) rendent compte de connaissances métacognitives déclaratives et procédurales des scripteurs à travers un questionnaire, nous n’avons pas connaissance à ce jour de travaux relatifs à la validation de l’instrument utilisé par ces chercheuses. Il est vrai également que deux questionnaires existants, celui de Lavelle (1993) et celui de Kieft, Rijlaarsdam et van den Bergh (2008), portent sur le domaine de l’écriture à l’université, mais ils mesurent d’autres types de représentations, que les auteurs appellent « styles rédactionnels ».

Deuxième critère : les composantes métacognitives mesurées

Les outils répertoriés cherchent à mesurer des variables relatives à l’une des deux dimensions de la métacognition, en particulier à la composante d’autorégulation. Ainsi, sont principalement étudiées les stratégies de contrôle, de planification et d’évaluation dans des situations d’apprentissage, d’étude ou de résolution de problèmes. Seul un instrument répond à l’approche bidimensionnelle de la métacognition telle que nous l’avons définie dans l’introduction. Il s’agit du Metacognitive Awareness Inventory (MAI), développé par Schraw et Dennison (1994), auteurs qui ont confirmé, à travers la validation de leur questionnaire, l’existence de deux dimensions bien distinctes, qu’ils ont appelées les « connaissances de la cognition » et la « régulation de la cognition », chacune de celles-ci étant déclinée en des variables spécifiques. Le QCMR s’inscrira dans cette perspective, en ce sens que les deux dimensions métacognitives seront prises en considération. Nous sommes ainsi en cohérence avec le cadre théorique développé dans l’introduction, la démarche de validation de l’instrument étant l’occasion de déterminer si la vision bidimensionnelle de la métacognition est également valable dans le domaine de la révision d’écrits.

Troisième critère : la nature déclarative et décontextualisée des instruments consultés

Au regard de la classification proposée par Huet et Mariné (1998), qui suggère deux types d’instruments de mesure de la métacognition (dépendants et indépendants), nous avons constaté que les échelles consultées sont, pour la plupart d’entre elles, de type indépendant. Cela signifie qu’elles ne font pas référence à une activité particulière qui a eu lieu à un moment précis (c’est en ce sens que nous avons employé le mot « décontextualisée » ci-dessus), mais plutôt à un fonctionnement général des individus dans un domaine circonscrit. En ce sens, les instruments que nous avons répertoriés apportent plutôt une description de la perception de l’individu à propos de ses compétences et de ses connaissances relatives à son fonctionnement cognitif. Cette observation confirme les propos de Thomas, Anderson et Nashon (2008) quant au fait que les échelles de mesure de la métacognition mettent à jour la capacité de l’individu à reconnaître et à juger les variables qui affectent ses processus cognitifs. Il est donc clair que les instruments consultés n’étudient pas directement la métacognition à l’oeuvre dans une activité donnée, mais les connaissances de l’individu à propos de ses processus cognitifs. L’instrument que nous proposons s’inscrira dans cette catégorie d’échelles dite « dépendante » et portera sur les activités de révision d’écrits à l’université en général, sans faire allusion à une activité spécifique dans laquelle les répondants auraient été impliqués.

Fondements théoriques

La révision des écrits

La révision est sans doute l’une des activités d’écriture les plus exigeantes du point de vue de la cognition. Des recherches s’inscrivant dans le champ de la psychologie cognitive se sont intéressées à la définir, à comprendre son fonctionnement et à cerner son rôle dans les performances en écriture. Par la suite, nous évoquerons quelques éléments théoriques clés qui nous permettront de déterminer la place des processus métacognitifs dans les activités de révision de textes.

La révision implique un ensemble de connaissances et de stratégies dont le but est d’examiner le texte produit, ou en cours de production, et de le perfectionner (Hayes et Flower, 1981). Initialement considérée par ces auteurs comme l’un des processus de l’écriture, la révision est plus récemment étudiée en tant qu’activité d’écriture à part entière (Hayes, 2012). Quant à son développement, la révision apparaît progressivement à partir de l’âge de 5 ans, mais elle est encore peu spontanée chez les jeunes scripteurs de 8 à 9 ans du fait des nombreuses contraintes cognitives que cette activité implique (Berninger, Cartwright, Yates, Swanson et Abbott, 1994 ; Berninger, Whitaker, Feng, Swanson et Abbott, 1996). Quant à lui, le rédacteur expert peut jongler plus aisément avec les diverses contraintes de l’écriture, et se caractérise par une approche réfléchie et critique pendant la révision (Scardamalia et Bereiter, 1998 ; Piolat et Roussey, 1991).

Le fonctionnement de la révision dépend fondamentalement de deux processus : (a) la lecture évaluative fait allusion à la détection et au diagnostic des problèmes du texte en construction et (b) la correction consiste en la transformation du texte grâce à la comparaison que fait le scripteur entre ses intentions initiales et l’écrit produit (Hayes et Nash, 1996). En d’autres termes, un réviseur met en place un processus de lecture lui permettant de relever les imperfections de son texte, qu’il pourra par la suite corriger. Le réviseur examine les divers paramètres de son texte (lexique, cohérence du texte, structure globale de construction du discours, les divers aspects linguistiques) en s’appuyant sur des connaissances acquises au fur et à mesure de ses expériences en écriture. Une partie de ces informations, situées sur le plan métacognitif, comporte des modèles de connaissances et de savoirs stratégiques résultant de la compréhension des stratégies utiles à la production du texte (Butterfield, Hacker et Albertson, 1996). Ainsi, la révision apparaît comme une activité de gestion de divers types d’informations, le but étant d’effectuer les meilleurs choix stratégiques pour répondre aux problèmes repérés. Le réviseur a par la suite le choix de réécrire, d’effacer ou de déplacer des parties, de se concentrer sur le fond ou sur la forme, ou sur les deux, ou encore d’ignorer les problèmes repérés (Hayes et Nash, 1996). Les processus métacognitifs joueraient donc un rôle clé, à la fois en fournissant des connaissances pour effectuer des choix stratégiques et en régulant le déroulement des tâches diverses de lecture évaluative et de correction.

