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L’Union des producteurs agricoles (UPA) est le syndicat unique qui représente l’ensemble des agriculteurs[1] du Québec depuis plus de 40 ans. C’est un acteur majeur dans le monde de l’agriculture puisque les pouvoirs qui lui sont accordés sont importants et dépassent les rôles d’un syndicat traditionnel. Originellement connue sous le nom de l’Union catholique des cultivateurs (UCC) fondée en 1924, l’UPA, dans sa forme actuelle, a pris naissance en 1972 lorsque la loi sur les producteurs agricoles a été adoptée (p. 27). Ayant déjà largement critiqué cette organisation, que ce soit par écrit ou lors de sorties publiques, Roméo Bouchard s’attaque de nouveau à ce syndicat dans son plus récent ouvrage L’UPA un monopole qui a fait son temps.

Revenant tout d’abord sur ses origines, Bouchard décrit les moments marquants de son parcours dans le monde de l’agriculture, légitimant ainsi son rôle de critique du milieu agricole actuel. Parallèlement à son histoire personnelle, il dépeint l’évolution sociale et politique de cette activité économique au Québec, mettant particulièrement en lumière les aspects négatifs associés à une agriculture de plus en plus productiviste soumise aux règles du capitalisme.

Les premiers chapitres de l’ouvrage sont consacrés aux évènements et décisions politiques et juridiques qui ont permis à l’UPA d’occuper une place aussi importante dans le monde agricole québécois et de posséder, selon les dires de l’auteur, un contrôle quasi infini en matière de financement, de mise en marché collective, d’aménagement du territoire et de formation agricole. Décrivant les nombreuses responsabilités de l’organisation, il affirme que l’UPA représente plus qu’un simple syndicat. Selon Bouchard, considérant les pouvoirs, les moyens économiques et les structures organisationnelles qui la caractérisent, l’UPA représente davantage un État dans l’État. Sans nier le fait que cette dernière ait pu aider les producteurs par le passé, il tient à mentionner que le monopole syndical n’a jamais fait l’unanimité. S’attaquant par la suite à la loi de 1972[2], il décrit les différentes étapes de son adoption et présente cette décision législative comme la genèse du monopole critiqué. À cette époque, on a transposé le mode de fonctionnement des syndicats ouvriers au monde de l’agriculture. Il semble donc que dans un tel « régime », de nombreux groupes de producteurs ne trouvent pas leur compte et ne se sentent pas bien représentés. Selon l’auteur, le monde ouvrier et le monde agricole présentent des caractéristiques fort différentes que l’on doit prendre en considération lorsque l’on tente de soutenir et protéger les agriculteurs.

En plus de critiquer la structure législative et organisationnelle, Roméo Bouchard consacre le coeur de l’ouvrage (plus d’un tiers du livre) à mettre en lumière de nombreuses formes de dissidences et d’actions entreprises au fil des ans pour contrer l’UPA ou du moins pour tenter de modifier le fonctionnement et la gestion de l’agriculture québécoise. Ces actions entreprises par différents acteurs (Producteurs de porc du Québec, membres du Regroupement des producteurs agricoles, mouvement d’agriculture biologique, Union paysanne, etc.) sont soigneusement répertoriées et permettent de constater que les mesures employées se sont, pour la plupart, soldées par des échecs. Parfois anecdotiques, ces exemples de dissidences (qui vont de la manifestation jusqu’aux batailles juridiques éprouvantes et destructrices pour les individus qui les ont menées) permettent également à l’auteur de rappeler que « les actions pour contrer les pouvoirs de l’UPA ont été nombreuses au cours de l’histoire, mais que cette dernière ne recule devant rien pour conserver ses acquis » (p. 128).

Prêchant depuis longtemps en faveur d’un pluralisme syndical, il exprime l’idée que l’agriculture actuelle se divise en trois grands réseaux d’agriculteurs (agriculteurs écologiques de proximité, gros entrepreneurs et fermes familiales) et que chacun de ces réseaux devrait pouvoir compter sur un syndicat qui peut défendre leurs intérêts variés puisque ces producteurs évoluent dans des milieux différents aux besoins particuliers.

Prenant appui sur son expérience personnelle, sur son rôle dans la mise en place de structures agricoles alternatives (Union paysanne), sur d’anciennes luttes qu’ont menées des groupes d’agriculteurs ainsi que sur certaines recommandations de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois tenue en 2008 (la préface du livre étant d’ailleurs signée par Jacques Pronovost, président de la commission), le message de Roméo Bouchard est clair et représente l’idée maîtresse de l’ouvrage : ce n’est que par une volonté politique que les choses pourront changer dans le monde de l’agriculture au Québec. Que de telles modifications ne concernent pas l’argent ou le financement, mais bien le pouvoir.

Sans grandes idées ou informations nouvelles, ce livre réaffirme clairement les positions idéologiques et politiques d’une personnalité importante dans l’opposition au syndicalisme unique en agriculture. À lire si vous vous intéressez au fonctionnement et à la gestion de l’agriculture contemporaine au Québec, en sachant que cet ouvrage n’est pas le fruit d’une recherche scientifique, mais plutôt un plaidoyer en faveur de la fin du monopole de l’UPA. C’est par le fait même un ultime appel au changement par un acteur du milieu convaincu et convaincant.