Il convient d’ajouter que, durant ce fonctionnement, la dimension affective peut entrer en jeu, notamment lors du processus d’autorégulation. Comme le souligne Boekaerts (1996), au-delà de sa capacité à réguler ses mécanismes cognitifs, l’individu doit gérer ses états affectifs afin de poursuivre son action malgré des conditions internes telles que la fatigue ou le stress. Durant le processus de révision de textes, la dimension affective pourrait intervenir, par exemple lors de la prise en compte des critères d’évaluation, ces derniers pouvant générer de l’inquiétude chez le réviseur au regard d’un réexamen personnel de sa capacité à réussir la tâche.

Certaines études ont cherché à caractériser le fonctionnement de la révision chez des individus de niveaux d’expérience différents. Il en ressort que les rédacteurs jeunes portent leurs efforts de révision principalement sur les questions de forme, réalisant peu de changements structurels et de style (Berninger et al., 1996). Dans le cas d’étudiants de première année universitaire, les corrections sont axées fondamentalement sur les phrases et la mise en forme du texte ; peu de changements concernant l’organisation du texte sont réalisés (Sitko, 1998). Les experts, quant à eux, sont concentrés sur le contenu, l’identification et la transformation des idées principales du texte (Bereiter et al., 1988). Ces derniers ont une approche distanciée vis-à-vis de leur texte pendant la révision, une preuve de capacités de lecture critique (Piolat et Roussey, 1991). Chez les plus novices feraient donc défaut (a) des connaissances relatives à l’écriture et (b) des mécanismes efficaces permettant de gérer l’ensemble des contraintes de la révision. C’est le constat sur lequel s’appuient des programmes d’entraînement, fondés sur l’autorégulation des processus, qui cherchent à enseigner explicitement des connaissances et des routines articulant des stratégies spécifiques (Sitko, 1998 ; Graham, Harris et Mason, 2005).

Les processus métacognitifs de l’écriture

La vision bidimensionnelle de la métacognition que nous avons exposée met en avant l’existence de deux composantes distinctes, mais interdépendantes (Akyol et Garrison, 2011 ; Ciascai et Haiduc, 2011 ; Neuenhaus, Artelt, Lingel et Schneider, 2010 ; Pihlainen-Bednarik et Keinonen, 2011). Parler de métacognition suppose donc une articulation entre, d’une part, des connaissances qui fournissent les informations nécessaires à la tâche et, d’autre part, la régulation de l’action à travers la fixation de buts, le choix de stratégies et la vérification des progrès en cours d’action (Boekaerts, 1996, 1999).

Dans le domaine de l’écriture, les connaissances métacognitives regroupent des connaissances de type déclaratif (p. ex. : les normes et caractéristiques des écrits, les attentes du lecteur) et procédural (p. ex. : les méthodes de rédaction et l’adaptation des stratégies aux conditions de réalisation de la tâche de production) (Raphael et al., 1989). Une troisième catégorie a également été relevée dans la littérature relative aux connaissances métacognitives : les connaissances conditionnelles, qui renvoient à l’adéquation des stratégies au regard du contexte et des objectifs de la tâche (Pintrich, 2002). Il a été démontré que l’explicitation de ces diverses catégories de connaissances auprès de scripteurs élèves et étudiants a des effets sur l’augmentation des performances mesurées en matière de qualité des écrits produits (Graham et al., 2005 ; Raphael et al., 1989 ; Roen et Willey, 1988).

L’autorégulation de l’écriture, quant à elle, définie sous un angle sociocognitif, renvoie à un ensemble de stratégies autodirigées mises en oeuvre par l’individu afin d’accomplir ses objectifs lors de la production d’un écrit (Zimmerman et Risemberg, 1997). S’inscrivant dans un modèle sociocognitif de l’apprentissage autorégulé, Zimmerman et Martinez-Pons (1996) définissent des stratégies de régulation des émotions et des cognitions (autorégulation interne), du comportement et du contexte, stratégies à travers lesquelles l’individu dirige intentionnellement ses actions en les surveillant et en les réorientant en cours d’activité au regard des buts.

Quand il produit un texte, le scripteur peut opter pour une planification stratégique du temps, se donner des objectifs par période, modifier ses standards personnels d’évaluation ou, du point de vue de l’autorégulation du comportement, surveiller ses actions en notant sur un registre ses progrès ou ses difficultés, en s’accordant des récompenses ou en se donnant des instructions par le biais de verbalisations à voix basse (Zimmerman et Risemberg, 1997). Le scripteur peut également mettre en place des stratégies pour gérer l’environnement physique où il produit son texte, faire appel à des personnes-ressources ou utiliser des modèles de textes pour améliorer sa rédaction. Outre l’identification de ces diverses stratégies d’autorégulation, les recherches sur l’écriture menées selon une approche sociocognitive ont principalement visé l’entraînement des scripteurs novices ou en difficulté à l’usage des stratégies dans le but de les aider à améliorer leurs performances (Castelló, Bañales et Vega, 2010 ; Roussey et Piolat, 2005). Dans ce contexte, il paraît intéressant de construire un outil qui permette de mettre en exergue les différences entre les individus par rapport à leurs processus d’autorégulation. De ce point de vue, l’outil que nous décrivons par la suite peut apporter une base utile à l’adaptation de dispositifs d’aide aux étudiants en difficulté d’écriture.

Approche méthodologique

Les participants

Le groupe de participants est constitué de 401 étudiants de grade licence (trois premières années à l’université) inscrits dans une université française située au sud-ouest du pays. Les participants intégraient des domaines d’étude en sciences humaines et sociales (histoire ; psychologie ; droit et administration économique et sociale), en lettres et en technologies (hygiène, sécurité et environnement ; génie thermique et énergie) (voir Tableau 1). Les années d’études, allant de la première à la troisième année de licence, et les domaines mentionnés ont été volontairement choisis dans le but de construire un outil qui puisse être utilisé dans plusieurs contextes disciplinaires et auprès d’étudiants qui présentent des niveaux d’expérience différents en écriture à l’université. L’échantillon est cependant composé principalement d’étudiants inscrits en troisième année de licence (80 %) en psychologie (32 %) et en droit (31 %). Les participants sont majoritairement des femmes et leur âge moyen est de 20,8 ans (écart-type=2,51).

Afin de recruter les participants, nous avons, dans un premier temps, contacté plusieurs enseignants qui pourraient nous permettre d’accéder à des groupes d’étudiants. Nous avons ensuite invité ces derniers à participer à l’étude en leur précisant le sujet général de la recherche et le caractère volontaire de leur participation. Les étudiants consentants ont rempli le questionnaire durant une passation collective et ont au préalable été avertis du traitement anonyme des données.

Tableau 1

Description de l’échantillon

Description de l’échantillon

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La procédure

Étape 1 : Construction du QCMR en contexte universitaire

Nous devions avant tout nous assurer de la capacité de notre instrument à représenter le comportement étudié. Cette qualité, appelée validité de contenu (Nunnally, 1978), peut s’obtenir par l’examen des écrits scientifiques dans le domaine afin d’identifier les composantes du concept et son utilisation dans d’autres travaux. Pour répondre à cette exigence, nous avons entrepris la démarche d’élaboration des items à partir d’une identification claire des catégories théoriques, que nous avons tirées des travaux de Raphael et ses collaborateurs (1989) et de Zimmerman et Risemberg (1997) sur les composantes métacognitives de l’écriture. Sur la base de ces recherches mentionnées dans l’introduction, nous avons conçu des questions pour mesurer trois stratégies d’autorégulation (gestion du temps, autosurveillance et recherche d’aide) et deux modalités de connaissances métacognitives (connaissances déclaratives et procédurales). Ces types de connaissances et de stratégies ont été plus particulièrement choisis, car des recherches ont démontré leur corrélation positive avec les performances dans divers domaines d’apprentissage. Nous partons donc de l’hypothèse selon laquelle les connaissances et stratégies sélectionnées jouent un rôle important dans la gestion, par les étudiants de première année, des nouvelles exigences à l’université.

Nous avons pris soin de respecter trois critères pendant l’élaboration des items : (a) l’utilisation de verbes en lien avec la dimension « connaître », tels que « savoir », « être conscient de », « reconnaître » pour faire référence aux connaissances métacognitives, (b) l’emploi de verbes d’action pour faire allusion aux stratégies d’autorégulation, et (c) la présence du pronom personnel « je » à chaque question, laquelle nous permettait de rappeler qu’il était demandé une description personnelle des processus.

Une première version de l’échelle a ainsi été élaborée par les chercheurs, puis examinée au sein d’un groupe de trois experts dans le champ de l’autorégulation et de la métacognition, le but étant d’analyser la pertinence des catégories et des items au regard de notre cadre théorique. Nous avons également choisi de réduire le champ des possibles en matière d’activités d’écriture en précisant qu’il s’agissait de faire référence à des écrits autres que des examens écrits réalisés en présentiel selon un temps contraint. Par la suite sont expliquées les catégories du questionnaire:

• Connaissances métacognitives déclaratives (13 items)

Cette catégorie renvoie aux connaissances relatives à la tâche, lesquelles rendent possible l’adaptation de l’individu aux changements situationnels liés au contexte d’apprentissage (Schraw, 2001). D’après Raphael et ses collaborateurs (1989), les connaissances sur les aspects déclaratifs de l’activité d’écriture peuvent concerner des aspects tels que les attentes de l’audience et la structure des écrits. Ainsi, les questions faisant partie de cette catégorie dans le cadre du QCMR concernent les connaissances des répondants relatives aux critères de qualité des écrits.

• Connaissances métacognitives procédurales (9 items)

Il s’agit de connaissances de l’individu à propos des stratégies utilisées dans des contextes spécifiques (Schraw, 2001 ; Raphael et al., 1989). Le QCMR prétend mesurer les connaissances des scripteurs concernant les méthodes de révision qu’ils emploient en fonction des contraintes de la tâche de production.

• Stratégies de gestion du temps (7 items)

Selon Zimmerman et Risemberg (1997), certains scripteurs mettent en place une gestion stratégique de leurs activités d’écriture en tenant compte du temps qu’ils ont pour la réalisation. C’est une forme d’autorégulation du comportement que le QCMR cherche à mesurer.

• Stratégies d’autosurveillance (7 items)

Cet ensemble de stratégies comprend des comportements qui cherchent la vérification du progrès de la tâche de révision (Zimmerman et Risemberg, 1997 ; Graham et al., 2005).

• Stratégies de recherche d’aide (5 items)

L’autorégulation du contexte implique l’identification de personnes-ressources qui pourraient constituer une aide à la réussite de la tâche. Cette dimension comprend des stratégies telles que la consultation de pairs ou de scripteurs plus experts durant la révision de textes.

Une étude pilote a enfin été conduite auprès d’environ 12 étudiants dans le but d’évaluer le niveau d’intelligibilité des items ainsi que la clarté et la cohérence de la présentation des questions. Les participants à ce prétest, qui n’ont pas fait partie de l’échantillon de l’étude, représentaient les divers domaines d’étude concernés par la recherche.

Le questionnaire comporte la consigne suivante : « Nous souhaitons connaître la façon dont vous vous y prenez pour rédiger des écrits dans le cadre de vos études (résumés, fiches de lecture, corpus…) en dehors des situations d’examen sur table. Lisez attentivement les propositions ci-dessous et cochez un chiffre de 1 à 7 selon la réponse qui correspond le mieux à vos habitudes quand vous entreprenez ces types de devoirs écrits. Suivez l’échelle suivante : 1 : jamais ; 2 : très rarement ; 3 : rarement ; 4 : parfois ; 5 : souvent ; 6 : très souvent ; 7 : tout le temps. » Nous avons fait le choix d’identifier explicitement certains genres d’écrits dans cette consigne afin de délimiter la représentation des activités d’écriture que les répondants devront mobiliser pour répondre au questionnaire. Nous évitons ainsi le risque que les répondants ne sachent pas identifier clairement de quels genres il s’agit ni dans quel contexte ils doivent se représenter leurs activités de révision d’écrits.

Étape 2 : Examen de la validité et de la fiabilité du QCMR

Une fois l’échelle soumise à notre échantillon (n=401 étudiants), une analyse factorielle exploratoire a été réalisée. Notre but était alors d’identifier les variables latentes (facteurs) de façon à assurer la validité de construit, soit le degré de correspondance entre la structure de l’instrument et sa variable latente (Reise, Waller et Comrey, 2000). En d’autres termes, il s’agit d’analyser la signification des scores du test par rapport au concept qu’il est censé mesurer.

Bien que nous partions d’un modèle théorique bien identifié, il n’existe pas à ce stade d’études qui valident notre modèle théorique dans le cadre de la production de textes au regard des catégories précises que nous étudions. Il nous a donc paru nécessaire de réaliser d’abord une analyse factorielle exploratoire de façon à vérifier les relations entre les items et leur pertinence, puis à procéder à une réduction des données (élimination d’items qui seraient peu fiables ou ambigus). Une analyse factorielle confirmatoire a complété cette étape afin de mettre à l’épreuve le modèle que l’analyse factorielle exploratoire nous a révélé. Cette seconde étape a aussi permis d’estimer la consistance interne de l’échelle au moyen de l’alpha de Cronbach. Les détails de ces analyses et les choix statistiques réalisés sont présentés dans la section Résultats.

Pour terminer cette étape 2, la validité concourante de l’échelle a été testée en mettant en corrélation les résultats du QCMR avec ceux du questionnaire sur les stratégies d’écriture élaboré par Kieft et ses collaborateurs (2008). Il s’agit d’un instrument validé et composé de deux échelles, l’une mesurant la planification et l’autre portant sur la révision. Nous n’avons utilisé que cette seconde échelle afin de rester cohérents avec la nature des activités d’écriture décrites dans le QCMR. La validité prédictive a été examinée en déterminant la corrélation (coefficient de Pearson) entre les résultats du questionnaire et les performances en écriture. Cette dernière variable correspond ici à l’évaluation de la qualité d’écrits produits dans le cadre de la présente recherche. En effet, un groupe de 50 étudiants en administration économique et sociale parmi les participants à l’étude a été sollicité pour rédiger un écrit type résumé à partir d’une consigne (voir Annexe 2). Cette production a eu lieu à la suite de la passation du questionnaire, tous les participants ayant produit leur écrit en même temps. Des juges ont évalué les textes au regard de six critères préétablis (plan, reformulation, structuration, pertinence, orthographe et syntaxe) notés sur une échelle de Likert à quatre points.

Enfin, nous avons observé la fiabilité test-retest – autrement dit, la stabilité des résultats dans le temps. Le questionnaire a été soumis aux mêmes étudiants ayant produit le texte à un intervalle de quatre mois. Le calcul du coefficient de corrélation intra-classe (CCI) a permis de déterminer la fiabilité test-retest entre l’ensemble des éléments du questionnaire au regard de la variance pour les deux fois où le questionnaire a été rempli.

Résultats

Première étape

Après le retour des experts, la première version du questionnaire a reçu un consensus favorable : seuls 6 items ont été modifiés ou supprimés. Cette première version, qui contenait 35 questions, a été soumise au groupe pilote. Le résultat principal de cet exercice a été de choisir l’utilisation du terme « relecture » au lieu de celui de « révision », qui était initialement prévu. En effet, nous avons constaté que les étudiants utilisent peu ce dernier mot pour faire allusion au réexamen ou à la vérification de la qualité de leurs textes. Cette étude pilote a également confirmé la clarté des formulations et la non-ambiguïté des termes utilisés (notamment le terme « méthode », qui aurait pu poser problème par son usage diversifié). Aucun item n’a été supprimé à la suite de ce prétest.

Seconde étape

En accord avec les recommandations de Costello et Osborne (2005), l’échantillon a été divisé de manière aléatoire en deux groupes équivalents dans le but de réaliser, sur des échantillons différents, les analyses exploratoire (n=200) et confirmatoire (n=201). Une analyse de variance univariée (ANOVA) montre que les deux groupes sont équivalents quant au genre, à l’année d’études et au domaine d’étude. Une analyse de variance multivariée (MANOVA) indique qu’il n’existe aucune différence significative sur les scores des items entre nos deux échantillons. Le logiciel Mplus, version 7.3 (Muthén et Muthén, 1998-2015) a été utilisé pour conduire l’analyse factorielle confirmatoire.

Analyse factorielle exploratoire

Pour déterminer le nombre de facteurs à extraire, nous nous sommes appuyés sur la méthode des analyses parallèles en utilisant la procédure SPSS mise au point par O’Connor (2000). Cette méthode, basée sur la simulation de Monte-Carlo, permet d’identifier le nombre de facteurs qui peuvent être extraits d’un ensemble de données, tout en respectant deux conditions : éviter la perte d’informations et ne pas favoriser les données aléatoires. La procédure consiste à générer une centaine de matrices de nombres aléatoires de tailles identiques, en termes de nombre d’individus et de facteurs, à la matrice qui doit être testée. À partir des valeurs propres des facteurs extraits de chaque matrice, sont calculés la moyenne et l’écart-type de la distribution au hasard qu’il est possible d’extraire aléatoirement d’une matrice identique à l’ensemble des données considérées. Le seuil pour le choix des facteurs considérés comme pouvant être extraits au hasard est la valeur qui correspond au 95e percentile (Cota, Longman, Holden, Fekken et Xinaris, 1993 ; Turner, 1998). À la suite de cette méthode, nous avons retenu cinq facteurs dont la valeur propre du sixième facteur (0,97) est inférieure à la valeur au 95e percentile (1,29).

Cette solution factorielle, qui utilise une méthode de rotation oblique, explique 57,99  % de variance totale. Nous avons opté pour une rotation oblique – comme le font la plupart des travaux en sciences sociales et humaines (Costello et Osborne, 2005) –, car nous postulons que les facteurs sont en interaction. À la suite de ce résultat, 22 items (voir Tableau 2) ont été retenus, lesquels présentent des saturations supérieures à 0,40 pour un facteur et inférieures ou égales à 0,32 pour les autres facteurs, comme le recommandent Costello et Osborne (2005). Quant à la consistance interne, nous avons calculé l’alpha de Cronbach qui, comme le montre le tableau 2, a produit des alphas supérieurs au seuil recommandé de 0,70 pour quatre des cinq dimensions. Pour la dimension stratégies de recherche d’aide (RAA), l’alpha est légèrement inférieur, mais il reste dans les valeurs comprises entre 0,62 et 0,92, considérées comme satisfaisantes (Nunnally, 1978). Le tableau 3 décrit les items retenus et les facteurs auxquels ils appartiennent.

Les statistiques descriptives des items retenus (voir Tableau 4) révèlent que plusieurs d’entre eux présentent des kurtosis (coefficients d’aplatissement de la distribution d’une variable) ou des coefficients d’asymétrie (skewness) légèrement supérieurs à 1, ce qui indique une anormalité univariée. Nous tiendrons compte de cette donnée pour l’analyse confirmatoire.

Tableau 2

Résultats de l’analyse factorielle en composantes principales avec rotation oblique

Résultats de l’analyse factorielle en composantes principales avec rotation oblique

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Tableau 3

Items retenus et leur facteur à la suite de l’analyse factorielle exploratoire

Items retenus et leur facteur à la suite de l’analyse factorielle exploratoire

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Tableau 4

Statistiques descriptives des items retenus

Statistiques descriptives des items retenus

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Analyse factorielle confirmatoire

Sachant que plusieurs variables ne présentent pas la condition de normalité univariée, nous avons opté pour l’algorithme maximum likelihood estimation with robust standard errors (MLR), dont dispose le logiciel Mplus (Muthén et Muthén, 1998-2015). Ce test est plus adapté lorsque les données ne sont pas normalement distribuées.

Dans le but d’examiner dans quelle mesure le modèle observé se rapproche du modèle théorique, plusieurs indicateurs d’ajustement ont été retenus. Tout d’abord, le test du khi carré évalue à quel point le modèle théorique réussit à reproduire les données observées : une valeur du khi carré non significative révèlerait que les données s’ajustent bien au modèle ; une valeur du khi carré significative révèlerait que le modèle doit être rejeté. Il est cependant admis que cet indice est affecté par la taille de l’échantillon. Par conséquent, si l’échantillon est petit, le test est presque toujours non significatif, même si le modèle s’ajuste mal aux données. Inversement, lorsque l’échantillon est grand, le test est presque toujours significatif, et ce, même si le modèle s’ajuste bien aux données. Complémentairement, d’autres indicateurs ont été utilisés pour vérifier l’adéquation des données au modèle, comme le suggèrent différents auteurs (Hu et Bentler, 1999 ; Hoyle et Panter, 1995 ; Browne et Cudeck, 1993). Il s’agit du comparative fit index (CFI), du Tucker-Lewis index (TLI) et du khi carré relatif (RMSEA ou rootmean square error of approximation). Il est généralement accepté par différents auteurs (Bentler, 1992 ; Schumacker et Lomax, 1996) qu’une valeur supérieure à 0,90 pour le CFI et le TLI est suffisante, bien que d’autres auteurs (Hu et Bentler, 1999) estiment qu’une valeur de 0,95 ou plus est préférable. Un RMSEA inférieur à 0,08 (Browne et Cudeck, 1993) est admis, mais, pour Hu et Bentler (1999), un RMSEA inférieur ou égal à 0,06 peut être considéré comme une valeur acceptable.

En ce qui concerne le QCMR, les indicateurs d’ajustement sont conformes aux seuils recommandés : χ2(198)=314,88 ; p<0,001 ; RMSEA= 0,054 (90 % ; 0,043-0,065) ; CFI=0,92 ; TLI=0,91. La figure 1 montre les facteurs ayant été confirmés ainsi que les corrélations des items aux facteurs.

Figure 1

Résultats de l’analyse factorielle confirmatoire

Résultats de l’analyse factorielle confirmatoire

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Pour terminer, comme le tableau 5 le montre, si certaines dimensions sont significativement corrélées entre elles, d’autres ne le sont pas. Seule la dimension VAA est significativement corrélée à toutes les autres, tandis que la dimension RAA n’est pas corrélée aux dimensions CMP et CMT. Par ailleurs, nous pouvons constater que la consistance interne de toutes les dimensions est supérieure au seuil de 0,70 (Nunnally, 1978), ce qui indique une bonne cohérence entre les items pour chaque dimension.

Tableau 5

Corrélations, moyennes, écarts-types et consistance interne des 5 dimensions (n=201)

Corrélations, moyennes, écarts-types et consistance interne des 5 dimensions (n=201)

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Validité concourante, validité prédictive et fiabilité test-retest

Le coefficient de corrélation entre le score total obtenu au QCMR ainsi que les résultats du questionnaire de Kieft et ses collaborateurs (2008), sous-échelle révision, sont corrélés dans un degré modéré et de manière significative (r=0,30 ; p<0,01). Quant à la stabilité temporelle des résultats au QCMR, le coefficient du CCI représente 0,70 (0,45-0,82) IC à 95 % pour l’ensemble des items du QCMR (score total obtenu par l’addition des résultats des cinq variables). Ce résultat général peut ensuite être observé en fonction des dimensions évaluées : CMT=0,66 (0,39-0,80) ; GTA=0,49 (0,08-0,70) ; RAA=0,78 (0,60-0,87) ; VAA=0,64 (0,36-0,79) ; CMP=0,60 (0,29-0,77). Enfin, la validité prédictive, étudiée au moyen des corrélations entre les résultats au QCMR et les notes obtenues à la suite de la production d’un texte, indique une corrélation positive et significative pour les différentes dimensions : CMT=(r=0,42 ; p<0,05) ; GTA=0,38 (r=0,37 ; p<0,01) ; RAA=(r=0,47 ; p<0,01) ; VAA=(r=0,32 ; p<0,05) et CMP=(r=0,52 ; p<0,01).

Discussion

L’objectif de cette recherche était de construire et de valider un questionnaire pour mesurer les composantes métacognitives de la révision d’écrits en contexte universitaire. Deux étapes ont été respectées : un premier temps d’élaboration des items au regard d’un cadre théorique défini, puis une phase de mise à l’épreuve de l’échelle à travers un examen de sa validité et de sa cohérence interne.

Pour assurer la validité de contenu, lors de la première étape, nous avons observé trois conditions au regard des caractéristiques communes aux questionnaires consultés lors de notre revue de littérature (voir section Introduction). Dans un premier temps, nous avons tenu compte de la nécessité d’identifier un domaine précis : celui de la révision de textes. Nous avons également observé le postulat selon lequel deux dimensions métacognitives distinctes sont susceptibles d’être mesurées. Enfin, nous inscrivons le QCMR dans une approche dite indépendante qui, au lieu de porter sur une action effectivement réalisée par les participants, interroge les connaissances que les répondants possèdent relativement à leur fonctionnement cognitif dans un domaine donné. Outre ces conditions, sur le plan théorique, l’instrument construit vise fondamentalement l’un des deux processus de révision relevés dans la littérature (Hayes et Nash, 1996) : la lecture évaluative. Notre cadre théorique reconnaît l’existence de processus cognitifs et métacognitifs en lien avec la révision de textes. Quant aux variables métacognitives, la présente recherche s’appuie sur une double dimension comprenant à la fois les connaissances sur la cognition et les stratégies de régulation. Nous avons ainsi défini les catégories théoriques mesurées à partir notamment des travaux de Zimmerman et Rinsemberg (1997) et de Raphael et ses collègues (1989).

Lors de la seconde étape de notre étude, une analyse factorielle exploratoire nous a permis d’identifier cinq dimensions distinctes, tout en nous conduisant à éliminer un certain nombre d’items. Parmi les questions supprimées, certaines avaient été conçues pour mesurer les connaissances métacognitives déclaratives, mais ces items étaient à l’évidence trop hétéroclites pour constituer une dimension homogène, car ils concernaient tantôt des connaissances relatives aux critères d’évaluation, tantôt des connaissances relatives aux habiletés personnelles dans le domaine de la révision de textes. Un autre groupe d’items éliminés prétendait mesurer les connaissances métacognitives procédurales. Nous avons constaté que cet autre ensemble manquait d’homogénéité puisque certaines questions portaient sur la connaissance des méthodes de révision, et d’autres sur l’utilisation des stratégies en fonction des critères d’évaluation. Enfin, le restant des items supprimés appartenait aux catégories relatives aux stratégies d’autorégulation. Ainsi, un item était initialement inclus dans la famille des stratégies d’autosurveillance, deux autres ont été imaginés pour mesurer les stratégies de gestion du temps et un dernier item a initialement été rattaché à la catégorie stratégies de recherche d’aide.

Tout compte fait, l’analyse factorielle exploratoire a permis de mettre en avant des items présentant la meilleure qualité pour assurer la cohérence de l’instrument. Cette étude a aussi montré que les questions relevant des connaissances des individus à propos de leurs processus cognitifs devraient se restreindre à des objets très spécifiques pour une meilleure validité. Les cinq facteurs retenus correspondent sans ambiguïté aux cinq catégories théoriques construites dans la première partie de la recherche.

Il a fallu ensuite confirmer ce modèle à travers une analyse factorielle confirmatoire. Comme résultat, nous avons trouvé que la structure factorielle consistant à distinguer, d’une part, différents types de connaissances métacognitives et, d’autre part, diverses stratégies d’autorégulation en lien avec la révision des écrits est plausible. Nous obtenons ainsi un instrument dont la validité de construit est démontrée, dans la mesure où les résultats empiriques correspondent bien au regroupement des facteurs fondés sur la théorie.

Les variables du QCMR suggèrent donc que plusieurs processus métacognitifs peuvent être mobilisés pour effectuer la révision des textes à l’université. Certains étudiants cherchent à autoréguler leur comportement par une gestion contrôlée du temps en tenant compte des contraintes globales de l’activité de rédaction. Il s’agit alors de la stratégie de gestion du temps (GTA), qui peut être mise en place dans une optique d’anticipation, de suivi en cours de l’activité ou de vérification juste avant la fin de la production. Elle peut amener également au réajustement de l’activité de relecture. En outre, l’autorégulation des comportements de révision peut s’effectuer à travers la stratégie d’autosurveillance (VAA), qui consiste ici à disposer d’une grille de critères dont l’utilisation en cours d’activité contribuera à un retour réflexif par l’examen des points forts et faibles du texte. La conséquence ultime de cette sorte de contrôle est l’autoévaluation de la démarche et une perception plus aigüe de sa progression (Zimmerman et Kitsantas, 2002).

Une autre forme d’autorégulation est relative au contexte. En utilisant la stratégie de recherche d’aide (RAA), le scripteur fait appel à des personnes-ressources qui lui apporteront un regard extérieur à propos de sa production. C’est une forme de contrôle qui permet de compenser la difficulté éventuelle de se distancier de son écrit pour y repérer des points d’amélioration. Le scripteur identifie ainsi dans son environnement les personnes qui peuvent constituer un appui à ses objectifs de révision. Risemberg (1996) a montré que les scripteurs qui cherchent spontanément l’accès à des ressources disponibles dans leur environnement obtiennent les meilleures performances en production de textes.

Les connaissances métacognitives déclaratives relatives à la tâche (CMT) évaluées à travers le QCMR mesurent les connaissances de l’individu relatives aux critères d’évaluation, connaissances qui participent à la relecture en renseignant le scripteur à propos des attentes du lecteur-évaluateur (Hayes et Nash, 1996). Les critères d’évaluation peuvent ainsi agir en tant qu’objectifs nécessaires à la régulation de l’activité (Bandura, 2001 ; Zimmerman, 1998) en permettant le maintien d’un niveau de concentration élevé tout au long de la rédaction et l’évaluation personnelle de l’efficacité des stratégies employées (Graham, Harris et Mason, 2005).

Enfin, les connaissances métacognitives procédurales (CMP) renseignent le scripteur sur sa capacité à employer des stratégies efficaces pour relire et juger son texte. Ce type de connaissance est particulièrement repéré chez des scripteurs experts qui reconnaissent aisément les diverses contraintes des processus rédactionnels (Raphael et al., 1989). Graham et ses collègues (2005) constatent, quant à eux, que l’enseignement explicite des connaissances procédurales rend les scripteurs, même très jeunes, plus aptes à mieux gérer leurs démarches d’écriture et à réussir davantage leurs écrits.

Compte tenu de cette pluralité de composantes résultant de la validation du QCMR, la nature complexe et hautement exigeante de la révision est mise en exergue. Comme le soulignent Hayes et Nash (1996), divers types de connaissances doivent être investis par le scripteur, qui aura à choisir les meilleures stratégies pour corriger les imperfections de son texte. En ce sens, le QCMR peut constituer un moyen pertinent d’approfondir l’étude des processus de révision, sachant qu’il s’agit ici de ce que les individus rapportent à propos de leurs processus de lecture évaluative.

Quant à la validité concourante, le QCMR présente une corrélation modérée avec le questionnaire de Kief et ses collaborateurs (2008). Rappelons que ce dernier n’interroge pas précisément les dimensions métacognitives qui font partie du QCMR, ce qui peut expliquer la nature modérée de la corrélation entre les deux instruments. L’instrument de Kief et ses collègues (2008) étudie plus généralement des stratégies à l’oeuvre durant la relecture et la correction des écrits en contexte universitaire, mais sa corrélation avec le QCMR montre tout de même que les deux instruments étudient une base commune de processus qui participent à la révision des écrits.

Pour ce qui est de la validité prédictive, le calcul du coefficient de Pearson indique que les résultats au QCMR peuvent constituer un bon indicateur des performances en écriture. La corrélation positive, même si elle est de degré moyen, entre les dimensions métacognitives et les notes obtenues dans les productions d’écrits confirme les résultats de recherches précédentes (Escorcia et Fenouillet, 2011 ; Ferrari, Bouffard et Rainville, 1998 ; Raphael, Englert et Kirschner, 1989 ; Roen et Willey, 1988 ; Zimmerman et Martinez-Pons, 1986).

Un dernier constat concerne la stabilité des résultats du questionnaire. Le calcul du CCI indique une bonne fiabilité test-retest – conformément aux seuils recommandés par Cicchetti (1994) – pour l’ensemble des items, si l’on tient compte du score total au questionnaire. Ce résultat se confirme pour la quasi-totalité des dimensions prises individuellement, ce qui illustre ainsi la capacité de l’outil à apporter des résultats stables dans le temps, et ce, malgré l’intervalle relativement important (4 mois) entre les deux temps de passation. Seule la dimension GTA présente un résultat de fiabilité test-retest un peu juste, lequel peut être expliqué par le fait que, à la suite de leur expérience au cours du premier semestre à l’université, certains étudiants ont pu sensiblement évoluer quant à l’organisation du temps dans leurs études. Interrogés en début d’année, les participants ont certainement vu modifier, au cours du premier semestre, leur manière de gérer le temps pour répondre aux exigences de l’enseignement supérieur, caractérisé notamment par une plus grande autonomie que celle propre à l’enseignement secondaire. De la même manière, ces données montrent que les autres dimensions mesurées, soit les connaissances métacognitives déclaratives et procédurales ainsi que les stratégies d’autosurveillance et de recherche d’aide, sont moins affectées par les premières expériences à l’université.

Conclusion

La présente étude montre que le QCMR possède des degrés de fidélité et de validité respectables. Ce questionnaire permet d’appréhender certaines connaissances métacognitives et stratégies d’autorégulation qui participent à la révision des écrits. La pertinence du QCMR pour apprécier certaines variables métacognitives est ainsi démontrée et, du point de vue de la théorie, les résultats sont assez comparables avec ceux des travaux qui ont été répertoriés (voir section Introduction). L’originalité du questionnaire consiste en l’étude de la métacognition appliquée au domaine de la production de textes s’appuyant sur une perspective bidimensionnelle qui avait déjà été testée dans d’autres domaines et auprès de publics d’âges différents (Akyol et Garrison, 2011 ; Ciascai et Haiduc, 2011 ; Neuenhaus et al., 2010 ; Schraw et Dennison, 1994 ; Young et Fry, 2008). En ce sens, le présent travail de validation apporte, sur la base de données empiriques, la confirmation d’une approche théorique de la métacognition selon laquelle cette notion comprend deux dimensions distinctes.

Le QCMR apporte également une contribution du point de vue de la méthode. En effet, bien que les recherches récentes dans le domaine de la métacognition développent de plus en plus des méthodes dites on-line (en temps réel) pour analyser les processus effectivement réalisés dans des situations concrètes (Azevedo, Moos, Johnson et Chauncey, 2010), il paraît nécessaire de continuer à développer des méthodes off-line (qui n’ont pas lieu au cours de l’activité cognitive étudiée), car elles apportent un regard complémentaire et facilitent la triangulation des données, alors même que les mesures on-line doivent encore démontrer leur validité (Schraw, 2010).

En outre, le QCMR peut être particulièrement utile pour l’étude des littératies universitaires et contribuer ainsi au développement de ce domaine, qui s’attache à l’analyse des pratiques et des difficultés des étudiants. Notre instrument apportera à cette analyse la possibilité d’explorer précisément les stratégies des étudiants, alors que des recherches dans ce champ d’études (Delcambre et al., 2012 ; Donahue, 2010) se sont plutôt concentrées sur l’étude du rapport à l’écriture des étudiants (leurs représentations de l’écrit et des genres, leurs motivations et blocages, etc.). Le QCMR constituant un instrument dont nous avons ici fait la preuve de sa validité, il pourra sans doute concourir à l’approfondissement de ce champ d’études. Par exemple, les résultats du QCMR pourraient servir à l’analyse des observations ou représentations des enseignants relatives aux stratégies des étudiants et aller ainsi dans le sens d’une analyse croisée des pratiques des étudiants.

Par ailleurs, le fait que le QCMR ait été soumis à un public comprenant des étudiants de première à troisième année universitaire dans différents domaines d’étude n’a pas eu d’effet négatif sur la validation. Cela nous confirme que la structure factorielle de l’outil est suffisamment solide et peu sensible aux éventuelles différences (d’année d’études et de domaine d’étude) entre les étudiants.

Bien que notre recherche ait permis d’aboutir à une validation de l’outil et bien que l’on tienne compte de l’absence d’échelle validée en français pour mesurer précisément les processus métacognitifs dans le domaine de l’écriture, la validité concourante du QCMR ne peut pas être complètement démontrée. Des travaux ultérieurs devront réexaminer cette forme de validité en utilisant un nombre plus important d’échelles qui évaluent des sujets proches de celui du QCMR, tels que la métacognition en lecture ou l’autorégulation en général. Il paraît également nécessaire de réaliser une étude approfondie de la dimension stratégie de recherche d’aide (RAA), qui présente le niveau de fiabilité le plus bas, même si celui-ci reste convenable. Cette stratégie d’autorégulation, qui rappelle la capacité de l’individu à s’appuyer sur des tierces personnes pour améliorer sa performance, pourrait être fortement liée à des compétences en jeu dans l’autorégulation collective. Des instruments portant sur cette autre forme d’autorégulation pourraient être utilisés pour comparer les résultats à ceux obtenus pour la dimension RAA du QCMR.

Concernant la validité prédictive, les résultats de cet outil indiquent qu’une corrélation existe entre les performances réelles (notes) et certaines dimensions métacognitives évaluées. En d’autres termes, le QCMR constitue un bon indicateur des performances des apprenants, ce qui va dans le sens de travaux relatifs aux rapports entre la métacognition et les résultats scolaires des élèves et des étudiants (Casillas et al., 2012 ; Costabile, Cornoldi, De Beni, Manfredi et Figliuzzi, 2013 ; Graham, McKeown, Kiuhara et Harris, 2012 ; Ibabe et Jauregizar, 2010). Nous devons cependant rester prudents quant à l’interprétation de ce rapport, car notre étude n’avait pas pour prétention de déterminer s’il existe une relation de cause à effet entre ces variables.

L’instrument construit constitue un outil pour la connaissance des processus métacognitifs des étudiants. Certes, cet outil n’épuise pas l’ensemble des dimensions métacognitives, mais il peut contribuer à la triangulation des données en fournissant des informations complémentaires à d’autres mesures possibles, telles que des observations, des entretiens ou des protocoles on-line. Du point de vue des applications du QCMR en éducation, l’outil QCMR peut permettre à l’enseignant de confirmer, à partir de données empiriques, ses propres observations réalisées à propos des compétences ou des difficultés des étudiants en matière de révision d’écrits. L’instrument validé peut de plus avoir une valeur pour l’enseignement supérieur, où l’on s’intéresse de plus en plus à mieux décrire la diversité des publics étudiants. Étant donné sa facilité d’utilisation et le fait qu’il a été validé auprès de domaines d’étude différents, l’outil QCMR pourra délivrer des informations clés pour cerner l’hétérogénéité des compétences des étudiants, qui se trouvent noyés dans un contexte de plus en plus massifié. Particulièrement en France, 40 % des étudiants seulement passent en deuxième année universitaire (MESR, 2016) ; les résultats obtenus par le biais du QCMR pourraient constituer un outil parmi d’autres pour mieux comprendre la réussite étudiante. Passé en début d’année, ce questionnaire pourrait contribuer au repérage des étudiants qui sont susceptibles d’éprouver des difficultés. Il pourrait également apporter des connaissances nécessaires à la construction de dispositifs d’accompagnement des étudiants à la réussite de la production d’écrits. Par exemple, un score faible au QCMR pourrait alerter les équipes pédagogiques, qui seraient plus vigilantes afin d’offrir du soutien spécifique à certains publics qui sont plus désarmés devant les exigences de leur métier d’étudiant.